Beverley Skeggs

sociologue britannique
Beverley Skeggs
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Britannique
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Sociologie de l'éducation, sociologie de la pensée féministe
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Beverley Skeggs est une sociologue britannique, considérée comme l'une des plus grandes sociologues féministes du monde[1]. Spécialiste des Cultural studies, de la sociologie de l’éducation et de la pensée féministe, elle se réclame du marxisme et de Pierre Bourdieu, et travaille particulièrement sur les notions de classe et de genre dans les milieux ouvriers de Grande-Bretagne. Elle est actuellement professeure émérite au Département de sociologie de l'université de Lancaster[2] et professeure invitée à la Goldsmiths University[3], tout en continuant à diriger le département d’économie des soins au Centre international des inégalités à la London School of Economics[4].

Biographie modifier

Famille modifier

Skeggs naît à Middlesbrough, une ville post-industrielle sur la rive sud de la rivière Tees dans le Yorkshire du Nord. Elle vient d’une famille traditionnelle appartenant à une fraction relativement élevée des classes populaires : son père était un ancien docker ayant repris les études pour devenir employé de banque, et sa mère était femme de ménage et personnel de cantine scolaire. Beverley n’obtient pas de très bons résultats à l’école jusqu’à ses O-Level (l’équivalent du brevet des collèges en France) ; elle part quand même en Further education[5], où elle passe avec succès toutes les unités de sociologie, et découvre notamment Marx à travers Le Manifeste du Parti communiste. C’est une révélation pour elle : elle s’intéresse beaucoup à la politique et devient présidente du syndicat étudiant local[6].

Formation modifier

Skeggs effectue son diplôme de premier cycle en sociologie à l’université d'York, « une fac très bourgeoise » selon elle[7]. Elle y lit avidement les auteurs marxistes et découvre les travaux féministes. Cependant, elle ne se sent pas en phase avec les autres étudiants : « dans cette université, les choses étaient plus difficiles pour moi car les féministes autour de moi étaient à la fois très bourges et très cultivées »[7]. C’est dans ce contexte qu’elle commence à lire Bourdieu et découvre la notion de capital culturel, ce qui l’aide à comprendre pourquoi elle se sent mal à l’aise à l’université. « Pour trouver ma place, j’ai essayé à peu près tous les groupes de gauche qui pouvaient exister sur le campus. Mais tous ces groupes étaient tellement bourgeois »[7], dit-elle. Elle y décèle à la fois des comportements sexistes – des étudiants qui ne la prenaient pas au sérieux car elle était une femme politisée – et du mépris de classe de la part d’une gauche bourgeoise et intellectuelle qui au fond se tenait loin de la vraie classe ouvrière.
Elle poursuit ensuite ses études à l’Université de Keele, où elle obtient le PGCE, un certificat d'aptitude au professorat — l’équivalent français du CAPES —, puis son doctorat. Elle effectue sa thèse tout en enseignant en Further education : c’est comme ça qu’elle commence à travailler sur des jeunes femmes issues de la classe ouvrière qui sont inscrites à une formation d’aide à la personne, et qui sont travaillées par leur respectabilité – une notion clef que Skeggs développe tout au long de son itinéraire universitaire et intellectuel.

Carrière universitaire modifier

Beverley Skeggs est d’abord chercheuse à l’université d'York, dans le département d’étude des femmes et de l’éducation. De 1996 à 1999, elle est, avec Celia Lury[8], directrice des Women’s studies à l'Université de Lancaster. En 1999, elle est nommée à une chaire de sociologie à l'Université de Manchester, dont elle dirige le département de 2001 à 2004. Depuis 2004, elle est professeure invitée de sociologie à Goldsmiths, Université de Londres, et devient directrice du Département de sociologie de 2010 à 2013. En 2007, elle occupe la chaire Kerstin Hesselgren en études de genre à l'Université de Stockholm. En 2003, elle est élue à l'Académie des sciences sociales de Grande-Bretagne (Academy of Social Sciences (en))[9]. Beverley Skeggs est professeure honoraire à l'Université de Warwick et a reçu des doctorats honorifiques de la part de l'Université de Stockholm, de l'Université d'Aalborg (Danemark), de l'Université de Teesside (sa ville natale) et de l'Université de Joensuu (Finlande). De 2011 à 2016, elle est co-rédactrice en chef de The Sociological Review, la plus ancienne revue de sociologie de Grande-Bretagne ; elle y a joué un rôle clef dans la transformation de la revue en une fondation indépendante consacrée à la mise en avant des sciences sociales critiques et au soutien des spécialistes des sciences sociales[10],[11], et en est toujours rédactrice[12].
De 2013 à 2016, elle obtient une bourse professorale de l'Economic and Social Research Council (en)[13] pour étudier une « sociologie des valeurs et de la valeur »[14]. En septembre 2017, elle devient directrice académique du programme Atlantic Fellows à la London School of Economics[15] ; en mai 2019, elle accepte un poste de professeur émérite à l'Université de Lancaster.

