Charlotte Salomon

peintre allemande (1917-1943)

Charlotte Salomon, née le à Berlin et assassinée le à Auschwitz, à l’âge de 26 ans, est une artiste peintre allemande.

Charlotte Salomon
Charlotte Salomon dans le jardin de la villa L'Ermitage à Villefranche-sur-Mer vers 1939[1].
Naissance
Décès
Nationalité
Activité
Formation
Lieux de travail
Mouvement
Père
Albert Salomon (en)Voir et modifier les données sur Wikidata
Mère
Franziska Salomon (d)Voir et modifier les données sur Wikidata

Issue d'une famille juive, elle réussit à quitter l'Allemagne en et s'installe en France sur la Côte-d'Azur, près de Nice, où, pendant la Seconde Guerre mondiale, elle va élaborer l'œuvre de sa vie, Leben? oder Theater?.

En , cette région est à son tour occupée par l'armée allemande, ce qui permet aux policiers nazis de déporter les Juifs qui s'y trouvent, notamment Charlotte et son époux.

Biographie

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Origines familiales et enfance berlinoise

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Autoportrait (1940)[2].

Enfant unique d'Albert Salomon (en) (1883-1976) et de Fränze (Franziska) Grünwald, Charlotte Salomon grandit dans une famille aisée de la communauté juive berlinoise, résidant dans le quartier de Charlottenbourg. Son père est médecin et professeur à l'université Humboldt de Berlin.

Paula Lindberg (à gauche) avec Marjon Lambriks en 1980.

En 1926, sa mère meurt, à la suite d'une mauvaise grippe, dit-on à Charlotte. Elle apprendra plus tard qu'en réalité, sa mère s'est suicidée, comme l'ont fait beaucoup de membres de la famille Grünwald (notamment sa sœur, qui portait le prénom de Charlotte, à l'âge de 18 ans).

Charlotte commence ses études secondaires en 1927 au lycée de jeunes filles de Charlottenbourg (Fürstin-Bismarck-Gymnasium[3]).

En , son père épouse en secondes noces l'artiste lyrique Paula Lindberg (1897-2000)[4].

1933-1939 : à Berlin, sous le régime nazi

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Après l'accession d'Adolf Hitler au poste de chancelier le , commencent les répressions et sévices contre ceux que les nazis considèrent comme des « ennemis du peuple allemand » : les communistes, les sociaux-démocrates, les syndicalistes, les francs-maçons et surtout les Juifs. Ceux-ci vont être soumis à des interdictions professionnelles de plus en plus larges.

Dès 1933, Albert Salomon perd le droit d'enseigner à l'université. Il peut continuer d'exercer la médecine, notamment parce qu'il est ancien combattant, mais seulement auprès des Juifs. Il va travailler dans des institutions médicales juives.

La Nuit de Cristal (vers 1940-1942)[2].

En raison de l'antisémitisme ambiant, Charlotte quitte le lycée à la rentrée 1933, un an avant l'abitur (baccalauréat). Elle commence alors à se consacrer au dessin, pour lequel elle se révèle douée. En 1936, elle réussit même à entrer à l'Académie des arts de Berlin malgré le très faible quota alloué aux Juifs. Elle y reste jusqu'en 1938 : ayant été classée première d'un concours jugé anonymement et s'étant vu refuser le droit d'aller recevoir le prix en raison de ses origines juives, elle décide de cesser de fréquenter l'Académie.

En 1935, Charlotte Salomon, qui n'a plus de professeur de chant, devient[5] l'élève d'Alfred Wolfsohn (1896-1962), lui aussi juif. Au cours des années suivantes, des relations s'établissent malgré la différence d'âge entre Alfred et Charlotte, qui en restera profondément marquée comme le montrent ses travaux durant la guerre.

Le a lieu la Nuit de Cristal, qui montre que les Juifs d'Allemagne sont gravement menacés. Albert Salomon est arrêté et interné au camp de concentration de Sachsenhausen, mais grâce à des démarches de Paula, il est libéré à la fin du mois, très affaibli physiquement. La famille décide alors qu'il faut quitter l'Allemagne.

