Circonscription-clé

Une circonscription-clé ou « swing circonscription »[1], « swing circo »[2],[3], « circonscription tangente »[4], ou « circonscription très serrée », notion dérivée de celle de swing state aux États-Unis, désigne une circonscription qui peut facilement basculer lors d'une élection législative[5]. Elles étaient au nombre de 160 lors des législatives de 2024.

En France, l'expression a émergé en 2017 puis fleuri en 2022 quand au total, « 92 députés ont été élus avec moins de 1 000 votes d’écart, dont 13 avec moins de 100 voix »[6]. Leur nombre est évalué en 2024 à 150 avant le premier tour[7] et à 160 après, dans une situation inattendue de forte participation, de percée du RN, et de grand nombre désistements, dans laquelle le parti socialiste a 136 qualifiés au second tour, près de trois fois plus que les 54 de 2022.

Définition

modifier

Cette notion, de science politique, dérivée de celle de swing politique, venue du monde anglo-saxon, correspond à celle de « circonscription changeante » dans la province canadienne du Québec. En France, ces circonscriptions-clés[8], dites aussi « très serrées »[8], sont appelées « swing circonscriptions » ou « swing circos »[9],[10] et sont scrutées de près par la presse régionale[10] et nationale[11],[12],[13],[14],[15],[9] ; elles jouent un rôle majeur dans l'obtention d'une majorité absolue ou relative. Certaines sont rurales, d'autres urbaines[16].

Histoire

modifier

En 2012, les experts parlent de la notion de "circonscriptions tangentes" et en identifient une soixantaine où le duel se joue à deux points d'écart, environ 500 voix[17].

Selon le journal Marsactu, le vocabulaire semi anglais de « swing circonscription » apparait dès mai 2017 lors des législatives en France, où malgré le succès très large du parti d'Emmanuel Macron, dans 104 circonscriptions, l’écart entre les deux candidats qualifiés est inférieur à 5 points[18]. Elle est en particulier utilisée pour qualifier « celle arrachée de justesse par Valérie Boyer (LR) à Marseille en 2012 » face à Christophe Masse (PS), avec seulement « 505 voix d’avance »[19]. L'expression est utilisée par un conseiller d’arrondissement apparenté PS qui la définit comme « un endroit où les enjeux sont très forts et où tout peut arriver »[19].

Cette émergence se produit quelques mois après la victoire de Donald Trump aux États-Unis à l'élection présidentielle de novembre 2016, malgré un nombre de voix inférieur d'environ trois millions à celui de sa rivale Hillary Clinton, grâce à une victoire de justesse dans plusieurs swing states importants de la région des Grands lacs.

Exemples en France

modifier

Les swing circonscriptions en 2022

modifier

Lors des législatives 2022, la gauche a perdu « de nombreux duels très serrés », parmi ses 182 duels de second tour[20], dont 58 pour « moins de cinq points d’écart »[20]. Dans 47 cas sur 58, c'était face au parti du président[21]. Ces faibles écarts de voix ont entraîné des recours au Conseil constitutionnel dans 75 circonscriptions en 2022, dont 8 hors de France[22]. Le chef de file de la NUPES a estimé qu'environ 17 000 voix lui auraient suffi pour la majorité absolue[20] mais, selon le quotidien Le Monde, le chiffre réel est nettement plus élevé, de l'ordre de 393 344 voix. L'élection s'est jouée à moins de 500 voix dans deux circonscriptions du Nord et deux du Pas-de-CalaisLens, Desvres, Aniche ou Cambrai)[23].

Les swing circonscriptions en 2024

modifier

Avant le premier tour

modifier

Après 92 en 2022, leur nombre est estimé à 150 au premier tour en 2024 puis 160 au second, le profil des candidats y ayant par ailleurs changé.

Selon Vincent Tiberj, professeur à Sciences Po Bordeaux, la gauche a en 2024 fait « un bon choix d’avoir investi des socialistes dans de nombreuses circonscriptions gagnables mais perdues en 2022 » pour viser un meilleur report de voix au second tour qu’avec l'étiquette LFI de 2022[21], quand 92 swing circonscriptions s'étaient jouées à moins de 1 000 votes d’écart et 13 avec moins de 100 voix[6]. Les socialistes ont obtenu « la parité hors sortants » avec LFI[24], qui domine dans « les plus simples à gagner »[24], car les plus à gauche, avec ses 75 sortants, selon une analyse du quotidien Les Échos[24]. Le scrutin sera très suivi dans les « territoires davantage ruraux et périurbains » à courtiser si la gauche veut avoir une chance, selon le chercheur Simon Audebert, auteur d’une étude publiée par The Conversation et la Fondation pour l’écologie politique[21].

