Franz Schrader

géographe et dessinateur français
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Jean François Daniel Schrader, plus connu sous le nom de Franz Schrader, est un géographe, alpiniste, cartographe et peintre paysagiste français, né le à Bordeaux, mort le à Paris. C'est un des grands pyrénéistes qui contribuèrent à la connaissance et à la cartographie des Pyrénées.

Franz Schrader
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Biographie

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Origines familiales, enfance et formation

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Jean-Daniel-François Schrader, dit Franz Schrader, naît le à h du matin au domicile de ses parents, situé au no 21 de la rue Constantin à Bordeaux, dans le quartier des Chartrons[1]. Son père, Ferdinand Schrader (1808-1891), est d'origine prussienne. Né à Magdebourg, il rejoint Bordeaux à l'âge de 16 ans en compagnie de son frère et travaille dans le négoce maritime. De confession protestante, il est diacre de l'Église réformée de France et participe au développement de la Société philomathique de Bordeaux, une école de formation aux métiers d'Art et d'artisanat dont il assure la présidence de 1861 à 1870[2]. Sa mère, Marie-Louise Ducos (1818-1891), est elle aussi issue d'une famille protestante : descendants de manufacturiers huguenots des Cévennes, ses parents tiennent à Bordeaux une petite entreprise de tonnellerie[2]. Par sa mère, Ferdinand Schrader est le cousin du géographe Élisée Reclus qui l'influence tout au long de sa vie[2].

Quelques années après la naissance de Franz, la famille s'installe rue du Jardin Public, toujours à Bordeaux. De santé fragile jusqu'à l'âge de 7 ans, le jeune garçon n'est pas scolarisé : il étudie seul, encadré par ses parents qui s'attachent à lui fournir des livres et des revues de qualité, et par son oncle paternel, lui aussi prénommé Franz et qui lui prodigue ses premiers cours[1]. Dès son plus jeune âge, Franz Schrader manifeste un certain goût pour le dessin et remplit plusieurs carnets de croquis. Passionné de voyages et de constructions navales, il copie des cartes et réalise des maquettes en bois[1]. Il passe toutes ses vacances à Royan, dans la maison de la famille Hopmann, amie de ses parents[1].

Malgré les grandes capacités intellectuelles de Franz, son père ne lui laisse pas l'occasion d'entamer des études supérieures et lui fait promettre de ne jamais acquérir de titre ou de diplôme officiel, une décision probablement liée à son protestantisme très engagé[1]. Il l'initie cependant à la menuiserie et le place à l'âge de 11 ans comme copiste dans une perception de la banlieue bordelaise. Franz Schrader est ensuite employé dans la maison de commerce d'un riche négociant, monsieur Barckhausen, dont le fils Henri, de dix ans son aîné, devient l'un de ses plus proches amis. Docteur en droit, et doté d'une bonne culture littéraire et philosophique, Henri Barckhausen donne à Franz quelques cours d'histoire, de géographie et de mathématiques[1].

Franz Schrader mène alors une double vie, et tandis que son travail de commis négociant l'ennuie profondément, il se passionne pour les études. Sa soif de savoir est insatiable et Franz s'initie sans aucun professeur aux langues étrangères (anglais, allemand et espagnol) mais également au latin et au grec[1]. Avec sa famille, il fréquente le cercle Germania, une association de Bordelais d'origine allemande qui organise de nombreuses réunions et des excursions dans la région bordelaise, puis il se lie d'amitié avec le pasteur Charles-Marie-Athanase Pellissier, un protestant libéral, républicain et instruit qui devient son père spirituel[1].

La découverte des Pyrénées

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En , Franz Schrader séjourne chez son ami Léonce Lourde-Rocheblave, rue Marca à Pau, et découvre pour la première fois les Pyrénées. La vue sur les montagnes qui se dessinent depuis la fenêtre de l'appartement agit sur lui comme une sorte de révélation. Dès l'année suivante, il entreprend avec les frères Lourde-Rocheblave, Léonce et Albert, l'exploration méthodique des sites pyrénéens les plus proches, notamment les Eaux-Bonnes et le Pic du Midi d'Ossau. Pendant l'été 1868, les trois amis délaissent les Pyrénées béarnaises pour visiter la Bigorre : ils arpentent les vallées de Lourdes, d'Argelès-Gazost, de Lutour et de Barèges, et atteignent les cirques de Gavarnie et d'Estaubé[3].

