Intégrale de Kurzweil-Henstock
En mathématiques, et plus précisément en analyse, l'intégrale de Kurzweil-Henstock[1] ou de Henstock-Kurzweil[2],[3] (ou KH-intégrale, ou intégrale de jauge[3] ou intégrale de Riemann complète[3]) a été mise au point indépendamment dans les années 1950 par Jaroslav Kurzweil et Ralph Henstock (en) dans le but de présenter une théorie de l'intégration à peine plus compliquée à exposer que l'intégrale de Riemann, mais au moins aussi puissante que l'intégrale de Lebesgue. Elle est équivalente aux intégrales de Denjoy ou de Perron datant des années 1910, mais dont la présentation était assez lourde et qui étaient tombées en désuétude dans les années 1940.
Par rapport à l'intégrale de Lebesgue, la KH-intégrale présente l'avantage que toute fonction dérivée est intégrable, et qu'il n'est pas nécessaire d'introduire la notion d'intégrale impropre. Elle permet d'introduire dès les premières années de l'enseignement supérieur[4] une intégrale dotée de théorèmes puissants et fort proche de l'intégrale de Lebesgue (qu'il est facile d'introduire ensuite comme un cas particulier).
Définitions
modifier- Soit [a, b] un segment réel. On appelle subdivision marquée (ou pointée) de [a, b] tout couple de familles finies de points (x0, x1, … , xn) et (t1, t2, … , tn) telles que
On dit que ti marque (ou pointe) le segment [xi–1, xi]. - Si δ est une fonction définie sur [a, b] à valeurs strictement positives, on dit que δ est une jauge (sur [a, b]), et la subdivision est dite δ-fine si[5],[6]
Un théorème important, le lemme de Cousin, est fréquemment utilisé dans la théorie de la KH-intégration ; il affirme que, quelle que soit la jauge choisie, il existe des subdivisions marquées plus fines que cette jauge.
- Une fonction f bornée ou non sur un segment [a, b], à valeurs réelles ou complexes, est intégrable au sens de Kurzweil-Henstock (ou KH-intégrable), d'intégrale A, si[7] : pour tout ε > 0, il existe une jauge δ telle que, pour toute subdivision marquée ((xi), (ti)) δ-fine, on a :
. Le nombre A est alors unique et s'appelle l'intégrale de f sur [a, b]. On la note alors - La quantité s'appelle somme de Riemann de f relativement à la subdivision marquée choisie.
On remarque que si l'on prend des jauges δ constantes, on retrouve la définition de l'intégrale de Riemann. La KH-intégrale consiste à remplacer ces jauges constantes par des jauges variables.
- Dans le cas où f est définie sur un intervalle I qui n'est pas un segment, on dit que f est KH-intégrable d'intégrale A, si[8], pour tout ε > 0, il existe une jauge δ sur I et un segment [a, b] inclus dans I tels que, pour toute subdivision marquée ((xi), (ti)) δ-fine d'un segment inclus dans I et contenant [a, b], on a :
Propriétés
modifier- L'ensemble des fonctions KH-intégrables forme un espace vectoriel ordonné et l'intégrale est une forme linéaire positive sur cet espace.
- Sur un segment, toute fonction Riemann-intégrable est KH-intégrable (et de même intégrale)[9].
- La notion d'intégrale impropre est inutile avec la KH-intégrale. En effet, d'après le théorème de Hake[10],[11] :Une fonction f définie sur un intervalle I = (a, b) (non nécessairement borné, et ne contenant pas nécessairement a ni b) est KH-intégrable sur I si et seulement si elle l'est sur tout segment [c, d] inclus dans ]a, b[ et si la limite existe et est finie. Son intégrale sur I est alors égale à cette limite.On en déduit par exemple (à l'aide du point précédent) :
- sur le segment [0, 1], la fonction x ↦ 1/√x si x ≠ 0 et 0 ↦ 0 (non Riemann-intégrable car non bornée) est KH-intégrable ;
- sur ]0, +∞[, la fonction x ↦ sin xx est KH-intégrable (d'intégrale π2 : il s'agit de l'intégrale de Dirichlet) et sa valeur absolue ne l'est pas.