Travaux de recherche modifier

Une thèse marquante : Des femmes respectables. Classe et genre en milieu populaire modifier

Quand elle commence sa thèse, Skeggs a en tête l’ouvrage L’École des ouvriers[16] de Paul Willis publié en 1977 : celui-ci avait fait une enquête auprès de jeunes garçons issus de milieux populaires britanniques en s'intéressant à leur « créativité culturelle »[17]. Or, Skeggs constate que le point de vue masculin est dominant dans les Cultural studies, dont Paul Willis fait aussi partie : c’est ce qui la décide à mener une enquête ethnographique de presque douze ans auprès de jeunes femmes de classes populaires du nord-ouest de l’Angleterre, comblant un manque dans la recherche sociologique autour des classes populaires anglaises. Comme Paul Willis, elle utilise une méthode ethnographique d'étude sur le terrain, méthode qui lui est apparue comme la démarche la plus éthique qui soit pour mener son enquête, pour « écouter les autres » et « produire des connaissances responsables »[18]
Skeggs centre son analyse sur la « valeur », concept marxiste qu’elle applique à la valeur morale reconnue aux individus selon leur appartenance de classe : elle analyse donc la production de la valeur des jeunes filles selon leur classe sociale – le milieu ouvrier – et les normes de genre avec lesquelles elles ont grandi : comment se considèrent-elles ? Par rapport à qui ? Quelle est la place de leur travail dans la valeur qu’elles se donnent ? Quelle est la place de leur sexualité ? Skeggs, dans la lignée des Cultural studies, de Paul Willis et Pierre Bourdieu, examine la dimension culturelle dans la construction de l’identité sociale de ces jeunes filles, s’intéresse à leur manière de dire leur propre valeur et à la place des rapports de classe dans la définition de cette valeur personnelle.

Une recherche collective : Making Class and Self through Televised Ethical Scenarios (2005-2008) modifier

Entre 2005 et 2008, Beverley Skeggs se lance, avec Helen Wood[19] de l’université de Leicester et Nancy Thumim[20] de l’université de Leeds, dans un grand projet de recherche collective sur la téléréalité, intitulé Making Class and Self through Televised Ethical Scenarios, se penchant sur le sujet cher aux Cultural studies qu'est l’analyse des médias. Ce projet de recherche faisait partie d'un programme de recherche beaucoup plus vaste, « Identities », une enquête de l'ESRC de 7 millions de livres sterling sur la construction d'identité dans la Grande-Bretagne contemporaine[21]. Cette recherche a donné lieu à un article rédigé par les trois chercheuses, intitulé “Oh goodness, I am watching reality TV“ : How methods make class in audience research[22].
Ce projet rassemble un grand nombre des champs de recherche auxquels s’intéresse déjà Beverley Skeggs : les défis induits par la classe sociale, le genre et la couleur de peau qui entraînent la construction d’un système alternatif de valeur morales par les personnes concernées, la façon de dire sa propre valeur, l’accent mis sur la performance et l’action. Skeggs dénonce l’humiliation systématique des classes populaires dans les programmes de téléréalité : « Quand nous regardons la téléréalité, ce que nous voyons, c’est l’humiliation et le mépris des femmes des classes populaires en raison de leur incapacité à réussir dans certains types d’emploi. Elles sont montrées comme irresponsables et immorales »[23]. La téléréalité renvoie une représentation des femmes de milieux populaires forgée par les classes dominantes, qui s’assurent de leur infériorisation auprès du public. Examinant les producteurs, les présentateurs, les candidats de ces émissions et leur réception par les différents types de publics composant leur audience, ce projet de recherche souligne le mépris du public des classes moyennes et supérieures envers les candidates de téléréalité des classes populaires, qui décèle chez ces dernières de l’irresponsabilité, de l’immoralité, et de la cupidité, du fait d’un gain acquis sans compétence ni travail. « Pour Skeggs, ces productions culturelles d’un monde médiatique sous contrôle de la classe dominante manifestent l’existence, de la part de cette dernière, d’une politique des émotions, une politique de classe qui assure l’infériorisation des classes populaires par la honte et le sentiment d’incapacité à répondre aux critères de la respectabilité. Avoir honte, dit Skeggs dans son analyse de la télé-réalité, implique la reconnaissance du jugement des autres et la conscience des normes sociales »[24]. Avoir honte, c’est sentir que notre valeur nous échappe : la notion de valeur est au centre de la réflexion de Skeggs, depuis sa thèse jusqu’à ce projet de recherche sur la téléréalité ; une réflexion qu’elle poursuit grâce à un autre projet de recherche collectif, Valeur et valeurs.