Naturalisé français à l'âge de 19 ans, Franz Schrader est cependant réformé du service militaire pour faiblesse de constitution[4]. Lorsque la guerre franco-allemande de 1870 éclate, il se porte toutefois volontaire et cherche à rejoindre le corps des ballons d'observation sur les conseils de son cousin Élisée Reclus. Intégré en qualité de pilote adjoint à Tours, au sein de la 1re compagnie d'aérostiers dirigée par le photographe Nadar, Franz Schrader est blessé au genou lors d'un transport ferroviaire. Démobilisé, il rentre à Bordeaux, mais cette courte expérience militaire renforce son attirance pour la géographie et l'importance des points de vue en hauteur[4].

La vocation pyrénéenne de Schrader se renforce à la lecture des récits de Louis Ramond de Carbonnières, considéré comme le premier pyrénéiste de l'histoire, et ceux d'Henry Russell, en particulier Les Grandes ascensions des Pyrénées d'une mer à l'autre, véritable guide touristique à destination des ascensionnistes[5]. Après une année de convalescence et une cure à Bagnères-de-Luchon lors de laquelle il rejoint à cheval le lac d'Espingo, Franz Schrader reprend ses explorations avec les frères Lourde-Rocheblave lors de l'été 1872. C'est après la rencontre de Paul Édouard Wallon à l'auberge d'Héas que les trois hommes entreprennent un projet d'envergure. La carte manuscrite du versant espagnol que ce dernier leur présente les convainc de réaliser une carte du massif du Mont-Perdu encore inconnu jusqu'alors puisque seuls Louis Ramond de Carbonnières et ses deux guides en ont fait l'ascension en 1802[6].

Tout en consacrant l'essentiel de ses loisirs à de longues randonnées dans la montagne, au cours desquelles il collecte des milliers de données pour ses relevés topographiques, il trouve encore le temps de peindre de nombreux panoramas, aussi bien des Pyrénées que des Alpes, qu'il parcourt également.

Carrière de géographe

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Premiers travaux

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Carte topographique.
La carte du massif du Mont-Perdu réalisée par Franz Schrader et Léonce Lourde-Rocheblave en 1874.

Dès lors, Franz Schrader apprend le métier de topographe en autodidacte. Pour faciliter les relevés en terrain accidenté, il met au point, en 1873, l'orographe, un instrument de transcription graphique en bois léger et peu encombrant[7]. Son utilisation est relativement simple : l'appareil transcrit directement les lignes des reliefs alentours qu'il suffit de viser avec une lunette mobile dont les mouvements de rotation et d'inclinaison sont transmis à un crayon. Grâce à cet appareil, Franz Schrader obtient en quelque sorte une table d'orientation sur papier bristol depuis chaque sommet étudié, un ensemble de données qu'il recoupe ensuite par triangulation pour établir un canevas topométrique d'une précision inégalée à cette époque[7]. Schrader complète ces relevés de terrain par des croquis à l'aquarelle ou au pastel qu'il retravaille plus tard dans son cabinet[7].

Sa première grande œuvre de cartographie, cosignée avec Léonce Lourde-Rocheblave, la carte du massif du Mont-Perdu au 1/40 000e, paraît en 1874. Elle est complétée l'année suivante par un commentaire descriptif et scientifique de 61 pages, Études géographiques et excursions dans le massif du Mont Perdu, édité par la Société des sciences physiques et naturelles de Bordeaux. La qualité de ces travaux vaut à son auteur une notoriété immédiate[8] et l'Annuaire du Club alpin français en publie aussitôt une critique élogieuse, qualifiant Schrader de « topographe de premier rang éclatant en un coup de maître ».

Le , Franz Schrader atteint enfin le sommet du Mont Perdu, après une première tentative avortée trois ans plus tôt. La même année, il lance la fabrication du premier orographe métallique chez Ripamonti[8]. Il est alors sollicité, au même titre que d'autres pyrénéistes, par le capitaine Ferdinand Prudent, chargé d'établir une carte de France au 1/500000e par l'état-major de l'armée française. Schrader reçoit alors la mission de cartographier les deux versants du massif du Mont Perdu[9].

