David Gradis (mort en 1751)
David Gradis est un négociant juif, armateur et négrier bordelais, né vers 1665 et mort en .
Syndic de la Nation juive (d) Bordeaux |
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David Gradis (petit-neveu) |
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Domaine de Margarance, Marais de Montferrand (d) |
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Il est l'un des pionniers d'une des familles qui animent le négoce de la ville du XVIIIe au XXe siècle, impliqué dans le système de production et d’échanges transatlantique qui mixe négoce, plantations avec esclaves et traite négrière.
Biographie
modifierDu « marchand portugais » au « bourgeois de Bordeaux »
modifierParents
modifierFils de Sarah Henriquez Bocarro et d'un marchand juif portugais prénommé Diego qui avait dû quitter Toulouse à cause des pressions antisémites du clergé catholique pour se fixer à Bordeaux[1],[2], David Gradis succède à son père en 1695 à la tête de la Maison Gradis installée cours des Fossés[3],[4] (aujourd'hui cours Victor-Hugo) ; il y exerce une activité de négociant en toiles, qu'il conserve jusqu'en 1711[5].
Par acte notarié passé le 2 mars 1695 à Bordeaux, Diego prend des dispositions vis-à-vis de ses trois fils : Antoine, Samuel et David I[6]. Il laisse tout son avoir à son fils David qui s'engage à héberger son père, le nourrir et lui verser une pension viagère annuelle[7].
Travail et négoce
modifierEn 1696, David Gradis se lance dans le commerce de vins et d'alcools. Il fonde dans la colonie de Martinique, où il s'établit, une maison de commerce ; le siège en est à Saint-Pierre, avec une succursale à Saint-Domingue[5].
De retour à Bordeaux dans les années 1700, il s'associe avec son frère Samuel (v. 1665-1736) sous la raison de Compagnie David Gradis et fils[8], nom qu’elle conservera jusqu’au XXe siècle, l'une des premières maisons qu'il fonde, spécialisée dans le commerce des vins, des eaux-de-vie, des toiles et autres marchandises.
David Gradis est décrit comme un homme qui travaille « sans relâche, voyageant, s'instruisant, se créant partout des relations en France et à l'étranger ». Il est possible qu'en 1711, David Gradis ait voyagé en Hollande et en Angleterre, séjourné à Amsterdam, La Haye, Londres, Bristol où il aurait acheté le navire le Tigre. Quelques années plus tard, il effectue « une tournée dans l'Armagnac pour ses achats d'eaux-de-vie, à Nantes pour assister aux grandes ventes de la Compagnie des Indes », à Bayonne aussi pour un séjour de trois mois en 1715. Outre ses amis personnels de Bordeaux et Paris, ses relations et correspondants s'étendent de Bordeaux et Bayonne (Delcampo, Salzedo frères, Jacob Alexandre) à Dublin (Jean Drouilhet dont le fils était son commis), en passant par Paris (les banquiers Fromaget, Gaslebois, Claude Heuscli), Londres (Silva junior, Elias Depas, Jean et Jacob Mendès da Costa), Amsterdam (Joseph Peixotto, banquier, et Daniel Balguerie) et Hambourg (Pierre Boué)[7].
Son épouse Marie Sara le remplace durant ses absences, tenant sa correspondance et dirigeant toutes ses affaires « avec l'intelligence d'un associé »[7]. Le travail du couple est récompensé par la prospérité des affaires de David Gradis mais en 1715, une crise financière empêche de nombreux négociants de régler leurs paiements et la maison Gradis se résigne à perdre environ 150 000 livres de traites[7].
À la fin du règne de Louis XIV, le commerce prend un nouvel essor, encouragé déjà par le Conseil général du commerce (en 1700), les Chambres du commerce (en 1701) ; l'édit de janvier 1716 et les lettres patentes d'avril 1717 favorisent le trafic de la France et le monopole du négoce avec les colonies.
À partir du 28 juin 1719, David Gradis s'associe avec Samuel Alexandre (1697/1700-1768) de Bayonne, le gendre de son frère, pour former la société de négoce D. Gradis & Alexandre fils, qui prend fin en septembre 1720, lors de la banqueroute française du système de Law, laquelle fait perdre à l'homme 115 800 livres dont 32 000 à sa société. Il rembourse la part de Samuel Alexandre, qui travaillera de son côté sous le patronage de David pour le compte duquel il effectuera plusieurs voyages, et retournera s'établir à Bayonne où il réussira dans l'armement[7].
