Elle le ferait si elle le pouvait
Elle le ferait si elle le pouvait, titre original She Would if She Could, est une comédie de la Restauration anglaise, en cinq actes et en prose de George Etherege. C'est sa seconde et avant-dernière pièce. Écrite en 1668, elle fut jouée au début de cette même année, le [1] au théâtre de Dorset Garden, quatre ans après sa première œuvre, The Comical Revenge, qui fut un grand succès et qui est parfois considérée comme la première véritable comédie de la Restauration[2],[3].
Détail de l'intrigue
modifierActe I
modifierScène 1, au domicile de Courtall
modifierCourtall et Freeman sont deux jeunes gentilshommes londoniens. Oisifs et pleins d'esprit, ils passent leur temps à courtiser les femmes et les jeunes filles. Mrs Sentry, la dame de compagnie de lady Cockwood, vient chez Courtall lui annoncer discrètement que sa maîtresse est revenue à Londres pour quelque temps. On comprend que cette lady aimerait bien reprendre un flirt amorcé avec Courtall lors de son précédent séjour. Elle est venue avec son mari, sir Oliver, ami aussi de Courtall, d'un parent, sir Joslin, et de deux jeunes cousines, Gatty et Ariana, tous originaires de la campagne. Ils ont loué une grande maison à Londres pour eux tous.
Sir Oliver vient saluer Courtall, et Sentry, effrayée, n'a que le temps de se cacher dans une armoire. Sir Oliver confie à Courtall qu'il trouve la vie à la campagne terriblement ennuyeuse, et qu'il n'est pas fâché de se retrouver à Londres :
Sir Oliver -- Il me semble véritablement avoir été absent une éternité, mais j’ai l’intention de rattraper ce temps perdu. Combien vont les affaires, je vous prie ? Est-ce que le vin est bon, et les femmes gentilles ? Par ma foi, il vaut mieux pour un homme être un vagabond dans cette ville qu’un juge de paix à la campagne. Je suis moi-même devenu un sot par manque de loisirs de gentleman. Si un homme lâche ne serait-ce qu’un juron, les gens sursautent comme si un coup de feu venait d’être tiré. Et si le hasard fait qu’il s’accouple avec la fille de son voisin sans l’aide d’un pasteur et qu’il laisse derrière lui une petite preuve de sa tendresse, il y a bientôt un tel tumulte que le pauvre homme est contraint de fuir le pays. Quant à l’ivrognerie, c’est vrai qu’on peut la pratiquer sans scandale, mais la boisson est si abominable qu’on s’en abstient par crainte que ce vice nous rende inaptes à l’amour. |
Avant de prendre congé, sir Oliver invite Courtall et son ami Freeman à dîner le soir même au restaurant. Il leur présentera sir Joslin, qui est, dit-il, un joyeux compagnon.
Scène 2, au domicile de lady Cockwood
modifierSentry vient faire le compte-rendu de son entretien avec Courtall à lady Cockwood. Celle-ci est ravie, tout en craignant pour son honneur, qui est son obsession. Puis sir Oliver vient lui dire qu'il dînera ce soir en ville avec son parent sir Joslin, absence qui n'est pas pour déplaire à lady Cockwood. Tout le monde sort. Les deux cousines, Gatty et Ariana, entrent et se montrent elles aussi enchantées de leur venue à Londres. Gatty, plus intrépide, parle d'aller faire tout de suite un tour en ville :
Gatty — Crois-tu que nous sommes ici pour rester enfermées, ne prenant la liberté que d'aller de notre chambre à la salle à manger, et de la salle à manger à notre chambre ? Comme des oiseaux en cage, sautant éternellement entre deux perchoirs[5] ? |
Acte II
modifierScène 1, au jardin des mûriers
modifierCourtall et Freeman sont sortis un moment du restaurant où ils dînent avec sir Oliver et sir Joslin.
Courtall (parlant de sir Oliver et de sir Joslin) -- Y a-t-il un couple de fops mieux assorti que ces deux chevaliers ? |
Courtall et Freeman croisent Gatty et Ariana, portant des masques. Elles traversent rapidement la scène. Courtall et Freeman se demandent s'ils doivent les suivre.
Freeman -- Ha, ha, comme elles sont arrivées d'un pas léger et espiègle ! Rien que leur allure est assez tentante pour réveiller les sangs d'un vieux magistrat. Je t'en prie, suivons-les. |
Malgré la réticence de Courtall, ils se mettent à les suivre. Conscientes et ravies de l'intérêt qu'elles ont éveillé, elles marchent vite et ils ont du mal à les rattraper. Finalement, en prenant deux chemins différents, ils arrivent à les arrêter.
