Élection triangulaire en France

configuration particulière au deuxième tour d'élection, en politique française

En France, une élection triangulaire, généralement abrégée en triangulaire, est un mode d'élection caractéristique du système électoral français, lors des scrutins uninominaux à deux tours. Une triangulaire se produit lorsque trois candidats du premier tour ont atteint le seuil de maintien et ne se désistent pas au second tour. Le gagnant de cette élection est déterminé à la majorité relative. En fonction des seuils éliminatoires adoptés pour le premier tour, le second tour peut d'ailleurs donner lieu à une quadrangulaire, voire une quinquangulaire, une sexangulaire, etc.

Origine

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Les premières élections triangulaires apparaissent donc avec le fondement du scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Ce système électoral est mis en place lors des élections législatives de 1852, puis continue durant le Second Empire. Le scrutin à deux tours perdure ensuite sous la IIIe République, à partir des élections de 1876[1].

Il faut dire que ce mode de scrutin est favorable aux les légitimistes, orléanistes et bonapartistes, trois courants politiques de droite[2], qui souffraient de leur division : en effet, dans le cas d'une bipolarisation incomplète, où un camp divisé se désiste en faveur du meilleur d'entre eux lors du second tour, la configuration de triangulaire est alors favorable au camp politique qui a deux candidats qualifiés.

Ainsi, ce scrutin caractérise la politique française : pour être représenté à l'Assemblée nationale sans être capable de gagner seul, il faut avoir le soutien d'autres partis.

Dans les différentes élections

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La présence de triangulaires dépend du mode de scrutin des élections, et plus particulièrement du seuil de qualification pour le second tour :

  • Elle est de moins en moins observée lors des élections législatives, où il faut obtenir au moins 12,5 % des électeurs inscrits pour pouvoir se maintenir (dans le cas où deux autres candidats ont aussi franchi le seuil de 12,5 %).
  • Elle est impossible lors d'une élection présidentielle. Le tour de ballottage ne prend que les deux meilleurs. Toutefois la Constitution accepte des désistements en faveur des suivants, ce qui n'empêche pas des stratégies inspirées des législatives.
  • Elle est devenue plus rare aux élections départementales, car les gouvernements ont régulièrement augmenté le seuil de maintien au second tour, pour leur avantage, celui-ci étant désormais placé à 12,5 % des inscrits.
  • Aux élections municipales, depuis 1983, la moitié des sièges sont répartis à la proportionnelle, mais il y a depuis un seuil d'accès au second tour dans les villes de plus de 1000 habitants. Celui-ci est fixé à 10 % des suffrages exprimés, permettant ainsi le phénomène des triangulaires et quadrangulaires dans les municipalités politiquement divisées.
  • Les élections régionales avaient auparavant un tour unique, mais la dernière réforme de 2003 a calqué le système des municipales, avec un seuil d'accès au second tour de 10 % des suffrages exprimés, ce qui a suscité de nombreuses triangulaires en 2004, 2010 et 2015.

Nombre de triangulaires

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Élections législatives[3]

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Évolution du nombre de triangulaires aux élections législatives sous la Ve République

Élections régionales

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Facteurs d'influence

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Le nombre de triangulaires aux différentes élections durant la Ve République est ainsi très disparate, il ne se stabilise pas autour d'une quelconque valeur. Pour cause, de nombreux facteurs d'influence, tantôt favorisant la présence de triangulaires, tantôt faisant chuter le nombre de seconds tours à plus de deux candidats, sont à étudier pour mieux comprendre cette évolution.

Le seuil minimal pour être candidat au second tour

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En fonction de son importance

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D'une façon évidente, plus le seuil de maintien nécessaire pour pouvoir être qualifié au second tour est élevé, moins il y aura de candidats qui accèderont au second tour et donc moins il y aura de triangulaires.

En fonction de ses évolutions (exemple des législatives)

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Il faut dire aussi, concernant les élections législatives, que cette barre d'un huitième des inscrits n’a pas toujours été la même[11].

Découvrons ci-dessous les différents changements de ce seuil :

Le seuil minimal pour être candidat au 2d des législatives françaises réajusté (période 1958-1997)
  • après les ordonnances de 1958 et 1959, réinstituant entre autres le scrutin majoritaire à deux tours, le seuil minimal d’inscrits nécessaire pour être en ballottage est de : 5 % ;
  • après la loi no 66-1022 du 29 décembre 1966, le seuil minimal d’inscrits nécessaire pour être en ballottage est de : 10 % ;[12]
  • après la loi no 76-665 du 19 juillet 1976, le seuil minimal d’inscrits nécessaire pour être en ballottage est de : 12,5 %. C’est encore le cas aujourd’hui[13].