David Gradis poursuit seul ses affaires, lance dix voyages en droiture entre 1721 et 1723, établit un comptoir à Saint-Domingue en 1723 — malgré l'opposition des Jésuites dominant l'île — et un autre à la Martinique, l'année suivante. La société y échange, ainsi qu'à Cayenne, de l'alcool, du linge, de la farine, de la viande marinée et du vin contre sucre et indigo[9]. David Gradis y est connu sous l'appellation de « marchand portugais ».
En 1728, les associés lancent une société d'armement maritime, que reprendront avec succès son fils Abraham (1699-1780) et ses cousins Benjamin (1699-1771) et Moïse (1714-1788)[5]. Ses activités commerciales d'alors s'étendent « à l'Angleterre, à la Hollande, au sud de la France, au Canada et aux Antilles françaises »[9].
À la mort de David Gradis en 1751, le capital de la firme Gradis et fils est évalué à 450 000 £.t.[10] (qui sera multiplié par dix entre cette date et 1780 par ses enfants)[11].
Navires
modifierLa société arme des navires pour le négoce dans les colonies mais également plusieurs navires négriers dont trois du vivant de David : Patriarche Abraham en 1730, L’Afriquain (sic) en 1741[5],[12] par Samuel Alexandre fils[13] et le Jupiter en 1743[14]. Patriarche Abraham sera attaqué par un corsaire en 1723[6] et pris par les Anglais en juin 1744 avec 653 captifs noirs à bord[13].
Les expéditions de ces trois navires (et celles effectuées par la maison Gradis après la mort de David Gradis) ne représentent à peu près que 5 % de l'armement total de la firme Gradis pour les Caraïbes[15] (soit une faible proportion, selon l'historien Eric Saugera qui ne considère pas David Gradis & fils comme spécialiste de la traite négrière[16]), mais avec dix expéditions, elle se classe toutefois au septième rang des 191 armateurs négriers de la ville de Bordeaux[17],[18],[19].
Participation au consistoire israélite de Bordeaux
modifierDavid Gradis s'implique fortement dans la vie de la communauté israélite de Bordeaux [20] : en 1724[21], il acquiert pour 6 300 livres un jardin avec maison, qui était au Moyen Age un fief de Sainte-Croix, qu'avec la permission des jurats de la ville[22], il affecte au premier cimetière juif de Bordeaux après la fin de son acquittement total, soit quatre ans plus tard, le 18 novembre 1728 (situé cours saint-Jean et cours de la Marne)[23],[22], à une époque où les Juifs sont encore tenus de procéder à l'enterrement de leurs morts « après soleil couché »[22]. L'acte notarié indique que « David Gradis ne fait la dite vente que pour faire plaisir à la dite communauté de la dite Nation portugaise »[22].
La même année, il est « syndic de la nation juive portugaise » (la naçao) - position et rôle bien plus importants que celui de rabbin[24], à l'époque[25] - comme l'ont été ou le seront des membres des familles Peixotto, Brandon, Furtado ou Pereire[26],[5].
Louis XV accorde aux Juifs portugais d'Auch et de Bordeaux de nouvelles lettres patentes en 1723 (où est aussi reconnu le marranisme des « Nouveaux chrétiens » donc l'existence de Juifs dans le royaume), moyennant une nouvelle taxe de 110 000 livres tournois[27]. Peu de temps après, il y a sept synagogues officielles à Bordeaux dont celle de la famille Gradis[26]. En 1731, David Gradis est déclaré citoyen[9],[28].
Il est rapporté qu'en 1744, David Gradis & fils sont les cotisants les plus imposés (à hauteur de 280 livres - le moins imposé de la communauté l'étant de 3 livres) par le syndic de la Nation pour sa caisse de « Sédaca » qui se chargeait alors d'acquitter des différents impôts auxquels les Juifs étaient assujettis auprès de la ville en tant que faisant partie des « Corps et communautés de la ville » : « capitation », « imposition de la milice », « vingtième d'industrie », outre les participations où l'« on obligeait les « Portugais »... à prendre leur part d'une œuvre de charité ou d'utilité publique » comme l'installation d'une fontaine, l'aide aux enfants trouvés, etc., d'autres où ils le faisaient spontanément comme le rachat de captifs au Maroc, et d'autres taxes encore pour dispenses les jours de fête juive[29].