Franz Schrader est par ailleurs membre du Club alpin français depuis sa création en 1874. Il en préside la section bordelaise jusqu'en 1877, date de son départ à Paris, cédant sa place à son ami Adrien Bayssellance[10].

Installation à Paris

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Franz Schrader s'installe dans la capitale au printemps 1877, muni d'une lettre de recommandation de ses cousins Élisée et Onésime Reclus qui lui vaut d'être recruté chez Hachette[11],[12]. Il collabore principalement avec Adolphe Joanne pour la modernisation et la réédition de ses Guides, livrant de nombreuses cartes détaillées de la chaîne pyrénéenne ainsi que des panoramas en hauteur qui remplacent ceux réalisés par Victor Petit pour les premières éditions[11]. Il travaille également avec Émile Templier, gendre de Louis Hachette, qui l'engage comme graveur pour la revue Le Tour du monde, fondée par Édouard Charton[11].

Outre son métier de géographe, Franz Schrader s'investit dans de nombreuses activités et mène un véritable travail d'écrivain. Républicain convaincu, il livre une série d'articles qui constituent un feuilleton géographique pour La République française, le journal fondé par Léon Gambetta[13]. Il intègre la Société de géographie en tant que membre de la commission centrale et rédige plusieurs articles pour le bulletin de cette société savante[13]. Par ailleurs, il est élu à la direction de la section parisienne du Club alpin francais, dont il occupe les fonctions de secrétaire de rédaction de 1880 à 1893[13].

Pendant cette période, Franz Schrader poursuit ses explorations pyrénéennes. Il profite de ses rares jours de congé pour rejoindre la chaîne en train de nuit, et malgré la brièveté de ces séjours en montagne, il effectue de nombreux relevés qui lui permettent de publier en 1882 une carte des Pyrénées centrales en six feuillets d'une précision inégalée à cette époque. Couvrant la zone du Pic du Balaïtous au Mont Valier, elle s'étend sur les deux versants de la chaîne, soit environ 120 km sur l'axe est-ouest et 60 km sur l'axe nord-sud[14]. Cette œuvre accompagnée de son commentaire sont régulièrement rééditées par le Club alpin français jusqu'en 1901[14].

Parmi ses différentes expéditions, il réalise le la première ascension connue du Grand Batchimale (3 176 m), en compagnie du guide Henri Passet. Sur la proposition d'un autre pyrénéiste, Aymar de Saint-Saud, ce sommet frontalier est ensuite rebaptisé pic Schrader par le capitaine Ferdinand Prudent[15]. Il s'agit du premier hommage à Franz Schrader, qui reçoit la médaille d'or de la société des topographes de France en 1887, puis la croix de chevalier de la Légion d'honneur en 1889, à l'occasion de l'exposition universelle lors de laquelle il reçoit également deux médailles d'or pour l'ensemble de ses travaux[15].

En 1880, à la mort de son grand-père maternel, il hérite d'une petite propriété viticole à Sainte-Croix-du-Mont, en Gironde, dont il tire un vin réputé commercialisé sous le nom de « château Bertrand »[16]. Le , il épouse Suzanne Goy, la fille d'un pasteur protestant, à la mairie et au temple de Bayonne. Ensemble, ils ont deux filles, Hélène, née en 1882, et Marie, née en 1885[16]. L'été de leur mariage, les Schrader séjournent dans la vallée d'Ordesa et à Bagnères-de-Luchon, mais dans les années qui suivent les voyages se font plus lointain : le couple séjourne en Afrique du Nord et dans les Alpes lors de l'été 1897. Quatre ans plus tard, ils effectuent ensemble l'ascension du Mont Blanc dont ils redescendent en catastrophe en raison d'une tempête de neige qui emporte deux autres montagnards dans une avalanche[15].

Une figure de la maison Hachette

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Vue d'ensemble du cirque.
Gravure du Cirque de Gavarnie réalisée par Franz Schrader pour la Nouvelle Géographie universelle.

Franz Schrader poursuit sa carrière au sein de la maison Hachette qui lui confie des tâches de plus en plus importantes. En 1877, il remplace Louis Vivien de Saint-Martin à la direction du bureau cartographie de la maison d'édition. Il se constitue alors autour de lui une équipe de jeunes cartographes chargée de réaliser l'Atlas Universel entrepris par son prédécesseur mais également l'Année cartographique, une revue présentée comme un « ouvrage périodique destiné à résumer […] tous les faits géographiques de quelque importance survenus dans le courant de l'année précédente »[17]. Il livre aussi quelques cartes et gravures pour la Nouvelle Géographie universelle de son cousin Élisée Reclus[17],[18].