1939-1940 : en France

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En , Charlotte quitte le pays pour rejoindre ses grands-parents maternels, Ludwig Grünwald (1862-1943) et Marianne née Benda (1867-1940), partis d'Allemagne dès 1934 pour Rome, et qui se sont ensuite installés sur la Côte-d'Azur, à Villefranche-sur-Mer. En 1939, ils résident avec d'autres réfugiés (surtout des enfants) dans un pavillon au fond de la grande propriété (l'Ermitage) d'une riche Américaine d'origine allemande, Ottilie Moore.

Au mois de , de leur côté, Albert et Paula parviennent à quitter l'Allemagne pour Amsterdam aux Pays-Bas.

Après quelques semaines passées chez Ottilie Moore, Charlotte et ses grands-parents décident de quitter l'Ermitage et s'installent à Nice (villa Eugénie, avenue Neuscheller). La grand-mère ne sort cependant pas d'une dépression prononcée, liée à la situation de guerre et aux menaces qui planent sur les Juifs. C'est durant cette période que (selon David Foenkinos), après une tentative de suicide de la grand-mère, le grand-père de Charlotte lui révèle le suicide de sa mère et de nombreuses autres femmes[6] de la famille. Le [7], la grand-mère de Charlotte réussit à se suicider.

Fin , alors que l'armée allemande a lancé l'offensive contre la France, Charlotte et son grand-père sont internés au camp de Gurs dans les Basses-Pyrénées, en tant que ressortissants allemands, donc « ennemis ». Cette mesure touche depuis le début de la guerre de nombreux réfugiés allemands ou autrichiens, placés dans divers camps (Pithiviers, Beaune-la-Rolande, etc.). Une autre internée de Gurs au moment où ils s'y trouvent est Hannah Arendt.

Ils sont libérés quelques mois plus tard en raison du mauvais état de santé du grand-père et parviennent à regagner Villefranche-sur-Mer.

1940-1942 : en zone non occupée

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À la suite de l'armistice de juin 1940, Villefranche se trouve en zone non occupée ou « zone libre » (les Allemands occupent la moitié nord de la France et la côte atlantique ; les Italiens occupent seulement Menton et ses alentours ainsi que quelques zones de la frontière des Alpes).

En , leur hôtesse américaine, dont le pays n'est pas encore entré en guerre, quitte la France pour les États-Unis. Quelques semaines plus tard, Charlotte Salomon s'installe seule à la pension La Belle Aurore[8] à Saint-Jean-Cap-Ferrat, afin de se remettre au travail d'artiste peintre.

C'est là qu'elle va élaborer le grand œuvre de sa vie : Leben? oder Theater? (littéralement : « Vie ? ou Théâtre ? »)

1942-1943 : en zone d'occupation italienne

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Le , en réponse au débarquement anglo-américain en Afrique du nord, les Allemands envahissent la zone non occupée à l'exception de la partie dévolue à l'occupation italienne, qui inclut la région de Nice. Pour les réfugiés juifs, c'est un bienfait, car aucune mesure antisémite n'est prise en zone italienne.

Fin 1942, Charlotte Salomon rejoint son grand-père à Nice, car elle ne peut rester en France que sur la base de son statut de personne responsable de son grand-père. Son œuvre laisse cependant deviner que leurs relations sont entachées d'abus de la part du grand-père[9] : Charlotte confesse que ce qu'elle doit faire pour son grand-père lui fait honte, et qu'il lui demande de partager sa chambre. Elle raconte aussi dans Vie ? ou Théâtre ? que dix nuits dans un train bondé lui sont moins pénibles qu'une seule avec son grand-père. En 2015, une de ses lettres rendue publique révèle qu'elle a empoisonné son grand-père[10] en lui préparant une omelette au véronal[11] en février 1943. Elle dessine son portrait pendant que le poison agit[12],[13].

Le , Charlotte Salomon épouse à Nice Alexander Nagler, né le à Czernowitz[14], un réfugié juif de nationalité autrichienne qui aurait été un amant d'Ottilie Moore (cs)[réf. nécessaire].

