Émail Plantagenêt

plaque funéraire émaillée et armoriée de Geoffroy V d'Anjou
Émail Plantagenêt
Dimensions (H × L)
63 × 33 cmVoir et modifier les données sur Wikidata
Localisation

L'émail Plantagenêt, ou émail de Geoffroy Plantagenêt, est une plaque funéraire en cuivre, gravée et émaillée, à l'effigie de Geoffroy V Plantagenêt, comte d'Anjou, du Maine et de Touraine et, plus tard duc de Normandie. Elle est conservée au Musée Jean-Claude-Boulard Carré Plantagenêt, le musée d'archéologie et d'histoire du Mans, dont elle constitue une des pièces les plus importantes.

Cet émail, souvent daté des années 1160-1165, faisait partie du tombeau de Geoffroy Plantagenêt qui était dans la cathédrale du Mans. Il met en valeur le comte d'Anjou, le présentant comme un protecteur de l'Église.

Contrairement à ce qu'on a longtemps affirmé, l'émail Plantagenêt n'est pas la plus ancienne représentation d'armoiries. Certains sceaux sont plus anciens. Par contre, il est la plus ancienne représentation héraldique en couleurs connue.

Description modifier

Un émail modifier

Cette pièce est un émail de dimensions exceptionnelles[1] : il mesure 63 cm de haut sur 33 cm de large et pèse 33 kg[2].

L'émail Plantagenêt rappelle les émaux du Limousin et semble attester d'influences de la région Rhin-Meuse, mais, d'après divers indices, pourrait avoir été fabriqué par des artistes locaux[3],[4]. Il s'agit d'un émail champlevé. La plaque de cuivre est d'abord évidée au burin. Les cavités ainsi formées sont émaillées avec un mélange de quartz, d’un fondant et d’oxydes métalliques, ce qui permet d'obtenir des couleurs. La plaque est ensuite cuite, poncée, polie puis gravée. C'est un long travail, très minutieux[4], avec au moins une douzaine d'opérations successives. Sous les émaux fragiles du visage et de la barbe se trouve une feuille d'or. Cette œuvre d'art a été analysée en laboratoire en 1978[2].

Un prince protecteur modifier

L'émail Plantagenêt produit un effet monumental par la verticalité de l'image insérée dans un large chanfrein orné et inscrit[2]. Geoffroy Plantagenêt est représenté sous une arcade soutenue par deux colonnes surplombées chacune par une tour. Les couleurs mettent en avant le comte, sur un fond neutre. La représentation est peut-être réaliste en ce qui concerne sa barbe et ses cheveux[4].

Il est debout, vêtu d'un riche costume, tenant dans la main droite une épée levée et sur le bras gauche un bouclier d'azur chargé de lionceaux[5]. Ses vêtements sont un bliaud et une chemise de soie brodés et galonnés, des chaussons et une cape fourrée de vair. Il brandit son épée, la guiche de son bouclier est passée sur l'épaule et il porte un casque armorié[6]. Les vêtements princiers civils sont ainsi associés à un équipement militaire[7]. L'épée comportait probablement une lame d'or[2],[8]. Sur l'écu, les lionceaux d'or sont au nombre de six, disposés 3, 2 et 1[9]. Il s'agit donc d'un écu d'azur à six lionceaux d'or[10].

La partie supérieure de la plaque porte l'inscription latine suivante[11],[3],[12] :

« Ense tuo princeps predonum turba fugatur
Ecclesiisque quies pace vigente datur »

Ce qui peut se traduire ainsi[6] :

« Ton épée, prince, disperse la foule des pillards
et ta paix vigilante assure le repos des églises »

Le comte d'Anjou paraît veiller à la porte d'un édifice dont il est le protecteur et le gardien[6]. Ainsi, cette épitaphe et son équipement militaire mettent en avant son rôle de protecteur de l'Église[7].

La plus ancienne représentation héraldique en couleurs modifier

Le vestige d'un tombeau modifier

Cette plaque est percée tout autour d'une cinquantaine de trous, ce qui montre qu'elle a été fixée à un tombeau. La chronique rédigée au XIIe siècle par le moine Jean Rapicault, dit Jean de Marmoutier, permet d'identifier le personnage représenté sur cet émail à Geoffroy V d'Anjou[11].