Durant cette période, Franz Schrader publie de nombreuses cartes, notamment l'Andorre au 1/50000, avec la collaboration d'Aymar de Saint-Saud et Victor Huot en 1800, le Val d'Aran au 1/20000 la même année, une carte d'ensemble de la chaîne pyrénéenne au 1/800000 en 1886, ainsi qu'une carte géologique des Pyrénées au 1/800000, dressée en collaboration avec Emmanuel de Margerie en 1891[19].

Sa soif de connaissances le conduit naturellement vers la pédagogie. En 1887, Franz Schrader écrit l'article « Géographie » pour le Dictionnaire de pédagogie et d'instruction primaire de Ferdinand Buisson. Trois ans plus tard, avec l'aide du capitaine Prudent, il publie un atlas de géographie moderne destiné aux scolaires. À partir de 1892, il rédige avec Louis Gallouédec une série de manuels scolaires de géographie qui restent longtemps en service dans l'Éducation nationale[20]. Il enseigne par ailleurs à l'École d'anthropologie de Paris, où ses conférences sont particulièrement suivies[20].

Le , lors d'une conférence au Club alpin français, Franz Schrader prononce l'un de ses textes majeurs. Intitulée « À quoi tient la beauté des montagnes ? », cette conférence met en avant le véritable credo esthétique de son auteur et annonce la fondation imminente d'une école de peinture de montagne française[21]. À ce titre, le texte de Schrader est considéré comme le bulletin de naissance de la Société des peintres de montagne, fondée en 1898 sous l'impulsion du CAF et dont Jean-Alfred Desbrosses est le premier président[22].

Schrader se distingue lui-même par la réalisation de panoramas d'altitude dont certains sont repris sous forme de gravures pour les annuaires du CAF. Il est donc sollicité pour réaliser un panorama depuis le sommet du Mont Blanc, un travail qu'il exécute de 1896 à 1899. Pour ce faire, Schrader effectue cinq fois l'ascension du Mont Blanc, multipliant les études, les dessins et les aquarelles, mais il s'appuie également sur les photographies de Joseph Vallot. L'œuvre, présentée à l'Exposition universelle de 1900 dans le pavillon-chalet du CAF, consiste en une toile circulaire de 120 m de long sur 15 m de hauteur. Les spectateurs l'observent depuis une plateforme centrale qui reproduit d'après moulage certains rochers pour donner encore plus de réalisme à l'ensemble[23].

Derniers travaux et fin de vie

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Le , Franz Schrader fonde avec Hachette et Cie et l'ingénieur-constructeur Jules Carpentier une société visant à commercialiser le tachéographe, le nouvel instrument de relevés topographiques qu'il a mis au point en 1895. Schrader voyage à travers le monde pour en faire la publicité, notamment aux États-Unis en 1901 ou en Amérique latine en 1903 et 1906, mais l'entreprise est un échec commercial. La liquidation est prononcée en , mais Schrader fonde une nouvelle société avec ses amis Henri Vallot et Fernand Bourdil. Leur entreprise effectue quelques travaux dans la Cordillère des Andes, en Algérie ou au Maroc, mais la concurrence est rude et le tachéographe de Schrader, jugé trop délicat à manier, est abandonné à l'aube de la Première Guerre mondiale[24].

Le , Franz Schrader est élu président du Club alpin français et ce jusqu'en 1904. Il est également élevé au grade d'officier de la Légion d'honneur, puis en 1908, il est élu président de la commission centrale du la Société de géographie. Entre-temps, en 1906, il se voit confier la réalisation de la table d'orientation qui doit être érigée au sommet du pic du Midi de Bigorre[24].

En son honneur, les frères Cadier décident en 1903 de rebaptiser Cap Schrader la Punta de Diazas, un modeste sommet à l'entrée de la vallée d'Ordesa[24].

