Jalila al-Salman

Enseignante bahreinienne, vice-présidente de l'organisation des enseignants et militante pro-démocratie

Jalila Mohammed Ridha al-Salman (arabe : جليلة محمد رضا السلمان), née en 1965, est une enseignante bahreïnienne et vice-présidente de l'Association des enseignants de Bahreïn. En raison de son rôle dans le soulèvement bahreïnien, elle est arrêtée pendant 149 jours[1], aurait été torturée avant d'être condamnée à 3 ans de prison. Le 21 septembre 2012, sa peine est réduite à six mois d'emprisonnement par une cour d'appel.

Biographie modifier

Jalila al-Salman travaille comme éducatrice pendant 25 ans. Selon Human Rights First, elle travaille à la réforme du système éducatif de Bahreïn et, par conséquent, « a fait face à de nombreuses menaces et n'a pas été retenue pour une promotion »[2]. Au moment de son emprisonnement, elle est vice-présidente de l'Association des enseignants de Bahreïn (BTA)[3].

Rôle dans le soulèvement bahreïnien modifier

En février 2011, des manifestations à grande échelle en faveur de la démocratie débutent à Bahreïn dans le cadre du Printemps arabe international. Al-Salman organise activement des grèves de soutien des enseignants en février et mars. Le 20 février, la BTA appelle à une grève de trois jours pour exiger des réformes du système éducatif de Bahreïn et pour protester contre les assassinats et la répression des manifestations, parmi lesquels les étudiants représentent un pourcentage élevé[3]. Plus de cinq mille enseignants participent à la grève[4]. Lorsque la loi martiale est imposée le 16 mars, la BTA appelle à une nouvelle grève, d'une durée de dix jours[4]. Le 16 octobre, elle participe à un colloque organisé par Al Wefaq, le principal parti d'opposition de Bahreïn, demandant aux enseignants d'élever la voix et de parler des violations qu'ils ont subies « comme des médecins »[1].

Arrestation modifier

Le 29 mars, plus de deux douzaines d'agents de sécurité cagoulés, armés de mitrailleuses et de matraques, font irruption dans la maison d'al-Salman après minuit et l'arrêtent devant sa famille, dont ses trois enfants, alors qu'elle porte sa chemise de nuit. « Ils m'ont tiré par le cou, les armes pointées sur ma tête et m'ont demandé de ne pas avoir peur, car c'étaient des policiers », déclare t-elle[1]. Selon sa famille, al-Salman est torturée en prison. Elle déclare avoir été agressée verbalement et physiquement par les forces de sécurité qui l'ont arrêtée : « Ils m'ont frappée et m'ont insultée d'horribles noms. Des noms que je ne peux pas me résoudre à répéter »[2],[5].

Selon al-Salman, au cours de la première semaine, elle est emmenée à la Direction des enquêtes criminelles (CID) à Adliya, où elle est maintenue à l'isolement pendant 10 jours, forcée de rester debout pendant des périodes prolongées, soumise à une enquête dans des conditions difficiles et forcée de signer des papiers qu'elle n'est pas autorisée à lire. Elle est également menacée d'agression sexuelle[1],[5]. Al-Salman est ensuite transférée à la prison militaire d'Al Qurain où elle reste deux mois. Après cela, elle est transférée au centre de détention pour femmes de Madinat 'Isa, et sa famille apprend alors où elle se trouve[6]. Ils n'ont droit qu'à quelques visites, qui se déroulent « sous une surveillance très stricte »[7].

Procès modifier

La première audience d'Al-Salman se déroule devant un tribunal militaire spécial le 6 juin. Elle n'est autorisée à consulter un avocat que cinq minutes avant l'audience[5]. Al-Salman, ainsi que le président de la BTA, Mahdi Abu Deeb (en), plaident non coupables d'avoir « incité d'autres personnes à commettre des crimes, appelé à la haine et au renversement du système au pouvoir, tenu des tracts, diffusé des histoires et des informations fabriquées de toutes pièces, quitté volontairement son travail et encouragé les autres à le faire et en participant à des rassemblements illégaux ». Cependant, le juge déclare que « leurs déclarations, enquêtes et informations techniques suffisent à les blâmer ». Leur affaire est reportée au 15 juin[8]. Ils ont deux autres audiences les 22 et 29 juin[7].