Le tombeau de Geoffroy Plantagenêt, érigé dans la cathédrale du Mans, peut-être sur ordre de l'évêque Guillaume de Passavant, est détruit par les huguenots en 1562[5],[11]. La plaque demeure apposée à un pilier de la nef de la cathédrale jusqu'en 1792[5],[11],[12]. L'émail Plantagenêt disparaît alors et n'est retrouvé qu'en 1816, caché derrière un meuble, lorsque le département de la Sarthe l'achète à un collectionneur nommé Maulny[5],[2],[12].

Au XIXe siècle, Eugène Hucher date l'émail Plantagenêt de la première moitié du XIIe siècle, d'après des critères stylistiques, et plus précisément entre 1145 et 1151, date de la mort de Geoffroy Plantagenêt[11]. Selon Robert Viel, il est postérieur à 1151, puisque c'est l'année de la mort du comte[3]. Même si l'évêque du Mans Guillaume de Passavant pourrait en être le commanditaire[4], l'émail Plantagenêt fait probablement partie, selon Laurent Hablot, d'une commande de la veuve de Geoffroy Plantagenêt, Mathilde l'Emperesse, pour le tombeau de son mari[6], vers 1160-1165[7].

Des armoiries en couleur modifier

Dans sa chronique, Jean de Marmoutier décrit les armoiries reçues par Geoffroy Plantagenêt. Depuis une étude publiée par Louis Bouly de Lesdain en 1897, on considère souvent que ce sont les plus anciennes armoiries connues[3] et qu'elles auraient été accordées à Geoffroy Plantagenêt lors de son adoubement en 1127 par son beau-père Henri Ier (roi d'Angleterre). C'est donc la date souvent retenue pour la naissance des armoiries[9],[13],[14].

Michel Pastoureau a montré qu'il n'en est rien. En effet, l'émail représentant Geoffroy Plantagenêt semble avoir été réalisé vers 1160-1165 et le récit de son adoubement, qui mentionne le bouclier aux six lionceaux, a été écrit vers 1170-1175, tandis que son seul sceau conservé, qui date de 1149, n'a pas d'armoiries. Entretemps, les sceaux héraldiques naissent et se répandent[15],[10],[16]. Il est donc probable que Jean Rapicault a projeté en 1127 une représentation typique de son époque, les années 1170[17].

Toutefois, il s'agit bien d'une représentation héraldique, puisqu'y apparaissent des armoiries qui seront transmises aux rois d'Angleterre[7]. Les armoiries représentées renvoient aux ducs de Normandie, en particulier le beau-père et adoubeur de Geoffroy, Henri Ier, plutôt qu'aux comtes d'Anjou[18].

L'émail Plantagenêt est, selon l'expression de Laurent Hablot, le « plus ancien témoignage de représentation héraldique en couleurs connu »[7].