Au fil des ans, sa vue se détériore et Franz Schrader souffre d'une cataracte bilatérale dont il est opéré avec succès. Il entreprend cependant une nouvelle carte du Massif du Mont-Perdu au 1/20000, qui paraît en trois couleurs en 1914[25]. En 1919, à la demande de Georges Clemenceau, il entame la seconde édition de l'Atlas Universel qui doit tenir compte des nouvelles frontières adoptées à l'issue du Traité de Versailles. L'œuvre, qui constitue le dernier grand projet de sa vie, est achevée en 1922[25].

Le , il connaît son jubilé à la Sorbonne. Sa santé décline rapidement : Franz Schrader souffre d'un cancer qui s'aggrave au printemps 1924. L'été suivant, il se rend une dernière fois à Gavarnie, où il effectue quelques promenades. Il rentre à Paris et meurt à son domicile de la rue de Verneuil le [25]. Ses obsèques ont lieu six jours plus tard, l'éloge funèbre étant prononcé par son ami Louis Le Bondidier[25]. Le suivant, le comité de direction du Club alpin français décide à l'unanimité d'ériger un monument à sa mémoire entre le village et le cirque de Gavarnie, au lieu-dit Turon de la Courade. Sa dépouille y est transférée trois ans plus tard, le [25].

Outre l'œuvre immense qu'a léguée Franz Schrader, aujourd'hui encore la commission scientifique qu'il avait créée au sein du Club alpin français existe toujours, ainsi que la Société des peintres de montagne-Paris.

Tombeau à Gavarnie.

Portrait

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Pyrénéiste, géographe et cartographe d'exception

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L'universitaire Juan Sevilla affirme que Franz Schrader représente « l'archétype du pyrénéiste classique » et le considère comme l'une des trois grandes figures de ce mouvement avec Louis Ramond de Carbonnières et Henry Russell[26]. De nombreux auteurs s'accordent à reconnaître « le rôle majeur que Schrader a joué dans la découverte et la diffusion de la chaîne pyrénéenne »[27],[28]. Mais contrairement au comte Russell, pour qui la conquête d'un sommet est une œuvre romantique qui répond à son propre plaisir, Franz Schrader veut faire œuvre utile et scientifique à travers sa pratique de la montagne[29]. Comme le souligne Louis Le Bondidier, Schrader n'explore la chaîne que pour découvrir et retranscrire, dans le but de partager un enseignement géologique et géographique[29].

Ainsi, pendant de longues années, il se consacre à ce qu'il nomme lui-même une œuvre de « débrouillement géographique » en cartographiant les principaux massifs des Pyrénées centrales[28]. Véritable autodidacte, Franz Schrader est considéré comme l'un des meilleures topographes de son époque, malgré son absence de diplômes et de formation. Les instruments qu'il met au point, à l'image de l'orographe, participent du perfectionnement de la discipline en permettant d'établir des cartes d'une précision inégalée pour l'époque. La carrière de Franz Schrader débute à une époque où, faisant suite au traumatisme que représente la défaite de Sedan en 1870, l'enseignement de la géographie en tant que discipline universitaire se développe en France[30],[31]. Possédant la maîtrise de l'exploration de terrain, des relevés topographique, du calcul, du dessin, de la peinture et de la gravure, Franz Schrader est alors un des hommes forts de cette discipline[30].

Michel Dupeyre, son biographe, considère que le travail de vulgarisation mené par Franz Schrader participe au développement touristique des Pyrénées, à l'heure du développement des principales stations thermales de la chaîne que l'arrivée du chemin de fer met à portée d'une foule de curistes[28].

Peintre méconnu

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Dès son plus jeune âge, Franz Schrader pratique la peinture et le dessin de manière autodidacte. Son père lui procure notamment des méthodes d'apprentissages progressifs disponibles dans le commerce qui lui permettent de perfectionner sa maîtrise du paysage. Les premiers travaux réalisés par Franz Schrader dans les Pyrénées reprennent la construction de ces modèles lithographiques, avec un premier plan qui repousse le fond et la présence d'un ou plusieurs personnages pour donner une idée de l'échelle[32]. Il s'en détache peu à peu au profit du réalisme le plus strict[32], puis tend vers l'impressionnisme en peignant des paysages « spirituels et sensibles »[33], où « la touche de peinture ne s'efface plus derrière la texture topographique »[34]. Le cirque de Gavarnie est l'un de ses motifs de prédilection, qu'il représente jusque dans les dernières années de sa vie[34].

