Inquisition à Malte

L'histoire de l'Inquisition à Malte s'étend de la fin du Moyen Âge à 1798. Comme dans d'autres pays, elle agissait par la force et par la peur pour réprimer les déviances à l'orthodoxie catholique. Elle a contribué à profondément ancrer l'archipel maltais dans un catholicisme quasi-exclusif.

gravure de 1861 représentant le palais inquisitorial

L'Inquisition médiévale modifier

Jusqu'en 1562, Malte est sous la juridiction de l'inquisiteur de Palerme. Des pro-inquisiteurs, délégués de l'inquisiteur de Sicile sont parfois envoyés en missions spéciales sur l'archipel[1]. Entre 1489 et 1497, deux Inquisiteurs siciliens furent en poste à Malte pour faire appliquer le décret d’expulsion des communautés juives de l’archipel décrété par le roi d'Aragon[2].

L'Inquisition indépendante à Malte modifier

Le pape Paul III réforme l'inquisition en 1542. Domenico Cubelles, évêque de Malte depuis 1542, reçoit du pape Pie IV par la bulle Licet ab Initio le titre d'inquisiteur le [3] jusqu'à sa mort en 1565. Martín Rojas de Portalrubio lui succède alors à la tête du diocèse mais il entre en conflit avec Jean L'Evesque de La Cassière, le grand maître de l'Ordre qui demande et parvient à obtenir du pape Grégoire XIII la nomination d'un inquisiteur maltais indépendant[4]. Ce poste de médiateur ne durera que neuf mois, mais l'Inquisition sera désormais installée dans l'archipel et indépendante de l’évêché[5].

Pietro Dusina est ainsi le premier inquisiteur indépendant à Malte[6], il prend possession de sa charge et arrive à Malte le [4].

Évolution chronologique modifier

L'inquisiteur gardera toujours un important pouvoir sur l'île. Envoyé direct du pape, il aura souvent gain de cause dans ses conflits avec l'évêque ou le Grand-Maître.

Au XVIe siècle, l'activité principale est la lutte contre les hérésies avec en particulier la chasse aux livres protestants.

Au XVIIe siècle, L'Inquisition se concentre sur la vie quotidienne des Maltais, en particulier sur les activités supposées de sorcellerie et de magie.

Au XVIIIe siècle, l'Inquisition comme ailleurs décline en pouvoir. Elle est surtout inquiète de la croissance des blasphèmes et de la bigamie.

Les inquisiteurs modifier

62 inquisiteurs se succéderont en poste à Malte[7]. Parmi eux, deux futurs papes Alexandre VII et Innocent XII et plus de 25 cardinaux.

Paolo Passionei fut l'inquisiteur qui resta le plus longtemps en poste, de 1743 à 1754. Il entretint une liaison avec une maîtresse dont il eut deux filles. En 1749, il refusa un poste de nonce apostolique en Suisse de peur que sa vie dissolue fut rendue publique. Il quitta finalement Malte en 1754 et dut quitter les ordres[3].

Liste des inquisiteurs modifier

Évêques de Malte faisant office d'inquisiteur (1561–1574) modifier

Délégués apostoliques (1574–1798) modifier

Bâtiments modifier

Palais de l'Inquisiteur de Il-Birgu

Le palais de l'Inquisiteur à Malte, situé à Il-Birgu, est un des rares exemples de palais inquisitorial subsistant. Il est situé sur le Grand Port, emplacement stratégique qui facilite le contrôle sur les entrées et sorties de l'île. Le palais est à la fois le lieu du tribunal ecclésiastique, de la prison inquisitoriale et lieu de résidence de l'inquisiteur.

Pour échapper à ce palais fonctionnel mais austère et peu confortable, l'inquisiteur Onorato Visconti fera bâtir en 1625 à Is-Siġġiewi, une résidence plus accueillante, le palais Girgenti. Jusqu'en 1798, il sera le palais d'été de l'inquisiteur.

Fonctionnement modifier

Comme ailleurs, l'Inquisition se veut la gardienne de la « pureté » de la vie religieuse catholique en en pourchassant toutes les déviances supposées.

Agents de l'Inquisition modifier

L'Inquisition possède une organisation pyramidale avec à son sommet l'inquisiteur qui ne dépend que du pape. Il dirige un personnel composé de religieux qui l'assistent dans les procès[8] et de laïcs, militaires et informateurs. En 1658, ces laïcs comprennent 12 officiers, plusieurs soldats et 20 familiers, recrutés parmi des Maltais. Ces derniers sont surtout des commerçants et artisans, quelques fermiers et d'autres sans profession. La fonction de familier est très prisée car elle permet des privilèges rares et recherchés : par exemple de porter l'épée et de pouvoir monter à cheval[8]. Ces privilèges seront d'ailleurs combattus par les chevaliers de l'Ordre, jaloux de leurs prérogatives.

Contrôle du port modifier

Une des tâches essentielles qui lui est dévolue à Malte est la surveillance stricte de l'entrée et de la sortie des individus du territoire maltais. Cette fonction a une résonance particulière à Malte, lieu de proximité avec l'Afrique du nord musulmane et surtout terre de transit des esclaves raflés lors des raids des corsaires maltais et des Hospitaliers de l'Ordre. Les agents de l'Inquisition travaillent avec la douane pour contrôler chaque navire qui entre ou qui sort du port. Ils font surtout la chasse aux renégats, nés chrétiens, qui ont dû changer de religion lors de leur séjour souvent forcé en terre musulmane.

