Doctrine du Big Stick

politique étrangère positionnant les États-Unis comme gendarme du monde

La doctrine du Big Stick, ou diplomatie au gourdin, est une expression désignant la politique étrangère menée par le président Theodore Roosevelt au début du XXe siècle. Cette doctrine vise à faire assumer aux États-Unis le rôle de gendarme du continent américain et justifie leur intervention dans les affaires internes d'autres pays au titre de maintien de la stabilité géopolitique de la région.

Caricature de 1904 montrant Roosevelt armé de son « gros bâton » (big stick) en train de patrouiller dans la mer des Caraïbes.

Origine et signification

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Origine

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Le nom de diplomatie au gourdin provient d'un proverbe ouest-africain que Roosevelt appréciait : « Speak softly and carry a big stick, you will go far »[1], ce qui signifie : « Parle doucement et porte un gros bâton, tu iras loin ».

Lettre de Theodore Roosevelt témoignant le premier usage de l'expression

Roosevelt a souvent mentionné ce proverbe pour exprimer son point de vue sur la politique intérieure et étrangère des États-Unis. La première mention connue du public est une lettre à un ami nommé Henry L. Sprague datée du 26 janvier 1900[1] lorsque Roosevelt occupait la fonction de gouverneur de New York. Il emploie de nouveau cette expression dans son discours le 2 septembre 1901 à Minneapolis à l'occasion de l'ouverture de la Foire d’État du Minnesota[2]. Dans son discours, Roosevelt dit que les intérêts de chaque américain sont indissociables. Ils gagnent et perdent ensemble[2]. Il élargit ces propos aux pays voisins des États-Unis, et en tant que pays influent du XXe siècle, il est de le leur devoir d'assurer et de promouvoir la justice dans leur pays mais aussi au-delà des frontières[2]. Son explication détaillée du proverbe est la suivante :

« If a man continually blusters, if he lacks civility, a big stick will not save him from trouble, and neither will speaking softly avail, if back of the softness there does not lie strengh, power. [...] if the boaster is not prepared to back up his words, his position becomes absolutly comptentible. »

— Theodore Roosevelt

« Si un homme fanfaronne régulièrement, s'il manque de bienséance, un gros bâton ne le sauvera pas de ses problèmes, et parler doucement ne l'aidera pas non plus, si ni la force ni le pouvoir ne se cachent derrière sa douceur. [...] Si le fanfaron n'est pas préparé à défendre ses propos, sa position devient absolument méprisable. »

Dans le cadre de la position internationale des États-Unis, on peut l'interpréter comme suit : Les États-Unis, en tant que puissance du XXe siècle et garant de la justice, doit pouvoir assurer ses engagements, protéger le pays et ses intérêts. Suite à l'assassinat du président McKinley le 14 septembre 1901[3], Roosevelt lui succède en tant que vice président des États-Unis. Il va ainsi appliquer sa vue de la diplomatie durant son mandat de 1901 à 1909.

Appropriation de la doctrine Monroe

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La doctrine Monroe stipule que toute intervention européenne dans les affaires des états de l'Amérique serait jugée comme un acte hostile envers les États-Unis. Dans un discours du 6 décembre 1904 adressé au Congrès américain, Roosevelt dit : "All that this country desires is to see the neighboring countries stable, orderly, and prosperous"[4], ce qui signifie : "Tout ce que notre pays désire est de voir la stabilité, l'ordre et la prospérité des pays voisins". Il ajoute dans son discours que toute tentative perçue comme un acte conduisant à un déséquilibre politique du continent américain, engendrerait une intervention des États-Unis en tant que policier international[4]. La combinaison de la diplomatie au gourdin et l'appropriation de la doctrine Monroe donne un justificatif à un large panel d'interventions économiques et militaires des États-Unis sur le continent américain. Ces interventions pourront d'abord être des tractations entres diplomates, puis la mise en place d'une forte pression diplomatique et enfin une menace d'intervention militaire avec déploiement de troupes comme au Panama.

Applications de la diplomatie

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L'affaire du canal du Panama

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Un canal reliant l'océan Atlantique à l'océan Pacifique était un projet vital pour l'expansion commerciale et militaire des États-Unis[5]. Ce projet permettrait d'éviter aux bateaux de faire le tour de l'Amérique du Sud. Par exemple, l'USS Oregon a dû réaliser un périple de 22 000 km lors de son changement d'affectation du Pacifique à l'Atlantique en vue de la Guerre hispano-américaine de 1898[6].