Le nombre élevé de procurations est lié à ce grand nombre de « Swing circos », selon le magazine L'Express[3] et constitue « une donnée majeure » selon Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes[25]. Selon un sondage Ifop pour Roole, 9 % de Français ont modifié leur date de départ en vacances pour voter, proportion montant à 16 % chez les sympathisants de gauche et 19 % chez les 18-24 ans[4]. Mais selon le sondeur Brice Teinturier, les sondages ne montrent « pas de différentiel de mobilisation extrêmement marqué en faveur d'un camp »[4]. Reste à savoir si la mobilisation se fera dans « les circonscriptions tangentes, qui peuvent faire changer le profil des territoires », selon Christelle Craplet, directrice de BVA Opinion[4], d'autant que les candidatures, moins nombreuses qu'en 2022, sont souvent concentrées « sur les trois ou quatre principales forces »[4].

Selon L'Obs, les « swings circonscriptions » sont 150 en 2024[7] et « concentrent toute l’attention des experts électoraux des partis, des instituts de sondages ou des data scientistes indépendants ». Selon le magazine, « dans la moitié des circonscriptions, les résultats devraient être sans surprise », mais « dans 150 autres cas » la compétition est « totalement incertaine »[7]. Le consultant en informatique Anthony Veyssière a croisé les chiffres des législatives et présidentielles de 2022, avec ceux des européennes 2024, pour classer les circonscriptions en quatre grands groupes : les « sûres », celles « avec un bloc favori », les « indécises 50/50 entre 2 blocs » et les « indécises entre 3 blocs »[26]. Il a par ailleurs identifié le contraire des « swings circonscriptions », 263 qui sont jugées quasiment « imperdables »[7] : 112 pour le RN et 112 pour le Nouveau Front populaire[7], 25 pour Ensemble et 14 pour les LR[7].

Un écart serré est particulièrement prévu dans au moins 78[9], parmi lesquelles la 5e de l'Essonne[27], la 2e de l'Allier, perdue de 140 voix en 2022[28], la 1re du Gers[29], la 6e de la Haute-Garonne, la 8e de Seine-et-Marne, la 7e du Val-de-Marne, la 8e des Yvelines, la 1re des Hautes-Alpes[30]. Dans le Rhône, plusieurs députés sortants macronistes ou LR pourraient perdre leurs sièges[16]. Des écarts modestes sont aussi attendus dans celles de ministres, notamment la 3e de Paris de Stanislas Guerini, déjà qualifiée en 2022 de « sorte de swing state » par Le Monde[31], où la moitié de la population a moins de 35 ans, ou celles de Clément Beaune (7e de Paris), Olivier Véran (1re de l'Isère) Gabriel Attal, Sabrina Agresti-Roubache (1re des Bouches-du-Rhône), Gérald Darmanin (10e du Nord) et Agnès Pannier-Runacher (2e du Pas-sz-Calais). Selon Pierre Jouvet, chargé des élections au Parti socialiste, elles sont particulièrement nombreuses en Ardèche, en Dordogne, dans la Drôme, dans la Loire-Atlantique, en Meurthe-et-Moselle, et à Marseille[25]. À Paris, « le contexte de forte mobilisation » électorale pourrait « renverser la balance » dans les « circonscriptions clés », en particulier les 1re, 2e et 4e, détenues par le parti du président[32].

En 2024, une circonscription compte en moyenne 120 000 habitants[33],[34]. La magnitude des circonscriptions, bien qu'en baisse au XXIe siècle, est encline à faire jouer un rôle important aux swing circonscriptions. En 2022, Le Monde observait qu'environ 17 000 voix suffisaient à se maintenir au second tour dans la 3e circonscription de la Vendée, contre seulement 631 à Saint-Pierre-et-Miquelon, et « 29 000 pour les Français d’Amérique du Nord »[33], la taille des circonscriptions « allant presque du simple au triple », comme le montre l'exemple concret de différence de taille entre la 2e circonscription du Cantal (62 753 habitants) et la 5e de la Loire-Atlantique (167 177 habitants)[33].

