Conservatisme social au Canada

Au Canada, le conservatisme social est historiquement incarné par des partis politiques de droite tels que le parti créditiste et le parti réformiste du Canada. De nos jours, il existe une faction du Parti conservateur du Canada qui penche vers le conservatisme social.

Le Parti réformiste du Canada (1987-2000) modifier

Créé en 1987 à l'issue de la montée du populisme de droite durant les années 1980, le Parti réformiste du Canada est souvent considéré comme le premier parti fédéral prônant les valeurs du conservatisme social. Le Parti réformiste a connu de forts succès aux élections fédérales de 1993 et 1997 grâce à une plateforme articulée principalement autour d'enjeux néolibéraux visant à réduire les politiques de l'État-providence ainsi que d'enjeux populistes tels que la réforme des institutions politiques, un plus grand recours aux référendums, une plus grande transparence dans le but d'accroître le pouvoir participatif de la population au détriment du pouvoir des élites politiques et bureaucratiques[1],[2]. Malgré la prééminence d'un programme politique néolibéral et populiste, les réformistes ont prudemment, mais clairement démontré leur appui à certaines valeurs prônées par le conservatisme social[3]. Les convictions et l'entourage évangélique de Preston Manning[3], l'unique chef que le Parti réformiste du Canada ait connu, n'ont jamais laissé de doute quant à son engagement envers des croyances moralement conservatrices telles que son opposition au mariage homosexuel et à l'avortement[4]. Or, afin d'éviter que le Parti réformiste du Canada ne devienne trop fortement associé au conservatisme social, Manning n'a pas recouru à cette idéologie afin de modeler directement ses politiques publiques. À l'inverse, le parti en tant que tel était plutôt évasif en ce qui concerne le conservatisme social. Les réformistes préféraient rediriger les enjeux associés au conservatisme social vers leur agenda populiste dans la mesure où, au besoin, il reviendra au peuple de se prononcer sur ses questions par le biais de référendums[3].

L'Alliance canadienne (2000-2003) modifier

En réponse à la division de l'électorat conservateur entre les réformistes et le Parti progressiste-conservateur du Canada (PPCC) qui facilite les victoires électorales du Parti libéral du Canada, le Parti réformiste se transforme pour devenir l'Alliance canadienne (AC) et s’affiche désormais comme un parti conservateur pancanadien dont l'objectif est d'unifier la droite canadienne en fusionnant avec le PPCC[5]. Peu de temps après la formation du parti, Stockwell Day succède à Preston Manning et devient le chef de l'AC. La chefferie de Day marque sans doute la période où le programme politique des conservateurs sociaux bénéficie de sa plus grande visibilité sur la scène politique fédérale. Contrairement à l'approche « claire, mais prudente » de Manning, Stockwell Day appuyait ardemment la cause des conservateurs sociaux, particulièrement sur les questions concernant la moralité religieuse[6]. De plus, plusieurs des nouveaux membres de l'AC recrutés par Day appartenaient à des organisations évangéliques qui militaient pour le mouvement pro-vie et qui s'opposaient au mariage entre personnes de même sexe, montrant l'intention du nouveau chef à joindre le christianisme à la politique[7]. Toutefois, l'AC n'a pas été en mesure d'unir la droite canadienne avec l'approche de Day et, en 2002, Stephen Harper devient le nouveau chef du parti.

Le Parti conservateur du Canada (2003-2015) modifier

Le Parti conservateur du Canada (PCC) est né de l'unification entre le PPCC mené par Peter MacKay et l'AC menée par Stephen Harper en 2003. Harper demeure chef du PCC jusqu'en 2015 après sa défaite contre Justin Trudeau et le PLC. Avant de devenir chef de l'AC et du PCC, Harper était reconnu pour son désintérêt à l'endroit du programme politique des conservateurs sociaux, préférant se concentrer sur les enjeux de nature économique[6],[7],[8]. Pendant ses années au sein du Parti réformiste, Harper a affirmé que le parti ne devrait pas prendre de positions en ce qui concerne les enjeux moraux, notamment le mariage entre personnes de même sexe[9].