Valeur et valeurs (2013-2017) modifier

En septembre 2013, Skeggs commence avec Simon Yuill[25] un nouveau projet de recherche collectif intitulé Value and values[26], toujours financé par l’ESRC. Cette étude examine ce qui se passe lorsque de la valeur économique est tirée de domaines auparavant considérés comme non économiques, comme les plateformes de réseaux sociaux ; par exemple, l’étude constate que Facebook réalise un gain économique considérable en marchandisant l'amitié grâce à la conversion algorithmique des « j'aime » en ventes publicitaires. Skeggs énumère de multiples interrogations : ce processus reconfigure-t-il la ou les valeur(s) de l'amitié ? Qu'arrive-t-il à des valeurs telles que la fidélité et le soin pendant cette conversion ? Les amis capitalisent-ils sur leur propre valeur[27] ?

Bibliographie sélective modifier

La bibliographie complète de Beverley Skeggs est disponible ici.

Publications en français modifier

  • Beverley SKEGGS, Des femmes respectables. Classe et genre en milieu populaire, préface d'Anne-Marie Devreux, trad. Marie-Pierre Pouly, Marseille, Agone, coll. « L’Ordre des choses », 2015[28].

Publications en anglais modifier

  • Beverley SKEGGS & Helen WOOD, Reacting to Reality Television: Audience, Performance and Value, Londres, Routledge, 2012.
  • Beverley SKEGGS & Helen WOOD (éd.), Reality Television and Class, Londres, BFI/Palgrave, 2011.
  • Lisa ADKINS & Beverley SKEGGS, Feminism after Bourdieu, Oxford, Wiley-Blackwell, 2005.
  • Leslie MORAN & Beverley SKEGGS, Sexuality and the Politics of Violence and Safety, Londres, Routledge, 2003.
  • Beverley SKEGGS, Class, Self, Culture, Londres, Routledge, 2004.
  • Sarah AHMED, Jane KILBY, Celia LURY, Maureen McNEIL & Beverley SKEGGS (éd.), Transformations: Thinking through Feminism, Londres, Routledge, 2000.
  • Beverley SKEGGS, Formations of Class and Gender: Becoming Respectable, Londres, Sage, 1997.
  • Beverley SKEGGS (éd.), Feminist Cultural Theory: Production and Process, Manchester University Press, 1995.
  • John MUNDY & Beverley SKEGGS, The Media: Issues in Sociology), Thomas Nelson, 1992.

Essais sur Beverley Skeggs modifier

  • Anita OLSSON (éd.), Thinking with Beverley Skeggs, Stockholm University Press, 2008[29].