Courtall -- Avec votre permission, mesdames... |
S'engage alors entre eux une joute verbale. Les deux jeunes filles montrent tant d'esprit, qu'elles éveillent de plus en plus l'intérêt des deux jeunes gens. Ils aimeraient les connaître davantage, et pour cela qu'elles enlèvent leurs masques.
Freeman -- Êtes-vous si farouches pour vous masquer ainsi ? |
Courtall et Freeman leur donnent rendez-vous pour le lendemain au même endroit. Elles conditionnent leur acceptation à leur promesse de ne pas voir d'autres femmes d'ici là. Ils acceptent et s'en vont. Restées seules, elles échangent leurs impression :
Ariana -- Je me demande ce qu'ils pensent de nous ! |
Scène 2, au domicile de sir Oliver
modifierLady Cockwood est mécontente que Courtall ne soit pas venu lui faire une visite, alors qu'elle avait spécialement dépêché sa dame de compagnie, Mrs Sentry, chez lui à l'acte I scène 1, pour lui annoncer son retour à Londres.
Sentry — Chère madame, ce n'est pas raisonnable de vous affliger ainsi. Je mettrais ma tête à couper que ce n'est pas un manque de zèle mais d'opportunité qui l'a retenu. |
Mais voilà qu'arrive Courtall, et le ton de lady Cockwood change du tout au tout.
Lady Cockwood (sursautant à l'arrivée de Courtall) — Mr Courtall, pour l'amour du ciel, comment se fait-il que vous venez ici ? |
Lady Cockwood propose des chaises et Sentry sort. Lady Cockwood masque son plaisir sous des dehors de femme vertueuse, et Courtall lui dit qu'il doit retourner au restaurant où l'attendent sir Oliver et sir Joslin. Ils se fixent un rendez-vous secret le lendemain à dix heures, Courtall précisant qu'il viendra avec son petit carrosse qui n'a que deux places. Courtall sort.
Peu après Gatty et Ariana rentrent. Elles ont à peine le temps d'expliquer à lady Cockwood où elles étaient, qu'arrivent sir Oliver et sir Joslin ivres tous deux, accompagnés de Courtall et Freeman. Gatty et Ariana, apercevant ces deux derniers, poussent un cri et disparaissent, mais les deux jeunes gens les ont vues et ont reconnu les vêtements des deux demoiselles masquées qu'ils ont rencontrées au jardin des mûriers. Cela contrarie Courtall :
Freeman (à Courtall) — Ce sont exactement les mêmes robes et les mêmes manteaux. |
Pendant que sir Oliver, ivre, fait une scène à lady Cockwood, sir Joslin est parti chercher Gatty et Ariana et revient avec elles. Elles se retrouvent face à Courtall et Freeman, qui inventent rapidement une explication à leur présence :
Freeman — Je savais que nous vous surprendrions, jeunes filles. |
Les femmes se retirent, tandis que les hommes se remettent à boire joyeusement.
Acte III
modifierScène 1, à la nouvelle Bourse
modifierDepuis qu'il a rencontré Gatty et Ariana, Courtall n'est plus très motivé pour pousser plus avant l'intrigue entamée avec lady Cockwood. Il fait en sorte que leur rendez-vous secret échoue à cause de l'arrivée d'autres personnes. En tête à tête un instant avec lady Cockwood, il se lamente hypocritement de cette suite fâcheuse, allant même jusqu'à dire que c'est elle la responsable de cet échec :
Courtall — Morbleu, madame, si vous aviez fait moins de cérémonie et étiez monter immédiatement dans mon carrosse, nous aurions évité ce contre-temps. |
Courtall lui dit que non, mais c'est en réalité pour revoir les deux cousines Gatty et Ariana. Il convainc lady Cockwood de dîner ce soir au « Bear »[19] avec elles et lui. Lady Cockwood accepte, car elle sait que sir Oliver, puni pour son attitude de la veille, ne peut sortir.
Scène 2, au domicile de sir Oliver
modifierSir Joslin vient chercher sir Oliver pour une nouvelle nuit de débauche qu'il a organisée au « Bear ». Sir Oliver l'informe que, pour l'empêcher de sortir, lady Cockwood a fait mettre tous ses habits sous clef, et qu'il n'a pour tout vêtement que ce qu'il porte sur lui : des pantoufles, une robe de chambre et une calotte, sa tenue d'humiliation comme il l'appelle. Sir Joslin finit tout de même par le convaincre de venir, disant qu'un gentleman tel que lui peut se permettre de s'habiller de cette façon. Sir Oliver le suit donc dans cette tenue.
