Betty Heimann

indianiste germano-britannique (1888-1961)

Betty Heimann, née le , à Wandsbek, en province du Schleswig-Holstein et morte le , à Sirmione, en Italie, est une indianiste et universitaire d'origine allemande, exilée en Angleterre en 1933 et devenue citoyenne britannique. Elle enseigne à l'université de Londres et fonde, après la Seconde Guerre mondiale, le Département de philosophie indienne et de sanskrit à l'université de Ceylan.

Biographie modifier

Betty Heimann naît en 1888, benjamine des six enfants d'Isaac Heimann, banquier chez Hartwig Hertz & Sons à Wandsbek[1],[2],[3] et de son épouse Margarethe née Levy[4]. Son père meurt quand elle avait dix ans.

Heimann étudie à l'École d'érudition Saint-Jean, un lycée de Hambourg, où elle obtient son diplôme en 1913. Elle fait des études de philologie classique, de la philologie indienne et de philosophie à l'université Christian-Albrecht de Kiel avec Paul Deussen[5] et Emil Sieg[1]. Heimann fait deux semestres d'étude à l'université de Heidelberg[6] où elle fait la connaissance de l'historienne Ruth von Schulze Gaevernitz[7]. Elle passe les examens d'État en philologie et philosophie classiques et obtient son diplôme summa cum laude en 1918[1]. Elle poursuit ses études de 1919 à 1921, et se spécialise en philosophie indienne et en sanskrit. Ses professeurs sont Hermann Oldenberg à l'université de Göttingen, Hermann Jacobi à l'Université de Bonn et Sten Konow à l'université de Hambourg[1].

Elle soutient sa thèse de doctorat sous la direction d'Emil Sieg à l'université de Kiel, le [1]. Pour sa thèse, elle traduit en allemand et édite un bhashya, commentaire de Madhva sur le Katha Upanishad[8],[9].

Elle occupe un poste d'assistante et de bibliothécaire dans le département d'études sémitiques classiques à Kiel de 1921 à 1923[10].

Heimann prépare un sujet d'habilitation à l'université de Heidelberg en 1922-1923, cependant, sa demande est refusée par l'université[6]. Elle obtient son habilitation en indologie à l'université Martin-Luther de Halle-Wittemberg le , sous la direction d'Eugen Hultzsch. Son sujet était Die Entwicklung des Gottesbegriffes der Upaniṣaden (Le développement du concept de Dieu dans les Upanishads)[3],[1]. Betty Heimann est la première femme universitaire à Halle[11] et la première femme indianiste habilitée en Allemagne[3].

En 1923, Betty Heimann est privatdozent à Halle[10]. Sa nomination est rapportée dans le journal local, Hallische Nachrichten, le [12]. Elle s'intéresse à la philosophie indienne, qu'elle considérait comme influencée par les conditions géographiques et climatiques particulières de l'Inde[13],[14] et met en pratique dans ses recherches la méthodologie linguistique comme moyen d'aborder les questions philosophiques[15],[11]. Elle est nommée maître de conférence en philosophie indienne le [12], puis professeure associée en 1931, succédant à Eugen Hultzsch[1],[10].

Betty Heimann est présidente de la section de Halle de la Fédération internationale des femmes diplômées d'université et établit des relations entre la section de Halle et la British Federation of University Women à Londres[16],[17]. L'IFUW lui décerne un prix scientifique pour son travail de recherche "Studium der Eigenart indischen Denkens" (Étude du caractère de la pensée indienne) en 1930[18],[16].

La loi pour la restauration de la fonction publique professionnelle en Allemagne adoptée en avril 1933 lui interdit de conserver son emploi à l'université[5],[19],[20],[11].

Heimann s'était prononcée contre la politique nazie sur les questions raciales et avait été dénoncée au ministère de la Culture à Berlin pour avoir commenté en tant que juive l'inutilité de la pureté raciale[12]. Son nom est ajouté à une liste de cibles de l'Amtsgruppe IIIA1 comme indésirable[21].

Heimann séjourne en à Londres, où elle est invitée à rendre compte de son voyage en Inde par la Fédération internationale des femmes universitaires[12],[1]. Durant son séjour, elle apprend que sa chaire à l'université de Halle est révoquée en vertu de l'interdiction visant les universitaires juifs[5],[1]. Heimann ne retourne pas en Allemagne, mais reste en Angleterre. Elle est hébergée à Crosby Hall à Londres, une résidence pour femmes universitaires invitées, gérée par la British Federation of University Women. Elle bénéficie en 1934 d'une bourse d'urgence provenant d'un fonds collecté par la BFUW. Elle obtient une charge de cours à la School of Oriental and African Studies de l'université de Londres[16].

