Archéologie du genre

discipline archéologique

L'archéologie du genre (Gender archaeology) est une méthode d'étude des sociétés du passé qui examine, par le biais de leur culture matérielle, la construction sociale des identités genrées et des relations humaines entre les sexes. Elle s'inscrit dans le champ disciplinaire plus vaste de l'anthropologie féministe.

Tombe de la princesse de Vix, cas emblématique étudié par l'archéologie du genre.
Reconstruction d'une femme du néolithique effectuant une tâche spécifique de mouture (à l'aide d'une meule dormante et d'une molette) qui s'avère en conformité avec les constantes universellement connues de la division sexuelle du travail[1].

Théorie

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« Une famille à l’âge du renne », gravure d'Émile Bayard extraite de L’Homme primitif, de Louis Figuier (1870). La représentation stéréotypée de la femme préhistorique est longtemps issue des clichés véhiculés par l'évolutionnisme culturel et les préhistoriens du XIXe siècle, en majorité des hommes, au gré de leurs convictions et/ou revendications[2] : au sein d'une famille nucléaire et monogame (produit de la tradition culturelle judéo-chrétienne qui impose l'idée du couple originel et de la Sainte Famille), l'homme debout, les yeux tournés vers l'avenir, protège de toute son autorité la femme accroupie, le regard baissé vers ses enfants, acceptant les valeurs de renoncement et de soumission selon le modèle patriarcal qui régit la société victorienne[3].
Rapt à l'âge de pierre, autre stéréotype représentant le thème mythique antique de l'enlèvement des femmes. Cette scène de genre typique de l'art académique figure la femme victime des ardeurs bestiales et permet de faire entrer la sexualité féminine dans les salons bourgeois à la fin du XIXe siècle (Paul Jamin, 1888)[4].
Dans Le Retour de la chasse (1898) d'Angèle Delasalle, la reconstitution historique représente les femmes reléguées aux taches maternelles et domestiques, et qui attendent dans la grotte le retour des chasseurs.

L'archéologie du genre en elle-même se fonde sur deux aspects : la critique du déterminisme biologique et l’analyse des rapports de pouvoir entre les sexes.

Le premier aspect fait référence à l'idée que, même si presque tous les individus possèdent dès la naissance un sexe biologique (généralement de sexe masculin ou féminin, mais aussi intersexes), il n'y a rien de naturel dans le genre, qui est, en fait, une construction sociale variable selon les cultures et les périodes.

Quant au second aspect, l’analyse des rapports de pouvoir entre les sexes, il est exploré dans le cadre de recherches sur les différentes formes de pouvoir et d'autorité préservées dans les vestiges matériels et humains, même si elles ne sont pas toujours immédiatement apparentes et sont souvent ouvertes à l'interprétation. Les archéologues qui travaillent sur ces thèmes centrent également leur attention sur les relations entre les détenteurs du pouvoir et des groupes sociaux (familiaux mais également de classes, âges et religions différentes).

L'archéologue Bruce Trigger note que l'archéologie du genre se distingue des autres variantes de la discipline qui se sont développées en parallèle à la même période (vers 1980), telle que l'archéologie de la classe ouvrière ou l'archéologie publique, parce « qu'au lieu de simplement représenter un autre objet de la recherche, l'archéologie du genre s'est imposée comme une partie nécessaire et intégrante à toutes les autres archéologies ».

Histoire

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Dans le prolongement des mouvements féministes dits de la 2e vague, l'archéologie du genre se développe au début des années 1980 au sein de la communauté archéologique anglophone. Margaret Conkey et Janet D. Spector (1984) sont considérées comme les premières dans le monde anglophone à appliquer les approches, idées et théories féministes à la théorie et la pratique archéologiques[5],[6]. Cependant, dans les pays scandinaves, et plus précisément la Norvège, des archéologues telles que Liv Helga Dommasnes avaient déjà commencé au début des années 1970 à étudier les relations entre les sexes à la fois au sein de la (pré)histoire et de la profession elle-même[7]. Cela aboutit alors en 1979 à la mise en place d'une table ronde intitulée « Were they all men ? » organisé par la Norwegian Archaeological Association[8] et à la création d'un journal pour les études féministes et de genre en archéologie « K. A. N. Kvinner je Arkeologi i Norge » [trad. Les femmes dans l'archéologie en Norvège] qui a publié des articles à partir de 1985 jusqu'en 2005[9],[10].

