Dracula prisonnier de Frankenstein

film sorti en 1972

Dracula prisonnier de Frankenstein (Drácula contra el Dr Frankenstein) est un film fantastique hispano-franco-germano-portugais écrit et réalisé par Jess Franco, tourné vers la fin de l'année 1971[1] en Espagne (château de Santa Barbara à Alicante) et au Portugal (Palácio dos Condes de Castro Guimarães)[2], et sorti en 1972.

Dracula prisonnier de Frankenstein

Titre original Drácula contra el Dr Frankenstein
Réalisation Jesús Franco
Scénario Jesús Franco
Acteurs principaux
Sociétés de production Fenix Film
CFFP
InterFilm
Prodif Ets
Pays de production Drapeau de l'Espagne Espagne
Drapeau de la France France
Drapeau du Portugal Portugal
Drapeau du Liechtenstein Liechtenstein
Genre Fantastique, horreur
Durée 85 minutes
Sortie 1972

Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution.

Dracula prisonnier de Frankenstein est parfois considéré comme le premier film d'une trilogie comprenant La Fille de Dracula et Les Expériences érotiques de Frankenstein[3].

Franco l'a tourné en réaction contre Les Nuits de Dracula qu'il avait réalisé quelques mois plus tôt. D'abord en accentuant un élément du roman de Bram Stoker qu'il avait été contraint de couper au montage du film précédent : « Il y a tout un monde que j'avais filmé et qui apparaît à peine dans Les Nuits de Dracula : les rapports - que je trouve passionnants dans le roman - entre Dracula et les gitans. J'avais tourné tout ce qu'il y a dans le roman, cette présence constante des gitans autour du château. [...] [Mais], comme le film avait une durée d'à peu près deux heures, les [producteurs] américains ont voulu le raccourcir [...]. Et ce sont les gitans qui ont sauté. »[4] Ensuite, en s'éloignant beaucoup du roman et en adoptant un ton opposé : Les Nuits de Dracula est, pour reprendre les mots du cinéaste, un film délibérément « en demi-teinte, comme le roman », pas du tout « un film délirant »[5]. « Je me suis tellement donné de mal pendant le tournage des Nuits de Dracula que je m'étais promis de me défouler une fois ce film terminé. Avec Dracula prisonnier de Frankenstein j'ai voulu rompre totalement avec le film précédent. J'ai donc écrit un scénario absolument différent, tout à fait dans l'esprit d'une bande dessinée. On peut raisonnablement dire que c'est une BD ! »[6] C'est un film délibérément « délirant »[1], réalisé en « hommage direct » aux deux films d'Erle C. Kenton[7] qui réunissent Dracula, le monstre de Frankenstein et le loup-garou (trois monstres emblématiques du studio Universal) : La Maison de Frankenstein et La Maison de Dracula. Mais, comme le remarque Stephen Thrower, Franco revient avec Dracula prisonnier de Frankenstein « à des traditions encore plus anciennes que celle du film d'épouvante tel qu'on le concevait dans les studios de la Universal, puisque Dracula prisonnier de Frankenstein est quasiment un film muet. Dans la version originale espagnole, il faut attendre vingt minutes avant d'entendre le premier dialogue, et les dialogues suivants sont rares et brefs [...]. Franco s'appuie presque uniquement sur les images et conduit son récit sans bavardage intrusif. »[1] Réaliser un film quasiment muet est encore une manière de prendre le contre-pied des Nuits de Dracula, film dans lequel dialogues et monologues étaient très importants (et parfois filmés dans des séquences très soignées, comme le monologue au cours duquel Dracula « raconte le passé guerrier de ses ancêtres »[8] - une séquence dont Franco était satisfait[8]).