Septembre-octobre 1943 : occupation allemande et déportation

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Après que l'Italie a signé l'armistice avec les Alliés en et que Mussolini a été remplacé comme chef de gouvernement par le maréchal Badoglio, l'armée allemande envahit la zone d'occupation italienne en France. Commence alors pour les Juifs la traque et la déportation.

C'est à la suite d'une dénonciation que Charlotte Salomon et son époux sont arrêtés. N'ayant pas caché leur judéité au moment de leur mariage et ayant fait une déclaration de résidence en tant que juifs, leur cas est rapidement déféré à la Gestapo.

D'abord emmenés à l'hôtel Excelsior — siège niçois de la Gestapo — le 21 ou le , ils sont transférés au camp de Drancy, d'où le , ils sont acheminés vers Auschwitz par le convoi no 60.

Le , immédiatement après son arrivée, Charlotte, enceinte de cinq mois, est envoyée à la mort dans une des chambres à gaz d'Auschwitz-Birkenau. Son époux meurt le 1er janvier suivant d'épuisement au travail.

Gouache tirée de la série Est-ce la vie ou du théâtre ? (vers 1940-1942)[2].

Charlotte Salomon fait des études d'art à Berlin et commence à peindre avant la guerre.

Alors que tous les événements relatifs aux persécutions, aux arrestations, à la guerre et à sa propre histoire la plongent dans une crise profonde, elle entreprend, pour lutter contre le désespoir lors de son séjour en France, de peindre une série de peintures sur papier. De la fin 1940 à la mi-1942, elle se consacre à cette œuvre autobiographique Leben? oder Theater?, sous-titrée « ein Singspiel ».

En 18 mois, elle peint environ 1 325 gouaches et aquarelles en se limitant, pour faire toutes ses couleurs, au blanc, au rouge vermillon, au jaune moyen et au bleu outremer sur un format quart-raisin. Elle choisit de n'en terminer vraiment qu'un peu plus de 800.

Ces images montrent sa famille et ses amis, dont elle change les noms de famille, mettent en scène son enfance et sa jeunesse mais aussi les événements qu'elle a traversés. Cette œuvre complexe s'accompagne parfois aussi de textes et de musiques. Les textes, poétiques souvent, parsemés de citations de la littérature allemande, sont écrits en lettres capitales et inscrits dans ses planches, un peu à la manière d'une bande dessinée.

Peu avant son arrestation, en lui disant « Gardez-les bien, c’est toute ma vie », elle confie les gouaches de Leben? oder Theater?[15] à un ami proche, le docteur Moridis, afin qu'il les remette plus tard à Ottilie Moore.

De retour en Europe en 1946, cette dernière reçoit du Dr Moridis l'ensemble de l'œuvre picturale de Charlotte Salomon et le transmet, en 1947, aux parents Salomon. Albert Salomon, rescapé après s'être évadé du camp de concentration de Westerbork aux Pays-Bas, et son épouse Paula ont survécu au conflit.

Totalement ignorants de l'existence de l'œuvre de leur fille, ils la conservent dans cinq boîtes soigneusement entourées de tissu. Ils n'en parlent qu'à leur ami Otto Frank, le père d'Anne Frank, venu leur demander leur avis concernant la biographie de leur fille[10]. En 1959, ils en signalent l'existence au Stedelijk Museum d'Amsterdam et plusieurs expositions s'ensuivent.

Le , Albert Salomon (mort en 1976) et son épouse (morte en 2000) donnent au musée historique juif (Joods Historisch Museum), le musée d'histoire juive d'Amsterdam, cette œuvre autobiographique et unique en son genre.

Publication

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Expositions

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Charlotte Salomon dans les arts et la littérature

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Musique

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L'opéra Charlotte Salomon au festival de Salzbourg en 2014.

