Errores Gazariorum

manuscrit médiéval

Les Errores Gazariorum est le nom d'un traité rédigé par un auteur anonyme vers 1430 et 1440 constituant une des premières tentatives de théorisation du concept de sorcellerie dans le cadre des chasses aux sorcières. Il est rédigé par un auteur anonyme qui est vraisemblablement un inquisiteur savoyard, vaudois ou valaisan et aborde pour la première fois la notion de sorcières volant sur un balai pour se rendre au sabbat[1],[2]. Parmi les auteurs supposés de ce manuscrit, on trouve Ulric de Torrenté, Claude Tholosan ou encore Ponce Feugeyron[3].

Description modifier

Le titre complet de ce traité est Errores Gazariorum seu illorum qui scobam seu baculum equitare probantur, soit en français : Les erreurs des Gazarli, soit de ceux qui se déplacent chevauchant un balai ou un bâton[4].

Origine des manuscrits modifier

Manuscrit de Bâle modifier

On connait ces Errares Gazariorum[4] d'abord par une édition des textes par Johan Hansen au début du XXe siècle, dans lequel on trouve une transcription des textes. L’éditeur s'est appuyé sur un manuscrit « A II 34 » contenant des traités du concile de Bâle[5] de la bibliothèque universitaire de Bâle, dont la datation correspond à la durée du concile, soit située entre 1431 et 1449.

Le texte concerne plus spécialement la question hussite, mais ne peut pas être daté plus précisément que pendant la durée du concile (1431 — 1449). Comme l'auteur des Errores Gazariorum se réfère précisément à des procédures juridiques et que Johan Hansen identifie deux lieux comme étant ceux de Chambéry et Vevey, Hansen estime que l'auteur est un inquisiteur et qu'il a dû assister ou mener des procès dans ces deux lieux.

Manuscrit palatin modifier

Pierrette Paravy trouve un autre manuscrit des Errores Gazariorum le Vat. lat. 456 à la Bibliothèque vaticane vers la fin des années 1970. Il comporte des différences avec le premier, notamment en ce qui concerne les lieux cités. La datation peut être réévaluée entre 1431 et 1437, car le manuscrit fait partie d'une retranscription résumée et chronologique des sessions du concile de Bâle[5].

Contenu modifier

Le manuscrit fait référence aux «Gazarii», dénomination italienne utilisée pour qualifier les cathares ou dès la fin du XIVe les hérétiques vaudois de l'Italie du Nord.

La particularité première des Errores Gazariorum est que le texte fait référence au balai ou au bâton que les sorcières utilisent supposément pour se rendre au sabbat pour la première fois, le vol étant rendu possible après avoir préalablement enduit le bâton ou balai d'un onguent. Bâton/balai et onguent sont d'après le manuscrit remis après une cérémonie nommée non point «sabbat» mais »synagogue».

La possibilité du vol nocturne des sorcières sur des chaises avait dans le passé été niée par Reginon de Prüm dans le Canon Episcopi[6] rédigé en 906, ce dernier y affirmant que les femmes qui prétendent chevaucher des animaux en volant la nuit avec la déesse Diane sont victimes d'illusions diaboliques, tout comme celles et ceux qui y croient. Ce texte avait eu une forte résonance dans l'Église. Cette négation de la possibilité du vol nocturne est combattue dans l'argumentaire des instigateurs de la chasse aux sorcières, ce qui les oppose dans un premier temps au scepticisme des autorités religieuses.

Dans le Formicarius de Johannes Nider (rédigé entre 1436 et 1438 et publié en 1475), Nider évoque le cas d'une vieille femme qui se fourvoie en pensant voler dans les airs. S'étant au préalable enduite d'un onguent, elle s'endort installée dans son pétrin, et rêve à Vénus, en manifestant un plaisir extrême «jubilum». Nider montre comment un moine dominicain met à jour la fausseté de cette affirmation, en proposant à la vieille femme qu'elle le lui montre, cette dernière s'en révélant incapable. Toutefois dans ce récit se trouvent liées les thématiques du vol nocturne et du plaisir sexuel (jubilum), qui viendront par la suite renforcer les récits de sorcières se rendant au sabbat en volant pour s'y livrer à des orgies notamment sexuelles[6]. Ce glissement, malgré la réticence de Nider à valider la possibilité du vol, est opéré à partir de l'apparition de l'utilisation de l'onguent et de Vénus (qui remplace Diane) et témoigne d'un changement de perception qui sera amplifié dans les écrits suivants.

