Cabaret

établissement permettant de consommer de la nourriture et des boissons tout en regardant un spectacle

Au sens premier, un cabaret est un lieu de consommation de boisson — une taverne ou une auberge — où l'on pouvait également manger.

Depuis la fin du XIXe siècle, le cabaret artistique est un établissement permettant de consommer de la nourriture et des boissons tout en regardant un spectacle, dont la caractéristique est de mélanger le théâtre, la musique, le chant, la danse, le mime et beaucoup des formats scéniques qui font du cabaret un genre théâtral proprement dit[1].

Origines du mot et contexte

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Le Cabaret de la Bête noire : gravure du XIXe siècle figurant un ancêtre des cabarets parisiens, lieu mythique — voire fantasmé — ouvert au XVIe siècle.

Étymologies

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L'opinion communément répandue adopte « cabaret » ou « cabret » comme un terme d’origine picarde, signifiant « petite chambre » ou « établissement où l’on sert des boissons ». Néanmoins il semble que ce mot qui apparait en langue d'oïl, au XIVe siècle, comme un terme wallon[2] doit sa racine à ce que Jean Deny, appuyé par Antoine-Isaac Silvestre de Sacy[3], appelle « le prototype arabe kharabat » (« خربات »)[4] signifiant en turc[5], persan[6] et pachto[7] « cabaret », « lieu de prostitution » et « débit de boissons alcooliques ou taverne ». Khammarât « خمارات »[8], autre racine arabe signifiant « taverne », est également proposée par Antoine-Paulin Pihan.

Usages en langue française

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Sous l'Ancien régime, existaient trois sortes de cabarets : les cabarets qui vendent au détail, à pot et à pinte (on y boit seulement), les cabarets qui vendent à pot et assiette (on y boit et on y mange), les cabarets qui donnent à manger, à boire et logent et qu'on appelle auberges[9]. Pour être reçu cabaretier, à Paris, il fallait avoir une lettre des Maîtres et Gardes de l'Hôtel-de-Ville et du Procureur du Roi[réf. nécessaire]. Les officiers de police veillaient à ce que les cabaretiers ne donnent pas à boire les dimanches et fêtes pendant l'« office divin », et au-delà d'une certaine heure[10]. Ils devaient en outre ne pas ouvrir à Pâques, à la Pentecôte, à la Notre-Dame d'août, à la Toussaint et à Noël, à l'exception des cabaretiers à pot et à pinte qui pouvaient rester ouverts[11].

Au XVIIe siècle, le quotidien français La Gazette se plait à rapporter régulièrement que les cabarets sont des lieux où adviennent des rixes, des bagarres[12],[13]. Le Mercure galant publie un des premiers « airs à boire » (sic), qui rend hommage au cabaret, car « On y met le vin sur la table / Et chacun boit ce qu'il lui plait »[14]. Des hommes de lettres comme Jean Racine, Jean de La Fontaine, Boileau et Furetière fréquentaient le Cabaret du Mouton, près la paroisse Saint-Gervais, dans les années 1660, et l'on raconte même que Racine y composa Les Plaideurs, son unique comédie[15].

Jusqu'au début du XIXe siècle, un cabaret était un logis, où l'on donnait à boire et à manger, devant lequel était souvent pendu une enseigne comportant un « bouchon de lierre »[16],[17],[18],[19],[20].

Naissance du cabaret artistique à Paris

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La Cabaret du lapin blanc, rue aux Fèves (Paris, 1875-1882)[21].
Un bar aux Folies Bergère (1881-1882), peinture d'Édouard Manet.
Toulouse-Lautrec, Au Moulin-Rouge, (huile sur toile, 1892).

Au moment de la Révolution, apparaît à Paris le café-concert, appelé au départ « café-chantant » : ils donnent de plein pied sur la rue, au contraire du caveau — comme par exemple le café-caveau —, en sous-sol. Les premiers s'établissent aux Champs-Élysées. On s'y rend pour voir un spectacle chanté et l'accès donne droit à une boisson. Ces lieux permettent au fil du temps d'abolir les barrières sociales, ouvriers et bourgeois s'y côtoient, au point qu'en 1849, ils sont durement réglementés : ainsi prend fin une période, la Bohème artistique, durant laquelle de nombreux cafés réunissaient artistes et écrivains, tel le café Momus, situé près église Saint-Germain-l'Auxerrois de Paris.

À la fin du XIXe siècle, s'ouvrent des cabarets à spectacles artistiques : on boit, mange et assiste à une sorte de revue (chanson, pantomine, théâtre d'ombres, marionnettes, récitation de poésie ou d'histoires drôles), menée par un maître de cérémonie, et qui n'ont rien de commun avec les représentations corsetées du théâtre classique. Les lieux parisiens les plus renommés sont alors successivement Le Chat noir (1881-1897), le Cabaret des Quat'z'Arts (1893-1914), le Bal Tabarin (1904-1953), La Lune rousse (1904-1964), qui peuvent accueillir en moyenne 150 personnes.