Le graphique ci-dessus est d’ailleurs très parlant, et on constate que le nombre de seconds tours à plus de deux candidats s’effondre au fur et à mesure que ce seuil est augmenté.

Par ailleurs, il n’y a plus eu : ni de sexangulaire ; ni de quinquangulaire après le changement de seuil de 1966, et le nombre de quadrangulaires se réduit aussi drastiquement[3].

En fonction de sa nature (en % d'inscrits ou en % d'exprimés)

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Enfin, d'autre part, si le seuil de maintien au second tour est en pourcentage de suffrages exprimés, ce qui est le cas pour les élections régionales et municipales (pour les communes de plus de 1000 habitants)[14],[15], il est alors plus aisé pour une liste ou pour un candidat de parvenir à franchir cette barre, car une trop faible participation n'aurait donc aucune influence dans sa qualification.

En effet, dans le cas des élections départementales et législatives où un seuil en pourcentage d'inscrits est de vigueur, les candidats souhaitant se qualifier au second tour sont dépendant de l'abstention...[16],[17]

Le taux de participation

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Le taux de participation est donc un facteur d'influence non négligeable concernant le nombre de triangulaires aux élections législatives et départementales.

En effet, dans le cadre d'un seuil de maintien fixé à 12,5 % des inscrits, pour que 3 candidats se qualifient, il faut que le 3ème remporte donc au moins un huitième des suffrages des électeurs inscrits. Mais cela suppose alors qu’au moins trois huitième des inscrits (37,5 %) se déplacent aux urnes, car les deux premiers candidats reçoivent, de facto, autant ou plus de voix que le 3ème (25 % des inscrits au minimum à eux deux).

Ainsi, une abstention dépassant les 62,5 % interdit la possibilité d'une triangulaire.

Calcul du seuil de maintien en voix exprimées : diviser un huitième par le taux de participation

À partir du taux de participation, il est ensuite possible d'utiliser l'expression ci-contre afin de formuler le seuil de maintien en pourcentage de voix exprimées.

En effet, on part du seuil de maintien (12,5 % ou un huitième comme présenté dans la formule) pour le diviser par le rapport d'électeurs s'étant exprimés sur le nombre d'électeurs inscrits.

Les taux de maintien de certains cas de figure sont exposés dans le tableau ci-dessous :

Calcul du taux de maintien en voix exprimées pour 12,5 % d'inscrits
Inscrits ayant voté blanc
ou s'étant abstenus (%)
0 5 10 15 20 25 30 33 35 40 45 50 62,5
Inscrits s'étant exprimés
(%)
100 95 90 85 80 75 70 67 65 60 55 50 37,5
Taux de maintien
(% exprimés)
12,5 13,16 13,89 14,71 15,625 16,67 17,86 18,75 19,23 20,83 22,72 25 33,3

On comprend alors que plus la participation est élevée, plus cela favorise la possibilité qu’il y ait des triangulaires car le taux de maintien, en pourcentage d'exprimés, est alors plus faible.

Une corrélation entre participation et nombre de 2d tours à plus de deux candidats loin d'être évidente...

Pourtant, en comparant l'évolution du taux de participation et le nombre de seconds tours à plus de deux candidats au cours des élections législatives sous la Ve République, la corrélation est loin d'être évidente, comme l'expose le graphique ci-contre.[3],[4],[18]

Toutefois, à partir de ce graphique, on peut constater deux choses :

  • Il est nécessaire que la participation soit suffisamment élevée pour avoir de nombreux seconds tour à plus de deux candidats (1958 ; 1962 ; 1973 ; 1997 et 2024)
  • Par contre, si la participation est très élevée, cela n’implique pas forcément un grand nombre de seconds tours à plus de deux candidats (1978 ; 1981 ; 1993)

Grâce à ces deux courbes, on comprend alors mieux le rôle de la participation dans la fréquence d’apparition des triangulaires : plus celle-ci est élevée, plus elle favorise la possibilité qu’il y ait de seconds tours à plus de deux candidats (comme cela était expliqué précédemment)

Par contre, le fait que la participation soit très haute n’implique pas systématiquement que le nombre de triangulaires monte en flèche, pour la simple et bonne raison que d'autres facteurs sont à prendre en compte.

Bipolarisation ; tripolarisation

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Un autre facteur d'influence du nombre de triangulaires est la présence de la bipolarisation ou de la tripolarisation dans la vie politique française.