Contrôle de la vie quotidienne modifier

Par des affichages répétés, l'Inquisition appelle la population à la délation concernant les déviances à l'orthodoxie. Ils sont en particulier appelés à dénoncer les écrits subversifs (hérétiques, talmudiques ou musulmans, et plus tard philosophiques), les renégats, les actes de sorcellerie et tous les actes « suspects ». Parler librement à un musulman peut ainsi amener à comparaitre devant le Saint-Office, on cite même « l'exemple d'un patron de taverne français, « coupable » d'avoir donné un morceau de pain et une tranche de viande à un enfant esclave âgé de 3 ans qui avait faim »[9]

Les Procès modifier

Reconstitution moderne d'une salle d'interrogatoire dans le palais de l'Inquisiteur de Il-Birgu

Comme en Espagne ou en Italie, l'individu est sous la crainte constante d'une dénonciation, d'autant que l'accusé n'est jamais informé du motif de son arrestation. La première question que l'inquisiteur pose est toujours rituellement « À votre avis, pourquoi comparaissez-vous devant le Saint-Office ? » La peur nait également de la torture, de la punition et de la mémoire de l'infamie.

Les hommes sont souvent plus lourdement condamnés que les femmes. En particulier à des peines de galères, à la demande de l'Ordre qui souhaite fournir ses équipages. D'autres peines sont des assignations à résidence, des emprisonnements, ou encore des services dans un couvent ou dans la Sacra Infermeria. Le tribunal est en général indulgent en cas d'aveux spontanés ou de réforme paraissant sincère, il est beaucoup plus sévère contre ceux qui persistent dans leurs « erreurs ».

La sorcellerie semble avoir été le motif le plus courant de comparution devant le tribunal, surtout durant les XVIIe siècle et XVIIIe siècle[3].

Quelques cas modifier

Entrée de l'une des cellules « secrètes », palais de l'Inquisiteur de Il-Birgu
  • En 1554, Francesco Gesualdo (un prêtre français) est brûlé vif en public pour diffusion des idées luthériennes[2]. À cette même période, un autre hérétique nommé « Petit » aurait suivi le même sort[1]
  • En 1664, Matteo Falson est condamné au bûcher. Ancien disciple de Francesco Gesualdo, il avait un temps abjuré avant de professer à nouveau ses idées et d'être condamné comme relaps[2]. Mais il parvint à s’enfuir de l'île et mourut pauvrement en Sicile, ses biens confisqués[10].
  • En 1618, Sulpita de Lango est condamnée à 8 ans de prison pour sorcellerie[5].
  • En 1643, le renégat Zatulo, obstiné dans sa foi musulmane, est condamné à la prison à vie.
  • En 1658, deux Anglaises protestantes de la Société religieuse des Amis sont emprisonnées pendant 5 ans avant d'être expulsées de l'île.
  • En 1705, Lazzaro Seichel, gardien de la prison, est accusé de fornication avec une prisonnière et condamné à 5 ans de galères.

Fin de l'Inquisition maltaise modifier

En , le dernier inquisiteur de Malte, Giulio Carpegna, quitte l'île peu après la prise de Malte par les troupes napoléoniennes. Le tribunal inquisitorial est dissous par Bonaparte le mois suivant.

Les archives inquisitoriales sont alors transférées dans la cathédrale de Mdina.

Références modifier

  1. a et b (en) Alexander Bonnici, « Medieval Inquisition in Malta 1433-1561 », Hyphen, a journal of Melitensia and the humanities, vol. VI, no 2,‎ , p. 61-75 (lire en ligne [PDF])
  2. a b et c Anne Brogini, Malte, frontière de chrétienté (1530-1670), Publications de l’École française de Rome, , 772 p. (ISBN 9782728307425, lire en ligne), p. 399
  3. a b et c (en) « The Inquisition in Malta, some facts 1575-1798 », sur vassallomalta.com (consulté le )
  4. a et b Woimbee, Gregory, « Le Saint-Siège et l’Ordre de Malte au dix-huitième siècle, thèse université 2006 », sur Université Paris-Sorbonne (consulté le )
  5. a et b (en) « The Inquisition in Malta 1561-1798 », sur vassallomalta.com (consulté le )
  6. (en) Carmel Cassar, « The first decades of the Inquisition 1546-1581 », Hyphen, a journal of Melitensia and the humanities, vol. IV, no 6,‎ , p. 207-238 (lire en ligne [PDF])
  7. (en) « Inquisitors and Apostolic Delegates 1562 - 1798 », sur vassallomalta.com (consulté le )
  8. a et b (en) Alexander Bonnici, « The Ministers of the Inquisition Tribunal in Malta », Hyphen, a journal of Melitensia and the humanities, vol. V, no 1,‎ , p. 1-18 (lire en ligne [PDF])
  9. Brogini, op cite p4
  10. (en) Claude Busuttil, « A Double Act for the ‘Norman House’: Palazzo Falzon or Palazzo Cumbo-Navarra? », Melita Historica New Series, vol. 12, no 4,‎ , p. 411-418 (lire en ligne)

Bibliographie modifier

  • Anne Brogini, « L’Inquisition, élément de l’identité maltaise (xvie-xviie siècles) », Cahiers de la Méditerranée, vol. 66,‎ , p. 215-229 (lire en ligne)

Annexes modifier

Articles connexes modifier

Liens externes modifier