Affaire Mousseau-Bérard-Bergevin

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L'affaire Mousseau-Bérard-Bergevin (ou simplement l'affaire Mousseau) est un scandale ayant touché un député, Joseph-Octave Mousseau, et deux conseillers législatifs du Parti libéral, Louis-Philippe Bérard et Achille Bergevin, entre 1913 et 1914. Ceux-ci ont été piégés pour avoir accepté des pots-de-vin en échange de l'adoption par le gouvernement d'un bill privé favorable à une compagnie. Les trois protagonistes démissionnent de leur poste le quelques jours après la révélation de l'affaire par le Montreal Daily Mail, journal qui avait manigancé l'affaire du début à la fin.

Ce scandale retint l'attention des médias pendant plusieurs semaines en raison des moyens employés par le Daily Mail pour mettre au jour ce scandale. À cette époque, l'écoute clandestine et le journalisme d'enquête n'étaient des techniques employées qu'aux États-Unis et n'avaient pas encore fait leur apparition au Québec.

Déroulement des événements

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Le piège

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Le , le député de Soulanges et président du comité permanent des bills privés, Joseph-Octave Mousseau, rencontre de faux promoteurs américains qui désirent convaincre le député de faire adopter un projet de loi privée au parlement. Ces derniers convainquent Mousseau de présenter un projet de loi constituant la Montreal Fair Association of Canada et d'accorder à cette compagnie certains avantages au niveau de la vente d'alcool et de l'organisation de jeux. En échange, les faux promoteurs remettent une somme d'argent à Mousseau. Le Daily Mail allégua que le « prix » offert pour cette loi était de 9 500 $. Il était toutefois prévu que Mousseau n'en recueille que 1 000 $, le reste devant aller à des membres du Conseil législatif.

Les promoteurs sont en fait des détectives privés de la compagnie new-yorkaise William J. Burns International Detective Agency, engagés pour l'occasion par un nouveau journal montréalais, le Montreal Daily Mail. Le journal les avait recrutés pour piéger le député de Soulanges et démontrer ainsi la corruption du gouvernement en place. Le Daily Mail souhaitait aussi mousser ses propres ventes avec le dévoilement de cette affaire.

Lors de cette rencontre, Mousseau accepte l'argent remis par les promoteurs et leur livre une liste de membres du gouvernement susceptibles d'être facilement achetables. Mousseau s'engage à faire le nécessaire pour distribuer l'argent à des membres du Conseil législatif pour garantir l'adoption du projet de loi[1]. Ce que Mousseau ne sait pas, c'est que l'ensemble de la conversation est écouté dans une salle voisine à l'aide d'une technologie nouvelle pour l'époque, le détectaphone[2].

Éclosion du scandale

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Le projet de Loi constituant en corporation The Montreal Fair Association of Canada (appelé bill 158) sera présenté les 11 et à l'Assemblée législative pour la première et la deuxième lectures. Il sera par la suite envoyé au comité permanent de bills privés, comité présidé par Mousseau. Le comité fera son rapport le et l'Assemblée traitera la question à sa séance du . L'opposition conservatrice apportera plusieurs modifications au texte afin de diminuer les privilèges accordés à la Montreal Fair Association of Canada[3]. Le projet de loi sera adopté par le Conseil législatif le .

L'affaire sortira à l'Assemblée législative le lorsque le député de Terrebonne, Jean Prévost fera la lecture d'un article publié le matin même dans le Daily Mail :

« Nous avons en notre possession la preuve d'une incroyable corruption parmi les membres de la législature de Québec. Nous comprenons qu'on a l'intention de proroger les Chambres cette semaine. Mais, avant cela, il est nécessaire, dans l'intérêt public, qu'un comité spécial de la législature soit chargé de faire une enquête des plus complètes sur les accusations que le journal The Daily Mail portera avec preuve à l'appui. Nous savons qu'il a été donné de l'argent à des membres de la législature pour obtenir une législation qui, à sa face même, est tellement contraire et nuisible à l'intérêt public que ses clauses mêmes en comportent déjà la juste condamnation. La législation a été à la lettre frauduleusement passée à chacune de ses phases, de manière à échapper à l'examen des membres les plus recommandables des deux Chambres et des membres de la presse. Demain, The Montreal Daily Mail formulera des accusations bien précises[4]. »

Le texte est signé du président et directeur gérant du journal, M.E. Nichols, et du vice-président et rédacteur, B.A. Macnab. Le premier ministre Gouin demandera à l'Assemblée d'attendre les accusations formelles avant d'agir.

