Français : Transcription du picard
Par chi, par lo. Conte el froed.
À m’n idèe, mes gins, qu’ par chés temps d’ caleur
qu’i fait, un p’tit conte inglaché n’ porroèt poent
faire ed mau. Quoè qu’ ch’ en’ n’est qu’os n’in dijez ?
Bez, acoutez. L’hiver passè, quand qu’i géloèt si
fort à pierre finte, gn’avoèt un pauv’ minape ed vius
homme aveuque eune vielle buche sus s’ tête, eune
mince capote d’été tout dépichée dins sin dos, et pis
cor eune vielle maronne trauèe qu’alle alloèt dusqu’à
l’ mitan d’ ses gambes, qu’i s’ pourmânnoèt sus l’
plache d’un villache, ichi pas loin d’ Saint-Pô.
Tout d’in un cop, ech maire i vient à passer. Il
étoèt habiyé aveuque un grand mantiau à poils, qu’i
gn’avoèt seul’mint qu’el bout d’ sin nez qui dépassoèt.
Vlo qu’i chope in passant ch’ vius brimbeux qui
cantoèt comme cho tout in allant :
"Un bon bourgeois dans sa maison,
Le dos au feu, le ventre à ta… a… a… able.
— Eh ben, vous, qu’i dit monsieur l’ Maire, on
peut dire qu’os ez un bon caractèle, harnaiqué
comme oz êtes, ed cor canter comme cho.
— À cause ? qu’i dit chl homme.
— À cause ? Os n’ sintez poent comme i fait froed ?
— Bah ouaite ! Mi, j’ai mi froed.
— Quoè, os n’ez mi froed ? Mi, vêtu comme ej sus,
j’sins cor eq’cha pique à travers ed min mantiau. Jé
n’sais mor poent qu’mint qu’ chest qu’os poyez durer.
— Eh ben, qu’i li répond chl’homme, os n’ez qu’à
faire comme mi, os n’érètes poent froed.
— Quoè qu’ ch’en’ n’est qu’os faijez ? qu’i li d’mande
monsieur l’Maire.
— Bez, j’porte tout m’ gard’rope sus min dos."
Echl Echaim.
Traduction en français
Par ci, Par là. Contre le froid.
À mon avis, mes gens, que par ces temps de grande chaleur,
un petit conte glacé ne pourrait pas
faire de mal. Qu’en dites-vous ?
Alors, écoutez. L’hiver dernier, lorsqu’il gelait
à pierre fendre, un pauvre vieillard
avec un vieux chapeau sur sa tête, une
mince popeline d’été toute rapiécée sur son dos et
un vieux pantalon troué qui ne descendait qu’au
milieu de ses jambes, se promenait sur la
place d’un village, non loin de Saint-Pol.
Tout à coup, le maire vient à passer. Il
était habillé avec un grand manteau en fourrure, si bien
que seul le bout de son nez en dépassait.
Voilà qu’il se heurte en passant contre le vieux mendiant qui
chantait ainsi tout en marchant :
"Un bon bourgeois dans sa maison,
le dos au feu, le ventre à ta… a… a… able.
— Eh bien, vous, dit Monsieur le maire, on
peut dire que vous avez un bon caractère, habillé
comme vous l’êtes, de chanter encore comme vous le faites.
— Pourquoi ? dit l’homme.
— Pourquoi ? Vous ne sentez pas comme il fait froid ?
— Si ! Mais moi, je n’ai pas froid.
— Comment, vous n’avez pas froid ? Moi, vêtu comme je le suis,
je sens encore que ça me pique à travers mon manteau. Je
ne comprends pas comment vous pouvez l’endurer.
— Eh bien, lui répond l’homme, vous n’avez qu’à
faire comme moi, vous n’aurez point froid.
— Que faites-vous ? lui demande Monsieur le maire.
— Eh, je porte toute ma garde-robe sur mon dos.
Echl Echaim, surnom que prenait Edmond Edmont.