Critique

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Certains archéologues critiquent ouvertement l'archéologie du genre. L'un d'eux est Paul Bahn qui, en 1992, publie un communiqué déclarant que :

« La dernière épidémie — qui a une grande ressemblance avec les bons vieux jours de la Archéologie processuelle (au départ une raquette pour les garçons) — est l'archéologie du genre, qui est en fait une archéologie féministe (une nouvelle raquette pour les filles). Oui, les gens, nos sœurs ont pris les choses en mains… Pas un mois ne se passe sans une autre conférence sur « l'archéologie du genre », qui se tiendra quelque part, avec une foule de femmes archéologues (plus quelques courageux ou des hommes à la mode qui aspirent au politiquement correct). Certains de ses objectifs sont louables, mais le train ne devrait pas être autorisé à rouler trop loin, comme ce fut le cas pour la nouvelle archéologie, avant que le manque de vêtements des impératrices ne soit souligné par d'allègres cyniques[11]. »

L'archéologie du genre et l'approche interculturelle

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Il a été postulé que le genre résulte d'un processus social, alors que le sexe est biologiquement déterminé et statique (Claassen 1992 ; Gilchrist 1991 ; Nelson 1997).

Pour certains archéologues cependant, le sexe n'est pas « la base sur laquelle la culture élabore le genre » (Morris 1995, p. 568-569). En 1992, Claassen indique (p. 4) que « des biais ont été identifiés parmi les méthodes utilisées dans l'identification du sexe des squelettes... Quand un sexe est assigné a postériori à un squelette de sexe inconnu, c'est un acte culturel », démontrant ainsi que la pratique archéologique en elle-même est soumise à des biais culturels.

Ces postulats théoriques rendent dès lors inappropriées les méthodes anthropologiques de détermination du sexe des restes humains employées jusqu'alors en Occident étant donné que dans les études interculturelles, les anthropologues n'utilisent pas, d'un pays à l'autre, les mêmes caractéristiques physiques pour déterminer le sexe d'une personne.

Cette approche, induisant que le sexe n'est pas un concept applicable à l'ensemble des cultures (« cross-cultural concept ») mais est en général culturellement assigné, a été par la suite ébranlée par l'application à grande échelle de l'analyse ADN de restes humains. Cela étant, les conclusions tirées de ces travaux effectués par les archéologues occidentaux seraient néanmoins biaisées par leurs influences culturelles et conceptions du sexe, de la biologie et de l'ADN.

Les archéologues utilisent à présent des types de données plus variés et intègrent dans leurs analyses et interprétations d'autres aspects de la collecte des données que celles qu'ils n'employaient pas auparavant, dans l'espoir que l'analyse de la culture matérielle et les études ethnographiques des sociétés passées fourniront une image plus claire du/des rôle(s) que le genre a joué/joue au sein de ces sociétés. Par exemple, les études de genre ont souvent analysé les sociétés à travers le prisme de l'opposition mâle/femelle (Gilchrist 1991 ; Leick 2003). Cependant, de récents travaux sur le terrain ont remis en question cette dichotomie masculin-féminin en élargissant les catégories pour inclure un troisième ou quatrième genre dans certaines sociétés non-occidentales (Herdt 1994 ; Hollimon 1997). D'autres études sur la culture matérielle élargissent également à présent leur domaine de recherche en y incluant les objets, les activités et l'organisation spatiale dans le paysage (Nelson 1997).

Segmentation sociale ou hiérarchie ?

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Selon l'archéologue Anne Augereau, « bien documentée en anthropologie sociale, en sociologie, en histoire, la question des inégalités hommes/femmes reste un sujet complexe en archéologie. Nos témoins ne sont que matériels et si des différences existent, il est toujours loisible de penser qu'elles sont le fruit du hasard, de la conservation inégale des vestiges ou d'un libre choix des individus ». Au Néolithique moyen, l'augmentation de la population entraîne des tensions sur une ou plusieurs ressources matérielles (ressources alimentaires, matières premières, accès aux lieux, aux abris, outils et instruments…), cognitives (accès aux apprentissages, rituels de passage) ou spirituelles (attitudes face à la mort, traitement des morts et accès aux lieux consacrés, etc.), et un accès différentiel des diverses catégories sociales à ces ressources. Ces différences d'accès traduisent la mise en place de sociétés patriarcales dans lesquelles l'asymétrie des genres serait devenue importante et les inégalités se seraient creusées. Le développement d'activités spécialisées aurait entraîné une segmentation sociale par profession (avec une division sexuelle du travail amorcée au Paléolithique et qui aurait favorisé les différences et inégalités de genre) et une plus ou moins grande hiérarchisation selon les régions et les tensions sur les ressources[12].

