Esplanade des Mosquées

complexe religieux islamique au sommet du Mont du Temple à Jérusalem

L'esplanade des Mosquées est l'espace situé dans la vieille ville de Jérusalem sur le mont du Temple ; en hébreu Har ha Bayit (« mont de la Maison » et lieu le plus sacré du judaïsme, sur lequel se situait son Temple) ; en arabe Bayt al-Maqdis (« Maison de Sainteté ») ou al-Ḥaram aš-Šarīf (« Noble Sanctuaire », appellation contemporaine).

Esplanade des Mosquées
Vue sur l'esplanade des Mosquées
Cadre
Zone d'activité
Type
Pays
Voir le statut de Jérusalem-Est
Coordonnées
Géolocalisation sur la carte : vieille ville de Jérusalem
(Voir situation sur carte : vieille ville de Jérusalem)
Vue aérienne de l'esplanade des Mosquées ; le dôme du Rocher est au centre et la mosquée al-Aqsa en bas à gauche de l'image (vue depuis l'est).

L'esplanade a une forme presque rectangulaire et s'élève à 743 mètres d'altitude. Elle comprend aujourd'hui de nombreux édifices, dont le célèbre dôme du Rocher et la mosquée Al-Aqsa, qui est la plus grande de Jérusalem.

De nos jours, l'esplanade des Mosquées est généralement considérée comme un « troisième lieu saint de l'islam », mais elle ne fait pas partie des lieux saints du hajj. Cependant une tradition musulmane identifie la « Mosquée très éloignée » du voyage nocturne de Mahomet (Coran 17:1) avec celle de l'esplanade, bien qu'il n'y eût pas de mosquée à Jérusalem du vivant de Mahomet, ni avant l'an 637.

L'importance de Bayt al-Maqdis (en) pour Mahomet ne fait pas consensus entre spécialistes[1] et la littérature arabe des débuts de l'islam (638-1099) n'en fait pas mention[2]. Cependant, la première trace d'une tradition associant le lieu à l'Isra et Miraj date de la période omeyyade, sans que celle-ci semble avoir eu une importance islamique[2]. De plus, ce lieu aurait été la première qibla avant que celle-ci ne soit dirigée vers la Kaaba[1].

Situation

modifier

L'esplanade des Mosquées se situe dans la vieille ville de Jérusalem gouvernée par Israël depuis 1967, mais comme les autorités israéliennes l'avaient proposé à cette date, son accès est régi par le statu quo qui la place sous l'administration du Waqf relevant de la Jordanie, Israël ne se réservant que les questions de sécurité.

L'esplanade est aussi appelée le mont du Temple car s'y dressait dans l’Antiquité le temple de Jérusalem, le plus haut lieu saint du judaïsme. De cette rivalité, il résulte des tensions et parfois des émeutes de musulmans contre le pouvoir israélien ou contre des Juifs qui désirent y prier, notamment le jour du jeûne de Tisha BeAv qui commémore les destructions du Temple en 587 avant J.-C. par le roi Nabuchodonosor II puis en l’an 70 par l'empereur Titus[3],[4].

Description

modifier

L'esplanade des Mosquées se trouve sur une hauteur calcaire qui domine la vieille ville de Jérusalem. Elle a une forme trapézoïdale de 150 000 m2 de superficie. Ses dimensions sont de 470 (côté est) à 488 mètres (côté ouest), sur 280 (côté sud) à 315 (côté nord) mètres, pour une altitude de 740 mètres.

Sur l'esplanade, outre le dôme du Rocher et la mosquée al-Aqsa, on trouve une centaine d'édifices de différentes périodes dont certains sont des œuvres d'art remarquables : des lieux de prière musulmans, des arches et des portiques, des écoles religieuses musulmanes (madrassas), des minarets, des fontaines pour boire et d'autres pour les ablutions rituelles[5].

Le site dans sa totalité peut accueillir plusieurs centaines de milliers de personnes. Le , ce sont ainsi plus de 400 000 musulmans qui y avaient assisté à la prière du vendredi[6].

