Æthelberht (roi d'Est-Anglie)

roi d'Est-Anglie, saint

Æthelberht ou Ethelbert, parfois appelé Æthelberht II, est roi d'Est-Anglie dans la deuxième moitié du VIIIe siècle.

Æthelberht
Illustration.
Un penny à l'effigie d'Æthelberht.
Titre
Roi d'Est-Anglie
 ? –
Prédécesseur Æthelred Ier
Successeur Offa de Mercie
Biographie
Date de décès
Lieu de décès Sutton (Herefordshire)
Nature du décès décapitation
Père Æthelred Ier ?
Religion christianisme
Liste des rois d'Est-Anglie

Son règne n'est connu qu'à travers trois pièces de monnaie et l'indication dans la Chronique anglo-saxonne qu'il est mort décapité sur ordre du roi Offa de Mercie en 794, une mort que des textes plus tardifs situent à Sutton, dans le Herefordshire. Ces maigres indications suggèrent qu'Æthelberht a tenté de s'émanciper de la tutelle mercienne et qu'il a été puni en conséquence. Offa semble gouverner ensuite l'Est-Anglie comme une simple province de son royaume.

Après sa mort, Æthelberht est considéré comme un martyr. Au Moyen Âge, son culte est particulièrement vivace en Est-Anglie, où plusieurs églises lui sont dédiées, mais aussi à Hereford, dont la cathédrale possède ses reliques et constitue un lieu de pèlerinage populaire. Il est l'objet de plusieurs hagiographies rédigées après la conquête normande de l'Angleterre par des auteurs comme Osbert de Clare et Giraud de Barri.

Contexte et sources

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L'Angleterre du VIIIe siècle est divisée en plusieurs royaumes anglo-saxons dont le plus puissant est la Mercie. Ce royaume, centré à l'origine sur la vallée de la Trent, dans les Midlands, bénéficie d'une certaine stabilité politique sous les rois Æthelbald (r. 716-757) et Offa (r. 757-796) et des revenus commerciaux engendrés par l'emporium de Lundenwic. Les historiens modernes parlent parfois d'« hégémonie mercienne » ou de « suprématie mercienne » pour décrire cette période durant laquelle l'autorité des rois de Mercie s'étend sur une grande partie du Sud de l'Angleterre, mais Martin J. Ryan souligne le caractère fluctuant et régulièrement contesté de cette domination[1].

L'Est-Anglie, voisine orientale de la Mercie, semble soumise à l'autorité d'Offa au début des années 790, car le roi mercien est en mesure d'y faire frapper des pièces à son nom[2]. Il est cependant difficile de cerner l'histoire est-anglienne après 731, date à laquelle s'achève l'Histoire ecclésiastique du peuple anglais du moine northumbrien Bède le Vénérable, car il subsiste très peu de sources écrites provenant de ce royaume : on ne connaît aucune liste de rois et aucune charte est-anglienne[3]. La numismatique est une source d'informations précieuses pour certains rois comme Beonna, dont une centaine de pièces ont été retrouvées, mais la moisson est beaucoup plus limitée pour Æthelberht, avec seulement trois pièces connues à son effigie. Andy Todd décrit par conséquent Æthelberht comme « l'un des plus obscurs des rois anglo-saxons » dans son entrée du Oxford Dictionary of National Biography[4].

Æthelberht n'est cité qu'à une seule reprise dans une source antérieure à la conquête normande de l'Angleterre : la Chronique anglo-saxonne enregistre son décès sous l'année 792 (une erreur pour 794)[5]. Le Secgan, liste de saints préservée dans deux manuscrits du XIe siècle, indique que ses reliques sont conservées « à Hereford sur la Wye[6] ». Le succès de son culte à Hereford donne lieu à la rédaction d'au moins trois hagiographies au XIIe siècle, chacune s'inspirant de la précédente[7] :

  • la première, par un auteur anonyme, est préservée dans le manuscrit CCC 308 de l'université de Cambridge ;
  • la deuxième, par Osbert de Clare (dédiée à Gilbert Foliot, évêque de Hereford de 1148 à 1163), est préservée dans le manuscrit I.81 de la bibliothèque de recherche de Gotha (de)[8] ;
  • la troisième, par Giraud de Barri (peut-être rédigée durant son séjour à Hereford vers 1195), est préservée dans les manuscrits Cotton Vitellius E vii (gravement endommagé par le feu en 1731, mais transcrit auparavant) et B.11.16 du Trinity College de l'université de Cambridge.