Références modifier

  1. « L'émail Plantagenêt », sur Ville du Mans (consulté le ).
  2. a b c d et e Gauthier 1979.
  3. a b c et d Viel 1959.
  4. a b c et d Briau 2011/2012.
  5. a b c et d Catalogue du musée de peinture et d'histoire naturelle du Mans : précédé d'une notice historique, Le Mans, Association ouvrière de l'imprimerie Drouin, , 87 p. (lire en ligne), p. 14-16.
  6. a b c et d Laurent Hablot, « Entre pratique militaire et symbolique du pouvoir, l’écu armorié au XIIe siècle », dans M. Metelo de Seixas et M. de Lurdes Rosa (dir.), Estudos de Heràldica medieval, Lisbonne, (lire en ligne), p. 143-167.
  7. a b c d et e Laurent Hablot, Manuel d’héraldique et d’emblématique médiévale : Des signes, une société, comprendre les emblèmes du Moyen Âge (XIIe – XVIe siècles), Tours, Presses universitaires François Rabelais, , 336 p. (ISBN 978-2-86906-689-2, présentation en ligne), p. 22.
  8. Christian Lahanier, « Naissance de la recherche scientifique au Laboratoire de recherche des musées de France (LRMF) », Histoire de la recherche contemporaine. La revue du Comité pour l’histoire du CNRS, no Tome II - N°2,‎ , p. 132–141 (ISSN 2260-3875, DOI 10.4000/hrc.290, lire en ligne, consulté le ).
  9. a et b Louis Bouly de Lesdain, « Les plus anciennes armoiries françaises (1127-1300) », Archives héraldiques suisses. Schweizer Archiv für Heraldik. Archivio araldico svizzero. Archivum heraldicum, vol. 11,‎ , p. 69-79, 94-103 (lire en ligne).
  10. a et b Michel Pastoureau, Traité d'héraldique, Paris, Picard, coll. « Grands manuels », , 4e éd. (1re éd. 1979), 407 p. (ISBN 2-7084-0703-1), p. 29-30.
  11. a b c d et e Hucher 1860.
  12. a b et c Robert Favreau, « L'épithaphe d'Henri II Plantagenêt à Fontevraud », Cahiers de civilisation médiévale, vol. 50, no 197,‎ , p. 3–10 (DOI 10.3406/ccmed.2007.2950, lire en ligne, consulté le ).
  13. Louis Bouly de Lesdain, « Etudes héraldiques sur le XIIe siècle », Annuaire du conseil héraldique de France, vol. 20,‎ , p. 185-244 (lire en ligne).
  14. Pierre Gras, « Aux origines de l'héraldique. La décoration des boucliers au début du XIIe siècle, d'après la Bible de Cîteaux », Bibliothèque de l'École des chartes, vol. 109, no 2,‎ , p. 198–208 (DOI 10.3406/bec.1951.449440, lire en ligne, consulté le ).
  15. Michel Pastoureau, « L'apparition des armoiries en Occident. Etat du problème », Bibliothèque de l'École des chartes, vol. 134, no 2,‎ , p. 281–300 (DOI 10.3406/bec.1976.450062, lire en ligne, consulté le ).
  16. Michel Pastoureau, « La naissance des armoiries. De l'identité individuelle à l'identité familiale », dans Une histoire symbolique du Moyen-Âge, Paris, éditions du Seuil, coll. « Librairie du XXIe siècle », , 437 p. (ISBN 9782020136112, lire en ligne), p. 213-243.
  17. (de) Lutz Fenske, « Adel und Rittertum im Spiegel früher heraldischer Formen und deren Entwicklung », dans Josef Fleckenstein (éd.), Das ritterliche Turnier im Mittelalter. Beiträge zu einer vergleichenden Formen- und Verhaltensgeschichte des Rittertums, Göttingen, (lire en ligne), p. 75-160.
  18. Jean-François Nieus, « L’invention des armoiries en contexte. Haute aristocratie, identités familiales et culture chevaleresque entre France et Angleterre. 1100-1160 », Journal des savants, vol. 1, no 1,‎ , p. 93–155 (DOI 10.3406/jds.2017.6387, lire en ligne).

Voir aussi modifier

Notices modifier

  • Eugène Hucher, « L'émail de Geoffroy Plantagenêt conservé au musée du Mans », Bulletin monumental, vol. 26,‎ , p. 669-696 (lire en ligne).
  • Robert Viel, « La plaque tombale de Geoffroy Plantagenêt », Archives héraldiques suisses. Schweizer Archiv für Heraldik. Archivio araldico svizzero, vol. 73,‎ , p. 25-27 (lire en ligne).
  • Marie-Madeleine Gauthier, « Art, savoir-faire médiéval et laboratoire moderne, à propos de l'effigie funéraire de Geoffroy Plantagenêt », Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, vol. 123, no 1,‎ , p. 105–131 (DOI 10.3406/crai.1979.13580, lire en ligne, consulté le ).
  • D. Christophe, « La plaque de Geoffroy Plantagenêt dans la cathédrale du Mans », Hortus Artium medievalium, vol. 10,‎ , p. 75-80.
  • Aude Briau, La plaque funéraire de Geoffroy V au musée Tessé, un instrument de propagande au service de la dynastie Plantagenêt (Master International en Histoire de l’art et muséologie), Ruprecht-Karls-Universität Heidelberg, Institut d’Histoire de l’art occidental, 2011/2012, 24 p. (lire en ligne).

Articles connexes modifier

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