Lieux hiérosolymitains dans la tradition islamique

modifier

Après la conquête de Jérusalem par les Arabes en 637, le lieu fait l'objet de constructions islamiques :

  • Vers le début du VIIIe siècle, la mosquée al-Aqsa est édifiée. Elle subira de nombreuses destructions et sa dernière grande reconstruction date du XIIIe siècle. Il s'agit de la plus grande mosquée de Jérusalem, où 5 000 fidèles peuvent prier. Selon la tradition musulmane, la mosquée a commencé à être bâtie en 637 par le deuxième calife Omar ibn al-Khattâb[10]. C'est l'endroit d'où Mahomet serait arrivé depuis La Mecque, lors de l'Isra (voyage nocturne), et d'où il serait monté au paradis, lors du Miraj, en chevauchant sa monture Bouraq.
  • Une autre tradition rapportée par écrit au XIVe siècle par Ibn Furkah raconte que le Bouraq, monture mythique de Mahomet, a été attachée au lieu identifié comme le mur des Lamentations, lors du voyage en songe du Prophète à Jérusalem[11]. À l'endroit précis où il attacha le Bouraq, une petite mosquée fut construite et nommée « mosquée du Bouraq »[12]. Elle se situe au coin sud-ouest de l'esplanade.

Califes

modifier

Lors de la conquête arabe de la ville en 635 de notre ère, soit en 15 de l'Hégire[13], Jérusalem était appelée Ælia Capitolina par les Romains (en hommage à l'empereur Hadrien et au dieu Jupiter[14]), ayant voulu ainsi asseoir leur puissance coloniale, à partir de 130 ap. J.-C., en effaçant toute trace et tout souvenir des Juifs dans la cité de David[14]. Ne restent du mont du Temple juif qu'un fragment de son mur de soutènement, appelé de nos jours « mur des Lamentations » ou Kotel, et des ruines éparses.

Quand le deuxième calife de Rachidun Omar ibn al-Khattâb demande « à voir le « sanctuaire [masjid] de David », on le conduisit en des lieux qui ne correspondaient point à la description du sanctuaire par le Prophète [Mahomet] »[15]. Il est informé par Ka'ab al-Ahbar, un rabbin juif converti à l'islam ou crypto-juif[16], que le site est identique au site des anciens temples juifs de Jérusalem[17]. « Il finit par parvenir à l'esplanade du vieux temple [juif], qu'il trouva couverte d'immondices que « les Byzantins y avaient jetées en haine des fils d'Israël. Il étendit son manteau et se mit à balayer ce fumier ; et les musulmans suivirent son exemple »[15]. Il se serait écrié que c'était bien là le masjid de David (داوود, Dāwūd) et le lieu du voyage nocturne de Mahomet[15]. Omar conserve le nom d'Ælia Capitolina sous la forme Iliya (إلياء) mais remplace la référence à Jupiter Capitolin par Bayt al-Maqdis (« la Maison du sanctuaire »)[18],[19]. Avec lui comme avec les Romains, les Juifs restent en principe interdits de droit de cité sur le mont du Temple comme dans toute la région de Syrie-Palestine[14].

Quarante ans plus tard, le calife omeyyade Abd al-Malik bin Marwan fait construire le dôme du Rocher et la mosquée al-Aqsa sur l'esplanade, possiblement pour détourner les pèlerins musulmans de La Mecque (le hajj) - alors entre les mains de son ennemi Abdallah ibn az-Zubayr - et les attirer vers Jérusalem, devenant nouveau pôle spirituel de l'islam[15],[20]. Ces deux œuvres architecturales sont construites sur le modèle des édifices chrétiens du mont Golgotha et leur magnificence a pour vocation de rivaliser avec eux[21],[22].

Aussi, l'aspiration primitive de l'islam à se substituer aux deux autres religions monothéistes (judaïsme et christianisme) se poursuit dans l'attachement à ce lieu et à la ville al-Quds depuis quatorze siècles[15], bien que le statut de cette dernière ait connu « des hauts et des bas » en islam[23].

Utilisation de l'appellation

modifier

L'esplanade des mosquées, Bayt al-Maqdis, signifie littéralement « la Maison du sanctuaire/temple » ; cette expression est l'équivalente du terme hébreu Beit ha-Mikdash qui dans les deux cas désigne le temple de Jérusalem, ou le lieu de prosternation lointain (al-Aqsa, الاقصى) mentionné dans le Coran, où se situait auparavant le Temple juif[18]. Ainsi, parmi les premiers musulmans, le mont du Temple/esplanade des Mosquées est appelé Madinat bayt al-Maqdis (« Ville du Temple »), sans référence au Coran[24].

Selon Jérôme Bourdon[25], l'expression contemporaine « esplanade des Mosquées » est une appellation[N 1] seulement utilisée par la presse française, qui n'a pas d'équivalent dans d'autres langues qui n'emploient que l'expression « mont du Temple » ou « Haram al-Sharif » pour désigner ce lieu[26].