Références et notes modifier

  1. (en) « Beverley Skeggs is one of the foremost feminist sociologists in the world », « III welcomes Beverley Skeggs as Academic Director of the Atlantic Fellows programme », London School of Economics, consulté le 17 avril 2020.
  2. (en) « Beverly Skeggs », Lancaster University, consulté le 17 avril 2020.
  3. (en) « Visiting fellows and emeritus professors », Goldsmiths University of London, consulté le 17 avril 2020.
  4. (en) « Professor Beverley Skeggs », London School of Economics, consulté de 17 avril 2020.
  5. Après le secondaire - Secondary school - qui s’achève à l’âge de 16 ans, les élèves anglais peuvent poursuivre leurs études en Further education. Selon les cas, celle-ci est une filière professionnalisante en deux ou trois ans, ou une préparation à des études dans le supérieur. Voir le système éducatif au Royaume-Uni.
  6. « Se demander où se situe le féminisme, plutôt que d'asséner ce qu'il est. Entretien avec Beverley Skeggs (5 décembre 2013, Goldsmiths University of London) », propos recueillis par Anne-Marie Devreux et Sylvain Laurens, dans Beverley SKEGGS, Des femmes respectables. Classe et genre en milieu populaire, trad. Marie-Pierre Pouly, Marseille, Agone, coll. « L’Ordre des choses », 2015, pp. 337-358.
  7. a b et c A.-M. Devreux & S. Laurens, « Entretien avec Beverley Skeggs », p. 342.
  8. Celia Lury est enseignante et chercheuse à l'université de Warwick. (en) « Celia Lury », Warwick University (site officiel).
  9. (en) « Professor Beverley Skeggs », Academy of Social Sciences, consulté de 17 avril 2020.
  10. (en) « She transformed Britain’s oldest sociology journal, the Sociological Review, into an independent foundation devoted to opening up critical social science. », « III welcomes Beverley Skeggs as Academic Director of the Atlantic Fellows programme », London School of Economics, consulté le 17 avril 2020.
  11. (en) Le programme caritatif de la fondation The Sociological Review est disponible en ligne, section « Charity ».
  12. (en) « Our Team », The Sociological Review (site officiel), consulté le 17 avril 2020.
  13. L'ESRC fait partie du UK Research and Innovation (en) (UKRI). L'UKRI est une organisation non-gouvernementale quasi autonome financée par le gouvernement britannique. L'ESRC finance et soutient la recherche et la formation en sciences sociales ; c'est la plus grande organisation du Royaume-Uni pour financer la recherche sur les questions économiques et sociales (site officiel).
  14. (en) Le projet est résumé ici : « About the Project », Department of Sociologie, Goldsmiths, University of London, 23 août 2016, archivé le 19 septembre 2018 sur Wayback Machine, consulté le 17 avril 2020.
  15. (en) « III welcomes Beverley Skeggs as Academic Director of the Atlantic Fellows programme », London School of Economics, consulté le 17 avril 2020.
  16. Paul WILLIS, L’École des ouvriers. Comment les enfants d’ouvriers obtiennent des boulots d’ouvriers, trad. Bernard Hœpffner, Marseille, Éditions Agone, coll. « L’Ordre des choses », 456 pages, Modèle:ISBN 978-2-7489-0144-3. Traduction de Learning to Labor: How Working Class Kids Get Working Class Jobs, New York, Columbia University Press, 1977.
  17. La créativité culturelle est un concept qui désigne les formes diverses et expressions de résistance à une organisation sociale. Voir le compte-rendu de Lucie TANGUY, Politix, 2012/2 (n° 98), pp. 200-204. (en ligne).
  18. Beverley SKEGGS, Des femmes respectables. Classe et genre en milieu populaire, trad. Marie-Pierre Pouly, Marseille, Agone, coll. « L’Ordre des choses », 2015, p. 325.
  19. Helen Wood est une sociologue britannique spécialiste des médias et des Cultural studies qui interroge les relations entre le genre, la classe sociale et les inégalités. (en) « Helen Wood », Lancaster University (site officiel).
  20. Nancy Thumin est une sociologue britannique spécialiste des médias de la communication. (en) « Nancy Thumim », London School of Economics (site officiel).
  21. (en) Voir la présentation du projet par Beverley SKEGGS, « ESRC Identities and Social Action Programme Launch » [PDF], 5 juin 2011, consulté le 17 avril 2020.
  22. (en) Beverley SKEGGS, Nancy THUMIM & Helen WOOD, (en) “Oh goodness, I am watching reality TV”: How methods make class in audience research [PDF], European Journal of Cultural Studies, n°11(1), 2008, pp. 5–24.
  23. (en) B. SKEGGS, On the economy of moralism and working-class properness. An interview with Beverley Skeggs, propos recueillis par Sofie Tornhill & Katharina Tollin, Eurozine, 2008.
  24. Anne-Marie DEVREUX, « Préface », in Beverley SKEGGS, op. cit., pp. 23-24.
  25. Simon Yuill est un artiste, écrivain, programmeur et chercheur en sociologie. (en) Voir son site web personnel.
  26. (en) « Value & Values », site officiel du projet.
  27. (en) Un colloque a été organisé par la Goldsmiths University of London à la fin du projet pour faire un bilan. Il a été filmé et est disponible sur The Sociological Review : « “Value and Values”: Interaction, Infrastructures and Accumulation », 28 mars 2019.
  28. Voir la présentation de l'ouvrage sur le site de l'éditeur.
  29. (en) L'ouvrage est disponible gratuitement en ligne [PDF].

Liens externes modifier