Discussion utilisateur:Mandrak/Citation

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Il fait bon. Dans le foyer doucement traîne
La voix du plus mélancolique des mois.
— Ah ! les morts, y compris ceux de Lofoten —
Les morts, les morts, sont au fond moins morts que moi.

O.V. de L. Milosz
Les Sept Solitudes


Rome fut tout le monde, et tout le monde est Rome.
Et si par mesmes noms mesmes choses on nomme,
Comme du nom de Rome on se pourroit passer
La nommant par le nom de la terre et de l'onde :
Ainsi le monde on peult sur Rome compasser,
Puis que le plan de Rome est la carte du monde.

Joachim du Bellay
Les Antiquitez de Rome


Je suis maintenant un vieil homme,et, comme beaucoup d'habitants de notre vieille Europe, la première partie de ma vie a été assez mouvementée : j'ai été témoin d'une révolution, j'ai fait la guerre dans des conditions particulièrement meurtrières (j'appartenais à l'un de ces régiments que les états-majors sacrifient froidement à l'avance et donc, en huit jours, il n'est pratiquement rien resté), j'ai été fait prisonnier, j'ai connu la faim, le travail physique jusqu'à l'épuisement, je me suis évadé, j'ai été gravement malade, plusieurs fois au bord de la mort, violente ou naturelle, j'ai côtoyé les gens les plus divers, aussi bien des prêtres que des incendiaires d'église, de paisibles bourgeois que anarchistes, des philosophes que des illettrés, j'ai partagé mon pain avec des truands, enfin j'ai voyagé un peu partout dans le monde... et cependant, je n'ai jamais encore, à soixante-douze ans, découvert aucun sens à tout cela, si ce n'est, comme l'a dit, je crois, Barthes après Shakespeare, que « si le monde signifie quelque chose, c'est qu'il ne signifie rien » ― sauf qu'il est.

Claude Simon, in Discours de Stockholm.


Canite Deo, canite ! Canite Regi nostro, canite !

Quia rex universae terrae, Deus canite, erudite !

Regnavit Deus super gentes ; Deus sedet super thronum sanctum suum.

liber psalmorum, caput 47, Versus 7 - 9

Nolite iudicare et non iudicabimi,

Nolite condemnare et non condemnabimini,

Dimitte et dimittemini.

Evangelium secundum lucam, Caput 6, Versus 37


Ego ſum lux mundi ;
Qui ſequitur me non ambulabit in tenebris,
Sed habebit lumen vitae.

Ioannes, Caput 8, Versus 12


Surely I write not for the hopeful young,
Or those who deem their happiness of worth,
Or such as pasture and grow fat among
The shows of life and feel nor doubt nor dearth,
Or pious spirits with a God above them
To sanctify and glorify and love them,
Or sages who foresee a heaven on earth.

James Thomson ("B.V.")
The City of Dreadful Night


Rien n’égale la beauté d’une inscription latine votive ou funéraire : ces quelques mots gravés sur la pierre résument avec une majesté impersonnelle tout ce que le monde a besoin de savoir de nous


Μῆνιν ἄειδε, θεά, Πηληιάδεω Ἀχιλῆος
οὐλομένην, ἣ μυρί’ Ἀχαιοῖς ἄλγε’ ἔθηκε,
πολλὰς δ’ ἰφθίμους ψυχὰς Ἄϊδι προΐαψεν
ἡρώων, αὐτοὺς δὲ ἑλώρια τεῦχε κύνεσσιν
οἰωνοῖσί τε πᾶσι· Διὸς δ’ ἐτελείετο βουλή·

Déesse, chante-nous la colère d'Achille, de ce fils de Pélée,
— colère détestable qui valut aux Argiens d'innombrables
malheurs et jeta dans l'Hadès tant d'âmes de héros, livrant leur corps
en proie aux oiseaux comme aux chiens : ainsi s'accomplissait la volonté de Zeus.

Homère
Iliade, chant I


IMP CAESARI DIVI NERVAE F NERVA TRAIANO OPTIMO AUG GERMANICO DACICO PONT MAXIM TRIBUN POTEST XVIIII IMP XI CONSVLI VI P P
D D M FLAVIVM UGVLTVNIACVM P P F D.

À l’empereur Nerva Trajan, fils du divin Nerva, meilleur auguste, germanique, dacique, grand pontife, en la 18e année de sa puissance tribunicienne, salué imperator onze fois, consul six fois, père de la patrie,
par décret des décurions du municipe de Flavius Ugultuniacus, [ce monument] a été fait et dédicacé sur les fonds publiques.

