En algèbre linéaire, la comatrice d'une matrice carréeA est une matrice carrée de même taille, dont les coefficients, appelés les cofacteurs de A, interviennent dans le développement du déterminant de A suivant une ligne ou une colonne. Si A est une matrice inversible, sa comatrice intervient également dans une expression de son inverse.
Dans cette page, A désigne une matrice carrée d'ordre n à coefficients dans un anneau commutatifK.
A'i,j est la matrice carrée de taille n déduite de A en remplaçant la j-ème colonne par une colonne constituée uniquement de zéros, sauf un 1 sur la i-ème ligne ;
Ai,j est la sous-matrice carrée de taille n – 1 déduite de A en supprimant la i-ème ligne et la j-ème colonne (son déterminant fait donc partie des mineurs de A).
La comatrice de A est la matrice de ses cofacteurs.
On peut calculer le déterminant de A en fonction des coefficients d'une seule colonne et des cofacteurs correspondants. Cette formule, dite formule de Laplace, permet ainsi de ramener le calcul d'un déterminant d'ordre n à celui de n déterminants d'ordre n – 1.
Formules de développement d'un déterminant d'ordre n[1] :
La matrice transposée de la comatrice est appelée matrice complémentaire[2] de A. Notamment si det A est inversible dans K, alors A est inversible dans Mn(K) et son inverse est un multiple de la matrice complémentaire, ce qui veut dire qu'on a obtenu une formule pour l'inverse, ne nécessitant « que » des calculs de déterminants :
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Cette formule n'a guère qu'un intérêt théorique car en pratique, elle est trop lourde pour calculer explicitement A−1 dès que n ≥ 4 et la méthode plus élémentaire à base d'opérations élémentaires sur les lignes (inversion par pivot de Gauss) est plus efficace, aussi bien pour l'humain que pour la machine.
si A est de rang n (c.-à-d. A inversible), com(A) aussi (jointe à la précédente, cette propriété assure que l'application « comatrice » se restreint en un automorphisme du groupe linéaireGLn(K)) ;
si A est de rang n – 1, avec n ≥ 2, com(A) est de rang 1 ;
si A est de rang inférieur ou égal à n – 2, com(A) = 0.
Déterminant : si n ≥ 2, det(com A) = (det A)n–1.
Comatrice de la comatrice[3] : si n ≥ 2, com(com A) = (det A)n – 2A.
Si P(X) = det(A – X In) est le polynôme caractéristique de A et si Q est le polynôme défini par Q(X) = (P(0) – P(X))/X, alors[3] : t(com A) = Q(A).
Démonstrations
Les égalités com(tA) = t(com A) et com(In) = In sont immédiates.
Produit : si A et B sont inversibles, la formule résulte des propriétés multiplicatives de la transposition, de l'inversion (chacune des deux inversant l'ordre) et du déterminant. Or l'équation com(AB) = (com A)(com B) est polynomiale, à coefficients entiers, en les éléments des deux matrices A et B. En considérant ces 2n2 éléments comme les indéterminées d'un anneau de polynômes à coefficients dans ℤ, et en appliquant ce qui précède au corps des fractions (rationnelles à coefficients dans ℚ) associé (dans lequel A et B sont inversibles), on obtient donc une égalité « absolue ». Lorsqu'on remplace ensuite ces indéterminées par les éléments d'un anneau commutatif quelconque, l'égalité est maintenue.
Rang :
Si A est inversible alors com(A) = (det A) tA−1 a pour inverse (det A)−1tA.
Si A est de rang n – 1 et en supposant, par exemple, que ses n – 1 premières colonnes sont linéairement indépendantes et que la dernière en est une combinaison linéaire, avec comme coefficients λ1, … , λn–1, alors, dans com(A), la dernière colonne est non nulle et la k-ième, pour tout k < n, est le produit de la dernière par –λk.
Si A est de rang inférieur à n – 2 alors, dans A, n – 1 colonnes quelconques sont liées donc tous les cofacteurs sont nuls.
Déterminant : si n ≥ 2 et A est inversible alors det(com A) = det[(det A) tA−1] = (det A)n det(tA−1) = (det A)n–1. Pour A non inversible, on peut faire le même « raisonnement générique » que pour le produit ou — si l'on se contente du cas où les matrices sont à coefficients dans un corps — remarquer plus simplement que les deux membres sont nuls d'après les propriétés du rang. Pour des matrices à coefficients réels ou complexes, on peut aussi raisonner par densité.
Comatrice de la comatrice : si n ≥ 2, (det A) com(com A) = Atcom A com(com A) = det(com A) A = (det A)n–1A donc si A est inversible, com(com A) = (det A)n–2A. Le cas général se ramène au cas inversible comme ci-dessus.
Polynôme caractéristique : d'après le théorème de Cayley-Hamilton, P(A) = 0 donc A Q(A) = P(0) In = (det A) In = At(com A). Si A est inversible, on en déduit Q(A) = t(com A). Le cas général se ramène au cas inversible comme ci-dessus.
Quelques propriétés plus anecdotiques
Si n ≥ 3, les matrices telles que A = com A sont la matrice nulle et les matrices spéciales orthogonales.
Si n = 2, ce sont les matrices multiples des matrices spéciales orthogonales.
On peut retrouver et préciser cette régularité grâce aux formules de Laplace (voir supra) : en un point A quelconque de Mn(ℝ), la fonction det est affine par rapport à la variable d'indice i, j, et sa dérivée partielle est le cofacteur de A de même indice :
Si A est une matrice réelle d'ordre 3, elle agit sur les vecteurs de l'espace euclidien orienté ℝ3. La comatrice de A décrit alors l'interaction de A avec le produit vectoriel :
.
Démonstration
Notons le produit scalaire. Pour tout vecteur de ℝ3,
.
Par conséquent,
.
On en déduit l'égalité annoncée si A est inversible.
Le résultat s'étend aux matrices non inversibles par densité.
↑ a et bCes formules incontournables sont démontrées dans tous les cours d'algèbre linéaire, comme :
J.-P. Marco et L. Lazzarini, Mathématiques L1 : cours complet avec 1000 tests et exercices corrigés, Pearson, (lire en ligne), chap. 20 (« Déterminants »), p. 541 et 546 ;
F. Cottet-Emard, Algèbre linéaire et bilinéaire, De Boeck Supérieur, (lire en ligne), chap. 2 (« Déterminants »), p. 36 et 42 ;
↑Dans la littérature en langue anglaise, la matrice complémentaire (transposée de la comatrice) est parfois appelée « matrice adjointe », ce qui crée un risque de confusion avec un autre sens de matrice adjointe, désignant la transposée de la matrice conjuguée.
↑ ab et cHenri Lombardi et Claude Quitté, Algèbre commutative — Méthodes constructives — Modules projectifs de type fini, Calvage & Mounet, (1re éd. 2011) (arXiv1611.02942, présentation en ligne), p. 96-97.