Catastrophe du lac Nyos

désastre au Cameroun dont l'origine est l'éruption volcanique du Lac Nyos

Catastrophe du lac Nyos
Le lac Nyos huit jours après l'éruption.
Le lac Nyos huit jours après l'éruption.
Localisation
Pays Drapeau du Cameroun Cameroun
Volcan Ligne du Cameroun
Zone d'activité Cratère central
Dates
Caractéristiques
Type d'éruption limnique
Phénomènes nappe de gaz volcaniques, tsunami
Échelle VEI 8
Conséquences
Régions affectées environs immédiats dans un rayon de 30 km environ
Nombre de morts 1 746
Nombre de blessés des centaines
Géolocalisation sur la carte : Cameroun
(Voir situation sur carte : Cameroun)
Catastrophe du lac Nyos

La catastrophe du lac Nyos désigne une éruption limnique survenue le au lac Nyos (ou lac Lwi) dans le nord-ouest du Cameroun qui a tué 1 746 personnes et près de 3 000 animaux d'élevage[1].

L'éruption a déclenché la libération soudaine d'environ 100 000 à 300 000 tonnes de dioxyde de carbone (CO2)[2],[3]. Le nuage de gaz s'est d'abord élevé à près de 100 km/h avant de retomber, étant plus lourd que l'air, sur les villages voisins, étouffant personnes et animaux sur 25 km autour du lac[4],[5].

Un dispositif de dégazage a depuis été installé sur le lac, dans le but de réduire la concentration de CO2 dans les eaux profondes et, en conséquence, le risque de nouvelles éruptions.

L'éruption et le nuage de gaz modifier

La cause de ce dégazage catastrophique n'est pas établie[6],[7]. La plupart des géologues suspectent un glissement de terrain, mais certains croient à une légère éruption volcanique dans le fond du lac[8],[9]. Une troisième hypothèse est que l'eau de pluie froide tombant sur un côté du lac a créé un déséquilibre thermique. D'autres encore supposent un léger tremblement de terre, mais comme aucun témoin n'a déclaré sentir de secousses le matin de la catastrophe, cette hypothèse est peu probable. Quel que soit l'événement, il a permis que l'eau profonde sursaturée en CO2 se mélange rapidement avec les couches supérieures du lac, où la pression hydrostatique réduite a permis au CO2 stocké de se libérer et d'entrer en effervescence[10].

Il est estimé qu'environ 1,2 km3 de gaz a été libéré[11]. Les eaux du lac habituellement bleues se sont changées en rouge foncé après le dégazage, lorsque les eaux du fond, dépourvues d’oxygène dissout (conditions anoxiques) et riches en fer divalent, sont remontées à la surface et ont été oxydées au contact de l'air. L’oxydation du Fe(II) dissout en Fe(III) beaucoup moins soluble a entrainé la précipitation d’oxyhydroxides de Fe(III) (FeOOH). Le niveau du lac a diminué d'environ un mètre et les arbres près du lac ont été renversés.

Les scientifiques ont établi qu'une colonne d'eau et de mousse de 100 mètres s'est formée à la surface du lac, créant une vague d'au moins 25 mètres qui a balayé l'une des côtes[12].

Le dioxyde de carbone, qui est environ 1,5 fois plus dense que l'air, a rabaissé le nuage vers le sol et le long des vallées, où sont construits plusieurs villages. La masse d'une épaisseur d'environ 50 mètres est retombée à 20-50 km/h. Sur environ 23 km, le nuage de gaz a été assez concentré pour étouffer de nombreuses personnes dans leur sommeil dans les villages de Nyos, Kam, Cha, et Subum.

Les rares témoins affirment avoir vu le lac Nyos changer de couleur, et avoir senti une insoutenable odeur d’œuf pourri[13].

Bilan humain, animal et végétal modifier

Bétail étouffé par le dioxyde de carbone du lac Nyos.

L'éruption fait 1 746 morts, dont près de 1 200 à Nyos, plus de 500 dans les villages de Cha, Subum et Fang, jusqu'à 16 km en aval[14]. La victime la plus éloignée a été retrouvée à 27 km du lac[15]. La plupart des animaux et insectes situés à proximité sont tués, dont près de 3 000 têtes de bétail[14],[13]. La totalité de la végétation est détruite sur le pourtour du cratère[16]. Certains arbres sont renversés[15]. 874 personnes sont hospitalisées, souffrant de lésions, de brûlures, de difficultés broncho-pulmonaires et de paralysies[14],[17]. 4 434 personnes sont déplacées de leur domicile[14],[17]. Malgré ce bilan, le président Paul Biya ne se rend pas auprès des familles des victimes[18],[19].