Pour mieux cerner le sujet, voici quelques explications historiques concernant l’action de ces phénomènes sur la vie parlementaire française entre 1958 et 1997 :

  • Avant les années soixante-dix à quatre-vingt, il n’y avait pas à proprement parlé deux forces politiques majeures en opposition. En effet, la SFIO (puis la FGDS), ce sont les socialistes, et le PCF, ce sont les communistes, ne se désistaient pas pour s'entraider, bien qu’ils soient tous deux de gauche. De même, les courants allant des radicaux à la droite modérée s'opposaient aux candidats du parti gaulliste. Une forme de multipartisme dominait alors[19].
  • La bipolarisation de la vie parlementaire fut par contre pleinement acquise entre les élections de 1978 et de 1986. En effet, on retrouve alors, durant cette période, deux grandes coalitions qui possèdent alternativement le pouvoir : la droite parlementaire (composée du RPR et de l’UDF) et la gauche parlementaire (composée des socialistes et des communistes)[19],[3].
  • Mais à partir des élections de 1986, le Front National de Jean-Marie Le Pen commence à prendre de l’ampleur lors des législatives. Plus particulièrement en 1997, son parti réalise une percée assez significative. Bien que le score obtenu par le FN soit honorable au premier tour, il ne remporte que très peu de sièges à l’Assemblée Nationale, à cause notamment des désistements dans le but de former « un front républicain » face à l’extrême-droite. On ne peut pas parler véritablement de tripolarisation, car le parti de Jean-Marie Le Pen est trop peu présent dans l’hémicycle, mais nous pouvons quand même signaler la montée d’un troisième camp dans la vie politique française[19],[20].

Le rapport entre bipolarisation, tripolarisation et le nombre de seconds tours est donc le suivant :

en cas de bipolarisation, les électeurs vont se reporter massivement sur 2 camps politiques (de façon plus ou moins équilibrée). Dans cette situation, les autres candidats ne recueillent alors que très peu de voix : en général, ils n’atteignent pas le seuil minimal d’inscrits pour être qualifiés au second tour.

La bipolarisation favorise ainsi les duels.

Par contre, en cas de tripolarisation, les votes des français vont se répartir notamment sur 3 groupes politiques (de façon plus ou moins équilibrée). Ainsi, dans cette situation et avec une assez bonne participation, les trois candidats seront sélectionnés au second tour.

La tripolarisation favorise ainsi les triangulaires.

En superposant ce facteur d'influence à la courbe des seconds tours à plus de deux candidats au cours des élections législatives (1958 - 1997), la corrélation est assez bonne.

Influence de la bipolarisation, de la tripolarisation et du multipartisme dans le nombre de 2d tours aux législatives françaises (période 1958 - 1997)
  • Durant la période où le multipartisme domine, de très nombreux seconds tours se déroulent à plus de deux candidats. Aussi, on note plus précisément la présence de quadrangulaires, quinquangulaires et sexangulaire : cela n’arrivera plus durant le siècle après les élections de 1973, dernières marquées par le multipartisme ;
  • Pendant la période de bipolarisation, le nombre de triangulaires s’écroule, à seulement une occurrence pour chaque élection ;
  • Enfin, alors que le Front National commence à prendre de l’ampleur vers 1986, le nombre de seconds tours à plus de deux candidats remonte, jusqu’à atteindre une valeur assez importante en 1997. En effet, lors de ces élections, le parti de Jean-Marie Le Pen fait une percée : le nombre de triangulaires culmine alors à 79 (105 avant les désistements)[3].

Les désistements

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Enfin, un dernier facteur crucial dans la compréhension du nombre de triangulaires est le phénomène de désistement.

En effet, dans le cas de l'année 2024, 89 triangulaires ont été enregistrées[4] : ce nombre peut surprendre car cela représente une dizaine de plus seulement qu’en 1997, dans un contexte où le FN recueillait beaucoup moins de voix que le RN, et où la tripolarisation de la vie politique était loin d'être aussi présente qu'en cette année-ci.

Pour comprendre, il faut savoir qu'avant les désistements, le nombre de triangulaires s’élevait à 306, soit une valeur en adéquation avec le contexte de tripolarisation et de participation élevée rappelé plus haut. Au final, pas moins des deux tiers des triangulaires ont sauté, car beaucoup de candidats se sont retirés. La raison est la suivante : alors que le Rassemblement National est arrivé en tête au premier tour dans de nombreuses circonscriptions, la majorité présidentielle et le nouveau front populaire ont décidé de retirer leurs candidats arrivés en troisième position, afin de « faire barrage à l’extrême-droite » et de constituer un « front républicain »[4].

Ce processus de désistement des candidats les moins bien placés pour empêcher le premier de remporter l’élection s’était déjà produit auparavant, mais de façon beaucoup moins généralisée.