Le lendemain, le ministère du Développement social ordonne la dissolution de la BTA, pour avoir « publié des déclarations et des discours incitant les enseignants et les étudiants » et « appelé à la grève dans les écoles, perturbant les établissements d'enseignement, en plus d'avoir manipulé les élèves »[9].

Après une grève de la faim de trois semaines avec une autre prisonnière pour protester contre leur détention et leurs mauvais traitements en prison[10], elles sont libérées sous caution le 21 août, à la suite de la visite de plusieurs enquêteurs de la Commission d'enquête indépendante de Bahreïn (BICI)[5].

Le procès d'Al-Salman devant un tribunal militaire est reporté du 29 août au 25 septembre[11], date à laquelle elle et Deeb sont reconnus coupables d'« arrêt du processus éducatif, d'incitation à la haine du régime et de diffusion d'informations fabriquées »[3]. Un détective de l'Agence de sécurité nationale déclare qu'al-Salman et Deeb « ont publié des déclarations qui ont conduit à des problèmes dans l'ensemble du secteur éducatif de Bahreïn »[12].

Al-Salman est condamné à 3 ans et Deeb à 10 ans d'emprisonnement[3]. Leur audience en appel se tient devant un tribunal civil le 12 décembre[13] avant d'être reporté au 19 février 2012[14], puis de nouveau reporté au 2 avril[15] puis de nouveau au 2 mai[16].

Deuxième arrestation modifier

Le 18 octobre, al-Salman est de nouveau arrêtée lors d'un raid effectué avant l'aube. Arrivée à bord de sept véhicules, plus de trente agents de sécurité l'arrêtent. Bien qu'ils aient déclaré exécuter une décision de justice, ils refusent de présenter un mandat d'arrêt. Amnesty International condamne les circonstances de la deuxième arrestation, les qualifiant de tentative d'intimidation et exprime ses « inquiétudes renouvelées quant à sa sécurité en détention »[13]. Le , elle est libérée sous caution[17].

Réponses modifier

Les condamnations d'Al-Salman et Deeb suscitent des protestations de la part d'organisations nationales et internationales de défense des droits humains. Amnesty International proteste contre ces condamnations, déclare qu'al-Salman et Deeb semblaient être des prisonniers d'opinion, « ciblés uniquement en raison de leur leadership au sein de la BTA et de l'exercice pacifique de leurs droits à la liberté d'expression » et qualifie les procès d'inéquitables[18]. L'organisation demande leur libération immédiate. En réponse à la deuxième arrestation d'al-Salman, Malcolm Smart d'Amnesty déclare : « Elle ne présente pas de risque sérieux de fuite, mais elle continue à parler de ses propres expériences en détention et du sort des autres, ce qui nous fait craindre que ce soit la raison des mesures prises contre elle ce matin »[13],[19]. Human Rights Watch cite le cas d'al-Salman parmi les violations de la liberté d'association par le gouvernement bahreïnien[20]. L'Internationale de l'éducation dénonce la dissolution de la BTA et les procès de ses dirigeants devant un tribunal militaire, appelant le gouvernement à respecter « les libertés et droits humains et syndicaux fondamentaux des enseignants »[21]. À la suite de la grève de la faim d'al-Salman, Front Line Defenders exprime ses profondes inquiétudes quant à sa santé et appelle le gouvernement à la libérer sous caution[10]. Le Congrès des syndicats appelle à la libération immédiate d'al-Salman et de Deeb et « demandent des comptes aux personnes responsables de leur arrestation et de leurs éventuels abus »[7]. Le syndicat des enseignants britannique NASUWT publie également une déclaration de soutien à Abu Deeb et al-Salman, condamnant leur traitement comme étant « brutal et inhumain »[22].

Le Centre de Bahreïn pour les droits de l'homme et le Centre du Golfe pour les droits de l'homme publient une déclaration commune se disant « profondément préoccupés » par cette « condamnation politisée », notant également que le procès de civils par un tribunal militaire constitue une violation de la loi bahreïnienne[23]. Al Wefaq dénonce l'arrestation d'al-Salman à l'aube et exige sa libération immédiate.

Appel modifier

Le 21 septembre 2012, sa peine est réduite par une cour d'appel à six mois d'emprisonnement[24].

