Droit valaque
Le droit valaque (en latin jus valachicum, en grec βλάχικο δίκαιο vlachiko dikéo, en ancien roumain λеџѩ стръмошѩскѣ -legea strămoșească soit « droit ancestral », en hongrois vlach jog, en allemand wlachisch Recht ou altglaubisch Recht[1]) désigne les droits, devoirs, privilèges et spécificités juridiques des communautés valaques initialement pastorales de l'Europe centrale et orientale médiévale, dirigées par des joupans, des boyards ou des voïvodes, qui y rendaient la justice, levaient la troupe, collectaient l'impôt et veillaient au partage des droits de pâturage, de meunerie, de pêche, chasse, cueillette et bûcheronnage[2].
Histoire
modifierLe nom commun « valachie » désignait initialement les communautés romanophones de ces régions[3], mais avec le temps, l'installation autour d'elles de « sklavinies » slaves depuis le VIe siècle a abouti à la slavisation linguistique de beaucoup de ces communautés pastorales, de sorte qu'au XVIIIe siècle le terme « valaque » a fini par désigner indistinctement tout berger orthodoxe, qu'il soit romanophone (cas majoritaire en Hongrie orientale et en Transylvanie) ou slavophone (cas majoritaire dans les Balkans)[4],[5],[6],[7].
En Transylvanie, après l'échec de la jacquerie de Bobâlna en 1438 et la constitution de l'« Union des trois nations », le jus valachicum disparaît progressivement et la noblesse roumaine transylvaine n'a que trois issues : s'intégrer à la noblesse hongroise en passant au catholicisme et à la langue hongroise (grofia), s'exiler en Moldavie ou Valachie (descălecarea), ou perdre tous ses droits et tomber en servitude (iobăgia)[8]. Dans la Monarchie des Habsbourg, les « statuts des Valaques » (latin : statuta Valachorum) promulgués en 1630[9], concernaient tous les régiments de garde-frontières, les pandoures et les fermiers des « Confins militaires » qu'ils fussent Serbes, Roumains (et orthodoxes) ou Sicules (et catholiques ou protestants)[10] ainsi que les communautés pastorales, initialement orthodoxes et de langues roumaine et ruthène, vivant dans les Carpates et passées au catholicisme ainsi, le plus souvent, qu'aux langues polonaise, tchèque ou ukrainienne (comme les Gorales, les Moravalaques et les Houtsoules)[11],[12].
L'Empire des Habsbourg absorbe la Transylvanie en 1699 et en fait un grand-duché. Dans ce pays, au XVIIe siècle, lors de la mise en place des « Confins militaires » habsbourgeois, seul le comté de Fogaras, quelques joupanats comme Almaj, Amlaș, Gurghiu, Lăpuș, Năsăud ou Zărnești ainsi que les pays des Motses et d'Oaș étaient encore régis par le jus valachicum. C'est pourquoi les Valaques transylvains réclament en 1784 son rétablissement sous une forme actualisée, et se révoltent. Cette révolte échoue et les dernières traces de jus valachicum disparaissent, mais sont relayées par les statuts des Valaques de la Transylvanie militaire, qui disparaissent à leur tour en 1867 en même temps que la Grande-Principauté transylvaine[13], alors totalement intégrée au royaume de Hongrie.
L'historiographie hongroise moderne ne mentionne pas l'existence des joupans et boyards, n'admet pas celle des « valachies » (vlachföldek) et présente le Jus valachicum (Vlach Jog) comme une charte de franchises accordée en 1383 par les rois de Hongrie aux nobles hongrois désireux de mettre en valeur des terres royales en y implantant des colons de diverses origines, dont des Valaques (oláhok) venus des Balkans à partir du XIIIe siècle[14].
Bibliographie
modifierOvid Sachelarie, Nicolae Stoicescu (coord.), (ro) Instituţii feudale din ţările române (« Institutions féodales des pays roumains »), éd. de l'Académie roumaine, Bucarest 1988.
Références
modifier- Les dénominations allemandes homologues wlachisch Recht ou altglaubisch Recht se réfèrent respectivement à la langue romane ou identité ethnique, et à la foi ou identité religieuse orthodoxe des Valaques de la monarchie des Habsbourg.