En dépit de leur date et de leur nature, ces vies de saint semblent préserver des informations issues d'une tradition de l'époque anglo-saxonne. Les noms de personnes figurant dans la plus ancienne, proches des formes en usage au VIIIe siècle, et les précisions d'ordre géographique sur la région de Hereford suggèrent que ces textes, en particulier le plus ancien, bénéficient d'un certain degré de fiabilité[9]. Les chroniqueurs du XIIIe siècle Roger de Wendover et Matthieu Paris relatent également l'histoire d'Æthelberht dans leurs écrits. Tous deux sont moines à l'abbaye de St Albans, un monastère fondé par Offa, et ils tendent à blâmer davantage sa femme Cynethryth que lui pour la mort d'Æthelberht[4].

Biographie

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Origines

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Les hagiographies d'Æthelberht indiquent qu'il est le fils d'un roi nommé Æthelred et d'une reine Leofruna. L'existence d'Æthelred n'est confirmée par aucune autre source et aucune pièce à son nom n'est connue[2]. Elles datent son avènement de 779[2]. D. P. Kirby considère qu'Æthelberht est le même individu qu'Alberht, l'un des trois rois qui se partagent l'Est-Anglie à la mort d'Ælfwald en 749[10], mais la plupart des historiens considèrent qu'il s'agit de deux individus distincts.

Ælfwald est le dernier représentant de la dynastie des Wuffingas dans les généalogies royales anglo-saxonnes. L'ascendance des rois ultérieurs est inconnue, mais les hagiographies d'Æthelberht affirment que son père et lui descendent de Rædwald, le plus prestigieux souverain de cette dynastie. L'onomastique est cohérente, plusieurs Wuffingas portant des noms dithématiques avec Æthel- comme premier élément, comme Æthelred et Æthelberht[11].

Monnaies

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Offa de Mercie frappe des pennies en Est-Anglie au début des années 790. Les pièces au nom d'Æthelberht reflètent peut-être des velléités d'indépendance vis-à-vis de la Mercie et expliqueraient sa mise à mort[2]. Trois exemplaires en sont connus, tous frappés par le même monnayeur, Lul, qui est également responsable de monnaies d'Offa et de son successeur Cenwulf. Ils portent à l'avers un portrait de profil entouré de runes et au revers, l'image de la louve (en) allaitant Romulus et Rémus[12].

Le choix de cette image, qui se retrouve sur d'autres pièces et objets anglo-saxons, peut s'expliquer comme une revendication de l'héritage culturel et politique de la Rome antique, mais il constitue peut-être aussi une allusion à la dynastie des Wuffingas, dont le nom renvoie à celui du loup, wulf en vieil anglais[13]. Ces deux hypothèses ne sont pas exclusives : un dénommé Caser (autrement dit César) apparaît dans la liste généalogique des Angles de l'Est. Qu'il appartienne ou non à la dynastie des Wuffingas, il est plausible qu'Æthelberht veuille s'inscrire dans leur continuité.

L'entrée pour l'année 792 (recte 794) de la Chronique de Peterborough enregistre la mort d'Æthelberht.

La Chronique anglo-saxonne rapporte simplement que « Offa, roi des Merciens, ordonna que la tête du roi Æthelberht fût tranchée[5] ». Les hagiographies offrent des récits plus détaillés de sa mise à mort, mais qui ne sont pas tous cohérents les uns avec les autres. Elles s'accordent cependant pour dire qu'Æthelberht se rend à la résidence royale mercienne de Sutton, dans le Herefordshire, en vue d'y épouser une des filles d'Offa, nommée Ælfthryth, Ælfrida, Etheldritha ou Ælfflæda selon les textes[4]. Le crime aurait été commis par un certain Winberht, accueilli par Offa après avoir dû fuir l'Est-Anglie[14]. C'est chez Matthieu Paris que l'on trouve la version la plus élaborée de l'exécution : Æthelberht se serait assis sur une chaise piégée qui aurait basculé dans une fosse où il aurait été étouffé dans des rideaux avant d'être décapité[4]. Le corps du roi aurait ensuite été jeté dans la Lugg[15].

La mort d'Æthelberht anéantit tout espoir d'union pacifique entre les peuples angliens[16] et conduit à la domination de l'Est-Anglie par la Mercie : les rois merciens régnent sur l'Est-Anglie pendant les trois décennies qui suivent.

