Dominium
Le dominium (ou domanium en latin médiéval, en français : « domaine, domanialité », en anglais : dominion, domain) est le nom de différents concepts en droit romain puis dans le droit de la féodalité chrétienne, dans les traditions romano-germaniques et dans la common law, qui ont en commun l'idée de domination d'un maître sur un sujet ou un objet.
Dans l'antiquité romaine
modifierDominium ex iure Quiritium
modifierDans la région de Rome, appelée ager romanus, les pères de famille citoyens romains se voyaient reconnaître un pouvoir appelé dominium ex jure Quiritium (en français : « droit quiritaire », litt. domination en vertu du droit des Quirites) sur tous les éléments de leur maisonnée. Cela signifiait qu'ils avaient en principe la possibilité de faire tout ce qu'ils voulaient avec les terres qu'ils habitaient, les enfants qu'ils avaient engendrés, les femmes qu'ils avaient épousées et les gens qu'ils esclavagisaient, une domination appelé patria potestas[1],[2].
Dominium provincial
modifierDans les colonies romaines, la plupart du terrain conquis tombait dans le dominium direct « de l'empereur ou du peuple romain » (selon l'expression de Gaius), ce qui donnait une catégorie de terres appelée ager publicus[3].
En théologie
modifierDominium terræ
modifierLe terme de dominium terræ (de) (en français : « domination des terres ») désigne le passage 1:28 de la Genèse (le mythe de la création du monde des musulmans, des juifs et des chrétiens) , dans lequel le dieu en question ordonne aux humains de « dominer les poissons des mers, les oiseaux du ciel, et tous les animaux sur terre »[4]. Ce passage est souvent rapproché de la conception des humains comme maîtres et possesseurs de la nature.
Dominium divin et communisme
modifierPour Augustin d'Hippone et après lui toute l'église catholique jusqu'au XIIIe siècle, le dieu chrétien avait seul le dominium sur le monde entier, compris comme sa création, et il était donc sacrilège pour un ou une humaine de revendiquer un quelconque dominium sur quoi que ce soit: rien ne pouvait appartenir absolument à personne[5],[6]. Cette doctrine est résumée par l'adage omnia sunt communia (en français : « tout est à tout le monde ») et est parfois appelée la communauté de biens de l'Église de Jérusalem.
C'est avec Thomas d'Aquin que des chrétiens commencent à amender le dogme du dominium absolu de leur dieu, en distinguant le dominium sur les choses du dominium sur les gens[7].
Dominium mundi
modifierAu Moyen Âge, le terme pouvoirs universels renvoie au Saint-Empire romain germanique et au pape. Les deux se battent pour ce qu'on appelle le dominium mundi, ou « domination du monde » en termes de suprématie politique et spirituelle. L'empereur et le pape maintiennent leurs autorités respectives au moyen de divers facteurs tels que la dispersion territoriale, le faible niveau des techniques et du développement de la production du mode de production féodale et la tendance sociale et politique allant du féodalisme à la décentralisation du pouvoir.
Les pouvoirs universels perdurent au début du XIXe siècle jusqu'aux guerres napoléoniennes. La réorganisation de l'Europe signifie la fin effective de l'Empire. Bien que la papauté voie ses limites territoriales confinées au Vatican et perde en influence dans les relations internationales, elle conserve son influence spirituelle dans le monde contemporain.Double domaine féodal
modifierDominium directum et utile est un terme latin légal utilisé pour désigner les deux domaines fonciers distincts dans lesquels un fief est divisé en vertu du régime foncier féodal. Ce système est plus communément appelé duplex dominium ou double domaine. Cela peut être mis en contraste avec le système allodial moderne, dans lequel le pouvoir sur la terre est plein et non divisé en domaines séparés — une situation connue sous le nom de dominium plenum (pleine domination).
Domaine royal
modifierLe domaine de la Couronne est sous la royauté l'ensemble du patrimoine qui est attaché à la souveraineté et qui est considéré comme public et inaliénable. En ce sens il s'oppose au domaine privé et au domaine étranger.
