Affaire de la proscynèse

épisode de la vie d'Alexandre le Grand, IVe s. av. notre ère

L’affaire de la proskynèse, en grec ancien προσκύνησις / proskynésis (adoration, prosternation), se réfère à une opposition des élites gréco-macédoniennes envers Alexandre le Grand qui souhaite être salué par une prosternation à terre, à l'instar des pratiques en vigueur à la cour des rois perses.

La famille de Darius devant Alexandre le Grand, Lazzaro Baldi, 1703.

Entre 328 et 327 av. J.-C., Alexandre, devenu grand roi et successeur des Achéménides, exige un rituel impliquant l'agenouillement devant lui, un geste réservé aux dieux chez les Grecs. Cette exigence est difficilement acceptée et génère des tensions au sein de la cour. Elle démontre une résistance chez les tenants de la tradition face à l'« orientalisation » des pratiques politiques et à la question de la divinisation d'Alexandre.

Sources modifier

Cette affaire est relatée principalement par Arrien dans l'Anabase[1], par Quinte-Curce au livre VIII de l'Histoire d’Alexandre[2], par Plutarque dans les Vies parallèles[3] ainsi que de manière fragmentaire par Charès de Mytilène dans l'Histoire d’Alexandre. Dans l'Anabase, Arrien s'appuie sur deux sources contemporaines des événements, Aristobule et Ptolémée[4]. Ces sources sont considérées comme fiables par l'auteur, mais il convient de noter qu'Arrien est un grand admirateur d’Alexandre[5] et que ses sources elles-mêmes sont issues de personnes proches d’Alexandre. L'objectivité des propos d’Arrien doit donc être considérée avec un certain recul.

Contexte modifier

Proskynèse du roi Jéhu devant Salmanazar III, Obélisque noir de Salmanazar III, IXe siècle av. J.-C., British Museum.

En 327 av. J.-C., Alexandre atteint la frontière orientale de l’Empire perse. Il cherche à reconstruire l’autorité achéménide pour intégrer les régions les plus lointaines (Bactriane, Sogdiane, etc.). La même année, il épouse Roxane, une princesse bactrienne, dans le but de se rapprocher des élites indigènes. L’affaire de la proskynèse se déroule à Bactres, peu de temps après ce mariage. Cette période est aussi caractérisée par la mise en avant de l’origine divine d’Alexandre qui a été reconnu par les prêtres égyptiens comme étant le fils de Zeus Ammon. Alexandre fait par ailleurs de plus en plus référence dans ses discours à ses origines divines afin de légitimer son pouvoir sur un empire en expansion.

Charès de Mytilène, témoin oculaire du début de l’affaire dont le récit a été repris par Athénée de Naucratis et Plutarque, précise que l’origine de la discorde entre Alexandre et ses officiers, se trouve dans un symposion restreint. Selon Charès, les participants, fortement alcoolisés, se seraient adonnés à une proskynèse devant Alexandre et auraient tous reçu un baiser en récompense[6], excepté Callisthène, neveu d’Aristote et biographe officiel de la cour qui, tentant d’échapper au rituel, se voit refuser le baiser d’Alexandre et se met à l'écart du groupe pour s'isoler.

Rituel modifier

Dans un contexte plus officiel que le symposion évoqué par Charès de Mytilène, Alexandre « ordonne que, tout comme les Perses, les Macédoniens le salu[ent] en l’adorant prosternés contre terre »[7]. Or, si la prosternation est pour les Perses un rituel répandu par lequel les sujets reconnaissent le pouvoir terrestre du roi, elle a une signification bien différente pour les Grecs. Le roi perse a le statut de lieutenant du dieu Ahura Mazda sur Terre : la prosternation représente donc pour les Perses une marque plus d'obéissance au monarque que de reconnaissance du pouvoir divin, car le roi n'a que ce rôle de lieutenant (il a donc une nature pleinement humaine). En revanche, pour les Grecs, la proskynèse est un rituel réservé à l’adoration des dieux, particulièrement dans le cadre des rituels religieux. En outre, le rituel de la proskynèse est, aux yeux des Grecs, un « motif illustrant le despotisme perse »[8].

Il convient de noter que dans les analyses actuelles de cet évènement[Lesquels ?], il existe différentes traductions du terme « proskynèse », telles que « se jeter à terre », « baiser », « faire une révérence », etc. La question de la prosternation dans l'affaire de la proskynèse revêt donc à la fois des aspects historiques et linguistiques.

Oppositions modifier

Si quelques officiers de l'entourage d'Alexandre se plient à la pratique, en premier lieu son favori Héphestion, une large majorité des Gréco-Macédoniens refusent de se soumettre de cette manière à Alexandre. Callisthène exprime de vifs reproches au sujet de la prosternation et se fait le porte-parole des traditionalistes qui refusent ces usages « barbares ». Selon Callisthène, Alexandre viole le nomos (la loi) des Grecs en tentant de leur imposer ce rituel. Callisthène manifeste sa vive opposition dans un discours rapporté notamment par Arrien, Quinte-Curce et Plutarque. La prétention d'Alexandre à vouloir être considéré comme un dieu a aussi été moquée par les Spartiates, ainsi que le rapporte Claude Élien dans les Histoires diverses[9].

À la suite du discours de Callisthène, Alexandre paraît se plier au refus de ces officiers et interdit toute mention de la proskynèse. Il fait néanmoins arrêter Callisthène quelques mois après en l'accusant d'être complice d'une conspiration des pages dans laquelle est impliquée Hermolaos. Callisthène est emprisonné durant plusieurs années à Bactres, avant d'être peut-être crucifié sur l'ordre d'Alexandre[7]. Selon d'autres historiens, Callisthène serait mort de maladie pédiculaire sept mois après son arrestation. Quoi qu'il en soit, cette mort a soulevé les passions contre Alexandre [10].

Notes et références modifier

  1. Arrien 1984.
  2. Quinte-Curce 2007.
  3. « Alexandre », Vies parallèles, trad. Anne-Marie Ozanam et notes de Claude Mossé, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 2002. Voir les chapitres 45, 51, 54, 55 et 27 pour la prophétie du prophète de Zeus Ammon : [lire en ligne (page consultée le 5 octobre 2023)] (les numéros de chapitres indiqués ci-dessus correspondent, dans le texte en ligne, aux nombres en bleu et entre crochets).
  4. Briant 2019, p. 110-112.
  5. Giovannelli-Jouanna 2011.
  6. Lewis 2008.
  7. a et b Briant 2019.
  8. Briant 1996.
  9. Élien, Histoires diverses, II, 19 : [lire en ligne (page consultée le 5 octobre 2023)].
  10. Faure 1985, p. 103.

Annexes modifier

Sources antiques modifier

Bibliographie modifier

Ouvrages généraux modifier

Études spécialisées modifier