Après les désistements d'entre-deux tours

modifier

Le premier tour a placé le RN en tête dans « 160 circonscriptions, des territoires ruraux et périurbains pour la plupart », ou « l’incertitude demeure particulièrement grande », souligne l'hebdomadaire L'Obs[5], en observant qu'il est présent au second tour dans 155 d'entre elles et que les désistements au profit du NFP même « beaucoup plus sélectifs » que ceux dans l'autre sens[5], modifient la donne. Selon L'Obs, « même si le RN emportait les trois quarts des swing circos, il se situerait alors autour de 250-260 circonscriptions remportées, au-dessous des 289 »[5].

Le RN est en tête dans 214 des 409 duels de second tour après désistements[35], avec une avance de 10 à 20 % dans 90 d'entre eux[35], tandis que pour 21 autres l’écart est de moins de 1 %[35]. La plupart des 89 triangulaires après désistements ont un écart de moins de 10 % entre les deux premiers candidats[35].

Selon cette analyse, compte tenu des 76 élus du premier tour, « on peut estimer raisonnablement qu’environ 400 circonscriptions sont déjà jouées ou pratiquement jouées. Soit, au total, 135-140 pour le Rassemblement national, 110-120 pour le Nouveau Front populaire, 90 pour Ensemble, une vingtaine pour LR, et une quarantaine pour tous les divers (gauche, droite, centre, ou inclassables) » mais il en reste 160 incertaines, situées dans une trentaine de départements, « essentiellement ruraux ou périurbains »[5].

Après « de nombreux désistements, permettant d’éviter des triangulaires favorables à l’extrême droite », France 24 a listé des circonscriptions « où les écarts tenus » et cette nouvelle donne « peuvent tout changer »[36]. Le NFP a sélectionné les « swing circos » qui pourraient tout faire « basculer »[1], où « il y a de fortes incertitudes sur le gagnant », selon l'enseignant-chercheur en science politique Alessio Motta.

La partie va se jouer dans des départements « beaucoup plus périurbains » que ceux où elle s'était jouée lors des législatives de 2022, selon une analyse de Kévin Puisieux, directeur de la Fondation de l’Écologie politique, et Simon Audebert, doctorant au Centre d’Études européennes et de Politique comparée de Sciences-Po[5], qui en a identifié 25 très importantes, où plus de 50 % de la population vit dans une zone rurale ou périurbaine.

Élections locales: le cas du Conseil de Paris

modifier

Au niveau local, certains territoires ont des modes de scrutins et une géographie électorale qui rappellent l’élection présidentielle américaine, comme Paris avec l’élection indirecte du maire via le Conseil de Paris : l’ouest parisien vote au centre et à droite, l’est parisien à gauche, et les 5e, 12e et 14e arrondissement jouent le rôle d’arrondissements balances.

