Christophe Bourdin
Christophe René Yves Bourdin, né le à Épinal, est l’auteur d’un unique roman autobiographique, Le Fil, l’un des premiers témoignages littéraires sur le sida. Il est mort des suites de cette maladie le à Villejuif[1].
Biographie
modifierLe jeune Christophe Bourdin mène une vie extrêmement précautionneuse, il sort peu, il se définit lui-même comme hypocondriaque, ainsi que le résume l'incipit de son roman autobiographique Le Fil : « Tu prévoyais des dangers partout. » Homosexuel à Paris alors que l’épidémie de sida fait des ravages, il apprend sa séropositivité avant d’avoir vingt ans. Étudiant en lettres, bientôt professeur, il est habité par le désir d’écrire, et la crainte de la maladie, puis la maladie elle-même, deviennent le sujet de son journal, qui prend peu à peu l'ambition d'un livre[2]. Le manuscrit du Fil, d'abord refusé par les grands éditeurs (Gallimard, Grasset)[3] est publié par les Éditions de la Différence en 1994. Utilisant successivement les temps du passé, du présent et du conditionnel présent, le livre est composé de trois parties : « Temps des hypocondries », rédigé à la deuxième personne, « Temps de l'agonie », journal à la première personne, et « Temps du rêve », brève échappée de quelques pages, denses et oniriques[4].
Une édition poche du Fil paraît en 1996 dans la collection Folio[5], à l’initiative de l’éditeur Yvon Girard, avec une illustration de Loïc Loeiz Hamon en couverture.
Christophe Bourdin meurt le 27 mars 1997 à l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif.
Réception
modifierÀ sa sortie en 1994, l’ouvrage est salué comme un témoignage réaliste et, à la fois, œuvre littéraire : « Pour une fois, pourtant, un "premier roman" suscité par le sida (on ne parle pas ici des écrivains qui ont été affrontés, à un moment de leur œuvre, à cette maladie) se réclame de la littérature » (Le Monde)[3] ; « D’autres, beaucoup, ont donné des documents, des témoignages, qu’il n’est pas question de négliger. Mais Bourdin représente ce paradoxe : un écrivain dont le passé a été tout de suite confisqué, et sans futur » (Michèle Bernstein dans Libération)[6]. Dans L'Express, Angelo Rinaldi considère également Le Fil comme une œuvre romanesque, allant au-delà « du témoignage, du document, de l'urgence »[7].
Dans Le Monde à nouveau en 1996, Fabienne Darge[8] écrit : « Ce Fil tenu par la Parque qui mène à la mort est sans doute ce qu'on peut lire de plus juste sur le sida », tandis que dans l'émission de France 3 Un livre, un jour, le critique littéraire Olivier Barrot déclare : « C'est l’œuvre d’un homme qui se découvre séropositif et, en même temps, écrivain »[9].
Enfin, dans le magazine littéraire Le Matricule des anges, Christophe Kantcheff note que ce « livre pourrait être celui d’une génération, à laquelle Bourdin fait lui-même allusion. Celle dont le destin aura été vite écarté de l’Histoire, mais qui aura vécu "les histoires du sida" »[10].
Le Fil est sélectionné[11] en 1994 pour Prix Médicis et repéré par le Britannica Book of the Year 1995[12] dans la catégorie littérature française.
Analyse de l’œuvre
modifierLe Fil peut se lire comme un récit d'apprentissage d'une maladie[13] nouvelle et encore méconnue. Au cours du roman, les angoisses du narrateur vis-à-vis des maladies laissent progressivement place à l'observation attentive des manifestations de son sida, à la fois dans la douleur du corps des autres[14] et son propre reflet renvoyé par le miroir[4] . Dans le « Temps des hypocondries », le recours à la deuxième personne du singulier et l'usage de l'imparfait installent un décalage entre le narrateur et sa maladie. L'inspection minutieuse des signes émis par le corps défaillant et leur énumération précise, visant à cerner chaque symptôme, participe à la construction d'une « épistémologie du sida »[15] comparable à celle menée par Hervé Guibert dans À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie et du Protocole compassionnel[4].