Jusqu'au milieu du XIXe siècle, la montagne reste un sujet difficile à saisir en peinture et ne constitue le plus souvent qu'un élément de décor lointain, en arrière-plan. Franz Schrader s'inscrit dans un mouvement qui vise à prendre la montagne comme sujet. Il est l'un des premiers à représenter les hauts sommets, de sorte que Henri Beraldi le surnomme « le peintre des paysages rares »[32],[33]. Pour Vincent Berdoulay et Hélène Saule-Sorbé, Franz Schrader cherche « à utiliser la complémentarité des apports de l'art et de la science pour améliorer la connaissance géographique » et sa démarche picturale s'inscrit donc « dans son projet global de connaissance »[34]. Ces préoccupations géographiques expliquent l'évolution de son style : pour mieux comprendre la construction d'un massif, Franz Schrader prend de la hauteur et délaisse le point de vue qui consiste à s'installer au pied de la montagne pour la représenter. La démarche picturale de Franz Schrader peut donc être considérée comme novatrice : « Par cette recherche d'un point de vue nouveau, délaissant les canons de la perspective classique, Schrader signifie que le savoir n'est pas antérieur au regard et qu'au contraire il en découle : dans l'expérience et la représentation du paysage, le géographe peintre renverse l'usage qui voudrait que la peinture soit la mise en œuvre d'un savoir intemporel acquis au contact des grands maîtres du passé […]. Schrader retrouve ainsi, de manière empirique, l'attitude d'un Manet, pour lequel il s'agit de « voir », et non plus de « savoir » : la peinture ainsi comprise permet au géographe d'instaurer un regard renouvelé sur le paysage, où priment l'imprégnation, la possession, le contact direct dont découlera la connaissance »[34]. Sa technique évolue : à mesure qu'il privilégie la sensation immédiate et l'étude sur le vif, Franz Schrader abandonne l'aquarelle, au séchage lent, au profit de la peinture à l'huile qui lui permet de juxtaposer les touches[34].

Franz Schrader peint avant tout pour lui et pour garder une trace des émotions vécues lors de ses excursions. Ses œuvres sont rarement exposées au public et conservées dans son cabinet de travail[33]. Il s'implique néanmoins dans le développement de la Société des peintres de montagne, fondée en 1898 sous le patronage du Club alpin français et qui vise à regrouper les artistes qui s'intéresse spécifiquement à ce milieu naturel[22]. Franz Schrader participe de façon irrégulière à l'exposition annuelle de cette société, qui rassemble jusqu'à soixante peintres en 1923[22].

Franz Schrader et la protection de la nature

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L'amour de la nature et la nécessité de la protéger contre les actions humaines transparaît dans les écrits de Franz Schrader, au point que Michel Dupeyre le qualifie « d'écologiste avant l'heure », quand son ami Ferdinand Buisson évoque « une vision de prophète » à son égard[35]. Bien qu'il se montre favorable à la démocratisation de la montagne, comme le démontre son action au sein du Club alpin français, Franz Schrader déplore l'impact du tourisme sur la beauté des paysages. À titre d'exemple, en 1913, de retour d'expédition dans la vallée d'Ordesa qu'il n'avait plus fréquentée depuis 1870, il écrit : « Il a donc suffi que les hommes viennent un peu plus nombreux admirer la nature vierge, pour qu'immédiatement la destruction, le ravage, l'hideuse « mise en valeur », c'est-à-dire la ruine y pénètre avec eux ? Quelle désillusion ! »[35]. De la même manière, il estime que les plus hautes cimes doivent être sanctuarisées dans la mesure où « elles appartiennent à l'humanité » : « que celles-là au moins soient réservées à la solitude, qu'elles restent des lieux de vie supraterrestres, des lieux saints où l'on regardera ici l'infini et l'Éternel face-à-face, où l'on comptera dans le silence les battements de son cœur, où l'on sentira le contact des astres à travers le gouffre noir de l'espace »[35].

Peu avant sa mort, en mai-juin 1923, Franz Schrader participe au premier congrès international pour la protection de la nature. Il apporte son soutien à la création d'un parc national dans les Pyrénées françaises, à la manière du parc national d'Ordesa et du Mont-Perdu créé en Espagne en 1918, un projet qui ne verra le jour qu'en 1967[35].