Pendant un certain temps, elle occupe un poste à mi-temps au département de philosophie indienne de l'université de Londres, créé pour elle[16]. Elle donne une contribution sur « Deutung und Bedeutung indischer Terminologie » au Congrès international des orientalistes à Rome en 1935[3] et une allocution sur « Pluralité, polarité et unité dans la pensée hindoue : une étude doxographique » au Congrès orientaliste de Bruxelles, le [22],[6].

Betty Heimann acquiert la citoyenneté britannique en 1939[10]. Elle est nommée maître de conférences de sanskrit et de philosophie indienne à la School of Oriental and African Studies[16]. Puis elle est professeure de 1945 à 1949 à l'université de Ceylan à Colombo — devenue l'université de Colombo —, où elle fonde le département de sanskrit[23]. Elle est le premier professeur de sanskrit et la première femme professeure de l'université[16]. Elle prend sa retraite à 60 ans en 1948[24] et retourne en Angleterre[16]. En 1954, elle prend la parole au vingt-troisième Congrès international des orientalistes à Cambridge. Sa présentation, « Hindu Thought in Illustrations. A Primer of Visual Philosophy », a utilisé des diapositives de lanterne pour démontrer visuellement les concepts et les systèmes de la philosophie hindoue. Elle a suggéré que l'accent mis sur la « vision » empirique de la vérité dans la philosophie indienne rendait cette forme de présentation particulièrement efficace. Son intention était de publier un Primer of Visual Philosophy[25], un projet resté inédit[7].

Betty Heimann meurt d'une crise cardiaque à Sirmione, en Italie le [4]. Sa nécrologie, dans le magazine Purana, conclut « Je vous salue ! Puissiez-vous atteindre la demeure éternelle du Suprême Brahman, au-delà de toutes les ténèbres" [26].

Postérité modifier

Son ouvrage Facets of Indian Thought est publié à titre posthume en 1964 par Ruth Gaevernitz, Terence Gervais et Hilde Wolpe[7].

Une rue du campus de l'Université de Halle porte son nom[12].

Publications modifier

  • Madhvas (Anandatirthas) Kommentar zur Kathaka-Upanisad. Sanskrit-Text in Transkription nebst Übersetzung und Noten (Diss., Leipzig: Harrassowitz, 1921)
  • Die Tiefschlafspekulation der alten Upanisaden. München-Neubiberg: Schloss 1922.
  • Die Entwicklung des Gottesbegriffes der Upaniṣaden (1926)
  • Studien zur eigenart Indischen denkens. Tübingen: Mohr, 1930.
  • Indian and western philosophy: a study in contrasts. London: G. Allen & Unwin, ltd., 1937.
  • India's past: a key to India's present. Rugby, Eng.: Printed for D. Thomas by A. Frost & sons, ltd., 1944.
  • The significance of prefixes in Sanskrit philosophical terminology. London: Royal Asiatic Society, 1951.
  • Facets of Indian Thought. Posthumously edited by Terence Gervais, Ruth von Schulze Gaevernitz, and Hilde Wolpe. New York: Schocken Books; London: George Allen & Unwin, 1964.
  • An Indiens Tempelstätten: Fotoimpressionen der Indologin Betty Heimann; [Begleitpublikation zur gleichnamigen Ausstellung im Linden-Museum Stuttgart ...] (At India's temple sites: Photo impressions of the Indologist Betty Heimann; [Accompanying publication to the exhibition of the same name in the Linden-Museum Stuttgart ...) Stuttgart: Linden-Museum, 2003