Dédicade d'Ugultuniacum
Province sénatorial de Bétique


Écoutez la voix du vent dans la nuit,
La vieille voix du vent, la lugubre voix du vent,
Malédiction des morts, berceuse des vivants…
Écoutez la voix du vent.
Il n’y a plus de feuilles, il n’y a plus de fruits
Dans les vergers détruits.
Les souvenirs sont moins que rien, les espoirs sont très loin.
Écoutez la voix du vent.

« Chanson d’automne »
O.V. de L. Milosz, Le Poème des décadences


Portrait de koré archaïque

… Entre ses doigts un brin de myrte et une rose,
Elle sourit, et ses cheveux comme un long voile
Couvrent sa nuque et ses épaules…

Archiloque (viie siècle av. J.-C.)
traduction de Marguerite Yourcenar, La Couronne et la Lyre


Blood and destruction shall be so in use,
And dreadful objects so familiar,
That mothers shall but smile, when they behold
Their infants quartered with the hands of war ;
All pity chok’d with custom of fell deeds,
And Caesar’s spirit, ranging for revenge,

With Ate by his side come hot from hell,
Shall in these confines, with a monarch’s voice,
Cry “havoc!” and let slip the dogs of war,
That this foul deed shall smell above the earth
With carrion of men, groaning for burial.

William Shakespeare
The Tragedy of Julius Caesar (Act III, sc. 1)


Πολλὰ τὰ δεινὰ κοὐδὲν ἀνϑρώπου δεινότερον πέλει.
Τοῦτο καὶ πολιοῦ πέραν πόντου χειμερίῳ νότῳ
χωρεῖ, περιϐρυχίοισιν
περῶν ὑπ᾽ οἴδμασιν.
Θεῶν τε τὰν ὑπερτάταν, Γᾶν
ἄφϑιτον, ἀκαμάταν, ἀποτρύεται
ἰλλομένων ἀρότρων ἔτος εἰς ἔτος
ἱππείῳ γένει πολεύων.

Qu’il est de merveilles ! mais rien
qui soit plus merveilleux que l’homme.
Par la mer chenue,
sous les tempêtes du sud,
il s’en va
au-delà des houles grondantes.
Et la plus grande des déesses, la Terre
impérissable, inépuisable, il la fatigue
du va-et-vient de ses charrues,
il la retourne d’année en année avec ses mulets.

Sophocle, Antigone
ΣΟΦΟΚΛΕΟΣ ΑΝΤΙΓΟΝΗ (1er stasimon)


[Οὕτως Ἠλέκτρα εἶπε·]

ἣ ζῶ βίον μοχϑηρόν

Sophocle, Électre
vers n° 599


L’homme d’aujourd’hui ne se saisit pas à travers le Musée imaginaire : il y découvre un allié contre les puissances menaçantes dont ses connaissances l’assiègent. Il a fait, depuis cinquante ans, de grands progrès dans la familiarité de ses larves, et celles-ci, outre leur propre langage, lui ont apporté celui de la nuit héréditaire. Les monstres qu’il ramène des grandes profondeurs le frappent d’une stupéfaction qui lui cache trop celle de n’avoir pas été écrasé par eux. Toute force qui l’appelle à se dissoudre ou à se détruire commence de faire apparaître les pouvoirs grâce auxquels il ne s’est ni dissous ni détruit ; des régions profondes où sommeillent les dieux cannibales, monte ce qui fit sculpter les lions préhistoriques. Aux confluents de Mésopotamie, les fouilles désensevelissent la superposition de villes inépuisablement reconstruites sur des ruines ; comme sur cet acharnement humain, il semble que sur le Musée imaginaire — hors de l’histoire et peut-être contre elle — veillent des archétypes non moins lointains et non moins fascinants que les archétypes de la nuit. Derrière les ténèbres hérissées de pinces d’insectes du monde démoniaque, la puissance saturnienne de l’informe ; derrière le Musée imaginaire et l’immense cortège d’ombres des œuvres perdues, la puissance formatrice que les œuvres révèlent et qui les déborde, la puissance qui marque tout ce qui, sur la terre, s’appelle humain.

André Malraux, Le Musée imaginaire de la sculpture mondiale
Partie I, « La Statutaire », ch. IV, « La métamorphose des dieux »


εὔξασϑαι νύκτα… γενέσϑαι διπλασίαν

… prier que la nuit me dure le double

ΨΑΠΦΩ / SAPPHÔ
Trad. de Yves Battistini


Phèdre

On ne voit point deux fois le Rivage des morts,
Seigneur. Puisque Thésée a vu les sombres bords,
En vain vous espérez qu’un Dieu vous le renvoie,
Et l’avare Achéron ne lâche point sa proie.