En France, le domaine de la Couronne se divisait en grand et petit domaine, le domaine royal correspondant au domaine public et le domaine du roi correspondant à la part du domaine royal possédé ou attribué en propre au roi, qui n'avait par principe ni patrimoine ni vie privée.Domaine-propriété
modifierEn France, à l'époque de la Révolution, l'assimilation de l'idée de dominium avec celle de proprietas, confondues dans une réinterprétation du domaine utile plus favorable aux roturiers, a été menée notamment par Robert-Joseph Pothier en suivant une tradition scolastique médiévale qui rapprochait les deux termes[8],[9].
Dominium dans les empires colonialistes
modifierDans le contexte du colonialisme, les empires coloniaux ont distingué le dominium proprietatis du dominium jurisdictionis, ou imperium pour rationaliser juridiquement leurs conquêtes[10].
La conception d'un titre ancestral des Amérindiens sur leurs terres et sur eux-mêmes trouve son origine historique dans une vision chrétienne de leur dominium comme un droit naturel[11], comme l'a par exemple soutenu Francisco de Vitoria[12].
Dans l'empire britannique, le terme de dominium a aussi donné le mot dominion, qui désigne un type de colonie. Par ailleurs, certaines colonies ont été appelées des condominiums lorsqu'elles étaient administrées par deux empires à la fois.
Réinterprétations savantes
modifierEn droit romain, dans l'Antiquité, le mot dominium en lui-même n'avait pas de sens figé et était utilisé dans le contexte de divers concepts juridiques. Cependant, les exégètes médiévaux puis modernes des textes juridiques en latin de l'Antiquité se sont inspirés des sens divers de dominium pour concevoir et systématiser de nouvelles notions, comme celle de droit subjectif sous la plume de Grotius[13].
Références
modifier- Bernard 2019.
- Coriat 1995.
- Raepsaet 2019, p. 69.
- Rognon 2019, § 23.
- Chicot 2014, p. 42.
- Boulnois 2013, p. 176.
- Barbier 2010.
- Blaufab 2019, p. 117.
- Coriat 1995, p. 17.
- Linden 2016, p. 51.
- Assy 2018, p. 16.
- Gaëlle Demelemestre, « Les Dominicains et les Indiens », Clio@Themis. Revue électronique d'histoire du droit, no 16, , § 10 (ISSN 2105-0929, DOI 10.35562/cliothemis.475, lire en ligne, consulté le )
- Pagden 2006.
Bibliographie
modifier- Gaëlle Demelemestre, « Dominium et ius chez Francisco de Vitoria, Domingo de Soto et Domingo Bañez », Laval théologique et philosophique, vol. 71, no 3, , p. 473–492 (ISSN 0023-9054 et 1703-8804, DOI 10.7202/1036272ar, lire en ligne, consulté le )
- (en) Bethania Assy, « Towards a (Radically) Decolonial Anthropology: Revisiting the Iberian School of Peace », Direito, Estado e Sociedade, (lire en ligne, consulté le )
- Georges Raepsaet, « La civitas Tungrorum, le pes Drusianus et le statut foncier des terres conquises », Revue belge de Philologie et d'Histoire, vol. 97, no 1, , p. 67–93 (DOI 10.3406/rbph.2019.9260, lire en ligne , consulté le )
- Laurent Pfister, « Domaine, propriété, droit de propriété. Notes sur l'évolution du vocabulaire du droit français des biens », Revue générale de droit, vol. 38, no 2, , p. 303–338 (ISSN 0035-3086 et 2292-2512, DOI 10.7202/1027039ar, lire en ligne, consulté le )
- (en) Mieke van der Linden, The Acquisition of Africa (1870-1914): The Nature of International Law, Brill Nijhoff, (ISBN 978-90-04-32119-9, lire en ligne)
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- Rafe Blaufarb (Christophe Jaquet (trans.)), L'invention de la propriété privée: une autre histoire de la Révolution, Ceyzérieu, Champ Vallon, coll. « La Chose publique », (ISBN 979-10-267-0837-7)