Le projet du Nicaragua

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Les projets de construction de canaux du Panama et du Nicaragua furent proposés au gouvernement américain en même temps. Le projet du Nicaragua fût d'abord retenu mais suite à des désaccords avec le gouvernement du Nicaragua, un changement d'opinion du Sénat américain en 1902[6], des campagnes de lobbying[7] et de désinformation menées par Philippe Bunau-Varilla et William Nelson Cromwell, il fût abandonné en faveur du Canal du Panama. Des travaux de la Compagnie universelle du canal interocéanique de Panama étaient en cours depuis 1880[8]. Suite aux efforts combinés de Philippe Bunau-Varilla et William Nelson Cromwell, la Compagnie céda le projet au gouvernement américain[7]. Cette cession fût officialisée par le Traité Hay-Bunau-Varilla le 18 novembre 1903.

La Colombie

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En 1903, la Colombie est propriétaire de la province du Panama et donc du canal. Des pourparlers sont donc entamés entre les États-Unis et le gouvernement colombien au sujet des droits sur le canal du Panama. La Colombie adhère au projet mais les députés s'opposent au traité juste avant sa ratification[9]. Les négociations se rompent. Les États-Unis décident de renverser le gouvernement colombien dans la province du Panama et soutiennent la révolution panaméenne en envoyant des bâtiments de l'US Navy[9] au large des villes de Colón et Panama pour dissuader l'armée colombienne d'intervenir. Ces bâtiments sont l'Atlanta, le Maine, le Mayflower et le Prairie à Colón et le Boston, le Marblehead, le Concord et le Wyoming à la ville de Panama[6]. Le nouveau pays, reconnu dans les jours suivants par les États-Unis, s'empresse de reconnaître le Traité Hay-Bunau-Varilla et cède à perpétuité le canal aux États-Unis[5]. Le canal a été complété et ouvert en 1914.

Suite à la guerre hispano-américaine de 1898, l'Espagne renonce au contrôle de l'île qui devient théoriquement indépendante. Néanmoins, les États-Unis mettent en place une tutelle militaire faisant office de gouvernement[10]. Certains haut fonctionnaires américains souhaitaient l'annexion de Cuba aux États-Unis. Cependant, l'amendement Teller met fin à leurs ambitions. D'après l'amendement, les États-Unis ne peuvent pas annexer ou contrôler Cuba mais maintient le droit d'intervention au titre de la pacification du pays[11].

L'amendement Platt voté en 1901 signe le départ des troupes américaines du pays mais pose des conditions. En résumé, le texte demande la cession future et incontestée de terres pour construire des bases navales (Guantánamo) au titre de la protection de l'indépendance de Cuba, de sa sécurité et de celle des États-Unis[12],[13]. Le texte stipule aussi que Cuba n'est pas autorisée à signer quelconque accord avec une puissance étrangère qui permettrait de s'installer ou de contrôler quelque portion de cette île[12],[13]. Enfin, Cuba doit reconnaitre un droit d'intervention des États-Unis dans le pays au titre de garantir son indépendance, la protection du peuple et le maintien d'un gouvernement capable de protéger le peuple cubain[12],[11],[13]. La dernière condition est que Cuba accepte et introduise le texte dans sa constitution[12]. Ce texte affirme donc le contrôle des États-Unis sur Cuba d'un point de vue politique et militaire en interdisant la présence d'une puissance étrangère sur le sol cubain et un droit de regard et d'intervention dans le pays. Cuba a inscrit l'amendement dans sa constitution le 12 juin 1901[12]. Le retrait des troupes américaines a eu lieu au cours de l'année 1902[11].

Les États-Unis ont utilisé l'amendement Platt pour intervenir à Cuba en 1906, 1912, 1917 et 1920[13] puis en 1934. En 1906, 2000 marines américains[14] ont été envoyés pour calmer des insurrections politiques[15] suite à la réélection du président Palma et le soulèvement des libéraux de José Miguel Gómez[10]. Le pays aurait été administré par les américains de 1906 à 1909[16]. En 1912, une révolte agricole aurait été réprimée par les troupes américaines et aurait fait plusieurs milliers de morts[16]. En 1917, les États-Unis interviennent suite à une tentative de coup d'état de José Miguel Gómez contre le président Mario García Menocal[10]. Le président est maintenu au pouvoir. En 1934, les États-Unis soutiennent Fulgencio Batista qui renverse le président élu en 1933[10],[16]. Plusieurs présidents soutenus par Fulgencio Batista se succèderont de 1934 à 1940 puis Fulgencio Batista prendra directement la tête du pays[10].