Plus largement, Franz Schrader s'interroge sur la fragilité de la biodiversité dans une dimension planétaire. Ainsi, dans un article qu'il rédige pour la Revue d'Anthropologie en 1893, il pointe les menaces que représentent l'industrialisation et la puissance mécanique pour la nature dans son ensemble : « Quand un Stanley propose d'introduire les machines modernes dans la forêt africaine pour l'exploiter au plus vite, il propose simplement la création de la barbarie à la place de l'ordre naturel. […] Dans ce cas, c'est l'humanité même qui sera mise en péril, non seulement par des maladies inconnues, mais par la déséquilibration de l'atmosphère et par l'introduction de l'instabilité des climats dans le monde entier »[35]. Il y affirme également sa propre son conviction : « Si l'homme veut recevoir de la terre tous les trésors qu'il peut en attendre, il ne suffit pas de la prendre pour logeuse ou pour nourrice : il la lui faut épouser »[35].

Décorations et hommages

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Franz Schrader reçoit la médaille d'or de la société des topographes de France en 1887, puis la croix de chevalier de la Légion d'honneur en 1889, à l'occasion de l'exposition universelle de Paris[15]. Il est élevé au grade d'officier en 1901[24],[36]. En 1928, Franz Schrader reçoit à titre posthume la grande médaille d'or de la Société de géographie[25].

Le pic Schrader (3 176 m, point culminant du massif de Batchimale dans la province de Huesca, est nommé en son honneur pour commémorer la première ascension qu'il en a effectué le avec le guide Henri Passet. Son monument funéraire se trouve au pied du cirque de Gavarnie, au lieu-dit Turon de la Courade. Il y est inhumé le , près de trois ans après sa mort, ce qui fait de Franz Schrader le deuxième pyrénéiste enterré à Gavarnie après Henry Russell. Le monument sépulcral est construit par l'architecte Maussier-Dandelot de Pau, et réalisé par la marbrerie Paul Capdeville, dans la même ville. Il est orné d'une sculpture de Gaston Leroux« Monument de Franz Schrader », notice no IA65001020, sur la plateforme ouverte du patrimoine, base Mérimée, ministère français de la Culture.

Par ailleurs, des rues lui sont dédiées à Tarbes[37], Pau[38] et Bordeaux[39].

Œuvres

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Massif du Pelvoux, dans Franz Schrader & Louis Gallouédec, Géographie élémentaire de la France et de ses colonies rédigée conformément aux programmes des classes de 5e classique et 6e moderne, 2e édition, 1894.
  • Atlas de géographie universelle (continuation de l'œuvre de Louis Vivien de Saint-Martin)
  • 1890 : Atlas de géographie moderne (directeur de la cartographie)
  • 1893 : Atlas de géographie historique (id.)
  • De 1891 à 1914 : L'Année cartographique (id.)
  • Franz Schrader et Louis Gallouédec, Atlas classique de géographie ancienne et moderne, Paris, Hachette, 1905. 96 cartes et index de 13 p..
  • 1923 : Atlas universel de géographie

Topographie

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  • 1874 : carte du massif Gavarnie-Mont Perdu, à 1/40 000 (avec Lourde-Rocheblave)
  • 1886-1891 : carte d'ensemble des Pyrénées, topographique et géologique, à 1/80 000
  • 1882-1892 : carte des Pyrénées centrales à 1/100 000[40]
  • 1914 : carte de Gavarnie-Mont Perdu, à 1/20 000

Peintures

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Liste non exhaustive (plusieurs centaines de peintures paysagères)

  • Le Cirque de Gavarnie
  • La Grande Cascade de Gavarnie
  • Le Lac Glacé du Mont-Perdu
  • Le Massif de la Maladetta
  • Panorama du mont Blanc (présenté au pavillon du Club alpin français, lors de l'exposition universelle de 1900)
  • Le Pic du Midi d'Ossau
  • Le Vignemale

Cours de géographie

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En collaboration avec Henri Lemonnier :

  • Éléments de géographie, rédigés suivant les programmes de l'enseignement primaire. Cours élémentaire, Paris, Hachette, 1881
  • Éléments de géographie, rédigés suivant les programmes de l'enseignement primaire. Cours moyen, Paris, Hachette, 1883
  • Éléments de géographie, rédigés suivant les programmes de l'enseignement primaire. Cours supérieur, Paris, Hachette, 1883

En collaboration avec Louis Gallouédec :