Le sujet ne sera véritablement amené en chambre que le lorsque l'ensemble des députés purent prendre connaissance des accusations du Daily Mail envers Mousseau, mais aussi envers deux conseillers législatifs, Louis-Philippe Bérard et Achille Bergevin. L'article « Evidence of Corruption », publié la veille, relate l'ensemble des actions menées par la firme de détectives pour soudoyer Mousseau, Bergevin et Bérard. L'Assemblée législative adoptera deux motions afin de faire comparaître à l'Assemblée les deux dirigeants du Montreal Daily Mail et de constituer un comité spécial d'enquête. La première motion avait été adoptée à la demande de l'opposition qui souhaitait interroger le journal en question afin de connaître l'ensemble des personnes impliquées dans le scandale. La deuxième motion provenant du gouvernement Gouin faisait suite à la demande de Mousseau d'être blanchi de toutes ces accusations devant un comité d'enquête.

Nichols et Macnab seront donc interrogés par l'Assemblée législative le devant une foule impressionnante s'étant déplacée pour l'occasion. Le long interrogatoire n'apportera que peu de nouvelles informations aux députés, outre l'affirmation que seul le député Mousseau aurait été impliqué dans l'affaire, les autres étant des membres du Conseil législatif[5].

Outre les interventions de quelques députés conservateurs, une grande partie des débats sera monopolisée par le député nationaliste Armand Lavergne et le libéral indépendant Jean Prévost.

Comité spécial d'enquête

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À la suite de l'adoption d'une motion à cet effet par l'Assemblée législative, un comité spécial d'enquête sera mis sur pied afin de faire la lumière sur les accusations portées envers Joseph-Octave Mousseau par le Montreal Daily Mail. Ce comité, présidé par le ministre Taschereau, interrogera pendant plusieurs jours un grand nombre de témoins. Il s'avérera que l'affaire avait été financée par l'homme d'affaires montréalais Douglas Lorne McGibbon, investissant la somme importante de 50 000 $ dans cette histoire[6]. On raconte que les débats étaient courtois, bien qu'un événement relancera les débats à l'Assemblée législative sur l'affaire Mousseau. Irrité que son nom soit mentionné durant un témoignage au comité, l'assistant procureur général, Charles Lanctôt, frappa le rédacteur en chef du Montreal Daily Mail à la sortie du comité le . Malgré les tentatives de l'opposition pour faire comparaître Lanctôt à l'Assemblée législative, le gouvernement ne donna pas suite à l'affaire.

Le comité spécial d'enquête remettra son rapport le à l'Assemblée législative. Le comité conclura que Mousseau a effectivement reçu 4 150 $ de la part de deux détectives américains, en rapport avec le bill 158. Toutefois, le comité jugera que le projet de loi en question ne contenait « aucune disposition exorbitante ou préjudiciable à l'intérêt public[7]. » Le rapport est légèrement complaisant envers Mousseau. Gouin ne se gêne pas pour affirmer à l'Assemblée que :

« Je [Lomer Gouin] suis certain d'exprimer le sentiment de chacun en cette Chambre en disant que c'était la première fois que M. Mousseau succombait [...]. Je crois que la Chambre se fera un écho de l'opinion publique en désapprouvant entièrement ces méthodes. Je ne veux pas excuser M. Mousseau ni le justifier, mais je déplore, comme mes collègues, le malheur qui lui est arrivé et, en considérant dans quelles circonstances il est tombé, on a au moins une explication qui atténue un peu la pénible situation dans laquelle il se trouve[8]. »

Lors des discussions suivant le dépôt du rapport, l'opposition officielle tentera de convaincre le gouvernement d'élargir l'enquête à l'ensemble des soupçons de corruptions relevés durant cette enquête. En effet, lors de sa comparution devant le comité, Edward Beck, un journaliste à l'origine de l'embauche des détectives américains, affirma avoir participé au stratagème afin de démontrer ce que plusieurs avocats savaient déjà : la possibilité d'« acheter des lois » à Québec. Les conservateurs souhaitèrent entendre à nouveau Beck afin de faire la lumière sur ses accusations et de connaître les noms des avocats qui affirmaient pouvoir monnayer l'adoption de lois. Les conservateurs se désolèrent que le gouvernement limite l'affaire à Mousseau :

« Le député de Soulanges n'a pas été le seul pris à partie dans la série d'articles publiés par le Daily Mail, mais ces articles avaient une portée générale qui s'attaquait à toute la législature et à la Chambre basse comme corps. Ils mettaient l'opinion publique de toute la province et même de l'ensemble du dominion sous l'impression que la législature était corrompue, que l'Assemblée législative était un corps corrompu, où la législation se vendait et où ceux qui venaient solliciter de la législation privée pouvaient, avec de l'argent, obtenir une législation extraordinaire[9]. »

L'Assemblée législative adopta le rapport du comité, malgré l'opposition conservatrice.