Jean Racine
Phèdre et Hippolyte, III, v.


    « Alors le Christ s’est dit qu’il y avait vraiment pas grand-chose à faire avec les hommes. Qu’ils étaient si dégoûtants que même en saignant pour eux jour et nuit pendant l’éternité on n’arrivera jamais à les laver. »
    Toujours des bruits de camions. À l’intendance on attendait Ximénès. Manuel était à la fois saisi et irrité.
    « Les descendants des rois mages étaient pas venus à sa naissance vu qu’ils étaient devenus errants ou fonctionnaires. Alors, pour la première fois au monde, de tous les pays, ceux qui étaient tous près et ceux qui étaient au diable, ceux chez qui il faisait chaud et ceux chez qui il faisait gelé, tous ceux qui étaient courageux et misérables se sont mis en marche avec des fusils. »
    Il y avait dans cette voix une conviction si solitaire que, malgré la nuit, Ximénès sentir que celui qui parlait avait fermé les yeux.
    « Et ils comprirent avec leur cœur que le Christ était vivant dans la communauté des pauvres et des humiliés de chez nous. Et par longues files, de tous les pays, ceux qui connaissaient assez bien la pauvreté pour mourir contre elle, avec leurs fusils quand ils en avaient et leurs mains à fusils quand ils en avaient pas, vinrent se coucher les uns après les autres sur la terre d’Espagne… »

André Malraux
L’Espoir


(Ἔρος) ἀλγεσίδωρος

(Éros) donne-souffrance

Fragment de Sappho


Θεμιστοκλέα δὲ καὶ τοὺς ἐν Μαραθῶνι τελευτήσαντας καὶ τοὺς ἐν Πλαταιαῖς καὶ αὐτοὺς τοὺς τάφους τοὺς τῶν προγόνων οὐκ οἴεσθε στενάζειν, εἰ ὁ μετὰ τῶν βαρϐάρων ὁμολογῶν τοῖς Ἕλλησιν ἀντιπράττειν στεφανωθήσεται ;

Ne pensez-vous pas que Thémistocle et ceux qui tombèrent à Marathon, et ceux qui furent fauchés à Platées, et les tombeaux mêmes de leurs ancêtres, gémiront, si celui qui avoue agir contre les Grecs avec les barbares est couronné ?

Extrait de la péroraison du Contre Ctésiphon d’Eschine


Ferrante : […] Péché aussi de vous dire comment je me représente ce que les hommes et les femmes appellent amour, qui est d’aller dans des maisons noires au fond d’alcôves plus tristes qu’eux-mêmes, pour s’y mêler en silence comme les ombres.

Montherlant, La Reine Morte, acte I, scène v




Nuit plénière où le rêve malgracieux ne clignote plus, garde-moi vivant ce que j’aime.

René Char, « Sur une nuit sans ornement »




Ζωή — ένα τραύμα στην ανυπαρξία
La vie — une blessure à l’inexistence

Yannis Ritsos, Pierres (1968)




[…] d’autres Rome viendront, dont j’imagine mal le visage, mais que j’aurai contribué à former. Quand je visitais les villes antiques, saintes, mais révolues, sans valeur présente pour la race humaine, je me promettais d’éviter à ma Rome ce destin pétrifié d’une Thèbes, d’une Babylone ou d’une Tyr. Elle échapperait à son corps de pierre ; elle se composerait du mot État, du mot de citoyenneté, du mot de république, une plus sûre immortalité. Dans les pays encore incultes, sur les bords du Rhin, du Danube ou de la mer des Bataves, chaque village défendu par une palissade de pieux me rappelait la hutte de roseaux, le tas de fumier où nos jumeaux romains dormaient gorgés du lait de louve : ces métropoles futures reproduiraient Rome. Aux corps physiques des nations et des races, aux accidents de la géographie ou de l’histoire, aux exigences disparates des dieux ou des ancêtres, nous aurions à jamais superposé, mais sans rien détruire, l’unité d’une conduite humaine, l’empirisme d’une expérience sage. Rome se perpétuerait dans la moindre petite ville où des magistrats s’efforcent de vérifier les poids des marchands, de nettoyer et d’éclairer leurs rues, de s’opposer au désordre, à l’incurie, à la peur, à l’injustice, de réinterpréter raisonnablement les lois. Elle ne périrait qu’avec la dernière cité des hommes.

Marguerite Yourcenar, Les Mémoires d’Hadrien (1951)

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