Références modifier

  1. a b c d e f g h et i Andreas Pohlus, Frauen in Sachsen-Anhalt 2: Ein biographisch-bibliographisches Lexikon vom 19. Jahrhundert bis 1945., Vandenhoeck & Ruprecht, , 207–209 p. (ISBN 9783412511456), « Heimann, Betty. Prof. Dr. phil. »
  2. Humanismus, Sprache, Kultur (Philosophische Konzepte) [Texte imprimé]: Betty Heimann, Walther Kranz, Julius Stenzel und Rudolf Unger, Halle, Schenk, , p. 177
  3. a b c et d Karttunen, « Persons of Indian Studies by Prof. Dr. Klaus Karttunen », Who's who in Indology (consulté le )
  4. a et b Chetwode (Mrs. John Betjeman), « Professor Betty Heimann », Art and Letters: An Illustrated Review, vol. 35, no 1,‎ , p. 21–22
  5. a b et c Kris Manjapra, Age of Entanglement: German and Indian Intellectuals Across Empire, Harvard University Press, , 86–87, 251 (ISBN 9780674725140, lire en ligne)
  6. a b et c Ingrid Bohn, « Wissenschaftlerinnen an der Christiana Albertina », Demokratische Geschichte, vol. 14, no S,‎ , p. 15–54 (lire en ligne, consulté le )
  7. a b et c Betty Heimann, Facets of Indian Thought, New York & London, Ruth von Schulze Gaevernitz, (lire en ligne Inscription nécessaire)
  8. Maurice Winternitz, A history of Indian literature, Motilal Banarsidass Publishers, (ISBN 978-8120802643, lire en ligne), p. 535
  9. Betty Heimann, Madhvas (Anandatirthas) Kommentar zur Kathaka-Upanisad. Sanskrit-Text in Transkription nebst Übersetzung und Noten (Dissertation), Leipzig, Harrassowitz, (lire en ligne)
  10. a b c et d « Dr. Betty Heimann », University Women's International Networks Database (consulté le )
  11. a b et c Maike Lechler, International Conference on the Humanities and the Social Sciences (I CHSS ) - 2018, , 5–8 p., « Betty Heimann (1888-1961) – the founding professor of Sanskrit and Indian philosophy at the University of Ceylon: a critical survey of her biography and career in Germany »
  12. a b c d et e « Betty-Heimann-Straße », Bildung im Vorübergehen (consulté le )
  13. Robert K. Wen, Philosophy: one man's overview, iUniverse Com, (ISBN 978-1491728826, lire en ligne), p. 200
  14. Heimann, « Within the Framework of Indian Religion the Main Dogma of Buddhism », Numen, vol. 8, no 1,‎ , p. 1–11 (DOI 10.2307/3269390, JSTOR 3269390)
  15. « Heimann, Betty », Verfolgte deutschsprachige Sprachforscher (consulté le )
  16. a b c d e f et g Christine von Oertzen, Science, gender, and internationalism: women's academic networks, 1917-1955, 1st, , 6–8, 127–151 (ISBN 978-1-137-43890-4, lire en ligne)
  17. J.H. Sondheimer, History of the British Federation of University Women 1907–1957, London, British Federation of University Women, , p. 32
  18. « Betty Heimann », Hamburg.de (consulté le )
  19. Roderick Stackelberg et Sally A. Winkle, The Nazi Germany Sourcebook: An Anthology of Texts, Routledge, , « Article 1 First Regulation for Administration of the Law for the Restoration of the Professional Civil Service »
  20. Harriet Pass Freidenreich, Female, Jewish, and educated: the lives of Central European university women, Indiana University Press, (ISBN 978-0253340993)
  21. « Hitler's Black Book - information for Doctor Betty Heimann », Forces War Records (consulté le )
  22. Heimann, « Plurality, Polarity, and Unity in Hindu Thought: A Doxographical Study », Bulletin of the School of Oriental and African Studies, vol. 9, no 4,‎ , p. 1015–1021 (DOI 10.1017/S0041977X00135128)
  23. Jayadeva Tilakasiri, Mahinda Palihawadana et S. Weeratunge, Abhinandana: Papers on Indology, Buddhism, and Fine Arts: a Felicitation Volume Presented to Jayadeva Tilakasiri on His Seventieth Birthday, Felicitation Volume Editorial Committee, , ix–x (lire en ligne)
  24. Handurukande, « Orientalia in the University », The Sri Lanka Journal of the Humanities, University of Peradeniya, vol. XVII & XVIII,‎ , p. 266–340 (lire en ligne, consulté le )
  25. Dandekar, « Proceedings of the twenty-third International Congress of Orientalists », Annals of the Bhandarkar Oriental Research Institute, vol. 35, nos 1/4,‎ , i–xxviii (JSTOR 41784971)
  26. « Late Prof. Betty Heimann », Purana, vol. III, no 2,‎ , 296 (lire en ligne, consulté le )

Liens externes modifier