Théâtre

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Cinéma

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Hommages

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  • Des Stolpersteine, pavés enchâssés dans la chaussée, créés par Gunter Demnig, notamment en Allemagne, en mémoire des victimes des nazis, rendent hommage à Charlotte Salomon et ses proches.
  • Charlotte Salomonlaan, à Pijnacker, près de Delft, Pays-Bas
  • Charlotte Salomon-Hain, à Berlin, quartier de Rummelsbourg

Notes et références

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  1. Photographie anonyme, Amsterdam, musée historique juif.
  2. a b et c Amsterdam, musée historique juif.
  3. Aujourd'hui : Sophie-Charlotte-Oberschule.
  4. Surnommée par Charlotte « Paulinka » dans son œuvre Leben? oder Theater? (Vie? ou Théâtre ?).
  5. Sur la recommandation de Kurt Singer, ex-directeur de l'Opéra de Berlin, fondateur du Kulturbund Deutscher Juden, l'Union culturelle des Juifs allemands, autorisée par le régime.
  6. « Charlotte Salomon (1917-1943), "Leben ? oder Theater ? " ("Vie ? ou Théâtre ? ") », sur France Culture (consulté le ).
  7. Cf. acte de décès de Marianne BENDA épouse GRUNWALD, née le à Berlin, en ligne sur le site des AD O6, Registre des décès 1940/1, vue 300/554, acte n° 1159. L'acte indique l'adresse de la Villa Eugénie, avenue Neuscheller, qui est mentionnée dans le livre de David Foenkinos ; en revanche, celui-ci mentionne une date de funérailles (8 mars) qui est donc erronée. Généalogie sur le site Geni : Marianne Grünwald (Benda).
  8. Aujourd'hui Hôtel Villa Cap Ferrat.
  9. (en-US) « The Painter Charlotte Salomon Killed Her Grandfather. Then the Nazis Killed Her. », Jewniverse,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  10. a et b « L’art, la vie, le poison », L'Humanité,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  11. Toni Bentley, « The Obsessive Art and Great Confession of Charlotte Salomon », The New Yorker,‎ (ISSN 0028-792X, lire en ligne, consulté le ).
  12. Natalie Levisalles, « Charlotte Salomon, éclats de gouache », Libération.fr,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  13. (en-US) « Holocaust Victim Charlotte Salomon's Intensely Personal Oeuvre Will Be Showcased for the First Time in Amsterdam », artnet News,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  14. Klarsfeld, 2012.
  15. Voir sur jhm.nl.
  16. www.jhm.nl.
  17. Charlotte Salomon.
  18. Voir sur forumopera.com..
  19. (en) « Charlotte », sur Theaturtle (consulté le ).
  20. https://luminatofestival.com/2017/Events/Charlotte-A-Tri-Coloured-Play-with-Music.
  21. « Recommend|Asia Premiere in Taipei », sur wsd2017.com (consulté le ).
  22. (en) « Review : Charlotte - A Tri-Coloured Play with Music ★★★★ - Charlotte Salomon's autobiographical work explodes onto the stage in glorious tri-colour — Jewish Renaissance », sur Jewish Renaissance (consulté le ).
  23. (en) « The Isabel Bader Centre for the Performing Arts at Queen’s University Presents Charlotte : a Tri-Coloured Play with Music/ my/maSCENA », sur my/maSCENA, (consulté le ).
  24. « Charlotte - Théâtre du Rond-Point Paris », sur Théâtre du Rond-Point Paris (consulté le ).
  25. « CHARLOTTE - La Seine Musicale - Boulogne-Billancourt, 92100 - Sortir à Boulogne-Billancourt », sur leparisien.fr (consulté le ).
  26. (en) « Keira Knightley To Lead Voice Cast Of Animated Drama 'Charlotte' », sur Deadline Hollywood, .
  27. François Lévesque, « «Charlotte»: Marion Cotillard prête sa voix à Charlotte Salomon », sur Le Devoir, .
  28. Véronique Cauhapé, « « Charlotte » : une biographie animée de la peintre Charlotte Salomon », Le Monde,‎ (lire en ligne).
  29. Sorj Chalandon, « Douleurs primaires », Le Canard enchaîné, no 5385,‎ , p. 7 (ISSN 0008-5405).

Annexes

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Bibliographie

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Articles connexes

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Liens externes

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