Conquête de Tunis (1535)
La conquête de Tunis de 1535 oppose les troupes de Khayr ad-Din Barberousse et celles de l'empereur Charles Quint pour le contrôle de Tunis, alors sous domination ottomane depuis sa conquête en 1534.
de 1535
Date | - |
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Lieu | La Goulette et Tunis, Ifriqiya |
Issue | Victoire espagnole |
Changements territoriaux |
Prise de Tunis par les Espagnols Occupation de La Goulette |
Hafsides Empire ottoman France |
Saint-Empire Monarchie espagnole États pontificaux République de Gênes Portugal Hospitaliers |
Khayr ad-Din Barberousse | Charles Quint García Álvarez de Tolède Ferdinand Alvare de Tolède Andrea Doria Álvaro de Bazán Louis de Portugal |
82 galères[1] 2 galères[2] |
398 navires 27 000 hommes dont : |
30 000 civils[3] | Inconnues |
Coordonnées | 36° 48′ nord, 10° 10′ est | |
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Elle s'achève avec l'établissement d'une tutelle espagnole sur le gouvernement de Tunis et par l'occupation de La Goulette. Les Ottomans reprennent la ville en 1574.
Contexte
modifierCharles Quint est, au début du XVIe siècle le prince chrétien le plus puissant : roi d'Espagne (Castille et Aragon), roi de Naples et de Sicile, il est aussi maître des Pays-Bas et des possessions autrichiennes des Habsbourg, et de surcroît empereur du Saint-Empire romain germanique. L'Espagne contrôle cependant quelques présides ou points d'appui au Maghreb — Melilla depuis 1497, Mers el-Kébir depuis 1505, le Peñón de Vélez de la Gomera depuis 1508, Oran depuis 1509, Bougie et Tripoli depuis 1510 — et a un accord avec la dynastie hafside de Tunis. Elle échoue par contre en 1510 dans la prise de Djerba et en 1511 aux îles Kerkennah[4].
Son principal ennemi est l'Empire ottoman. Les frères Arudj et Khayr ad-Din Barberousse cherchent à s'installer au Maghreb. Ils prennent Jijel en 1514 et, en 1516, le contrôle de la régence d'Alger. En 1519, Khayr ad-Din est sultan d'Alger et vient, en 1534, se placer sous le contrôle ottoman. La même année, il se rend auprès de Soliman le Magnifique pour lui proposer un plan de conquête de la Méditerranée. Il est prévu la reconquête de tous les présides espagnols, puis la conquête de la Corse, la Sardaigne, la Sicile et enfin des Baléares[5].
Crise tunisienne (1534)
modifierKhayr ad-Din Barberousse souhaite conquérir Tunis. La proximité du site avec l'Italie en fait une bonne base de départ pour attaquer la Sicile, la Sardaigne et le royaume de Naples. Il profite des querelles de succession qui, à Tunis, affaiblissent la dynastie hafside : le sultan, Abû `Abd Allâh Muhammad V al-Hasan, ne contrôle plus que la capitale et ses alentours. Le , Barberousse s'empare de Tunis et parvient même à installer une garnison à Kairouan. Mais Charles Quint décide de réagir : après l'expérience malheureuse du Peñón d'Alger, il ne peut permettre à Barberousse d'installer une nouvelle base corsaire[6].
Forces de Charles Quint
modifierLe , Charles Quint prend la tête d'une expédition forte de 250 navires, dont 25 caravelles du roi du Portugal et 48 galères, ainsi que 25 000 hommes, fantassins et cavaliers, ainsi que de nombreux aventuriers. Il réussit à réunir à Barcelone, autour du pape Paul III, Gênes avec son amiral Andrea Doria, la noblesse portugaise avec l'infant Louis (en), le beau-frère de Charles Quint, les troupes germaniques et italiennes commandées par le marquis del Vasto, gouverneur de Milan et les Hospitaliers de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem. Manquent à l'appel, les Vénitiens, plutôt associés dans le commerce avec les Ottomans et la France, plutôt adversaire de Charles Quint[7].
