Exemple significatif d'une cascina à cour fermée lombarde, la cascina Linterno est une ancienne grange de la campagne milanaise connue par la solide tradition qui l'identifie comme l'un des quatre lieux où l'on sait que Pétrarque a séjourné durant son séjour à Milan (1353-1361), l'unique encore visible. Autrefois située à quatre lieues de la ville, elle est aujourd'hui incorporée dans le tissu urbain tout en restant immergée dans un contexte unique qui conserve d'importants témoignages de l'ancien paysage agricole : les fontanili et les marcite (it), près de l'un des principaux parcs de la ville, le Parco delle Cave (it).

Cascina Linterno
Présentation
Type
Propriétaire
Comune di Milano (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Patrimonialité
Bien culturel italien (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Localisation
Localisation
Coordonnées
Carte
La cascina Linterno lors de l'hiver 2005

Historique

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Connue aujourd'hui sous l'appellation de « cascina[1] Linterno », elle fut dénommée « ad infernum »[2] puis « cassina de Infernum » (probablement du lombard In-Fern, « fond lointain »). À l'origine simple grange du XIIe siècle, elle constitua l'établissement rural d'une communauté monastique hospitalière ou templière[3].

Les premiers témoignages documentés se trouvent dans le parchemin de 1154 des archives du presbytère de Sant'Ambrogio[2] : dans cet acte notarié Infernum et son territoire ont comme propriétaires fonciers les de Marliano de droit lombard (it). Les documents capitulaires concernent la zone dont le centre principal était Baggio (it), lieu d'origine de la puissante famille d'origine lombarde, les da Baggio, voisins immédiats des de Marliano[4].

Au cours des siècles, la località Infernum/Linterno s'est agrandie d'un petit bourg autour de la corte chiusa (cour fermée) qui constitue toujours la cascina (ferme) homonyme. Aujourd'hui, le bourg est englobé dans le tissu urbain de l'ouest milanais auquel elle se rattache tout en préservant sa particularité grâce à la proximité du Parco delle Cave (it), lui-même intégré dans le complexe plus vaste du Parco Agricolo Sud Milano (it).

Pétrarque et la solitude de l'enfer

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Lettre de Pétrarque à son ami Moggio di Parma conservée à la Bibliothèque Laurenziana de Florence, contenant la référence à l'Infernum : « aliquot dies, si dabitur, tranquillos rure acturus, cuius ethimologiam tibi committo. Ego quidem Infernum dicere solèo[5] »
Incunable de 1473: Canzoniere, Trionfi, Memorabilia de Laura dans Vita di Petrarca. « a millano per la maggior parte hebbe la sua habitatione in villa lungo da la città miglia IIII, a uno luoco ditto inferno. »
Solitudine di Linterno, peinture sur bois de Giovanni Migliara, 1819.

Une solide tradition affirme que la Cascina Linterno fut la demeure agreste de Pétrarque de 1353 à 1361, à partir de la référence explicite de la lettre autographe de Pétrarque à son ami Moggio di Parma du ou 1369[5]. Elle s'est poursuivie avec les références au lieu (dit Infernum ou Inferno, situé au quatrième mille de la ville de Milan) contenues dans les incunables successifs (1473, le Canzoniere, Trionfi, Memorabilia de Laura dans Vita di Petrarca probablement de Pier Candido Decembrio[6] ; 1474, le Canzoniere, sez. Vita di Petrarca de Leonardo Bruni ; 1484, Trionfi, Canzoniere commenté par Bernardo Lapini, Francesco Filelfo et Girolamo Squarzafico).

On ne connaît pas d'autre Infernum dans le milanais (seule existe une cascina Invernum dans la province de Lodi, mais elle est distante de trente kilomètres de Milan). La Cascina Linterno se trouve à proximité du bourg de Quarto Cagnino (it) qui, comme en témoigne son nom, était située à quatre milles de Milan.