- Le second théorème fondamental de l'analyse s'exprime comme suit[12] :Si F est une primitive généralisée[13] de f sur [a, b], alors f est KH-intégrable et
- Le premier théorème fondamental de l'analyse s'exprime comme suit[14] :Si f est KH-intégrable sur [a, b], alors la fonction est continue et admet presque partout une dérivée égale à f.Il en résulte que f est Lebesgue-mesurable[15], comme limite presque partout de la suite de fonctions continues x ↦ n(F(x + 1/n) – F(x))[16].
- Une fonction f est Lebesgue-intégrable si et seulement si f et | f | sont KH-intégrables, et les deux intégrales de f (au sens de Lebesgue et au sens de Kurzweil-Henstock) sont alors égales[17]. En particulier, pour les fonctions positives, la Lebesgue-intégrabilité et la KH-intégrabilité sont équivalentes. Une partie de ℝ est donc Lebesgue-mesurable et de mesure de Lebesgue finie si et seulement si sa fonction caractéristique est KH-intégrable. Par exemple :
- la fonction de Dirichlet (valant 1 sur les rationnels et 0 sur les irrationnels, et qui n'est pas localement Riemann-intégrable) est Lebesgue-intégrable et donc KH-intégrable (d'intégrale nulle).
- si V est une partie non mesurable de [0, 1], sa fonction caractéristique 1V, positive et non Lebesgue-mesurable, n'est pas KH-intégrable (donc 1V – 1[0, 1]\V = 21V – 1[0, 1] non plus).
- Le théorème de convergence monotone et le théorème de convergence dominée sont vrais avec la KH-intégrale. Ce dernier se déduit d'un théorème de convergence encadrée, plus fort car il permet de traiter le cas de fonctions dont la valeur absolue n'est pas intégrable[18].
Notes et références
modifier- Jean-Pierre Demailly, Théorie élémentaire de l'intégration : l'intégrale de Kurzweil-Henstock, (lire en ligne [PDF]).
- Jean-Pierre Ramis, André Warusfel et al., Mathématiques Tout-en-un pour la Licence 3, Dunod, (lire en ligne), p. 195-259.
- J.-P. Ramis, A. Warusfel et al., Mathématiques Tout-en-un pour la Licence 2, Dunod, , 2e éd. (lire en ligne), p. 547-549.
- On pourra par exemple lire la présentation de Demailly 2011, utilisée comme support de cours à l'université Grenoble-I.
- Demailly 2011, p. 11, déf. 2.5 ; Ramis, Warusfel et al. 2015, p. 198, déf. 16 ; Ramis, Warusfel et al. 2014, p. 591, déf. 10.
- On trouve la variante suivante dans (en) Lee Peng Yee et Rudolf Výborný, The Integral : An Easy Approach after Kurzweil and Henstock, Cambridge University Press, , 311 p. (ISBN 978-0-521-77968-5, présentation en ligne), p. 23 : ti – δ(ti) < xi–1 ≤ ti ≤ xi < ti + δ(ti).
- Ramis, Warusfel et al. 2015, p. 202.
- Ramis, Warusfel et al. 2015, p. 224.
- Ramis, Warusfel et al. 2015, p. 204.
- (en) « Heinrich Hake », sur le site du Mathematics Genealogy Project, (de) « thèse », sur DDB, .
- Ramis, Warusfel et al. 2015, p. 227-229.
- Voir le paragraphe correspondant dans l'article sur le lemme de Cousin.
- C'est-à-dire une application continue qui, sur le complémentaire d'un ensemble dénombrable, a pour dérivée f.
- Ramis, Warusfel et al. 2015, p. 232 et 236.
- (en) Russell A. Gordon, The Integrals of Lebesgue, Denjoy, Perron, and Henstock, AMS, (lire en ligne), p. 145.
- (en) Charles Swartz, Introduction to Gauge Integrals, World Scientific, (lire en ligne), p. 136.
- Ramis, Warusfel et al. 2015, p. 283.
- Ramis, Warusfel et al. 2015, p. 249-250 et 269.
Voir aussi
modifierArticles connexes
modifierBibliographie
modifier- Jean-Yves Briend, Petit traité d'intégration, EDP Sciences, 2014 [présentation en ligne]
- Roger Cuculière, « Quelle intégrale pour l'an 2000 ? », Repères IREM, no 31,
- Clément Kesselmark et Laurent Moonens, « Les théorèmes fondamentaux du calcul intégral », Gazette des mathématiciens, no 141, , p. 49-67
- Jean Mawhin, Analyse. Fondements, techniques, évolution, Accès Sciences, De Boeck Université, Bruxelles, 1993