Réactions et oppositions

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Aux États-Unis

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Dans le reste du monde

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Notes et références

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  1. a et b « Image 300 of Theodore Roosevelt Papers: Series 2: Letterpress Copybooks, 1897-1916; Vol. 21, 1899, Dec. 21-1900, Jan. 31 », sur Library of Congress, Washington, D.C. 20540 USA (consulté le )
  2. a b et c « National Endowment for the Humanities », The Minneapolis journal, Minneapolis, Minn.,‎ , p. 16 (ISSN 2151-3953, lire en ligne, consulté le )
  3. (en) Fernando Hurdle, « Research Guides: William McKinley Assassination: Topics in Chronicling America: Introduction », sur guides.loc.gov (consulté le )
  4. a et b (en-US) « Roosevelt Corollary to the Monroe Doctrine », sur Teaching American History (consulté le )
  5. a et b Encyclopædia Universalis, « CANAL DE PANAMÁ : Construction et exploitation du canal », sur Encyclopædia Universalis, (consulté le )
  6. a b et c (en-US) « American canal construction », sur Autoridad del Canal de Panamá (consulté le )
  7. a et b Charles D. Ameringer, « The Panama Canal Lobby of Philippe Bunau-Varilla and William Nelson Cromwell », The American Historical Review, vol. 68, no 2,‎ , p. 346–363 (ISSN 0002-8762, DOI 10.2307/1904536, lire en ligne, consulté le )
  8. Rédacteur, « Canal de Panama : retour sur la folle histoire de sa construction », sur Sciences et Avenir, (consulté le )
  9. a et b « 3 novembre 1903 - Le Panamá, un État sur mesure - Herodote.net », sur www.herodote.net (consulté le )
  10. a b c d et e Éditions Larousse, « Cuba : histoire - LAROUSSE », sur www.larousse.fr (consulté le )
  11. a b et c (en) Dani Thurber, « Research Guides: World of 1898: International Perspectives on the Spanish American War: Teller and Platt Amendments », sur guides.loc.gov (consulté le )
  12. a b c d et e « Amendement Platt de 1901 », sur www.axl.cefan.ulaval.ca (consulté le )
  13. a b c et d « National Archives NextGen Catalog », sur catalog.archives.gov (consulté le )
  14. (en) Payam Ghalehdar, « The Origins of Overthrow: How Emotional Frustration Shapes US Regime Change Interventions The Origins of Overthrow » Accès limité, sur academic.oup.com, (consulté le )
  15. « Cuba », sur www.axl.cefan.ulaval.ca (consulté le )
  16. a b et c Olivier Pironet, « Cuba : chronologie », sur Le Monde diplomatique, (consulté le )

Bibliographie

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  • (en) Thomas A. Bailey, A Diplomatic History of the American People 10th ed., Prentice Hall, (ISBN 0-13-214726-2).
  • (en) Oscar Theodore Barck, Jr., Since 1900, MacMilliam Publishing Co., Inc., (ISBN 0-02-305930-3).
  • (en) Howard K. Beale, Theodore Roosevelt and the Rise of America to World Power, Johns Hopkins Press, .
  • (en) Karl Berman, Under the Big Stick : Nicaragua and the United States Since 1848, South End Press, .
  • (en) Joseph Bucklin Bishop, Uncle Sam's Panama Canal and World History, Accompanying the Panama Canal Flat-globe : Its Achievement an Honor to the United States and a Blessing to the World, Pub. by J. Wanamaker expressly for the World Syndicate Company, .
  • (en) Michael L. Conniff, Panama and the United States : The Forced Alliance, University of Georgia Press, , 216 p. (ISBN 0-8203-2348-9, lire en ligne).
  • (en) Kenneth C. Davis, Don't Know Much About History, Avon Books, (ISBN 0-380-71252-0).
  • (en) Lewis L. Gould, The Presidency of Theodore Roosevelt, University Press of Kansas, , 355 p. (ISBN 978-0-7006-0565-1).
  • (en) A.S. Hershey, The Venezuelan Affair in the Light of International Law, University of Michigan Press, .
  • (en) Walter LaFeber, A Cambridge History of American Foreign Relations : The American Search for Opportunity. 1865 - 1913, Cambridge, Cambridge University Press, , 263 p. (ISBN 0-521-38185-1).
  • (en) Dexter Perkins, The Monroe Doctrine, 1867-1907, Baltimore Press, .
  • (en) Theodore Roosevelt, Theodore Roosevelt : An Autobiography, The Macmillan Press Company, .
  • (en) Howard Zinn, A People's History of the United States, Harper Perennial, , 768 p. (ISBN 0-06-083865-5).

Voir aussi

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Articles connexes

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