Récompenses modifier

Jalila al-Salman reçoit, avec Mahdi Abu Dheeb et le syndicat, le prestigieux Prix international Arthur Svensson pour les droits syndicaux en 2015. Ce prix, décerné par les syndicats norvégiens, est décerné à une personne ou une organisation qui travaille à promouvoir les droits syndicaux et/ou renforcer la syndicalisation dans le monde[25].

En 2019, elle reçoit le Mary Hatwood Futrell lors du congrès international de l'Internationale de l'éducation qui récompense les défendeurs des droits humains[26].

Références modifier

(en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Jalila al-Salman » (voir la liste des auteurs).
  1. a b c et d (ar) « "عشية محاكمة جليلة السلمان: هل أوصى بسيوني بمحاكمتي غدا », Bahrain Mirror,‎ (lire en ligne [archive du ]).
  2. a et b Stephanie El Rayess, « Female Teacher Forgotten in Bahraini Prison », Human Rights First,‎ (lire en ligne, consulté le )
  3. a b c et d Matthew Cassel, « Two weeks in Bahrain's military courts », Al Jazeera,‎ (lire en ligne, consulté le )
  4. a et b (en) « Teachers ordeal in Bahrain: arrested, tortured, sacked, suspended and prosecuted », Bahrain Centre for Human Rights,‎ (lire en ligne [archive du ]).
  5. a b c et d Ivana Davidovic, « One woman's story of the terror stalking Bahrain », Women Views on News,‎ (lire en ligne, consulté le )
  6. (en-US) « Individuals At Risk », sur Amnesty International USA (consulté le )
  7. a b et c (en) « Release detained Bahraini teachers says TUC », Trades Union Congress,‎ (lire en ligne).
  8. (en) « Bahrain Teachers' Case Adjourned to June 15 », Bahrain News Agency,‎ (lire en ligne).
  9. (en) « Urgent Appeal: Teacher Unionist's Life at Risk in Bahraini Prison », Bahrain Centre for Human Rights, (consulté le )
  10. a et b (en) « Jalila Salman », sur Front Line Defenders, (consulté le )
  11. (en) « Bahrain: Further information: Teachers' military trial resumes », sur Amnesty International (consulté le )
  12. (en) « Witnesses doubt teacher's role », Gulf Daily News, (consulté le )
  13. a b et c (en) « Fears for Bahraini teacher after pre-dawn arrest », Amnesty International,‎ (lire en ligne).
  14. « Ongoing Human Rights Violations in the Trial of Leaders of the Teachers Association in Bahrain », Gulf Center for Human Rights,‎ (lire en ligne)
  15. (en) « Hearing session of Mahdi Abu Deeb postponed to 2 April », sur Bahrain Centre for Human Rights, (consulté le )
  16. (ar) المنطقة الدبلوماسية-محرر الشئون المحلية, « أبوديب يروي للمحكمة تفاصيل تعذيبه وتنفيذ أكثر من إعدام وهمي بحقه », sur صحيفة الوسط البحرينية (consulté le )
  17. (en) « Bahrain: Further information: Bahraini teachers' appeal going ahead », sur Amnesty International (consulté le )
  18. (en) « Demand Justice for Leaders of the Bahrain Teachers Association », Amnesty International,‎ (lire en ligne)
  19. (en) « Bahrain Teachers Given Jail Sentences », Amnesty International, (consulté le )
  20. (en) « Human Rights Watch UPR Submission on Bahrain », Human Rights Watch, (consulté le )
  21. (en) « "Bahrain: Serious assault on teachers' rights". . 18 July 2010. », Education International,‎ (lire en ligne)
  22. (en) « NASUWT: 'Brutal and inhumane' treatment in Bahrain condemned », politics.co.uk, (consulté le )
  23. (en) « GCHR and BCHR: Bahraini authorities should stop harassing Teachers Association », Bahrain Centre for Human Rights, (consulté le )
  24. (en) « Bahrain: Further Information: Release of Prisoner of Conscience Denied », Amnesty International, (consulté le )
  25. (nb) « En manglet da Arthur Svensson-prisen ble utdelt », sur frifagbevegelse.no, (consulté le )
  26. (en) « Jalila Al-Salman Receives "Mary Hatwood" Int'l Award », sur Bahrain Mirror, (consulté le )