Déroulement
modifierBarberousse place 200 janissaires dans la forteresse de La Goulette. Il s'enferme avec 200 autres hommes dans la kasbah de Tunis. Après avoir enfermé les chrétiens, il menace de les faire exécuter mais nombreux sont ceux qui meurent de soif pendant le siège[7].
Le siège de La Goulette dure plus d'un mois. Charles Quint s'en empare finalement le [7].
Toute résistance étant devenue aléatoire, Barberousse s'enfuit avec les restes de son armée vers Bône puis Alger, tandis que Charles Quint entre dans Tunis le [7], par le faubourg de Bab Souika.
Conséquences
modifierCharles Quint à Tunis
modifierCharles Quint et sa suite s'installent dans la résidence hafside de la kasbah, dont les appartements sont d'une « magnificence extraordinaire et meublés royalement »[8].
Traité avec le sultan hafside
modifierPendant ce temps, au camp de La Goulette, la chancellerie impériale établit le traité de paix qui doit être conclu avec Muhammad al-Hasan, rétabli sur son trône. Ce traité, signé le , place le souverain hafside sous la protection de l'empereur et de ses successeurs : « Le roi de Tunis reconnaît que l'empereur était venu en personne avec une puissante armada prendre les forteresses et la ville de Tunis, pour chasser le tyran Barberousse et le rétablir sur son trône »[9]. En contrepartie, le sultan s'engage à rendre tous les esclaves qui se trouvent dans son royaume, à leur garantir la liberté de circuler et de voyager à leur guise. À compter de ce jour, ni lui ni ses successeurs ne peuvent capturer ni avoir d'esclaves chrétiens, sujets de l'empire ou des couronnes d'Espagne, de Naples et de Sicile. L'empereur Charles Quint, son frère le roi Ferdinand, ou un autre prince qui leur succéderait ne pourront pas non plus consentir qu'il y ait dans leurs domaines des captifs maures sujets du roi de Tunis[9].
Celui-ci accepte sur son territoire la présence de chrétiens en leur accordant la liberté de culte. Il doit par ailleurs refuser d'accueillir les Maures de Grenade, de Valence, d'Aragon et autres endroits du ressort de l'empereur. Il s'engage à les expulser[9]. Il remet à l'empereur tous les droits qu'il détient sur les villes de Bône, Bizerte et Africa, ainsi que plusieurs autres forts occupés par Barberousse, afin de pouvoir l'expulser ainsi que tous les corsaires qui y ont trouvé refuge[9]. Il cède La Goulette à Charles Quint, ainsi que les terres situées une demi-lieue alentour. Les Espagnols ne devaient pas empêcher les habitants de Carthage de prendre de l'eau dans les puits situés à la Tour de l'Eau[9]. Il laisse aux chrétiens de La Goulette toute liberté de commercer dans tout le royaume, en échange il recevra les taxes sur les achats et les ventes de marchandises. S'il y a délit, seul le capitaine du fort a autorité et peut les punir[9].
Pour l'entretien de la garnison de la forteresse, le sultan s'engage à payer 12 000 ducats d'or par an. S'il ne satisfait à ce tribut, le capitaine général peut la prélever sur les rentes du royaume. Il reconnaît, réciproquement, la liberté de commercer dans tout son royaume aux sujets de l'empereur. Seul un juge désigné par l'empereur peut connaître les causes, juger et châtier les délinquants[9]. Ses successeurs devront remettre tous les ans, au , un impôt consistant en six chevaux et douze faucons sous peine de 50 000 ducats d'or d'amende, 100 000 la deuxième fois. La troisième fois, ils se verraient confisquer leur royaume[9]. Dans le même temps, ses vassaux ne concluront aucune alliance et ne signeront aucun accord avec un prince maure ou chrétien qui pourrait porter préjudice à l'empereur ou aux rois d'Espagne et ses successeurs (et réciproquement)[9].