Synopsis

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Dans une petite ville,.la fille d'un aubergiste est mordue par le comte Dracula. Afin d'éviter qu'elle ne devienne à son tour vampire, le docteur Seward lui enfonce une aiguille dans l’œil. Puis il se rend en plein jour dans le château du comte et profite du sommeil du vampire pour lui enfoncer un pieu dans le cœur. Plus tard, le docteur Frankenstein, accompagné de son serviteur, s'installe au château. Le docteur souhaite dominer les non-morts pour conquérir "le monde mystérieux de l'infini" et asservir les humains à l'aide d'une armée de vampires. Il commence par réanimer sa créature. Une fois sortie du laboratoire, la créature enlève une chanteuse de cabaret que le docteur saigne à mort par une sorte d'exsanguino-transfusion. Grâce au sang de la chanteuse, Frankenstein ressuscite Dracula. Au même moment, dans les souterrains du château et à l'insu de tous, une femme vampire sort de son cercueil. Elle agresse une devineresse gitane. De son côté, Dracula obéit à Frankenstein : il mord une patiente de Seward, elle devient une vampire et, ensemble, ils agressent un couple. Ayant compris que le comte est de retour, Seward retourne au château, mais en chemin, il est attaqué par la créature de Frankenstein. Blessé, il est recueilli par des gitans et soigné par la devineresse. Elle lui annonce qu'à la prochaine pleine lune, il vaincra avec l'aide de l'homme-loup. La nuit annoncée survient. La devineresse meurt en rappelant à Seward sa prophétie. La femme vampire tue le serviteur de Frankenstein. Le loup-garou surgit et affronte la créature. Sous la forme d'une chauve-souris, la femme vampire poursuit le docteur Frankenstein jusque dans son laboratoire. Il parvient à se débarrasser d'elle en l'emprisonnant dans un arc électrique. Puis il détruit les autres vampires, ainsi que sa propre créature. Lorsque Sewart et les gitans arrivent au château, ils constatent que les vampires ne sont plus que des squelettes gisant dans leurs cercueils. Frankenstein, lui, a disparu...

Fiche technique

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Distribution

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Musique

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La musique de Bruno Nicolai utilisée dans Dracula prisonnier de Frankenstein n'a pas été composée pour le film. Il s'agit d'extraits des bandes originales de deux réalisations antérieures de Franco : Justine ou les infortunes de la vertu et Les Nuits de Dracula[2],[9].

Également crédité à la musique, Daniel White aurait composé la chanson chantée en français dans la séquence du cabaret[9].

Versions

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Il existerait plusieurs versions du film, dans lesquelles les actrices seraient plus ou moins dénudées[9]. Celle qui a été exploitée en salles en France (comme celles qui ont été par la suite éditées en VHS, en DVD ou en Blu-ray, en Espagne ou aux États-Unis) est la version sans nudité[9].

Le film a été tourné en techniscope[10],[11]. Les versions proposées sur DVD sont au rapport de forme 1,85:1, et ne respectent donc pas le format large initial (2,35:1). Avant l'édition du film en Blu-ray, il fallait se procurer une VHS japonaise[12] ou un LaserDisc[13] pour pouvoir apprécier la manière dont Franco utilise ici le format large[1]. Comme l'écrit Robert Monell en s 'appuyant sur des propos du cinéaste, celui-ci « voulait que la droite, la gauche et le centre du champ aient la même importance et soient reliés par le flux de l'action. Ce principe, associé à une utilisation agressive du zoom, ne fonctionne que si le film est vu dans son rapport correct de 2,35:1. Vus en plein écran ou recadrés en pan and scan, les plans semblent composés de manière maladroite et confuse. Mais ce n'est pas le cas. C'est l'une des œuvres les plus soigneusement composées et visuellement expérimentales de Franco. »[14]

Accueil critique

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Dracula prisonnier de Frankenstein est mal accueilli lors de sa sortie dans les salles françaises[9]. Alain Garsault dans Fiction lui reproche son « action [...] simpliste »[15] et écrit : « le film accumule avec une incohérence évidente les péripéties-types, les cadrages alambiqués, les coups de zoom intempestifs. Le même plan d'un château noyé dans une brume qui ne se manifeste jamais ailleurs revient ponctuer le récit quand Franco ne sait quoi filmer. »[15] Garsault reproche également le personnage de la femme vampire : « vaguement inspiré par Carol Borland, ce personnage n'est jamais nommé, son existence jamais expliquée, ses allées et venues jamais perçues par les autres personnages. Elle semble provenir d'un autre film. »[15] Dans La Revue du cinéma/Image et son, Paul Vecchiali est plus nuancé. S'il reproche lui-aussi à Franco d'accumuler sans chercher la cohérence (« Jess Franco entasse les éléments fantastiques sans essayer de les ordonner ni de les comprendre »[16]), il lui reconnaît « un goût certain dans le choix des décors, des couleurs et des interprètes féminins »[16]. Aussi Vecchiali s'interroge-t-il : « Ce film de cinéphile hystérique de l'horreur ne manque pas de charme finalement mais pourquoi tant d'efforts, pourquoi tant de recherches esthétiques, lorsque le minimum n'est pas fourni au niveau des thèmes et de l'anecdote ? »[16]