Effets sur les survivants modifier

Un survivant, Joseph Nkwain de Subum, décrit lui-même son réveil après que le gaz a frappé :

« Je ne pouvais pas parler. J'étais comme inconscient. Je ne pouvais pas ouvrir ma bouche parce que je sentais quelque chose d'horrible... J'ai entendu ma fille ronfler d'une manière horrible, très anormale... Quand je me suis approché du lit de ma fille... Je me suis effondré. Je suis resté là jusqu'à neuf heures le (vendredi) matin... jusqu'à ce qu'un ami vienne et frappe à ma porte... J'ai été surpris de voir que mon pantalon était rouge, et avait comme des taches de miel. J'ai vu des... choses sur mon corps. Mon bras avait des blessures... Je ne savais pas vraiment comment j'avais eu ces blessures... J'ai ouvert la porte... Je voulais parler, ma voix ne sortait pas... Ma fille était déjà morte... Je suis allé dans le lit de ma fille, pensant qu'elle dormait encore. J'ai dormi jusqu'à ce qu'à 16 h 30 dans... le vendredi. (Ensuite), j'ai réussi à aller chez mes voisins. Ils étaient tous morts... J'ai décidé de partir... (parce que) la plupart de ma famille était à Wum ... J'ai pris ma moto... Un ami dont le père était mort est parti avec moi (pour) Wum... En roulant... à travers Nyos je n'ai vu aucun signe de quelque chose de vivant... (Quand je suis arrivé à Wum), j'étais incapable de marcher, même de parler... mon corps était complètement faible[20]. »

À la suite de l'éruption, de nombreux survivants ont été traités à l'hôpital central de Yaoundé, la capitale du pays. Il a été estimé que la plupart des victimes avaient été empoisonnées par un mélange de gaz incluant de l'hydrogène et du soufre. L'empoisonnement par ces gaz conduit à des douleurs brûlantes dans les yeux et le nez, de la toux et des signes d'asphyxie semblables à l'étranglement[21].

Suites modifier

L'ampleur de la catastrophe a conduit à de nombreuses études sur la façon d'éviter une récurrence[22]. Plusieurs chercheurs ont proposé l'installation de colonnes de dégazage au milieu du lac[23],[24]. Le principe est de dégazer peu à peu le CO2 en acheminant vers le haut l'eau fortement saturée du fond du lac par l'intermédiaire d'un tuyau, d'abord à l'aide d'une pompe, mais seulement jusqu'à ce que le gaz à l'intérieur du tuyau fasse remonter naturellement la colonne d'eau devenue moins dense, rendant le procédé auto-suffisant (principe de l’airlift utilisé en archéologie sous-marine) pour dégager des sédiments meubles[25].

À partir de 1995, des analyses de faisabilité ont été menées avec succès, et le premier tube de dégazage a été installé dans le lac Nyos en 2001. Deux autres tuyaux ont été installés en 2011[26],[27].

À la suite de la catastrophe du lac Nyos, les scientifiques ont étudié d'autres lacs Africains, pour voir si ce même phénomène était susceptible de se produire ailleurs. Le lac Kivu en République démocratique du Congo, 2 000 fois plus grand que le lac Nyos, a également été déclaré sursaturé, et les géologues ont trouvé la preuve que des dégazages naturels avaient lieu autour du lac environ tous les mille ans.

Dans la culture populaire modifier

Un roman par le Grec Basileios Drolias racontant la catastrophe du lac Nyos a été publié en 2016[28].

Bibliographie modifier

  • Frank Westerman (trad. Annie Kroon), La Vallée tueuse, Christian Bourgeois, , 400 p..