Æthelberht fait partie de ces princes que certains historiens qualifient de « souffre-passion », canonisés parce qu'ils ont accepté une mort violente pour le bien de leur peuple. Il est fêté le 20 mai[17]. La cathédrale de Hereford lui est dédiée, ainsi que plusieurs églises paroissiales dans le Norfolk et le Suffolk, mais aussi à Belchamp Otten dans l'Essex, Littledean dans le Gloucestershire et Luckington dans le Wiltshire.

Le culte d'Æthelberht est particulièrement populaire dans l'Angleterre médiévale. Hereford constitue ainsi l'un des principaux lieux de pèlerinage du pays après Cantorbéry[4],[17]. Au XIIIe siècle, la musique pour l'office de saint Ethelbert apparaît dans le Bréviaire de Hereford.

Références

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  1. Ryan 2013, p. 179-183.
  2. a b c et d Yorke 2002, p. 64.
  3. Yorke 2002, p. 58.
  4. a b c d et e Todd 2004.
  5. a et b Swanton 1996, p. 54.
  6. Cubitt 2000, p. 75.
  7. James 1917, p. 214-216.
  8. Rollason 1983, p. 9.
  9. Thacker 1985, p. 16-17.
  10. Kirby 2000, p. 115.
  11. Yorke 2002, p. 68.
  12. Gannon 2010, p. 147.
  13. Naismith 2012, p. 118-120.
  14. Rollason 1983, p. 13.
  15. Cubitt 2000, p. 76.
  16. Kirby 2000, p. 148.
  17. a et b Farmer 2011.

Bibliographie

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Sources primaires

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Sources secondaires

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  • (en) John Caldwell, « St. Ethelbert, King and Martyr : His Cult and Office in the West of England », Plainsong and Medieval Music, vol. 10, no 1,‎ , p. 39-46 (DOI 10.1017/S0961137101000043).
  • (en) Catherine Cubitt, « Sites and Sanctity : Revisiting the Cult of Murdered and Martyred Anglo-Saxon Royal Saints », Early Medieval Europe, vol. 9, no 1,‎ , p. 53-83 (DOI 10.1111/1468-0254.00059).
  • (en) David Farmer, « Ethelbert (2) (779–94) », dans The Oxford Dictionary of Saints, Oxford, Oxford University Press, (ISBN 9780191727764).
  • (en) Anna Gannon, The Iconography of Early Anglo-Saxon Coinage : Sixth to Eighth Centuries, Oxford, Oxford University Press, (ISBN 978-0-19-958384-3).
  • (en) Martin J. Ryan, « The Mercian Supremacies », dans Nicholas J. Higham et Martin J. Ryan, The Anglo-Saxon World, New Haven, Yale University Press, (ISBN 978-0-300-12534-4).
  • (en) D. P. Kirby, The Earliest English Kings, Routledge, (ISBN 0-415-24211-8).
  • (en) M. S. Nagy, « Saint Æþelberht of East Anglia in the "South English Legendary" », Chaucer Review, vol. 37, no 2,‎ , p. 159-172 (DOI 10.1353/cr.2002.0027).
  • (en) Rory Naismith, Money and Power in Anglo-Saxon England : The Southern English Kingdoms 757–865, Cambridge, Cambridge University Press, (ISBN 978-1-107-00662-1).
  • (en) D. W. Rollason, « The Cults of Murdered Royal Saints in Anglo-Saxon England », Anglo-Saxon England, vol. 11,‎ , p. 1-22 (DOI 10.1017/S0263675100002544).
  • (en) Sheila Sharp, « Æthelbert, King and Martyr : The Development of a Legend », dans David Hill et Margaret Worthington (éd.), Æthelbald and Offa : Two Eighth-Century Kings of Mercia, Oxford, BAR Publishing, (ISBN 9781841716879), p. 59-64.
  • (en) Alan Thacker, « Kings, Saints and Monasteries in Pre-viking Mercia », Midland History, vol. 10,‎ , p. 1-25 (DOI 10.1179/mdh.1985.10.1.1).
  • (en) Andy Todd, « Æthelberht [St Æthelberht, Ethelbert] (779/80–794) », dans Oxford Dictionary of National Biography, Oxford University Press, (lire en ligne Inscription nécessaire).
  • (en) Barbara Yorke, Kings and Kingdoms of Early Anglo-Saxon English, Londres/New York, Routledge, (ISBN 0-415-16639-X).

Liens externes

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