Les amateurs du cinéaste comme Jean-Pierre Bouyxou[5], Alain Petit[17], Carlos Aguilar[18], Robert Monell[14] ou Stephen Thrower[1] ont par la suite nettement défendu le film. Pour Alain Petit, « le caractère visiblement impromptu de certaines scènes trahit ce besoin vital de liberté, en même temps que la fièvre créatrice qui ronge Jess Franco en ce début des années 1970 et qui l'amènera à signer douze films en une année... Cette réalisation à l'emporte-pièce donne au film une grande mouvance convenant tout à fait à la folie du propos. D'aucuns ont cru voir dans ce manque de rigueur, à l'évidence voulu par l'auteur, un laisser-aller, un "j'm'en-foutisme" inadmissible. À chacun son opinion... »[17]

Jean-François Rauger programme Dracula prisonnier de Frankenstein pour la première fois à la Cinémathèque française le 21 janvier 1994 dans le cadre des séances de "cinéma bis"[19]. Le film y est montré avec Les Expériences érotiques de Frankenstein, en présence de l'acteur Howard Vernon. Il s'agit du premier double-programme de la Cinémathèque française consacré à Jess Franco. Le texte du flyer se conclut sur une idée que Rauger reprendra dans la présentation de la rétrospective consacrée, pendant l'été 2008, aux films du cinéaste[20] : « Le cinéma de Franco est un cinéma contemporain de la modernité. Il survient alors que la croyance fondamentale du spectateur disparaît. Sans se soucier d'inventer de nouvelles mythologies, Franco se contente de les dénuder, de détruire le récit pour ne restituer que des figures de rhétorique, avec un sens du lyrisme qui n'appartient qu'à lui »[21]. Dracula prisonnier de Frankenstein est donc à l'origine de la redécouverte et de la réévaluation progressives des films de Franco en France, tendance qui aboutira à la rétrospective de 2008[20].

Notes et références

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  1. a b c d et e (en) Stephen Thrower, Murderous Passions : The Delirious Cinema of Jesús Franco, vol. 1, Londres, Strange Attractor Press, , 432 p. (ISBN 978-1907222603), p. 285
  2. a et b Stephen Thrower, 2015, p. 286
  3. Stéphane du Mesnildot, Jess Franco : Énergies du fantasme, Pertuis, Rouge profond, , 160 p. (ISBN 2-915083-11-8), p. 137
  4. Michel Caen et Jacques Boivin, « Jesus Franco » (Entretien avec J. Franco), Vampirella, no 3,‎ , p. 56
  5. a et b Alain Petit, Jess Franco ou les prospérités du bis, Alignan-du-vent, Artus Films, , 752 p. (ISBN 978-2954843537), p. 210
  6. Alain Petit, 2015, p. 204
  7. Alain Petit, 2015, p. 209
  8. a et b Alain Petit, 2015, p. 203
  9. a b c d et e Alain Petit, 2015, p. 540
  10. Alain Petit, 2015, p. 538
  11. Stephen Thrower, 2015, p. 284
  12. Stephen Thrower, 2015, p. 289
  13. https://www.dvdcompare.net/comparisons/film.php?fid=9758
  14. a et b https://robertmonell.blogspot.com/2024/02/dracula-prisoner-of-frankenstein-jess.html
  15. a b et c Alain Garsault, « Dracula prisonnier de Frankenstein/La Fille de Dracula », Fiction, no 263,‎ , p. 188
  16. a b et c Paul Vecchiali, « Dracula prisonnier de Frankenstein », La Revue du cinéma (Image et son) « La Saison cinématographique 1973 », nos 276-277,‎ , p. 125
  17. a et b Alain Petit, 2015, p. 539
  18. (en) Carlos Aguilar, Jess Franco : El sexo del horror, Firenze, Glittering Images, coll. « Bizarre Sinema ! », , 193 p. (ISBN 88-8275-040-X), p. 103
  19. Christophe Bier (dir.), Bis, Paris, Serious Publishing, , 1040 p. (ISBN 978-2-36320-009-9), p. XCIII
  20. a et b https://www.cinematheque.fr/cycle/jess-franco-248.html
  21. Christophe Bier (dir.), 2014, p. 28

Liens externes

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