La référence à Linterno/Infernum comme demeure milanaise de Pétrarque s'est perpétuée au fil du temps. Il y est fait mention dans le Libro Annotationum imprimé à Lyon en 1576 par l'éditeur Guglielmo Rovillius[7]. Pietro Verri, en 1700 écrit à ce sujet dans la Storia di Milano[8] ; Giovan Battista Baldelli,homme de lettres et collaborateur de l’Antologia de Vieusseux, qui étudia surtout Boccace (Vita di G.B, 1806) et Pétrarque (Del Petrarca e delle sue opere libri quattro, 1797) l'évoquait à la fin du XVIIIe[9]. Autres citations par Ugo Foscolo dans son Saggi sopra il Petrarca ; par Giacomo Leopardi dans son Interpretazione delle Rime et par Carlo Cattaneo dans son essai Notizie naturali e civili su la Lombardia tiré de ses Opere scelte (1839 - 46)[10].

En 1819, le bibliophile et spécialiste de Pétrarque Antonio Marsand, professeur à l'université de Padoue, l'évoque dans sa préface des Rime[11], complétée par une gravure hors texte de Giovanni Migliara qui reproduit dans le détail la Solitudine di Linterno[12]. L'œuvre importante de Marsand exerça une influence culturelle certaine : en 1820, Ambrogio Levati rapporte l'opinion du spécialiste au sujet de la genèse de l'étymon Linterno (transmis comme altération de l'original Infernum, en hommage à Scipion l'Africain par référence à Liternum où se trouve sa sépulture) : « Il prof. Marsand ha dimostrato non esser vero che il Petrarca quasi per ischerzo solesse talvolta chiamar Linterno l'Inferno [...] ma che fu generale e comune specialmente ne' villici e nel basso popolo milanese tale denominazione [...] »[13],[14]

En 1837, la revue culturelle Cosmorama Pittorico (it) donna un relief important à la Villa Linterno avec une acquaforte de Gaetano Fiorentini[15]. D'autres auteurs parmi lesques Carlo Romussi, auteur de Storia di Milano attraverso i suoi monumenti[16], affirment que Pétrarque aurait séjourné dans une maison peu distante de Sant'Ambrogio ou près de la chartreuse de Garegnano (Luciano Patetta dans un essai de 1997 fit allusion au débat sur la localisation de la demeure milanaise de Pétrarque[17]).

Des quatre lieux habités par Pétrarque lors de son séjour milanais pluriannuel que l'on connaît, ont disparu la demeure proche de la basilique Sant'Ambrogio et celle voisine de la basilique San Simpliciano ; aucun témoignage ne nous est parvenu de l'habitation présumée à proximité de la chartreuse de Garegnano, qui, si elle abrita le poète, a depuis été en grande partie reconstruite. L'unique et dernier témoignage de la présence de Francesco Petrarca à Milan reste la Cascina Linterno.