La structure du livre en trois temps peut évoquer celle de Ève de Guy Hocquenghem (1989)[16].
Postérité
modifierÀ l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida, des extraits du Fil sont lus en public sur France Culture le 30 novembre 1996, puis le 1er décembre par sept cents comédiens sur les scènes de cent vingt théâtres, sous l'impulsion du metteur en scène Alain Neddam et de son équipe de Sida solidarité spectacle : à la Comédie française, au Centre Georges-Pompidou, à la Cité des Sciences par la troupe du Théâtre national de Strasbourg[17], au Point du Jour à Lyon, à la Cartoucherie à Vincennes, aux Amandiers à Nanterre, au Cargo à Grenoble.
Le Fil est considéré comme un témoignage important ayant contribué à briser l'omerta sur la sida[18] dans les années 1990, aux côtés de ceux d'Hervé Guibert, Pascal de Duve, Bertrand Duquênelle, et Gilles Barbedette.
Le livre est republié en 2024 par Gallimard au sein de la collection L'Imaginaire, enrichi de deux préfaces signées Anthony Passeron et Clément Ribes.
Publication
modifierLe Fil, Éditions de La Différence, 1994 ; réédition Gallimard, collection « Folio » ; 1996, réédition Gallimard, collection « L'Imaginaire », 2024.
Références
modifier- Relevé des fichiers de l'Insee
- Emmanuel Hirsch, Soigner l'autre : l'éthique, l'hôpital et les exclus, Paris, Belfond, (ISBN 2-7144-3548-3, lire en ligne), p. 27.
- Rédaction, « Un rêve de vie », Le Monde, (lire en ligne )
- Antonella Lipscomb, « Miroirs, regards et reflets de soi dans Le fil (1994) de Christophe Bourdin », Çédille, no 21, , p. 367–388 (DOI 10.25145/j.cedille.2022.21.18, lire en ligne, consulté le )
- Christophe Bourdin, Le fil, Gallimard, coll. « Collection Folio », (ISBN 978-2-07-040194-9, lire en ligne)
- Michèle Bernstein, « Christophe Bourdin. Le soleil ni le sida… », Libération, , p. 21
- « LIVRES », L'Express, , p. 106
- Fabienne Darge, « Le sida au fil du récit », Le Monde, (lire en ligne )
- Olivier Barrot, « Un livre, un jour, Christophe Bourdin : Le fil », sur INA, .
- Christophe Kantcheff, « Bourdin : la vie à un fil », Le Matricule des anges, (lire en ligne)
- « Entracte », Les Échos, , p. 54
- John J. Patrick, Britannica book of the year 1995 brown., Encyclopaedia Britannica, (ISBN 99948-3-326-X et 978-99948-3-326-9, OCLC 948302810, lire en ligne), p. 222
- Jean-Marie Roulin, Fragments d’un discours d’apprentissage : Le Fil de Christophe Bourdin et L’Apprentissage de Jean-Luc Lagarce, Brill, (ISBN 978-90-04-32597-5, DOI 10.1163/9789004325975_007, lire en ligne)
- Claude Foucart, « Le sida et la douleur », Université de Lyon III, (lire en ligne)
- Maxime Foerster, « Perceptions, suspicions et expressions du sida dans Le Fil de Christophe Bourdin et Le Gai cimetière de Marie-Pierre Pruvot », International Colloquium for 20 and 21 century French and Francophone studies: « Le sens et les sens. », University of Indiana, Bloomington, USA., (lire en ligne)
- Benjamin Gagnon Chainey, « Survivances queers des esthètes : un pas de deux entre Joris-Karl Huysmans et Hervé Guibert », Université de Montréal, (lire en ligne, consulté le )
- Nathalie Gabbai, « À célébrer : Journée mondiale », Libération, (lire en ligne)
- Didier Eribon, Frédéric Haboury et Arnaud Lerch, Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes, Larousse, (ISBN 2-03-505164-9 et 978-2-03-505164-6, OCLC 300482574, lire en ligne), p. 436