Scène 3, au restaurant "The Bear"
modifierCourtall, lady Cockwood, Gatty et Ariana, accompagnés par Mrs Sentry et Freeman, arrivent au « Bear ». Le garçon leur apprend que le cabinet où ils s'installent par erreur est réservé à Sir Joslin et à sir Oliver, et qu'une ou deux filles doivent les rejoindre. Lady Cockwood enrage de jalousie, mais ils s'installent tous néanmoins dans un cabinet voisin. Sir Joslin et sir Oliver arrivent à leur tour, bientôt rejoints par Rakehell, un entremetteur chargé de fournir les filles. Ce dernier s'étonne de la tenue vestimentaire de sir Oliver :
Rakehell — Il me semble que votre toilette, sir Oliver, est un peu trop rustique pour un homme de votre capacité. |
Rakehell force sir Oliver à porter une perruque. Freeman, puis Courtall, viennent les rejoindre, prétextant une rencontre fortuite. Quand les musiciens arrivent, lady Cockwood, Gatty, Ariana et Mrs Sentry, toutes déguisées, pénètrent dans le cabinet et se mettent à danser. Sir Joslin et sir Oliver, ravis de tant de femmes, s'échauffent de plus en plus, quand lady Cockwood feint un évanouissement. Toutes les femmes se démasquent, et sir Oliver fait amende honorable avec beaucoup d'apparente sincérité. Lady Cockwood confie à l'oreille de Courtall qu'elle est ravie de l'aventure, car cela lui permettra d'avoir encore plus de liberté qu'auparavant. Pendant ce temps sir Joslin confie à sir Oliver qu'il a fait renvoyer Rakehell et les filles dans un autre restaurant, et que la fête reprendra là-bas à six heures précises. Sir Oliver s'en réjouit.
Acte IV
modifierScène 1, au domicile de sir Oliver
modifierLady Cockwood commence à avoir des doutes sur la sincérité de Courtall à son égard :
Lady Cockwood — Une dame ne peut pas être trop jalouse de son amant, lorsque celui-ci est d'âge infidèle et inconstant. Il prétend que sa conduite amoureuse actuelle avec cette fille babillarde n'est qu'un moyen de tromper sir Oliver. Moi, je crains que cela soit un signe que son cœur a changé. Les lettres que j'ai contrefaites au nom de cette fille vont tout éclaircir. S'il accepte ce rendez-vous et refuse le mien, je n'aurai plus le moindre doute[21]. |
Elle fait parvenir anonymement cette lettre écrite soi-disant par Gatty à Courtall, lui proposant un rendez-vous au « Jardin de la source ». Elle apprend qu'il a lu cette lettre avec joie. Puis elle a dépêché Mrs Sentry auprès de lui pour lui proposer un rendez-vous pour elle-même. Courtall répond que cela lui est impossible pour l'instant à cause de graves questions personnelles qu'il doit résoudre. Lady Cockwood est alors fixée sur la duplicité de Courtall. Par vengeance, elle prévient son mari, sir Oliver, que Courtall lui fait une cour assidue. Puis elle interroge les deux cousines, et apprend que Courtall et Freeman les avaient courtisées au jardin des mûriers, alors qu'elle-même attendait impatiemment Courtall chez elle (à l'acte II scène 2). Elle se promet de fâcher Courtall avec tout le monde. Ainsi elle dit aux deux cousines que Courtall et Freeman se vantent partout de leurs bonnes fortunes avec elles. Elle veut cependant ménager Freeman, car elle espère une ouverture avec lui. Elle lui envoie tout de même une lettre identique.
Scène 2, au « Jardin de la source »
modifierCourtall et Freeman se rencontrent au « Jardin de la source »[22], car c'est le même lieu de rendez-vous qui leur a été donné. Le premier étonnement passé, ils comparent leurs lettres et constatent que, non seulement elles contiennent mot pour mot le même texte, mais qu'elles sont écrites aussi de la même main. Ils ne savent qu'en penser, lorsque arrivent Gatty et Ariana, peu enchantées de rencontrer Courtall et Freeman après les calomnies que lady Cockwood leur a dites sur eux.