Notes et références modifier

  1. Serge Morin et Jean Pahaï, « La catastrophe de Nyos (Cameroun) », Yaoundé, Revue de géographie du Cameroun, Vol VI n°2, (ISSN 0254-3982), p. 81-105.
  2. « Can We Bury Global Warming? (2005) », Scientific American, vol. 293,‎ , p. 49–55 (DOI 10.1038/scientificamerican0705-49, lire en ligne, consulté le ).
  3. Forka Leypey Mathew Fomine, « The Strange Lake Nyos CO2 Gas Disaster », Australasian Journal of Disaster and Trauma Studies, Massey University, vol. 2011-1,‎ (ISSN 1174-4707, lire en ligne, consulté le ).
  4. « Lake Nyos (1986) », San Diego State University, (consulté le ).
  5. Jill Smolowe, « Cameroon the Lake of Death », TIME, vol. 128, no 10,‎ , p. 34–37 (lire en ligne [archive du ], consulté le ).
  6. Aline J. Cotel, « A Trigger Mechanism for the Lake Nyos Disaster », Journal of Volcanology and Geothermal Research, vol. 88, no 4,‎ , p. 343–347 (DOI 10.1016/s0377-0273(99)00017-7, lire en ligne).
  7. Dmitri Rouwet, Greg Tanyileke et Antonio Costa, « Cameroon's Lake Nyos Gas Burst: 30 Years Later », Eos, vol. 97,‎ (DOI 10.1029/2016eo055627, lire en ligne).
  8. A. Rice, « Rollover in Volcanic Crater Lakes: A Possible Cause for Lake Nyos Type Disasters », Journal of Volcanology and Geothermal Research, vol. 97, nos 1-4,‎ , p. 233–239 (DOI 10.1016/s0377-0273(99)00179-1, lire en ligne).
  9. FestusTongwa Aka, Volcanic Lakes, Springer Berlin Heidelberg, , 467–488 p. (ISBN 9783642368325, lire en ligne), « Depth of Melt Segregation Below the Nyos Maar-Diatreme Volcano (Cameroon, West Africa): Major-Trace Element Evidence and Their Bearing on the Origin of CO2 in Lake Nyos ».
  10. Minoru Kusakabe, Takashi Ohsumi et Shigeo Aramaki, « The Lake Nyos Gas Disaster: Chemical and Isotopic Evidence in Waters and Dissolved Gases from Three Cameroonian Crater Lakes, Nyos, Monoun and Wum », Journal of Volcanology and Geothermal Research, vol. 39, nos 2-3,‎ , p. 167–185 (DOI 10.1016/0377-0273(89)90056-5, lire en ligne)
  11. « The Strangest Disaster of the 20th Century », Neatorama, (consulté le ).
  12. David Brown, « Scientists hope to quiet Cameroon's killer lakes », The Washington Post, (consulté le ).
  13. a et b Clarisse Juompan-Yakam, « Cameroun : l’explosion du lac Nyos en 1986 les a rendus fous… », sur Jeune Afrique.com, (consulté le ).
  14. a b c et d Ismaïla Ngounouno, La pétrologie éruptive moderne, vol. 1 et 2, L'Harmattan, (lire en ligne), p. 38.
  15. a et b Jacques-Marie Bardintzeff, Volcanologie, Dunod, , 5e éd., 352 p., p. 233.
  16. « Il y a 30 ans, la catastrophe du lac Nyos endeuillait le Cameroun », sur rfi.fr, (consulté le ).
  17. a et b Lake Nyos disaster, Cameroon, 1986: the medical effects of large scale emission of carbon dioxide?, BMJ, Volume 298, May 27, 1989, [1].
  18. Fanny Pigeaud, Au Cameroun de Paul Biya, Karthala, coll. « Les terrains du siècle », , 276 p. (lire en ligne), p. 196.
  19. Olivier Marbot, « 21 août 1986 : la nuit où le lac Nyos a explosé », sur Jeune Afrique.com, (consulté le ).
  20. A. Scarth. USGS, 1999.
  21. BBC contributors, « 21 August: 1986: Hundreds gassed in Cameroon lake disaster », BBC,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  22. G. W. Kling, W. C. Evans, G. Tanyileke et M. Kusakabe, « Degassing Lakes Nyos and Monoun: Defusing certain disaster », Proceedings of the National Academy of Sciences, vol. 102, no 40,‎ , p. 14185 (PMID 16186504, PMCID 1242283, DOI 10.1073/pnas.0502274102).
  23. (en) Michel Halbwachs et Jean-Christophe Sabroux, « Removing CO2 from Lake Nyos in Cameroon », Science, vol. 292, no 5516,‎ , p. 438–438 (ISSN 0036-8075, DOI 10.1126/science.292.5516.438a, lire en ligne).
  24. (en) Martin Schmid, Michel Halbwachs et Alfred Wüest, « Simulation of CO2 Concentrations, Temperature, and Stratification in Lake Nyos for Different Degassing Scenarios », Geochemistry, Geophysics, Geosystems, vol. 7, no 6,‎ (ISSN 1525-2027, DOI 10.1029/2005GC001164, lire en ligne).
  25. Degassing Lake Nyos project http://pagesperso-orange.fr/mhalb/nyos/nyos.htm
  26. « Degassing the "Killer Lakes" Expedition 2001 », sur pagesperso-orange.fr
  27. « Science Actualités – Ressources – Cité des sciences et de l'industrie – Expositions, conférences, cinémas, activités culturelles et sorties touristiques pour les enfants, les parents, les familles – Paris » [archive du ], Universcience.fr (consulté le )
  28. Basileios Drolias, « Nyos », Kedros,

Liens externes modifier