C'est la visite d'Ariel Sharon - alors chef de l'opposition israélienne - le jeudi qui a contribué à accentuer la polémique sur l'appellation, surtout lorsqu'on lie cette visite à l'origine de la Seconde Intifada. Le Monde, par exemple, va alors quelquefois ajouter « mont du Temple pour les Juifs » à côté de l'expression « esplanade des Mosquées ». Au total, de 1987 (date à partir de laquelle une recherche sur l'internet est possible) à , plus de 400 articles incluent l'expression « esplanade des Mosquées », et le « mont du Temple » figure 14 fois. En télévision, ce type de double appellation reste rare, l'expression « esplanade des Mosquées » restant privilégiée[27].

En 2017, Radio-Canada rappelle que « tous les grands médias francophones dans le monde nomment ce lieu « esplanade des Mosquées », de sorte qu’il s'agit donc du terme le plus communément admis dans la presse francophone, sans qu'il faille y voir une prise de position »[28].

Pour les Juifs, c'est le mont du Temple, pour les musulmans le Haram al Sharif, c'est-à-dire le Noble Sanctuaire[25]. La presse anglophone utilise plutôt « mont du Temple » (Temple Mount) ou plus récemment « Haram al-Sharif ». Un exemple de cette différence d'appellation entre anglophones et francophones est donné par l'ouvrage de Bill Clinton My Life qui évoque le « mont du Temple » (Temple Mount) quand la traduction française, Ma vie, dit « esplanade des Mosquées »[N 2]. Généralement, l'utilisation choisie de telle expression instruit sur l'esprit du locuteur dans la guerre des mots liés au conflit israélo-palestinien[25].

Annexes

modifier

Documentation

modifier

Liens externes

Notes et références

modifier
  • Notes
  1. Voir par exemple L'État du Monde, F. Maspero, (lire en ligne), page 262
  2. Voir Bill Clinton, My Life, Random House, (lire en ligne), pages 728, 729, 911, 923 ; et Bill Clinton, Ma vie, Odile Jacob, (lire en ligne), page 965
  • Références
  1. a et b (en) Abdallah Ma’rouf Omar, Jerusalem in Muhammad’s Strategy: The Role of the Prophet Muhammad in the Conquest of Jerusalem, Cambridge Scholars Publishing, (ISBN 978-1-5275-3735-4), p. 119
  2. a et b (en) Amikam Elad, Medieval Jerusalem and Islamic Worship: Holy Places, Ceremonies, Pilgrimage, BRILL, (ISBN 978-90-04-10010-7)
  3. « Le Waqf veut empêcher les Juifs de visiter le mont du Temple pour le jeûne de Tisha Beav », sur www.i24news.tv, (consulté le )
  4. « Heurts entre policiers israéliens et Palestiniens sur l'esplanade des Mosquées », sur TV5MONDE, (consulté le )
  5. (en) « The Temple Mount », sur Jewish Virtual Library
  6. Le , plus de 400 000 musulmans ont assisté à la prière du vendredi [1]. Voir aussi [2]
  7. « [...] en dépit du nom de « mosquée d'Omar » qui lui est souvent attribué, il ne s'agit pas d'une mosquée et on ne peut, en aucune façon, l'attribuer au calife Omar ou plutôt 'Umar (634-644), qui fut le deuxième des califes ayant succédé à Mahomet comme ses remplaçants à la tête de la plus ancienne communauté musulmane. » Rosen-Ayalon, Myriam. Art et archéologie islamiques en Palestine. Paris : PUF, « Islamiques », 2002, p. 27
  8. Le Dôme du rocher : Mosquée El Aqsa ou Mosquée d'Omar ?, sur Huffpost Maghreb, 16-12-2017 : « le Dôme du rocher n'a pas été conçu pour être une mosquée ».
  9. L’Esplanade des mosquées, un lieu saint disputé, La Croix, 16 septembre 2015.
  10. « Les premières étapes de la construction remontent au calife Omar bin al-Khattab (r. 13-23 H / 634-644 J.-C.) qui éleva un mihrab et une petite mosquée sur le site de l'édifice actuel. Moujir al-Din (m. 928 H / 1521 J.-C.), historien qui fait autorité sur l'histoire de l'architecture à Jérusalem, mentionne que c'est le calife Omar qui, en dégageant le Haram de divers vestiges, découvrit le rocher sacré. Il prit plusieurs avis sur la position idéale de la mosquée et reçut le conseil de la construire au nord du rocher, ce qu'il refusa en disant : “Mais c'est sa façade qui doit servir de qibla, comme le prophète de Dieu a fait qibla les façades de nos mosquée.” » Article mosquée al-Aqsa sur le site Discover Islamic Art
  11. (en) Simone Ricca, « Heritage, Nationalism and the Shifting Symbolism of the Wailing Wall », Institute of Jerusalem Studies (consulté le )
  12. (en) « Masjid al-Buraq - IslamicLandmarks.com », sur IslamicLandmarks.com, (consulté le ).
  13. (en) Dan Bahat, « The illustrated atlas of Jerusalem », Carta Jerusalem, (ISBN 965-220-348-3, consulté le ), p. 71
  14. a b et c Simon Claude Mimouni, Le judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère, Paris, 2012, éd. PUF, pp. 514-523.
  15. a b c d et e Encyclopaedia Universalis, Dictionnaire de l’Islam, religion et civilisation: Les Dictionnaires d'Universalis, Encyclopaedia Universalis, (ISBN 978-2-85229-121-8, lire en ligne)
  16. (en) « Yakub of Syria (Ka'b al-Ahbar) Last Jewish Attempt at Islamic Leadership - Alsadiqin English », sur www.alsadiqin.org (consulté le ) : « Il a continué à suivre la tradition rabbinique de sorte que les historiens islamiques ultérieurs se sont demandé s'il s'était jamais "converti" à l'islam. »
  17. (en-US) Hillel Cohen, « The Temple Mount/al-Aqsa in Zionist and Palestinian National Consciousness: A Comparative View », Israel Studies Review, vol. 32, no 1,‎ , p. 1–19 (ISSN 2159-0370 et 2159-0389, DOI 10.3167/isr.2017.320102, lire en ligne, consulté le ) :