Freeman — Venez-vous faire un tour avec nous ? |
Ces échanges de mots d'esprit se poursuivent jusqu'à l'arrivée de lady Cockwood et de Mrs Sentry. La présence soudaine de lady Cockwood ouvre les yeux de Courtall et de Freeman sur la provenance des lettres :
Gatty et Ariana tentent d'expliquer à lady Cockwood qu'elles viennent de rencontrer involontairement Courtall et Freeman. Lady Cockwood insinue que c'est sans doute eux qui ont écrit les lettres pour les compromettre et les laisser sans défense à leur merci. Elle est un moment inquiète, quand Mrs Sentry, qui a écrit les deux lettres, lui apprend que Gatty connaît son écriture. Heureusement qu'arrivent alors sir Oliver, sir Joslin et Rakehell, tous ivres. Le premier sort son épée pour défendre l'honneur de sa femme, et l'acte se finit sur un début de duel et sur les cris des femmes qui s'enfuient en courant.
Acte V
modifierScène 1, scène unique au domicile de sir Oliver
modifierLady Cockwood (seule dans son salon) — Je ne pensais pas que la boisson le rendrait aussi désespéré. S'ils se sont tués mutuellement, je serai vengée et libérée de toutes mes craintes. |
Sentry vient annoncer l'arrivée de Freeman. Lady Cockwood conçoit quelque espérance : « S'il a une réelle inclination pour ma personne, je lui donnerai une belle occasion de la révéler[26]. » La conversation s'engage entre eux, quand Sentry vient annoncer l'arrivée inattendue de Courtall. Lady Cockwood fait cacher précipitamment Freeman dans un placard. Lady Cockwood proteste véhémentement de l'intrusion de Courtall chez elle, tandis que celui demande en vain pourquoi elle lui en veut maintenant.
À ce moment, s'annonce sir Oliver, et Courtall n'a que le temps de se cacher sous une table, qui possède une nappe allant jusqu'au sol. Comme à son habitude, sir Oliver vient tout penaud s'excuser auprès de sa femme de son attitude de la veille. Dans son embarras, il fait tomber une orange par terre, et il demande à Sentry de lui apporter une bougie afin de rechercher le fruit qui a roulé sous la table. À ce moment, on frappe à la porte, et Sentry en profite pour aller ouvrir, emportant sciemment avec elle la seule bougie. Sir Oliver, fâché, court après elle, et lady Cockwood fait entrer Courtall dans le même placard que Freeman.
Sentry et sir Oliver reviennent, accompagnés des nouveaux arrivants, Gatty et Ariana. Après avoir hypocritement disputé Sentry pour être partie avec la bougie, lady Cockwood décide d'aller se coucher, et amène avec elle Sentry et sir Oliver. Gatty et Ariana pensent alors être seules. Elles reparlent des lettres et concluent qu'elles sont plutôt le fruit d'une femme jalouse que de deux hommes d'esprit. Elles reconnaissent qu'elles sont toujours amoureuses, et Ariana conclut par : « Je pense que s'ils nous donnaient une explication plausible, il serait difficile pour nous de les haïr[27]. » Elles décident de chanter, et Ariana va prendre sa guitare dans le placard. Elle y trouve Courtall et Freeman. Les deux jeunes filles s'enfuient en criant, mais Courtall et Freeman les rattrapent. Les cris font revenir sir Oliver, lady Cockwood et Sentry. Courtall et Freeman prétendent que c'est Sentry qui, après avoir reçu un peu d'argent, les avaient introduits dans la maison, car ils voulaient s'expliquer avec Gatty et Ariana au sujet des lettres. Courtall montre la sienne, et les deux cousines reconnaissent l'écriture de Sentry. Alors Courtall doit inventer une nouvelle histoire. Selon lui, c'est bien lady Cockwood qui est l'instigatrice des lettres, mais elle a agi par vertu. Choquée de voir ses cousines sortir aussi librement, elle a fait rédiger deux fausses lettres pour les effrayer et les rendre plus réservées avec les hommes.
Courtall et Freeman disent qu'ils sont vraiment amoureux et prêts à épouser les deux cousines. Sir Joslin, qui rentre à l'instant avec des musiciens et Rakehell, donne son accord. Gatty et Ariana disent qu'elles vont observer Courtall et Freeman pendant un mois, et si leur conduite est irréprochable, elles se marieront avec eux. Tout le monde se réconcilie.