Sous Harper, le PCC a cherché à créer une coalition qui incluait l'ensemble des différentes branches du conservatisme présentes au Canada[6]. Ainsi, les conservateurs sociaux présents à l'époque de Day, ainsi que Day lui-même, sont demeurés dans le PCC et ont continué à y occuper des rôles importants[9],[10]. Le degré d’influence du conservatisme social sur les politiques du PCC sous le règne d'Harper est sujet à débat. L'étude du PCC durant les années d'Harper dévoile que l'ancien Premier ministre a simultanément cherché à limiter les ambitions politiques des conservateurs sociaux tout en leur accordant certaines concessions. L'influence des conservateurs sociaux est particulièrement visible lors des années précédant la victoire du PCC en 2006. La politique étrangère proposée par le PCC à la suite de l’arrivée d'Harper était « fondée sur la clarté morale », prônant l'importance du manichéisme, le rapprochement avec les États-Unis et le renforcement des capacités militaires du Canada. D’ailleurs, le refus du gouvernement de Jean Chrétien de participer à la guerre d'Irak en 2003 constitue pour les conservateurs d’Harper un rejet de cette clarté morale. En ce qui concerne le mariage entre personnes de même sexe, les plateformes électorales de 2004 et 2006 promettaient de rouvrir le débat sur cet enjeu. Les deux plateformes promettent de tenir un vote libre sur la définition du mariage, alors que celle de 2006 promet de « rétablir la définition traditionnelle du mariage » dans le cas où une telle résolution serait adoptée au parlement[11],[12]. Toujours dans la plateforme électorale de 2006, les conservateurs promettaient d'allouer aux familles canadiennes 100 $ par enfant âgé de moins de six ans, montant qui serait imposable au parent ayant le plus faible revenu[13]. Cette mesure a été dénoncée pour sa volonté de récompenser les familles traditionnelles, car lorsqu'un des deux conjoints, généralement la mère, n'a pas d'emploi rémunéré, aucun impôt n’était payable sur le montant alloué[14].

Il semble y avoir un consensus selon lequel le PCC, lorsqu'il a été au pouvoir de 2006 à 2015, a cherché à contenir l'influence du conservatisme social. Avec la campagne électorale de 2006, Harper aurait réussi à redéfinir le PCC en un parti plutôt « centre droit » en gardant un contrôle serré sur les conservateurs sociaux[15]. Après la défaite de la résolution parlementaire qui proposait de réexaminer la définition du mariage, Harper a clairement signalé à son parti qu’il était désormais hors de question de tenter de rouvrir le débat en ce qui concerne le mariage entre conjoints de même sexe et l'avortement[16]. Pour plusieurs, Harper et le PCC ont vu la nécessité de recourir à la politique de médiation, sachant qu'un virage trop prononcé vers le conservatisme social à tout moment risquerait de leur coûter le pouvoir[17],[16]. L'influence du conservatisme social lors des années d’Harper est ainsi souvent considérée comme étant minime ou modérée, mais elle a néanmoins fait surface à quelques reprises. Cette influence était présente dans la politique étrangère d'Harper lorsqu'il a annoncé que l'avortement serait totalement exclu de son initiative d'aide étrangère en matière de santé maternelle[18]. D'autres mesures comme la création d'un ambassadeur pour la liberté religieuse et la volonté de réformer le système correctionnel afin de le rendre davantage punitif vont en ce sens[16]. Pour ce qui est de la politique migratoire du PCC, cette dernière s'est construite autour d'un discours mettant l'accent sur une remise en question du multiculturalisme ainsi que sur la sécurité et l'identité des Canadiens[19]. Il est également noté du temps d'Harper que le PCC a tenté de redéfinir la nation canadienne autour de valeurs telles que le patriotisme et le militarisme[20].

Le Parti conservateur du Canada (2016-) modifier

Le conservatisme social continue d'avoir une présence au sein du PCC depuis leur dernière présence au pouvoir en 2015. Plusieurs regroupements anti-IVG avancent qu'entre 40 % et 56 % des membres actuels du caucus conservateur sont pro-vie[21]. La coalition entre les conservateurs sociaux et les conservateurs fiscaux est parfois source de conflit à l'intérieur du PCC. L'ancien chef progressiste Peter MacKay affirme que le conservatisme social d'Andrew Scheer est responsable de la défaite électorale du parti en 2019[22]. Les candidatures de Leslyn Lewis lors des courses à la direction du PCC en 2020 et en 2022 indiquent également que les conservateurs sociaux occupent encore une certaine présence sur la scène politique fédérale.