Annexes

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Notes et références

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  1. Terme désignant la ferme lombarde à cour carrée
  2. a et b Carta Investiture, 1154, parchemin des archives du presbytère de Sant'Ambrogio
  3. Probablablement les frères templiers de l'hôpital San Giacomo al Ristoccano. San Giacomo al Ristoccano est cité dans une bulle de 1148 du pape Eugène III comme « hospitale de sancto Iacopi ad Ristocchanum ». Un parchemin de septembre 1153, la Carta finis et refutationis, mentionne les « fratres spetalieri [appellation des hospitaliers et des templiers] che rinunciano ogni ragione del loro spitale [qui renoncent à tous leurs droits sur leur hôpital] » au presbytère de Sant'Ambrogio. Le rattachement de Linterno à l'hôpital résulte d'un document de 1207 sur lequel sont mentionnées la « cassina de Baldarocho [la cascina Barocco, sur la Via fratelli Zoia, sur laquelle est située Linterno] que est ecclesie S. Iacobi ad Ristocchanum », la « cassina de Infernum [cascina Linterno] » et les « cassine de le Done Bianche e Moreto [la cascina Moretto, disparue] ».
  4. Fondazione Carlo Perini, Associazione Amici Cascina Linterno, Cooperativa G. Donati, Certosa di Garegnano, Petrarca a Milano - la vita i luoghi e le opere, 2007, p. 205-217.
  5. a et b Lettre autographe de Pétrarque « Papiae 20 juni ad vesperam raptim » à son ami Moggio di Parma (Modius de Modiis) conservée à la Bibliothèque Laurenziana de Florence, contenant la précieuse référence à l'Infernum. Moggio de' Moggi, clericus, magister, et notarius était le précepteur des enfants d'Azzo da Correggio (it) et l'ami de Pétrarque. Il fut actif dans le contexte culturel vénitien et lombard riche de réminiscences médiévales et de ferments nouveaux connus sous l'appellation de préhumanisme. Dans la lettre, écrite le 20 juin 1360 ou 1369 « al calar della sera » (à la chaleur du soir), Pétrarque écrit : « aliquot dies, si dabitur, tranquillos rure acturus, cuius ethimologiam tibi committo. Ego quidem Infernum dicere solèo » (« Si possible, je passerai quelques jours tranquilles dans cette campagne dont je te donne l'étymologie. Vraiment, j'ai l'habitude de l'appeler Infernum ».
  6. Un incunable conservé au service de l'Archivio Trivulziano, réalisé en 1473, centenaire de la mort de Pétrarque, et par erreur attribué à Antonio da Tempo (voir G. Mezzanotte, "Pier Candido Decembrio e la Vita del Petrarca attributa a Antonio da Tempo", Studi Petrarcheschi Bologne, 1984, vol. 1, pp. 211-224) précise : « si steva a millano per la maggior parte hebbe la sua habitatione in villa lungo da la città miglia IIII, a uno luoco ditto inferno : dove la casa dallui assai moderatamente edificata anchora si vede »
  7. On y lit : « Linterno era la sua diletta Solitudine, assai delitiosa, poco discosta da Milano, contigua a Quarto, e vicina a Baggio così detta da lui, per veneratione di Linterno, già solitudine di Scipione Africano. Ed ivi anche oggidì vedesi con ammiratione, massima d'oltramontani, l'antica Sua Casa, da lui stesso fabricata mderatamente, e con qualche vestiggio de delitiosi passeggi, di cui era arricchita nobilmente. Il qual luogo viene chiamato goffamente da Villani, invece di Linterno, Linferno [...] egli fabbricò, & aggiustò questo Luogo di solitudine l'anno 1351, ricevendo il Possesso del medesimo podere, da Nicolò Feo; suo Compatriota e Potestà di Milano, mentre in Età anni 47, erasi già tutto infervuorato in Roma [...] Le virtù che esercitava in questa Solitudine erano in particolare: l'Austerità Heremitica; il vivere de cibi grossi, de frutti d'Arbori, e d'Herbe crude; il bere parcamente Vini leggierissimi, e frequentemente solo Acque correnti [...] »
  8. En particulier : « Egli alloggiava dicontro a Sant'Ambrogio ; anzi nel suo testamento, pubblicato nelle opere sue, ordinò d'essere ivi tumulato, qualora fosse morto in Milano. Questo testamento lo fece in Padova l'anno 1370. Aveva Petrarca una piccola villa, poco discosta dalla città, nelle vicinanze della Certosa di Garignano ; e quel casino solitario lo chiamava Linterno, col nome della villa di Scipione Africano ; comunemente poscia acquistò nome l'Inferno, parola più nota della prima. Si dice che Giovanni Boccaccio, per amore del suo amico Petrarca, vivesse qualche tempo con lui in Milano, e al suo Linterno. »