Vie familiale
modifierDavid Gradis se marie avec Marie Sara Mendes-Moreno et le couple a cinq filles (toutes seront mariées) et trois fils : Sara (née en 1739), Hana, Rachel, Esther (mariée en 1733) et Rebecca[7], Samuel (mort en 1732), David et Abraham (v. 1699-1780) qui s'investit dès l'adolescence et poursuivra avec succès l'activité de l'entreprise paternelle, en association avec ses cousins. Le fils Samuel, représentant de la famille à Saint-Pierre en Martinique, y meurt jeune homme et célibataire en 1732, et est enterré dans le jardin des Frères de Pitié[9],[30].
David Gradis rédige son testament en 1746 et meurt cinq ans plus tard[31].
Hommages et critiques
modifierEn 1866, la ville de Bordeaux renomme la rue Guyart, rue David-Gradis, sans qu'il soit clair si le nom est à l'honneur de ce David, ou de son successeur David Gradis (1742-1811)[5],[32]. En raison de leur implication dans la traite négrière, cet hommage est controversé.
En 2019, la ville de Bordeaux installe une plaque explicative dans la rue Gradis pour rappeler la participation de la maison d'armement dans la traite négrière[33].
Notes et références
modifier- Jean de Maupassant, op. cit., p. 3.
- Saugera 2002, p. 65.
- Consultation en ligne des archives la Maison Gradis.
- « Noms des anciennes rues et édifices de Bordeaux — Geneawiki », sur fr.geneawiki.com (consulté le )
- « David Gradis - Mémoire de l'esclavage et de la traite négrière - Bordeaux », sur www.memoire-esclavage-bordeaux.fr (consulté le )
- ARCHIVES NATIONALES, Répertoire numérique, op. cit., p. 16
- Jean de Maupassant, op. cit., pp. 3-41, lire en ligne
- Jean de Maupassant indique plutôt la raison Gradis frères, op. cit., pp. 3-41, lire en ligne
- (en) H. Guttenstein, Gotthard Deutsch, George Alexander Kohut, « GRADIS - JewishEncyclopedia », sur www.jewishencyclopedia.com, (consulté le )
- 450 000 £.t., correspondant à 5 074 450 euros en 2020.
- Gervais Pierre, « Crédit et filières marchandes au XVIIIesiècle », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2012/4 (67e année), p. 1011-1048. Lire en ligne
- *Un autre vaisseau appelé également L'Afriquain était la possession de la Compagnie royale du Sénégal, notamment taxé en novembre 1717 après confiscation. Voir Joseph Du Fresne de Francheville / Ouvrage patrimonial de la Bibliothèque numérique Manioc. Service commun de la documentation, Université des Antilles et de la Guyane. Conseil Général de la Martinique, Bibliothèque Schœlcher, p. 482. Lire en ligne
- Plusieurs longs voyages entre 1766 et 1771 s'effectuent par le vaisseau appelé également L'Afriquain et possédé par Portier frères. Les Archives de l'Etat de Gand possède notamment 3 journaux du navire L'Afriquain de 1766 à 1767. Voir Tom De Spiegelaere, Het 18de-eeuwse slavenschip. Franse en Nederlandse slavenschepen in de 2de helft van de 18de eeuw (1763 – 1780). Een comparatieve studie. (trad. Le navire négrier du XVIIIe siècle. Navires négriers français et néerlandais dans la 2ème moitié du XVIIIe siècle (1763 - 1780). Une étude comparative). Département de nouvelle histoire, Université de Gand, Faculté de Lettres et philosophie, 2006-2007. Lire en ligne
- Saugera 2002, p. 66.
- Saugera 2002, p. 351.
- Saugera 2002, p. 63.
- Eric Saugera, Bordeaux, port négrier : chronologie, économie, idéologie, XVIIe – XIXe siècles, KARTHALA Editions, , 382 p. (ISBN 978-2-86537-584-4, lire en ligne), p. 63
- Saugera 2002, p. 11.
- Saugera 2002, p. 232.