Références

modifier
  1. a et b "Législatives 2024 : Comment le NFP a sélectionné les « swing circos » qui pourraient tout faire « basculer », Diane Regny le 02/07/2024 dans 20 Minutes [1]
  2. Les «swing-circos»: ces territoires qui pourraient basculer", par Kevin Dupont, le 26 juin dans Le Vif/L'Express premier hebdomadaire d'information en Belgique francophone [2]
  3. a et b "Swing circos" craintes d'infiltration... L'âpre bataille autour des procurations" par Valentin Baudin dans L'Express le 24/06/2024 [3]
  4. a b c d et e Article de Noémie Lair le 28 juin 2024 sur France Bleu [4]
  5. a b c d e et f « « Swing circos » : ces circonscriptions où tout va se jouer », par Matthieu Aron, Noé Megel et Ingrid Gallois dans L'Obs le 2 juillet 2024 [5]
  6. a et b Marie Maison, « Législatives 2022 : les candidats battus à quelques voix près peuvent-ils demander un recomptage ? », sur www.lemonde.fr (Le Monde), .
  7. a b c d e et f "Législatives 2024 : ces 150 circonscriptions où tout devrait se jouer" par Matthieu Aron, Ingrid Gallois et Noé Megel le 28 juin 2024 [6]
  8. a et b "Législatives 2024 : ce que l’on sait pour l’instant sur les projections électorales dans les 577 circonscriptions" par Luc Bronner dans Le Monde le 13 juin 2024 [7]
  9. a b et c Article par Alexandra Schwartzbrod le 19 juin 2024 dans Libération [8]
  10. a et b "Vivez-vous en Bretagne dans une « swing circo », ces circonscriptions qui peuvent basculer aux législatives ?", par Blandine Le Cain et Juliette Pirot Berson, dans Le Télégramme le 20 juin 2024
  11. "Elections législatives : les « circos » à surveiller", article par Louis Mollier-Sabet, le 12 juin 2022 sur Public Sénat [9]
  12. "Législatives 2024 : On a suivi une opération de « phoning » pour le Nouveau Front populaire" par Emilie Petit dans 20 Minutes le 19 juin 2024 [10]
  13. "À Limoges, la « méthode Ruffin » s’adapte à une campagne éclair" par Mathieu Dejean, le 19 juin 2024 dans Médiapart []
  14. Newsday, 18 juin 2022 [11]
  15. "Dans l’Essonne, l’optimisme infaillible des « vieilles du porte-à-porte », article dans Politis le 21 juin 2024 [12]
  16. a et b "Législatives : focus sur les « swing circos » du Rhône"sur Rue89 [13]
  17. "Porte à porte Reconquérir la démocratie sur le terrain" par Guillaume Liégey, Arthur Muller, et Vincent Pons en 2013 [14]
  18. "Législatives : 104 circonscriptions où pèse l’incertitude" par Patrick Roger, dans Le Monde le 13 juin 2017 [15]
  19. a et b "La 1ère circo, ce “swing state”, reportage par Coralie Bonnefoy, dans le journal Marsactu le 22 Mai 2017 [16]
  20. a b et c "La Nupes à 16 000 voix de la majorité relative à l’Assemblée ? L’écart était en réalité plus élevé". Article par Pierre Breteau dans Le Monde le 23 juin 2022 [17]
  21. a b et c Fabien Escalona, « Ce que la gauche peut (raisonnablement) espérer des législatives », sur www.mediapart.fr (Médiapart, .
  22. "Législatives : 91 recours de candidats malheureux reçus par le Conseil constitutionnel", dans Le Courrier des maires le 01/07/2022 [18]
  23. Article sur France3 par Martin Vanlaton le 19/06/2024 [19]
  24. a b et c Article par Hadrien Valat le 12 juin 2024 dans Les Échos [20]
  25. a et b "Pour gagner, le Nouveau Front populaire anticipe sa stratégie de second tour", par Mathieu Dejean, dans Médiapart le 23 juin 2024 [21]
  26. En croisant aussi avec les derniers sondages sur les législatives 2024, il prévoit un RN en majorité relative avec 234 sièges dont 24 pour l'alliance Ciotti-RN et 214 députés Front Populaire dont 92 pour LFI, ou encore 95 députés Ensemble et 35 LR.
  27. "23 CIRCONSCRIPTIONS À SUIVRE PARTICULIÈREMENT" par Hortense de Montalivet, BFM 22/06/2024 à[22]
  28. Article de Evan Lebastard le 19 juin 2024 dans France Bleu Pays d'Auvergne[23]
  29. Article le 27/06/2024 dans La Dépêche par Benjamin Calvez [24]
  30. La Dépêche le 20/06/2022 [25]
  31. Article dans Le Monde par Denis Cosnard, dans Le Monde du 3 juin 2022 [26]
  32. [27]
  33. a b et c Article par Romain Imbach et Maxime Ferrer le 24 mai 2022 dans Le Monde [28]
  34. Article par Robin Prudent, Brice Le Borgne, pour France Télévisions le 20 juin 2022 [29]
  35. a b c et d "Législatives : quel écart entre les candidats au second tour dans chaque circonscription ?" Article dans Ouest-France par Yiqing Qi, avec Erwan Alix et Nolwenn Chappelon le 4 juillet 2024 [30]
  36. "Législatives : les circonscriptions où les désistements peuvent changer la donne" le 01/07/2024 sur France 24 [31]

Articles connexes

modifier

Liens externes

modifier