- Alexandru Avram, Mircea Babeş, Lucian Badea, Mircea Petrescu-Dîmboviţa et Alexandru Vulpe (dir.), Istoria românilor : moştenirea timpurilor îndepărtate (« Histoire des Roumains : l'héritage des temps anciens ») vol.1, éd. Enciclopedică, Bucarest 2001, (ISBN 973-45-0382-0).
- Alexandru Vulpe (dir.), Istoria românilor : moştenirea timpurilor îndepărtate déjà cité.
- (en) Vatro Murvar, The Balkan Vlachs : a typological study, University of Wisconsin--Madison, (lire en ligne), p. 20
- (en) Alain Du Nay, André Du Nay et Árpád Kosztin, Transylvania and the Rumanians, Matthias Corvinus Publishing, , 337 p. (ISBN 978-1-882785-09-4, lire en ligne), p. 15
- (en) Gordana Filipović, Kosovo--past and present, Review of International Affairs, (lire en ligne), p. 25
- (hr) Andrej Cebotarev, « Review of Stećaks (Standing Tombstones) and Migrations of the Vlasi (Autochthonous Population) in Dalmatia and Southwestern Bosnia in the 14th and 15th Centuries », Croatian Institute of History, Zagreb, vol. 14, no 14, , p. 323 (lire en ligne)
- Ioan Aurel Pop, (en) Romanians and Romania : a brief History, Columbia University Press 1999, (ISBN 0-88033-440-1) et Alexandru Filipașcu de l’université de Cluj : L’Ancienneté des Roumains de Marmatie (en français), éd. du Centre d’études et de recherches transylvaines de l'université Ferdinand-Ier de Sibiu, Bibliotheca rerum Transsilvaniae, 1945, p. 8 à 33)
- (en) Michael Hochedlinger, Austria's Wars of Emergence : War, State and Society in the Habsburg, Autriche, Pearson Education, , 466 p. (ISBN 0-582-29084-8, lire en ligne)
- (en) John R. Lampe et Marvin R. Jackson, Balkan economic history, 1550-1950 : from imperial borderlands to developing nations, Bloomington, Indiana University Press, , 728 p. (ISBN 0-253-30368-0, lire en ligne), p. 62
- (en) Karoly Kocsis et Eszter Kocsisne Hodosi, Ethnic Geography of the Hungarian Minorities in the Carpathian Basin, Simon Publications LLC, , 45–46 p. (ISBN 978-1-931313-75-9, lire en ligne)
- (en) Ethnographia, vol. 105, A Társaság, (lire en ligne), chap. 1, p. 33
- Historia urbana, par Academia Română, éd. de l'Académie roumaine, 1993.
- Utilisant, à l'égard des ouvrages qui font état des vlachföldek et du vlach jog (jus valachicum), la méthode hypercritique inaugurée par l'équipe de Béla Köpeczi (dir.) dans (hu) Erdély rövid története, plusieurs fois réédité chez Akadémiai Kiadó (ISBN 963 05 5901 3) ((en) History of Transylvania, 3 vol., Boulder, East European Monographs, 2001-2002, abrégé (fr) ici Histoire de la Transylvanie, Budapest, Akademiai Kiadó, 1992), les sources secondaires hongroises minimisent fortement (lorsqu'il s'agit d'ouvrages spécialisés) ou occultent systématiquement (lorsqu'il s'agit de cartes historiques ou d'ouvrages grand public) leur existence, à mesure que la politique de plus en plus nationaliste du gouvernement Orbán se rapproche des positions de l'extrême-droite qui postule l'absence, avant le XIIIe siècle, de populations slaves ou romanes à l'intérieur de l'arc des Carpates, selon la thèse du « Désert des Avars » (en allemand : Avarenwüste, concept du linguiste autrichien du XIXe siècle Edouard Robert Rössler), affirmant que le pays étant vide d'habitants sédentaires à l'arrivée des Magyars, et vide aussi politiquement depuis les défaites des Avars face aux Carolingiens. Ces thèses, pas unanimes, ne nient ou ne minimisent pas seulement l'existence des vlachföldek ou « romanies populaires », mais aussi celle des « sklavinies » et des États slaves plus puissants comme la principauté du Balaton.