En revanche, les Folies Bergère, ouvertes en 1869, tiennent plus du café-concert, offrant un plus large éventail de spectacles (acrobatie, danse, numéros de cirque, etc.). Le Moulin-Rouge et le Paradis latin, inaugurés en 1889, d'une grande capacité d'accueil, se désignent, eux, comme des cabarets. Lors de l'exposition universelle de 1900 à Paris, le cabaret de la Belle Meunière fut édifié spécialement pour « la Mère Quinton » (Marie Quinton, 1854-1933), et permit l'accueil de milliers de visiteurs du monde entier ; elle s'installa ensuite rue de la Chaussée-d'Antin, avant de rouvrir au palais Donadéï, à Nice.

Avec le début de la Première Guerre mondiale, beaucoup de lieux sont désertés du fait de la mobilisation, les prix augmentent, certains lieux ferment. Face à l'horreur des tranchées, des soldats organisent des cabarets musicaux à l'arrière du front[22]. Situé près de Souchez, le Cabaret rouge, fameux avant la guerre, est rasé durant le conflit, puis prend place un cimetière recevant les corps des soldats morts aux combat[23].

Les années folles voient la résurgence des cabarets parisiens — l'un des plus fameux reste Le Bœuf sur le toit.

Certains cabarets parisiens ont bien résisté au temps et ont vu l'éclosion de toute une génération de chanteurs, d'humoristes et de comédiens. Le Lido de Paris, ouvert en 1946, devient un lieu phare. De nombreuses icônes de la chanson comme Edith Piaf, plus tard Dalida ou encore plus récemment Elton John, s'y sont produits. De la rive gauche à la rive droite, en passant par la Butte Montmartre et le quartier Pigalle, ont émergé des lieux plus ou moins grands qui comptent dans l'histoire des cabarets modernes : Le République, L'Écluse, le Don Camilo, etc.

En allemand, on désigne par Kleinkunst, toute forme mineure des arts de scène (voir aussi Kleinbühne, Kellertheater [« théâtre-caveau »], Zimmertheater). Quant à Die Kneipe, cela désigne une sorte de taverne qui ressemble fort aux cabarets français de l'Ancien Régime ou aux premiers pubs anglais.

Le terme « cabaret » franchit donc le Rhin et devient avant 1900, le mot Kabarett : c'est l'ouverture à Munich de Die Elf Executioner (« Les onze bourreaux »), et à Berlin de l'Überbrettl la même année, en 1901. Pour ce dernier, le choix du suffixe Brettl, « une petite scène artistique »[24], donne l'esprit du lieu qui doit beaucoup au Chat noir, et qui accueille principalement des poètes et des écrivains, des lectures entrecoupés de moments musicaux un temps ordonnés par Arnold Schönberg. En revanche, Die Elf Executioner est un lieu plus politique fréquenté par tous les lecteurs de Simplicissimus, dont Frank Wedekind, un ami du patron du magazine, Albert Langen. Les deux cabarets sont imprégnés de l'esprit sécessionniste viennois et munichois, et contemporains de l'émergence de nombreux autres, qui vont façonner la vie nocturne des grandes villes allemandes avant 1914, puis durant les années de la république de Weimar.

Une seconde vague peut être illustrée par la figure expressionniste de Jakob van Hoddis, qui fonde à Berlin avec Kurt Hiller en 1909, Der Neue Club, dont les soirées littéraires sont appelées Neopathetisches Cabaret (« néo-pathétique cabaret »).

L'apogée de cette époque est particulièrement bien représentée dans le film L'Ange bleu (1930) de Josef von Sternberg, qui connut un succès mondial. Le départ en exil de la troupe du cabaret politico-satirique anti-nazi Die Pfeffermühle en 1933 pour Amsterdam[25] marque la fin d'une époque (voir Exilkabarett).

La chanson est très présente durant cet âge d'or : citons Claire Waldoff, Otto Reutter (auteur de poèmes chantés en forme de Couplet fameux).

Avec le temps, Kabarett en allemand a pris un sens sensiblement différent : on y donnent des spectacles privilégiant l'humour noir — dans la lignée d'un Karl Valentin —, tirant plus vers le théâtre, plus proche du stand-up, qui n'excluent pas une dimension « burlesque » (voir le Moulin à poivre de Leipzig [Die Pfeffermühle] et le Le Distel de Berlin).

C'est avant tout Vienne qui concentre la plus intense et riche vie nocturne artistique.

En 1906, ouvre le Hölle qui met en scène des spectacles dans un sous-sol. Il ferme en 1937.