  • Très nombreux manuels scolaires de géographie (enseignement secondaire), Paris, Hachette, coll. « Schrader et Gallouédec »
  • Études géographiques et excursions dans le massif du Mont-Perdu, Paris, Gauthier-Villars, 1875
  • Franz Schrader, Xavier Blanc et E. Levasseur, Adolphe Joanne, 1813-1881, Paris, impr. de G. Chamerot, s. d., 24 p.
  • Le Facteur planétaire de l'évolution humaine, Paris, V. Giard et E. Brière, 1902, 15 p.
  • Pyrénées. Tome I : Courses et ascensions, Toulouse, É. Privat, 1936. Accompagné d'un avant-propos, par le Dr Georges Sabatier, et de Franz Schrader, esquisse biographique, par Maurice Heïd
  • Pyrénées. Tome II : Science et art, Paris, éd. Didier, 1936. Suivi d'Essai de biblio-iconographie, par Maurice Heïd

Notes et références

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  1. a b c d e f g et h Dupeyre 2024, p. 12-15.
  2. a b et c Dupeyre 2024, p. 11-12.
  3. Dupeyre 2024, p. 17-18.
  4. a et b Dupeyre 2024, p. 18-19.
  5. Dupeyre 2024, p. 19-20.
  6. Dupeyre 2024, p. 21-22.
  7. a b et c Dupeyre 2024, p. 23-25.
  8. a et b Dupeyre 2024, p. 25.
  9. Dupeyre 2024, p. 28-30.
  10. Dupeyre 2024, p. 33-35.
  11. a b et c Dupeyre 2024, p. 37-39.
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  40. Carte des Pyrénées centrales à 1/100 000.

Voir aussi

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Bibliographie

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  • Comte de Saint-Saud, Franz Schrader. Le Club Alpin et l'étude des Pyrénées espagnoles, Bordeaux : Impr. de Y. Cadoret, 1925, 15 p.
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  • Club alpin français. Section du Sud-Ouest. Le Centenaire de Franz Schrader..., Bordeaux, impr. de E. Drouillard, 1944, 41 p.
  • Hélène Saule-Sorbé, Orographes : hommages à Franz Schrader, Serres-Castet, éd. de Faucompret, 1994, 119 p.
  • Guy Auriol, Michel Rodes, Hélène Saule-Sorbé ; avec le concours de Jean Ritter ; sous la dir. de Hélène Saule-Sorbé, Franz Schrader (1844-1924) : l'homme des paysages rares, Pau, Pin à crochets, 1997
    • T. 1 : Un homme, un géographe
    • T. 2 : Un peintre, un pyrénéiste
  • Cent ans de peinture de montagne, ouvrage collectif, publié en décembre 1999, pour le centenaire de la Société des peintres de montagne, réédité en 2003 Contient notamment le texte de sa conférence de 1897 « À quoi tient la beauté des montagnes », suivi d'une biographie résumée de Franz Schrader, sans compter 106 biographies d'autres peintres du genre et 220 reproductions... [détail des éditions].
  • Hélène Saule-Sorbé, En torno a algunas « orografías » realizadas por Franz Schrader en los Pirineos españoles. Ería. Revista cuatrimestral de Geografía, num. 64-65, 2004, p. 207-220
  • Jean-Claude Tournou-Bergonzat, Les Pyrénées ou l'invention d'une civilisation paysagère de la montagne en Europe essai, chez Lulu.com 2007 Edit PHM 82
  • Christophe Brun, Élisée Reclus, une chronologie familiale, 1796-2015, 2e version, avril 2015, 440 p., illustrations, tableaux généalogiques, documents [lire en ligne]
  • Serge Audier, L'Âge productiviste : hégémonie prométhéenne, brèches et alternatives économiques (essai), Paris, La Découverte, 2019 (ISBN 9782707198921) Franz Shrader est évoqué longuement comme un précurseur lucide des risques écologiques liés à l'activité humaine.
  • Michel Dupeyre, Franz Schrader, Morlaàs, Cairn, coll. « Petite Histoire », , 80 p. (ISBN 9791070063781).
  • Juan Sevilla, « Le regard de Franz Schrader à l'origine de la patrimonialisation du Haut-Aragon », Treballs de la Societat Catalana de Geografia, no 74,‎ , p. 173-196 (lire en ligne).

Liens externes

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