Les candidats les moins bien placés s’étant désistés, cela explique donc que le nombre de triangulaires réelles n’est pas si haut que ce que l’on pourrait penser.

Synthèse

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Pour synthétiser les différents facteurs impactant sur le nombre de triangulaires et leur influence, voici un tableau récapitulatif :

Facteur d'influence Nature de l'influence
Seuil minimal nécessaire pour se qualifier au 2d tour en % d'exprimés augmentation
Seuil minimal nécessaire pour se qualifier au 2d tour en % d'inscrits diminution
Abaissement du seuil minimal nécessaire pour se qualifier au 2d tour augmentation
Augmentation du seuil minimal nécessaire pour se qualifier au 2d tour diminution
Forte participation augmentation*
Forte abstention diminution*
Bipolarisation diminution
Tripolarisation ou multipartisme augmentation
Désistements diminution

*Notons que dans le cas des élections régionales et municipales (de plus de 1000 habitants) où le seuil de maintien est calculé à partir du nombre de voix exprimées, le taux de participation n'a aucune influence sur le nombre de triangulaires[14],[15].

Quadrangulaire, quinquangulaire...

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Au-delà du cas de figure de l'élection triangulaire, peuvent également survenir des élections quadrangulaire, quinquangulaire, sexangulaire, septengulaire voire octangulaire au cours desquelles se maintiennent respectivement quatre, cinq, six, sept, huit candidats au second tour.

Ces situations, plus courantes lors des élections régionales et municipales demeurent toutefois rarissimes lors des législatives.

Références

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  1. La communauté des communes, Nièvre & Somme, « 06 - Elections législatives françaises », (consulté le )
  2. René Rémond, Les Droites en France, Paris, Aubier, , 544 p. (ISBN 2-7007-0260-3)
  3. a b c d et e « bipolarisation », sur www.france-politique.fr (consulté le )
  4. a b c et d Brice Le Borgne, « Législatives 2024 : triangulaires, duels... Visualisez les configurations du second tour après les nombreux désistements », France Info,‎ (lire en ligne)
  5. Arthur Quentin, « Législatives 2022: des triangulaires serrées dans sept circonscriptions », Libération,‎ (lire en ligne)
  6. Loris Boichot, « Législatives : avec l'abstention record, une seule triangulaire au second tour », Le Figaro,‎ (ISSN 0182-5852, lire en ligne, consulté le )
  7. Adrien Sénécat, « Pourquoi l’issue des législatives est incertaine, quel que soit le vainqueur du 7 mai », Le Monde.fr,‎ (ISSN 1950-6244, lire en ligne, consulté le )
  8. Jean-Baptiste de Montvalon, « Le second tour des législatives ne comportera qu'une seule triangulaire », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  9. Clarisse Vernhes, « Il n’y aura que dix triangulaires ! », RFI,‎ (lire en ligne)
  10. « Soixante-seize triangulaires en présence de l'extrême droite », sur Le Monde,
  11. « Mode de scrutin des élections législatives », sur Politiquemania, (consulté le )
  12. Journal officiel, « Loi n°66-1022 du 29 décembre 1966 MODIFIANT ET COMPLETANT LE CODE ELECTORAL », sur Légifrance, (consulté le )
  13. Journal officiel, « Loi n°76-665 du 19 juillet 1976 MODIFIANT CERTAINES DISPOSITIONS DU CODE ELECTORAL ET DU CODE DE L'ADMINISTRATION COMMUNALE », sur Légifrance, (consulté le )
  14. a et b Direction de l'information légale et administrative, « Élections régionales : le mode de scrutin », sur Vie publique, (consulté le )
  15. a et b Collectivités territoriales, « Quel est le mode de scrutin des élections municipales dans les communes de 1 000 habitants et plus ? », sur Vie publique, (consulté le )
  16. Direction de l'information légale et administrative, « Élections départementales : le mode de scrutin », sur Vie publique, (consulté le )
  17. « Règles du jeu, candidats… Mode d’emploi du scrutin en cinq points » Accès payant, sur La Voix Du Nord (consulté le )
  18. Sheelah Delestre, « Part des personnes inscrites sur les listes électorales ayant voté aux élections législatives en France entre 1928 et 2024, au premier et au second tour » (histogramme), sur Statista, (consulté le )
  19. a b et c « Elections législatives 1958-2012 », sur data.gouv.fr (consulté le ).
  20. Florian Gouthière, « Législatives : triangulaires, conditions de maintien au second tour... quelles conséquences à la hausse de la participation ? », Libération, (consulté le )

Voir aussi

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