Noms des personnages
modifierLa comédie des humeurs a fondé son comique sur certains personnages gouvernés par un trait de caractère particulièrement fort et caractéristique, qui les fait se retrouver dans des situations cocasses ou ridicules. Ce trait de caractère était souvent souligné par le nom donné au personnage. Cette tradition s'est maintenue dans la comédie de la Restauration, et dans Elle le ferait si elle le pouvait, on trouve :
- Courtall (court all : les courtise toutes)
- Freeman : homme libre[28]
- Sentry : sentinelle, qui veille en permanence, malgré les rebuffades, sur l'honneur de sa maîtresse, lady Cockwood
- Cockwood (à rapprocher de woodcock : bécasse)
- Rakehell : libertin
- Sir Joslin Jolly (jolly : gai, jovial)
- Les deux marchandes à la Bourse[29], Mrs Gazette et Mrs Trinket (Mme Gazette et Mme Babiole), ont des noms qui décrivent leurs activités principales.
Analyse et critique
modifierLors des premières représentations, cette pièce ne fut guère appréciée. La faute en fut vraisemblablement au nombre exceptionnel de spectateurs qui se pressèrent au théâtre à cette occasion, et aux comédiens qui ne savaient pas suffisamment leurs textes. Pepys, qui assista à la première de la pièce, indique dans son journal à la date du : « Bien que je fusse sur place à deux heures, il y avait dehors mille personnes qui n'avaient pu trouver place au parterre »[30]. Sa femme étant partie avant lui, il peut tout de même entrer, et il s'étonne du nombre incroyable de spectateurs : « Seigneur, comme la salle était bondée ! ». Il s'assoit très en retrait d'où il voit fort mal et n'entend pas tout. La pièce ne lui plaît pas, il la trouve « stupide et ennuyeuse, malgré de l'espièglerie et de l'esprit[30]. » Pepys rapporte encore qu'Etherege, présent dans la salle, se plaignit des acteurs qui ne connaissaient pas leurs textes et n'étaient pas dans le ton[1]. Au fil des représentations, la pièce connut pourtant un succès honorable[3], sans toutefois atteindre le triomphe de sa première pièce The Comical Revenge or, Love in a Tub. À peine trois ans plus tard, en 1671, Thomas Shadwell nota dans la préface des Humorists que ce fut vraisemblablement un mauvais jeu d'acteur qui compromit le succès de cette pièce, qu'il tenait pour la meilleure comédie écrite depuis la réouverture des théâtres en 1660[1].
Dans cette pièce, Etherege joue sur les relations homme-femme, opposant également, comme il était courant dans ce genre de comédie, la ville et la campagne, et les jeunes et les vieux. Les vers ont quasiment disparu de cette seconde pièce. Ils ne subsistent que dans quelques couplets, chantés la plupart du temps par sir Joslin.
C'est une comédie de la frustration et de l'hypocrisie, ce que confirme la fréquence avec laquelle les personnages doivent se cacher dans des placards, des bûchers ou sous des tables, afin d'éviter d'être découverts par des époux ou des amants soupçonneux, qui, à leur tour, doivent se dissimuler de tierces personnes. La vie n'est qu'un jeu où l'on feint une moralité de surface, et où l'on organise des rendez-vous secrets, que l'on annule ou que l'on reporte, avec des maîtresses ou des compagnons de beuverie. La conséquence habituelle est de s'exposer au ridicule. Lady Cockwood serait bien une débauchée, si elle pouvait l'être sans que personne le sache ; sir Oliver Cockwood serait bien un libertin si toutefois il y parvenait. Sir Joslin, le bruyant noceur, est une parodie de l'esprit de fête, car, avec tout son équipement de chansons, de danses et de musique, il n'arrive qu'à être un vieil ivrogne[3]. William Moseley Kerby compare lady Cockwood à une Tartuffe femelle, qui parle perpétuellement et à haute voix de son honneur, tout en s'engageant dans des intrigues scandaleuses[31]. Avec les jeunes amants, dont les équipées sont également compliquées et frustrantes, Etherege cède finalement à un dénouement heureux, mais, en chemin, ses héroïnes au franc-parler parviennent à déstabiliser leurs amoureux désinvoltes par des commentaires et des contre-attaques pleins d'esprit[3].
À partir du siècle suivant, les critiques se firent plus sévères à l'égard de cette pièce, comme de toutes les comédies de la Restauration. L'un de ces premiers critiques fut Richard Steele, qui écrivit dans The Spectator à propos de cette pièce : « Je conviens que c'est la nature, mais c'est la nature dans sa forme la plus corrompue et la plus dégénérée[32] ».