    « La rencontre entre Juifs et musulmans sur le Mont du Temple/al-Aqsa a commencé à l'aube de l'islam et se poursuit encore aujourd'hui. Cela a commencé par un mélange de coopération et de compétition ; un Juif converti à l'islam, Ka'ab al-Ahbar, a guidé le calife Omar vers le site du Temple. »

  18. a et b Shlomo Sharan, Dāwid Bûqay, Crossovers: Anti-Zionism and Anti-Semitism, 2010, Rutgers, New-Jersey, USA, p. 142-143.
  19. Ahmad M. Hemaya, Islam - Un aperçu approfondi, 2011, p. 324.
  20. Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, Jésus selon Mahomet, Paris/Issy-les-Moulineaux, Seuil/Arte, (2015), 271 p. (ISBN 978-2-02-117206-5), p. 231-233
  21. Marianne Barrucand, « L'art et l'architecture - ISLAM : Les grands chapitres de l'art islamique », sur Encyclopædia Universalis (consulté le )
  22. « Une architecture commémorative », sur La Mosquée des Omeyyades de Damas (consulté le )
  23. Encyclopedia of islam, "al-Kuds", §11, p. 331 et suiv. trad. de l'anglais. « Jérusalem au cours des IXe – XIe siècles n'a pas occupé une place prépondérante dans la conscience religieuse du mot islamique. »
  24. (en)Ben-Dov, M. Historical Atlas of Jerusalem. Translated by David Louvish. New York: Continuum, 2002, p. 171
  25. a b et c Jérôme Bourdon, Le récit impossible : Le conflit israélo-palestinien et les médias, De Boeck Supérieur, (lire en ligne), p. 88
  26. Seule la presse française utilise l'expression « Esplanade des Mosquées ». Pour le reste du monde, l'endroit est appelé « Haram al Sharif » ou « Temple mount » (mont du Temple). Voir Jérôme Bourdon, Le Récit impossible : Le conflit israélo-palestinien et les medias, Groupe De Boeck, 2009, p. 76-77.
  27. Bourdon, Jérôme, « Le Lieu de la Critique », Questions de communication, Presses universitaires de Nancy, no 9,‎ , p. 163–180 (ISBN 978-2-86480-869-5, ISSN 1633-5961, lire en ligne, consulté le ).
  28. https://cbc.radio-canada.ca/fr/ombudsman/revisions/2017-08-10

Articles connexes

modifier

Sur les autres projets Wikimedia :

Liens externes

modifier