Notes et références modifier

  1. (en) David Morton Rayside et James Harold Farney, Conservatism in Canada, (ISBN 978-1-4426-6631-3 et 1-4426-6631-5, OCLC 871355533), « Canadian Populism in the Era of the United Right », p. 44
  2. (en) Richard W. Jenkins, « How Campaigns Matter in Canada: Priming and Learning as Explanations for the Reform Party's 1993 Campaign Success », Canadian Journal of Political Science/Revue canadienne de science politique, vol. 35, no 2,‎ , p. 383 (ISSN 1744-9324 et 0008-4239, DOI 10.1017/S0008423902778281, lire en ligne, consulté le )
  3. a b et c (en) Jonathan Malloy, David Morton Rayside (dir.) et James Harold Farney (dir.), Conservatism in Canada, (ISBN 978-1-4426-6631-3 et 1-4426-6631-5, OCLC 871355533), « The Relationship between the Conservative Party of Canada and Evangelicals and Social Conservatives », p. 190
  4. (en) David Morton Rayside, On the Fringe: Gays and Lesbians in Politics, Cornell University Press, (ISBN 978-0-8014-8374-5, lire en ligne), p. 128
  5. (en) James Harold Farney, Social conservatives and party politics in Canada and the United States, (ISBN 978-1-4426-9961-8 et 1-4426-9961-2, OCLC 806393087), « Social Conservatives and the Unified Canadian Righ », p. 114
  6. a b et c (en) Jonathan Malloy, David Morton Rayside (dir.) et James Harold Farney (dir.), Conservatism in Canada, (ISBN 978-1-4426-6631-3 et 1-4426-6631-5, OCLC 871355533), « The Relationship between the Conservative Party of Canada and Evangelicals and Social Conservatives », p. 191-192
  7. a et b (en) James Harold Farney, Social conservatives and party politics in Canada and the United States, (ISBN 978-1-4426-9961-8 et 1-4426-9961-2, OCLC 806393087), « Social Conservatives and the Unified Canadian Right », p. 116
  8. (en) Jordan Michael Smith, « REINVENTING CANADA: Stephen Harper’s Conservative Revolution », World Affairs, vol. 174, no 6,‎ , p. 24
  9. a et b (en) James Harold Farney, Social conservatives and party politics in Canada and the United States, (ISBN 978-1-4426-9961-8 et 1-4426-9961-2, OCLC 806393087), « Social Conservatives and the Unified Canadian Right », p. 117
  10. (en) Michael D. Behiels, « Stephen Harper's Rise to Power: Will His “New” Conservative Party Become Canada's “Natural Governing Party” of the Twenty-First Century? », American Review of Canadian Studies, vol. 40, no 1,‎ , p. 123 (ISSN 0272-2011, DOI 10.1080/02722010903545418, lire en ligne, consulté le )
  11. Parti Conservateur du Canada, « C’est Assez! Programme Électoral 2004 Du Parti Conservateur Du Canada », , p. 14
  12. Parti Conservateur du Canada, « Parti conservateur du Canada, “Changeons Pour Vrai: Programme Électoral Du Parti Conservateur Du Canada 2006 », p. 33
  13. Parti Conservateur du Canada, « Changeons Pour Vrai : Programme Électoral Du Parti Conservateur du Canada 2006 », p. 41
  14. (en) Karen Bird, Andrea Rowe, David Morton Rayside (dir.) et James Harold Farney (dir.), Conservatism in Canada, (ISBN 978-1-4426-6631-3 et 1-4426-6631-5, OCLC 871355533), « Women, Feminism, and the Harper Conservatives », p. 171
  15. (en) Michael D. Behiels, « Stephen Harper's Rise to Power: Will His “New” Conservative Party Become Canada's “Natural Governing Party” of the Twenty-First Century? », American Review of Canadian Studies, vol. 40, no 1,‎ , p. 133 (ISSN 0272-2011, DOI 10.1080/02722010903545418, lire en ligne, consulté le )
  16. a b et c (en) Jim Farney, « Cross-border influences or parallel developments? A process-tracing approach to the development of social conservatism in Canada and the US », Journal of Political Ideologies, vol. 24, no 2,‎ , p. 152 (ISSN 1356-9317, DOI 10.1080/13569317.2019.1589953, lire en ligne, consulté le )
  17. Jonathan Malloy, David Morton Rayside (dir.) et James Harold Farney (dir.), Conservatism in Canada, (ISBN 978-1-4426-6631-3 et 1-4426-6631-5, OCLC 871355533), « The Relationship between the Conservative Party of Canada and Evangelicals and Social Conservatives », p. 195
  18. (en) Alan Bloomfield, Kim Richard Nossal, David Morton Rayside (dir.) et James Harold Farney (dir.), Conservatism in Canada, (ISBN 978-1-4426-6631-3 et 1-4426-6631-5, OCLC 871355533), « A Conservative Foreign Policy? », p. 153
  19. (en) Magdalena Fiřtová, « Framing Canadian Immigration Discourse Under the Conservative Government (2006–2015): Breaking Path Dependence? », Journal of International Migration and Integration, vol. 22, no 1,‎ , p. 283 (ISSN 1874-6365, DOI 10.1007/s12134-019-00734-4, lire en ligne, consulté le )
  20. Manuel Dorion-Soulié, Justin Massie et Valérie Vézina, « Histoire militaire et politique étrangère : les fondements de la reconstruction néoconservatrice du nationalisme canadien », Politique et Sociétés, vol. 37, no 3,‎ , p. 58 (ISSN 1203-9438 et 1703-8480, DOI 10.7202/1053486ar, lire en ligne, consulté le )
  21. Marc Lafrance, « Même sans Andrew Scheer, les valeurs de droite sont profondément ancrées chez les conservateurs », sur The Conversation (consulté le )
  22. « Peter Mackay blâme le conservatisme social d'Andrew Scheer pour la défaite | Élections Canada 2019 », sur Radio-Canada.ca (consulté le )