Références
modifier- (en) Michael Cordner, Peter Holland et John Kerrigan, English comedy, Cambridge England New York, Cambridge University Press, , 323 p. (ISBN 978-0-521-41917-8 et 978-0-521-03290-2, OCLC 373473138), p. 158
- John Palmers, The Comedy of Manners, G. Bell & Sons, Londres, 1913, 308 pages, pg 3 et 4, Il faut attendre janvier 1664 et la pièce d'Etherege "The Comical Revenge, or Love in a Tub" pour voir le théâtre de Charles II affecté par cette sorte de comédie que Macaulay a si solennellement désapprouvée.
- Dennis Davison, Restoration Comedies, Oxford University Press, Londres, Oxford, New York, 1970, 399 pages, préface pg xi
- Dennis Davison, Restoration Comedies, Oxford University Press, Londres, Oxford, New York, 1970,She would if she could, Acte I scène 1, pg 7, lignes 61 à 77
- Dennis Davison, Restoration Comedies,She would if she could, Acte I scène 2, pg 14, lignes 110 à 113
- Le Jardin des mûriers (Mulberry Garden) était un parc planté de mûriers se trouvant sur l'emplacement actuel de Buckingham Palace
- Dennis Davison, Restoration Comedies,She would if she could, Acte II scène 1, pg 15, lignes 1 à 22
- Dennis Davison, Restoration Comedies, She would if she could, Acte II scène 1, pg 16, lignes 45 à 52
- Dennis Davison, Restoration Comedies, She would if she could, Acte II scène 1, pg 17, lignes 71 à 81
- Par inexcusable péché de bavardage, Ariana parle de l'habitude qu'ont les hommes de se vanter auprès de leurs amis de leurs dernières conquêtes, compromettant ainsi l'honneur de celles-ci.
- Farendon : tissu fabriqué à partir d'un mélange de laine et de soie
- Dennis Davison, Restoration Comedies, She would if she could, Acte II scène 1, pg 17-18, lignes 89 à 115
- Dennis Davison, Restoration Comedies,She would if she could, Acte II scène 1, pg 19, lignes 160 à 171
- Dennis Davison, Restoration Comedies,She would if she could, Acte II scène 2, pg 19, lignes 1 à 7
- Dennis Davison, Restoration Comedies,She would if she could, Acte II scène 2, pg 20, lignes 11 à 19
- Dennis Davison, Restoration Comedies, She would if she could, Acte II scène 2, pg 22, lignes 107 à 108
- Dennis Davison, Restoration Comedies,She would if she could, Acte II scène 2, pg 24, lignes 149 à 170
- Dennis Davison, Restoration Comedies,She would if she could, Acte III scène 1, pg 29, lignes 136 à 151
- The Bear était une taverne située dans Drury Lane
- Dennis Davison, Restoration Comedies, She would if she could, Acte III scène 2, pg 36, lignes 82 à 94
- Dennis Davison, Restoration Comedies,She would if she could, Acte IV scène 1, pg 43-44, lignes 1 à 6
- Le Jardin de la source (The Spring Garden) était un terrain de loisirs situé à Vauxhall. Il devait son nom à l'ancien Spring Garden de Charing Cross, qui avait été démoli, et qui possédait un jet d'eau artificiel qui arrosait les promeneurs non avertis.
- Dennis Davison, Restoration Comedies,She would if she could, Acte IV scène 2, pg 51-52, lignes 149 à 182
- Dennis Davison, Restoration Comedies,She would if she could, Acte IV scène 2, pg 53, lignes 231 à 234
- Dennis Davison, Restoration Comedies,She would if she could, Acte V scène 1, pg 55-56, lignes 1 à 15
- Dennis Davison, Restoration Comedies,She would if she could, Acte V scène 1, pg 56, lignes 39 à 40
- Dennis Davison, Restoration Comedies,She would if she could, Acte V scène 1, pg 62, lignes 247-248
- N. H. Keeble, The Restoration : England in the 1660s, Wiley-Blackwell, 2002, 270 pages, (ISBN 9780631236177), pg 181
- Ici, Bourse : arcade de boutiques dans The Strand
- Phil Gyford, « The Diary of Samuel Pepys » (consulté le )
- William Moseley Kerby, Molière and the Restoration Comedy in England, thèse de doctorat, 1907, 121 pages, pg 28
- Richard Steele dans le The Spectator n° 51 et 65