L'expression « Arabe de service » est un stéréotype et une insulte raciale visant des personnes d'ascendance maghrébine, arabe ou berbère, accusées de trahir leur communauté d'origine et d'être complaisantes à l'égard de dominants « blancs » (non racisés).

Significations

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À l'origine, l'expression désigne une personne arabe qui, dans le cadre d'une profession journalistique[1], ne s'occupe que des questions liées à son appartenance ethnique ; ou une personne assignée à des stéréotypes[2].

L'expression est aujourd'hui un stéréotype ou insulte raciale visant des personnes maghrébines accusées de trahir leur communauté d'origine en se soumettant de façon plus ou moins stratégique au pouvoir blanc en place[3]. Elle sert à identifier le « bon Arabe », que les groupes conservateurs mettent en avant et instrumentalisent pour parer aux accusations de discrimination raciale, d'après l'auteur Nedjib Sidi Moussa[3]. Elle peut également désigner l'unique personne arabe d'une liste électorale, servant de token[4].

Elle a plusieurs variantes, dont « collabeur » pour toute minorité ethnique (mot-valise associant "collaborateur" et Beur"), « bounty » ou « nègre de maison » pour les personnes noires, et « native informant » ou « informateur indigène » pour des universitaires[3].

Histoire

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Stéréotypes

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En France, l'expression sert à identifier le « bon Arabe », que les groupes conservateurs mettent en avant et instrumentalisent pour parer aux accusations de discrimination raciale, d'après Nedjib Sidi Moussa[3]. Elle est déjà utilisée en , quand Tahar Ben Jelloun se définit lui-même ainsi, mais dans un sens différent de celui qu'on lui connaît aujourd'hui : à l'époque, l'Arabe de service est la personne arabe employée par Le Monde et se spécialisant dans la couverture de sujets touchant les personnes d'origine maghrébines en France[1]. De même en , dans le cadre de l'affaire Bissonnet, où l'avocat de Meziane Belkacem demande « qui aurait pu croire l'Arabe de service » dans le cadre de sa défense[2].

L'expression sert souvent à désigner les acteurs et actrices d'origine maghrébine cantonnés à des rôles stéréotypés dans le cinéma français, en particulier des rôles de dealers et de petits délinquants[5],[6].

Défense du pouvoir en place

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Malcolm X distingue en les esclaves noirs travaillant dans les champs et ceux travaillant dans les maisons, avec des avantages maigres mais suffisants pour les encourager à soutenir les structures du pouvoir en place. Malcolm X reproche au « nègre de maison » de croire, à tort, qu'il a des intérêts communs avec le maître de maison[3].

L'expression de native informant vient de l'ethnologie et désigne les personnes autochtones facilitant le contact des universitaires et des populations locales sur le terrain. Edward Saïd s'intéresse à la question, affirmant que le « savant oriental » formé en Occident répète devant le public local les clichés de l'orientalisme. L'expression désigne des informateurs privilégiés, sans sous-entendu négatif. Elle est cependant régulièrement utilisée à titre péjoratif à partir du début des années dans le cadre de la guerre contre le terrorisme, puis s'étend dans le monde[3].

En , le journaliste américain Adam Shatz qualifie Fouad Ajami d'« Arabe préféré du Pentagone », parce qu'il soutient la guerre contre le terrorisme[3]. La même année, Jeannette Bougrab se défend d'être l'Arabe de service dans Libération, affirmant qu'elle n'est « pas un alibi » pour l'Union pour un mouvement populaire[7]. En , Lotfi Ben Khelifa, adjoint au maire de Vénissieux, dit qu'on le traite d'Arabe de service et avoir reçu des commentaires désobligeants sur « les communautés à qui on doit réserver des places »[8].

Affaire Taha Bouhafs

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En , le journaliste Taha Bouhafs traite la policière Linda Kebbab d'Arabe de service, en utilisant le sigle ADS[3]. Il lui reproche d'être la caution arabe du déni de racisme de la police[9]. L'accusation de racisme est alors retournée contre Taha Bouhafs, à qui l'on reproche de ramener « l'Arabe de service » à son appartenance ethnique plutôt qu'à ses opinions[3].

Taha Bouhafs est jugé le par le tribunal judiciaire de Paris[3]. Il est reconnu coupable d'injure publique à raison de l'origine et condamné à 1 500 euros d'amende et 2 000 euros de dommages et intérêts pour Linda Kebbab[10]. Elle est défendue par la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme[11] et Taha Bouhafs fait organiser sa défense par le sociologue Éric Fassin[3].

Cette affaire se solde au début de l'année par le rejet du pourvoi en cassation de Taha Bouhafs, qui déclare à ce sujet : « Je m'en cogne de ce que pensent une poignée de juges blancs et bourgeois qui n'ont jamais connu le racisme de leur vie et qui ne comprennent même pas ce que ça veut dire »[12].

Notes et références

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  1. a et b Hervé Guay, « L'homme révolté » Accès payant, Le Devoir, .
  2. a et b Pascale Robert-Diard, « Il était une fois… Le complot meurtrier de l’homme d’affaires, du vicomte et du jardinier », Le Monde, (consulté le ).
  3. a b c d e f g h i j et k Faure 2021.
  4. Dominique Simonnot, « «En Amérique, ils ont bien des maires noirs». Dans deux villes du Nord, des jeunes d'origine arabe présentent leurs propres listes. », Libération, (consulté le ).
  5. Jacques Mandelbaum, « "Ne pas être cantonnée à l'Arabe de service" », Le Monde, (consulté le ).
  6. Julien Gaertner, « Aspects et représentations du personnage arabe dans le cinéma français », Confluences Méditerranée, no 55,‎ , p. 189 (DOI 10.3917/come.055.0189, lire en ligne, consulté le ).
  7. Didier Hassoux, « Les nouveaux beurgeois de la droite », Libération, (consulté le ).
  8. Nasser Demiati, « La diversité est malmenée au Parti socialiste », Le Monde, (consulté le ).
  9. « "J'étais l'arabe de service" : Mehdi, ex-policier, raconte le racisme subi dans un commissariat », sur radiofrance.fr, France Inter, (consulté le ).
  10. Guillaume Poingt, « «Arabe de service» : Taha Bouhafs reconnu coupable d'injures raciales envers Linda Kebbab », Le Figaro, (consulté le ).
  11. Guillaume Poingt, « «Arabe de service» : Taha Bouhafs sera recité à comparaître pour le  », Le Figaro, (consulté le ).
  12. « "Arabe de service" : Taha Bouhafs définitivement condamné pour injure raciste envers une syndicaliste policière », sur franceinfo.fr, .

Voir aussi

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Bibliographie

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  • Valentine Faure, « Histoire d'une expression : « l'Arabe de service » », Le Monde, (consulté le ).
  • Aurélie Morin, « Se démarquer de l'« Arabe de service » : les candidats issus de l'immigration maghrébine face à leur stéréotype en politique », dans Henri Boyer (dir.), Stéréotypage, stéréotypes : Fonctionnements ordinaires et mises en scène, vol. 2 : Identité(s) (colloque international de Montpellier,  – , Université Montpellier-III, organisé par l'Atelier de recherche en sociolinguistique et d'étude des représentations), Paris, L'Harmattan, , 330 p. (ISBN 978-2-296-02960-6), p. 177–189.

Articles connexes

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