Dénouement

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Le grand intérêt des médias entourant cette affaire a eu raison du député Joseph-Octave Mousseau. Celui-ci remet, le sa démission à l'orateur de l'Assemblée.

« M. l'Orateur,
Atteint dans ce que j'ai de plus cher au monde, je viens mettre ma démission entre vos mains et renoncer au mandat qui m'avait été confié. En face de la situation qui m'est faite, j'ai le sentiment qu'aucun effort de ma part ne pourrait me justifier complètement à la satisfaction de tous. Animé de ce sentiment, je renonce, la mort dans l'âme, à cette carrière que j'aimais, à ces collègues dont l'amitié m'est chère, au siège que je tenais de la confiance de mes concitoyens, et de tout ceci j'emporte l'amer regret. Il me reste qu'à rentrer dans mon foyer dévasté par l'angoisse et les larmes, et, entre ma femme et mes cinq fils, redevenu simple citoyen, continuer la vie de travailleur modeste que j'ai connue.
   J.-Octave Mousseau[10]. »

Les deux conseillers législatifs Bergevin et Bérard, ayant reçu directement de l'argent, seront eux aussi forcés de démissionner. Les médias s'intéresseront notamment à l'affaire en raison du caractère spectaculaire de l'enquête. À cette époque, l'écoute clandestine et le journalisme d'enquête n'étaient pas connus au Canada et seules des histoires provenant des États-Unis étaient venues aux oreilles des Québécois.

La Loi constituant en corporation The Montreal Fair Association of Canada n'entrera finalement jamais en vigueur. Bien que l'Assemblée législative et le Conseil législatif l'aient tous deux adoptée, le lieutenant-gouverneur utilisa son droit de réserve en ne donnant pas suite au projet de loi.

Chronologie

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1913
1914

Sources

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Sources primaires
Sources secondaires

Notes et références

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  1. À l'époque, il existait au Québec un Conseil législatif qui devait adopter l'ensemble des projets de lois, à l'instar de l'Assemblée nationale.
  2. Cet appareil, découvert dans la foulée de l'invention du téléphone, permettait à des sténographes de retranscrire la conservation, faute de pouvoir l'enregistrer à cette époque.
  3. « Les débats de l'Assemblée législative. 13e législature, 2e session (du 11 novembre 1913 au 19 février 1914). Séance du mercredi 7 janvier 1914 », sur www.assnat.qc.ca, Assemblée nationale du Québec (consulté le ).
  4. Le texte complet peut être consulté : « Les débats de l'Assemblée législative. 13e législature, 2e session (du 11 novembre 1913 au 19 février 1914). Séance du mardi 20 janvier 1914 », sur www.assnat.qc.ca, Assemblée nationale du Québec (consulté le ).
  5. « Les débats de l'Assemblée législative. 13e législature, 2e session (du 11 novembre 1913 au 19 février 1914). Séance du mardi 20 janvier 1914 », sur www.assnat.qc.ca, Assemblée nationale du Québec (consulté le ).
  6. Le député de Richmond, Peter Samuel George Mackenzie, affirma, dans un discours à l'Assemblée législative, que McGibbon était un organisateur du Parti conservateur (voir journal des débats du 16 février 1914).
  7. Le contenu du rapport a été retranscrit dans le journal de l'Assemblée législative : « Les débats de l'Assemblée législative. 13e législature, 2e session (du 11 novembre 1913 au 19 février 1914). Séance du jeudi 12 février 1914 », sur www.assnat.qc.ca, Assemblée nationale du Québec (consulté le ).
  8. « Les débats de l'Assemblée législative. 13e législature, 2e session (du 11 novembre 1913 au 19 février 1914). Séance du vendredi 13 février 1914 », sur www.assnat.qc.ca, Assemblée nationale du Québec (consulté le ).
  9. Extrait de la réaction de Joseph-Mathias Tellier, chef de l'opposition officielle. (« Les débats de l'Assemblée législative. 13e législature, 2e session (du 11 novembre 1913 au 19 février 1914). Séance du vendredi 13 février 1914 », sur www.assnat.qc.ca, Assemblée nationale du Québec (consulté le )).
  10. La lettre a été lu par l'Orateur de l'Assemblée législative, le lendemain : « Les débats de l'Assemblée législative. 13e législature, 2e session (du 11 novembre 1913 au 19 février 1914). Séance du jeudi 29 janvier 1914 », sur www.assnat.qc.ca, Assemblée nationale du Québec (consulté le ).

Voir aussi

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Articles connexes

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Lecture suggérée

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  • Damase Potvin, Le "Membre" : roman de mœurs politiques québécoises, Québec, Imprimerie de l'Événement, , 157 p.
    Roman écrit au sujet de l'affaire Mousseau-Bérard-Bergevin. Le livre est signé du pseudonyme de Damase Potvin : Graindesel.