  9. Le texte : « Tornato in Milano, lieto e tranquillo vivea presso i Visconti, che gli concedevano l'onorevole incarico di innalzare al sacro fonte il primogenito di Bernabò, accarezzato dai grandi, e dal popolo onorato e pregiato, passava solitario e contento i giorni della cocente stagione in una villa chiamata Linterno presso una nuova Certosa, godendo, mercé la munificenza di quei sovrani, agiata e comoda vita »
  10. Introduction, p. LXIX : « I fratelli Luchino e Giovanni furono gentili òspiti al Petrarca. [...] Bernabò era l'ideale del ghibellino; non temeva né gli uòmini né Dio. [...] Mentre a Trezzo sull'Adda faceva gettare un meraviglioso ponte d'un arco solo, suo fratello Galeazzo, ornando d'aque il parco di Pavia, dava l'esempio d'un gran giardino a paese; fondava l'università di Pavia ; mandava ambasciatore il Petrarca in Germania e in Francia ; e lo induceva ad abitar lungamente, ora in romita parte della città, ora fra i solitarj prati di Linterno. »
  11. Conservée à la Biblioteca Trivulziana. Elle est considérée comme la plus belle édition du XIXe des œuvres de Pétrarque, pour l'élégance typographique, l'analyse des textes, la riche bibliographie et les splendides gravures hors texte de Giovanni Migliara.
  12. Voir la reproduction de la gravure par V. Gozzini e A. Verico, dans la réédition de 1821, Le rime del Petrarca con tavole in rame ed illustrazioni vol. II., Florence, p. 227, tome II.
  13. « Le professeur Marsand a démontré qu'il n'était pas vrai que Pétrarque avait simplement par plaisanterie l'habitude d'appeler Linterno l'Inferno [...] mais que cette dénomination était générale et commune, spécialement parmi les paysans et le petit peuple milanais [...] »)
  14. Ambrogio Levati, Viaggi di Francesco Petrarca in Francia, in Germania ed in Italia, Volume 5, p. 26, libro XI : la citation est placée en note du texte « Vita solitaria del Petrarca in Milano ; ritiro in Linterno. Il piacere della solitudine si appresentava tanto più vivo e vago al Petrarca, quanto più romorosa era la corte in cui viveva, quanto più lusinghieri erano gli onori che gli venivano largiti dai Visconti e dall' imperatore Carlo IV, che lo avea poco innanzi eletto conte Palatino; onde per darsi in preda alla giocondezza della vita solitaria si scelse un luogo remoto, detto Linterno. Giace questa villetta in distanza di poco più che una lieue da Milano, fuori della Porta Vercellina, e circa un quarto di miglio dalla Certosa di Garignano: ne' secoli addietro essa si denominava L'Inferno(2). Il prof. Marsand ha dimostrato non esser vero che il Petrarca quasi per ischerzo solesse talvolta chiamar Linterno l'Inferno, come sembra inclini a credere l'ab. de Sade ; ma che fu generale e comune specialmente ne' villici e nel basso popolo milanese tale denominazione : anzi non tra il popolo soltanto, ma nelle stesse stampe topografiche de' contorni di Milano si vede che così viene chiamato. ( Le Bini - del Petr. pubbl. dal Prof. Marsand. Dichiarazioni ed Illustrazioni della veduta di Linterno.) ».
  15. Civ. Racc. Bertarelli. « scelse un luogo remotissimo, detto Linterno. Giace questa villetta sulla sinistra riva dell’Olona [...] Anche oggi va questo piccolo sito glorioso fra i suoi dintorni per una festa che si celebra ogni anno ai 15 di agosto; e ben crediamo essere questa una continuazione dell’indulgenza plenaria in forma di giubileo accordata dal Sommo Pontefice all’oratorio eretto dal Petrarca [...] »
  16. La biographie de Carlo Romussi (1847-1913), journaliste, écrivain, historien de l'art et parlementaire milanais est un caléidoscope d'activités dans tous les domaines. Une vie téméraire, combative, entre procès, duels et pour finir, la prison comme agitateur politique.
  17. Luciano Patetta, Petrarca e l'architettura delle città italiane, 1997 : « numerose sono le lettere che testimoniano del piacere e del ristoro nella cascina di campagna (detta Interno o Inferno) della quale invano si è cercata l'esatta ubicazione »

Articles connexes

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Sources

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