Un premier élément de segmentation sexuelle et sociale repose sur une plus grande abondance des biens funéraires chez les hommes. En outre, l'équipement mortuaire féminin est moins spécifique (vêture et parure féminine — colliers, bracelets, ceintures, plastrons, bandeaux de tête, vêtements brodés — existent aussi chez les hommes alors que chez ces derniers, le mobilier funéraire — parures en dents[13], andouiller en bois de cerf, flèches, herminette et autres haches polies — renvoie à des sphères d'activité masculines plus spécifiques : chasse, guerre, travail du silex, du bois)[14].


Un deuxième élément est l'accentuation du dimorphisme sexuel au Néolithique

. Selon le mécanisme de la sélection sexuelle, le choix des femmes se portant sur les hommes les plus forts et les plus vigoureux, aurait conduit ces derniers à prendre le pouvoir. Les ossements de cette époque témoignent de violences subies davantage par les femmes : « alimentation moins riche, pathologies liées à l'anémie, mort prématurée souvent en rapport avec la grossesse et l'accouchement[15] ». Les sociétés des chasseurs-cueilleurs du Paléolithique semblent plus égalitaires que les sociétés sédentaires du Néolithique, ce qui n'exclut pas des formes de hiérarchie et de violence réelle ou structurelle[16] au Paléolithique[17]. « Il faudrait donc interpréter la gracilité et la petite taille des femmes ainsi acquise, non comme justifiant la « supériorité naturelle » des mâles, mais comme un trait culturel, conséquence de la malnutrition et des mauvais traitements que les femmes ont endurés, autant que d’une sélection sexuelle par les hommes de femmes plus graciles qu’eux, pour des raisons psychosociologiques (besoin de domination de la part des hommes, de protection de la part des femmes)[18] ».

Notes et références

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  1. Anne Augereau, Femmes néolithiques. Le genre dans le premières sociétés, CNRS éditions, , p. 26
  2. (en) Diane Gifford-Gonzalez, « You Can Hide, but You Can’t Run : Representation of Women’s Work in Illustrations of Palaeolithic Life », Visual Anthropology Review, vol. 9, no 1,‎ , p. 22-41 (DOI 10.1525/var.1993.9.1.22).
  3. Claudine Cohen, La femme des origines. Images de la femme dans la préhistoire occidentale, , p. 25 et 100.
  4. Thomas Cirotteau, Jennifer Kerner, Éric Pincas, Lady Sapiens. Enquête sur la femme au temps de la préhistoire, Les Arènes, , p. 58.
  5. Is the archaeology of gender necessarily a feminist archaeology?
  6. Hays-Gilpin, 2000:92.
  7. Marie Louise Stig Sørensen, Gender Archaeology, Cambridge, Polity Press,
  8. (en) Reidar Bertelsen, Arnvid Lillehammer, Jenny-Rita Næss, Were They All Men ? An Examination of Sex Roles in Prehistoric Society : Acts from a Workshop Held at Utstein Kloster, Rogaland, 2.-4. November 1979 (NAM-Forskningsseminar Nr. 1), Arkeologisk museum i Stavanger, , 101 p..
  9. Pamela L. Geller, « Identity and Difference:Complicating Gender in Archaeology », Annu. Rev. Anthropol., vol. 38,‎ , p. 65–81
  10. Ericka Engelstad, « Gender, feminism, and sexuality in archaeological studies », International encyclopedia of the social & behavioral sciences,‎ , p. 6002–6006
  11. Bahn 1992. p. 321.
  12. Anne Augereau, Femmes néolithiques. Le genre dans le premières sociétés, CNRS éditions, , p. 26-28
  13. Les dents les plus utilisées sont les incisives de boviné, les canines de renard, les craches de cervidé.
  14. Anne Augereau, Femmes néolithiques. Le genre dans le premières sociétés, CNRS éditions, , p. 72-77 et 115
  15. Claudine Cohen, Femmes de la préhistoire, Belin, , p. 133.
  16. La violence structurelle est une violence symbolique indirecte qui peut se traduire par une dévalorisation sociale des femmes, une assignation à des tâches jugées subordonnées, une moins bonne qualité de vie et un accès plus difficile aux ressources)
  17. Claudine Cohen, op. cit., p. 132
  18. Claudine Cohen, op. cit., p. 134

Bibliographie

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Voir aussi

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Articles connexes

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Liens externes

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