En 1431 Hans Fründ écrit une chronique des évènements concernant les procès de sorcellerie dans le Valais de 1428[7] et évoque les vols nocturnes comme une réalité. Il indique que les sorcières se rendent dans les caves des particuliers afin de les piller en volant à l'aide de chaises enduites d'un onguent magique que le «mauvais esprit» leur apprend à fabriquer[6].

La présence de cet onguent dans les récits est nouvelle, l'onguent est absent du Canon Episcopi, mais l'onguent et le vol nocturne avec un bâton ou un balai sont présents dans les Errores Gazariorum.

Dans le Fortalitium Fidei de Alphonsus de Spina de 1458[8] ou 1459[9] le vol nocturne est à nouveau évoqué. C'est la croyance en ce vol nocturne qui est décrite comme diabolique, avec pour conséquence directe de pouvoir condamner pour sorcellerie toute personne qui avouerait s'être transportée par les airs, que la chose fut réelle, ou non[10]. Cette fois-ci le tort des personnes incriminées serait d'invoquer le diable pour se rendre dans un endroit, de s'enduire d'un onguent, puis de s'endormir, le «transport» ayant lieu dans le sommeil en imagination sans que le corps physique ne change de place.

Bibliographie modifier

  • Martine Ostorero, « Un manuscrit palatin des Errores gazariorum », dans Inquisition et sorcellerie en Suisse romande, (lire en ligne), p. 493–504
  • Kathrin Utz Tremp, Bernard Andenmatten, « De l'hérésie à la sorcellerie : l'inquisiteur Ulric de Torrenté OP (vers 1420-1445) et l'affermissement de l'inquisition en Suisse romande », Revue d'histoire ecclésiastique suisse, Volume 86 (1992)[5]
  • Kathrin Utz Tremp, « La « naissance » du sabbat. Autour de l’arrière-plan hérétique des Errores Gazariorum », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 22 | 2011, p. 243-253[3].

Voir aussi modifier

Références modifier

  1. Les grandes peurs, Librairie Droz, , 558 p. (ISBN 978-2-9518403-2-4, lire en ligne)
  2. (en) William E. Burns, Witch Hunts in Europe and America : An Encyclopedia, Greenwood Publishing Group, , 359 p. (ISBN 978-0-313-32142-9, lire en ligne)
  3. a et b Kathrin Utz Tremp, « La « naissance » du sabbat. Autour de l’arrière-plan hérétique des Errores Gazariorum », Cahiers de recherches médiévales et humanistes. Journal of medieval and humanistic studies, no 22,‎ , p. 243–253 (ISSN 2115-6360, DOI 10.4000/crm.12545, lire en ligne, consulté le )
  4. a et b « L'élaboration du concept de sorcellerie », Revue d'histoire ecclésiastique suisse, vol. 86,‎ , p. 92 - 102 (lire en ligne)
  5. a b et c « De l'hérésie à la sorcellerie : l'inquisiteur Ulric de Torrenté OP (vers 1420-1445) et l'affermissement de l'inquisition en Suisse romande », sur www.e-periodica.ch, Revue d'histoire ecclésiastique suisse, Volume 86, (consulté le )
  6. a b et c Christine Planté et Catherine Chène, Sorcières et sorcelleries, Presses Universitaires Lyon, , 139 p. (ISBN 978-2-7297-0698-2, lire en ligne)
  7. « Fründ, Hans », sur hls-dhs-dss.ch (consulté le )
  8. « Alonso de Espina O. F. M. | Arlima - Archives de littérature du Moyen Âge », sur www.arlima.net (consulté le )
  9. François Berriot, Spiritualités, hétérodoxies et imaginaires : études sur le Moyen Age et la Renaissance, Université de Saint-Etienne, , 420 p. (ISBN 978-2-86272-052-4, lire en ligne)
  10. Jules Baissac, Le Diable : Histoire de la diablerie chrétienne - La personne du Diable : Le personnel du Diable, BnF collection ebooks, (ISBN 978-2-346-03678-3, lire en ligne)
  11. « aposcripta-3644 (acte) | aposcripta/notice/26666 », sur Telma - Chartes (consulté le )