L'empereur et le sultan s'engagent réciproquement à entretenir de bons liens d'amitié, de respect réciproque et de liberté de commerce sur mer comme sur terre[9]. Enfin, le sultan et ses successeurs s'engagent à n'accueillir ni corsaires ni pirates, ni aucun ennemi, en jurant de tout faire pour lutter contre eux[9].
Situation des Juifs de Tunis
modifier« Les Juifs étaient... en grand nombre à Tunis » rapporte Joseph Ha-Cohen (en), l'auteur de La vallée des pleurs[10] : « Les uns s'enfuirent dans le désert, où, consumés par la soif et la faim, réduits à la plus extrême détresse, ils se virent dépouillés par les Arabes de tout ce qu'ils avaient pu emporter et beaucoup d'entre eux périrent alors ; les autres furent massacrés par les chrétiens lors de leur irruption dans la ville : d'autres encore furent emmenés en captivité par le vainqueur, sans que personne vînt à leur aide en ce jour de la colère divine... »[11].
Situation précaire
modifierLe , Charles Quint quitte Tunis et La Goulette en laissant une garnisons de vétérans. Muhammad al-Hasan est restauré sur le trône hafside mais ses sujets ne lui pardonnent pas d'avoir souscrit un traité avec Charles Quint[12]. Par ailleurs, Charles Quint commet l'erreur de ne pas poursuivre Barberousse jusqu'à Alger. La conquête n'a donc pas modifié les rapports de force[12].
Arts
modifierJan Cornelisz Vermeyen, peintre et tapissier, se voit chargé d'immortaliser la bataille. Les nombreux croquis qu'il y réalise servent notamment pour une suite de douze tapisseries, commandées par Marie de Hongrie[13].
Notes et références
modifier- (en) Roger Crowley, Empires of the sea : the final battle for the Mediterranean, 1521-1580, Londres, Faber & Faber, , 328 p. (ISBN 978-0-571-23231-4), p. 61.
- Edith Garnier, L'Alliance impie : François Ier et Soliman le Magnifique contre Charles Quint, Paris, Éditions du Félin, , 304 p. (ISBN 978-2-86645-678-8), p. 96.
- (en) Micheal Clodfelter, Warfare and Armed Conflicts : A Statistical Encyclopedia of Casualty and Other Figures, 1492-2015, Jefferson, McFarland, , 844 p. (ISBN 978-0-7864-7470-7, lire en ligne), p. 25.
- Brogini et Ghazali 2005, paragraphe 4.
- Brogini et Ghazali 2005, paragraphe 20.
- Brogini et Ghazali 2005, paragraphe 48.
- Brogini et Ghazali 2005, paragraphe 49.
- Revue tunisienne, vol. XIII, Tunis, Institut de Carthage, 1906, p. 304.
- Brogini et Ghazali 2005, paragraphe 50.
- Joseph Ha-Cohen (en), La vallée des pleurs : chronique des souffrances du peuple juif, Paris, Centre d'études Don Isaac Abravanel, , 262 p., p. 110-111.
- Michel Abitbol, « Juifs d'Afrique du Nord et expulsés d'Espagne après 1492 », Revue de l'histoire des religions, vol. 210, no 1, , p. 49–90 (DOI 10.3406/rhr.1993.1415, lire en ligne, consulté le ).
- Brogini et Ghazali 2005, paragraphe 52.
- Sabine van Sprang, Musée d'art ancien : œuvres choisies, Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, , 238 p. (ISBN 90-77013-04-0), p. 70.
Voir aussi
modifierBibliographie
modifier- Anne Brogini et Maria Ghazali, « Un enjeu espagnol en Méditerranée : les présides de Tripoli et de La Goulette au XVIe siècle », Cahiers de la Méditerranée, vol. 70, t. 1, , p. 9-43 (lire en ligne, consulté le )
- Luis del Mármol Carvajal et Mika Ben Miled, Histoire des derniers rois de Tunis, Carthage, Cartaginoiseries, , 164 p. (ISBN 978-9973-704-05-4, lire en ligne)