En 1907, vient le tour du Cabaret Fledermaus (« chauve-souris »), un lieu entièrement décoré par les artistes du Wiener Werkstätte ; il ferme en 1913[26].

En 1912, ouvre le Simpl, dont le nom provient du magazine Simplicissimus, d'abord un simple cabaret à bière où l'on pouvait pousser la chanson. Dans un esprit comique et satirique, il devient dans les années 1920, l'endroit de revues dirigées par Karl Farkas (en) et Fritz Grünbaum (en). Fermé durant la guerre, il rouvre en 1945 et est toujours en activité.

En Canada : Montréal et Québec (1920-1970)

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En Canada au début des années 1920 aux années 1970, les cabarets montréalais et québécois] ont créé, sans conteste, un phénomène social, économique et culturel qui a contribué à transformer radicalement le milieu du spectacle de la province du Québec.

Ils sont d'abord propulsés par la prohibition américaine (1919-1932) : les cabarets montréalais, autorisés à servir des l'alcool, reçoivent alors des artistes de grande renommée venus des États-Unis et de la France pour s'y produire.

L'un des plus anciens est le Théâtre Gayety (1912-1953).

Le futur producteur et pionnier de cinéma, Jesse L. Lasky (1880-1958), fut l'un des premiers à importer le concept français de cabaret artistique en 1911.

Galerie

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Le cabaret dans les représentations

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Affiche

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À la fin du XIXe siècle, du moins à Paris, le médium privilégié est l'affiche lithographiée qui fait réclame du spectacle : véritable œuvre d'art, elle est posée sur les colonnes Morris. Les maîtres de cet art figurent très souvent les lieux mêmes du spectacle, avec le portrait de l'artiste.

Gravure et peinture

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Œuvre romanesque et scénique

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Œuvre audiovisuelle

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  • discographie
  • photographie
  • radiophonie

Notes et références

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  1. Alison Latham, The Oxford Companion to Music, New York, Oxford University Press, , 189 (ISBN 9780198662129, lire en ligne Inscription nécessaire)
  2. Les Amis de nos dialectes, Les Dialectes belgo-romans, revue trimestrielle, volume III, Bruxelles, 1939, p. 27
  3. Relation de l’Égypte, par Abd-Allatif, médecin arabe de Bagdad, Paris, 1810, p. 392
  4. Voir Albert Dauzat, Mots français d'origine orientale. D'après les documents fournis par Jean Deny, 1943, in Le Français Moderne, II, Paris, 1943, p. 241-151
  5. Thomas Xavier Bianchi, Jean Daniel Kieffer, Dictionnaire turc-français : à l'usage des agents diplomatiques, t. I, Paris, (lire en ligne), p. 746
  6. Marie Théodore Pavie, Chrestomathie hindoustani Urdû et Dakhni, Paris, (lire en ligne), p. 41
  7. Cahiers de musiques traditionnelles, Numéro 11, Georg,, , p. 135
  8. Antoine-Paulin Pihan, Dictionnaire étymologique des mots de la langue française dérivés de l'arabe, Paris, (lire en ligne), p. 68
  9. « Origines & Histoire des Cabarets Parisiens | Paradis Latin », sur www.paradislatin.com (consulté le )
  10. « Sentence de police », in: Mercure de France, Paris, 1er juin 1735, p. 208.
  11. Dictionnaire historique de la ville de Paris
  12. La Gazette, Paris, 19 novembre 1633, p. 1.
  13. La Gazette, Paris, 13 avril 1647, p. 6.
  14. Mercure galant, Paris, 1er mars 1678, p. 245.
  15. Georges Forestier, Jean Racine, Paris, Gallimard, 2006, p. 147.
  16. bouchon sens no 8
  17. Il s'agit bien d'un bouchon de lierre!
  18. Explication du bouchon de lierre
  19. Rameau de verdure, d'une couronne de lierre ou de quelque autre signe qu'on attache à une maison pour faire connaître qu'on y vend du vin
  20. Les auberges de Sologne sous l'Ancien Régime
  21. Le dessin original est de Jules Worms — Notice, sur Paris Musées Collection.
  22. Élisa Artigue-Cazcarra, « 1914–1918 : quand la musique résonnait dans les tranchées », in: Sud-Ouest, 5 novembre 2014.
  23. [PDF] Le Cimetière du Cabaret rouge, livret du Centre d’Histoire du Mémorial 14-18, 2020.
  24. (de) Brettl, étymologie sur DWDS - Der deutsche Wortschatz.
  25. (de) Kabarett "Die Pfeffermühle", 1933-1937, notice du Historisches Lexikon Bayerns.
  26. Le Cabaret Fledermaus, 1907-1913, Musée de la Villa Stuck.

Annexes

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Articles connexes

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Bibliographie

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  • Louis Chevalier, Montmartre du plaisir et du crime, Paris, La Fabrique, 2016.

Liens externes

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