- L'historien Eric Saugera, spécialiste de la traite négrière à Bordeaux, établit une différence entre le nombre de navires armés pour la traite négrière et la proportion de la traite négrière dans l'ensemble des affaires commerciales d'un négociant négrier. Lire en ligne
- Bordeaux 2066 (Bordeaux à travers ses 2066 rues), « David Gradis », sur bordeaux2066.com, (consulté le )
- Le 18 novembre 1724, selon les Archives nationale, Répertoire numérique, op. cit., p. 17 ou le 2 octobre 1724, selon Georges Cirot, op. cit., s'inspirant lui-même des archives Gradis, à l'époque non numérisées.
- Georges Cirot, « Recherches sur les Juifs espagnols et portugais à Bordeaux (suite) », Bulletin hispanique, vol. 10, no 2, , p. 157–192 (DOI 10.3406/hispa.1908.1561, lire en ligne, consulté le )
- Un tiers du cimetière du cours de la Marne devenu étroit sera aussi exproprié par le ministère de la guerre souhaitant agrandir son terrain et la communauté juive obligée de récupérer les ossements des défunts afin de les transférer dans le cimetière du cours de l’Yser (encore en service), peu après la mort de David Gradis dont le cimetière sera définitivement fermé en 1911.
- En 1745, on rappelle au rabbin Jacob Haïm Athias qu'il ne peut procéder à aucun mariage sans l'autorisation « expresse du sindicq » et avant le régime napoléonien, une requête dénonce le peu de respect et de déférence que « les chefs de la maison de la nation portugaise » ont à l'égard des rabbins de la communauté juive. Lire en ligne
- Georges Cirot, « Recherches sur les Juifs espagnols et portugais à Bordeaux (suite et fin) », Bulletin hispanique, vol. 9, no 3, , p. 263–276 (DOI 10.3406/hispa.1907.1532, lire en ligne, consulté le )
- (en) Richard Gottheil & A. M. Friedenberg, « BORDEAUX - JewishEncyclopedia.com », sur www.jewishencyclopedia.com, (consulté le )
- Sous la direction de Bernhard Blumenkranz, « Histoire des Juifs en France », deuxième partie, quatrième section, troisième chapitre.
- ARCHIVES NATIONALES, Répertoire numérique détaillé du Fonds GRADIS, 181 AQ 1-156 (1551-1980), par Magali Lacousse conservateur du patrimoine et Christine Nougaret conservateur général du patrimoine, 2006, p. 2
- Georges Cirot, « Recherches sur les Juifs espagnols et portugais à Bordeaux (suite) », Bulletin hispanique, vol. 8, no 4, , p. 383–391 (DOI 10.3406/hispa.1906.1506, lire en ligne, consulté le )
- Aude Seillan, « David II Gradis (1742-1811) et son entourage : écritures Édition critique et commentaire », sur theses.enc.sorbonne.fr, (consulté le )
- ARCHIVES NATIONALES, Répertoire numérique, op. cit., p. 17
- Annick Descas, Dictionnaire des rues de Bordeaux, Éditions Sud Ouest, , 717 p. (ISBN 9782879015040), p. 314
- Eva Fonteneau, « Plaques de rue : à Bordeaux, un «tabou tombe» en catimini », sur Libération (consulté le )
Voir aussi
modifierBibliographie
modifier- Pierre Gervais, « Crédit et filières marchandes au XVIIIe siècle », Annales. Histoire, Sciences Sociales, vol. 67, no 4, , p. 1011-1048 (ISBN 9782200927691, lire en ligne)
- Jean de Maupassant (préf. Camille Jullian), Un grand armateur de Bordeaux. Abraham Gradis (1699-1780), Bordeaux, éditions Féret & fils, (lire en ligne)
- Éric Saugera, Bordeaux port négrier : chronologie, économie, idéologie, XVIIe – XIXe siècles, Biarritz/Paris, Karthala, (1re éd. 1995), 382 p., 23,6 x 15,6 x 3,2 cm (ISBN 2-86537-584-6 et 978-2865375844, lire en ligne).
- (en) H. Guttenstein, Gotthard Deutsch, George Alexander Kohut, « GRADIS », sur Jewish Encyclopedia.
Articles connexes
modifier- Famille Gradis
- Société française pour le commerce avec l'Outre-mer
- Histoire des Juifs dits portugais en France
- Traite négrière à Bordeaux
Liens externes
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