L'Esquive
L'Esquive est un film français réalisé par Abdellatif Kechiche, sorti en 2003. Le titre provient d'une réplique d'Arlequin dans Le Jeu de l'amour et du hasard de Marivaux, à l'acte III, scène 6.
Réalisation | Abdellatif Kechiche |
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Scénario |
Abdellatif Kechiche Ghalia Lacroix |
Acteurs principaux | |
Sociétés de production | Lola Films et CinéCinémas |
Pays de production | France |
Genre | Comédie dramatique |
Durée | 117 minutes |
Sortie | 2003 |
Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution.
Synopsis
modifierDans une cité HLM, pour leur cours de français, des adolescents répètent un passage du Jeu de l'amour et du hasard de Marivaux. Abdelkrim, dit Krimo, ne faisait pas partie de la troupe ; mais tombé amoureux de l'une des comédiennes, Lydia, il parvient à obtenir le rôle d'Arlequin. Son comportement inadapté va remettre en cause sa participation au spectacle scolaire, ainsi que ses projets avec Lydia.
Fiche technique
modifier- Titre : L'Esquive
- Réalisation : Abdellatif Kechiche
- Scénario : Abdellatif Kechiche et Ghalia Lacroix
- Production : Jacques Ouaniche pour Lola Films, France et CinéCinémas, France
- Pays d'origine : France
- Format : couleur - 1,85:1 - Dolby Digital - 35mm
- Durée : 117 minutes
- Dates de sortie : (festival Entre vues, Belfort), (France exploitation), ( Belgique)
Distribution
modifier- Osman Elkharraz : Krimo
- Sara Forestier : Lydia
- Sabrina Ouazani : Frida
- Nanou Benhamou : Nanou
- Hafet Ben-Ahmed : Fathi, le meilleur ami de Krimo
- Aurélie Ganito : Magalie, la petite amie de Krimo
- Carole Franck : la prof de français
- Hajar Hamlili : Zina
- Rachid Hami : Rachid, l'Arlequin
- Meryem Serbah : la mère de Krimo
- Hanane Mazouz : Hanane
- Sylvain Phan : Slam
- Olivier Loustau, Rosalie Symon, Patrick Kodjo Topou, Lucien Tipaldi : les policiers
- Reinaldo Wong : le couturier
- Nu Du, Ki Hong, Brigitte Bellony-Riskwait, Ariyapitipum Naruemol, Fatima Lahbi
Analyse
modifierFils d'un détenu et d'une mère négligente, Abdelkrim dit Krimo est un jeune de banlieue attachant, mais qui traverse une crise d'adolescence. Il commence à esquiver sa bande de potes, des ados comme lui qui jouent les caïds, ainsi que sa petite amie Magalie, amoureuse folle de lui. C'est qu'enfermé dans la routine de sa vie de quartier, il aspire à autre chose, comme en témoigne, symboliquement, la fascination qu'il nourrit pour les voiliers (il en collectionne les dessins de son père).
À la suite d'une énième rupture avec Magalie, il assiste à une scène qui va peu à peu le bouleverser : Sa camarade de classe Lydia, aussi extravertie et loquace que lui-même est réservé, négocie avec culot l'achat d'une robe pour sa pièce de théâtre auprès d'un homme d'affaires asiatique. Dès lors, Krimo se sent attiré par cette mordue de théâtre, qu'il croyait, pourtant, connaître depuis toujours ; jusqu'à s'inviter dans son groupe de spectacle scolaire, en passant outre, ainsi, sa timidité naturelle, son aversion pour la lecture et l'interprétation, et les codes de son entourage qui tiennent le théâtre pour un loisir de "bouffons", de "pédés".
Mais n'est pas comédien qui veut, surtout lorsqu'il s'agit d'interpréter une comédie classique du XVIIIe siècle, Le Jeu de l'amour et du hasard de Marivaux. Affublé d'un costume à carreaux, le jeune caïd tente de jouer Arlequin, le prétendant d'une Lisette interprétée par Lydia. Si cette dernière néglige (ou feint de négliger) leur amour naissant alors mis en abyme par la pièce, et parvient à tenir son rôle en faisant fi de ses sentiments réels, Krimo s'en montre incapable pour sa part, allant jusqu'à embrasser Lydia contre son gré, avant de renoncer piteusement à la scène.
Son amour pour Lydia n'est pas condamné pour autant. En effet, Magalie, qui menaçait jusqu'ici sa rivale de représailles si elle cédait au charme de son ex, en vient, sur le jeune homme, à tirer un trait définitif. À partir de quoi Lydia, que le jeu d'acteur de Krimo n'est pas parvenu à rebuter, n'a plus de raison d'esquiver ses avances.
Elle ne manquera pas de le faire une dernière fois pourtant, mais qui peut l'en blâmer ? Certainement pas les piètres organisateurs de son tête-à-tête avec le jeune homme (ses amies Frida et Nanou, et surtout Fathi, le meilleur ami de Krimo) : ils ont arrangé une rencontre de façon précipitée, dans un lieu privé d'intimité, et qui n'est autre que l'habitacle d'une voiture volée...
Finalement, la pièce se joue et obtient un franc succès. Sans Krimo, amer, qui ne l'aura observée que partiellement, à l'écart, avant de repartir comme il est venu. Ravie pour sa part, délestée de la pression du jeu et de la représentation, ainsi que d'un sentiment de culpabilité à l'égard de Magalie, Lydia n'est plus réticente à l'idée de s'entretenir avec son prétendant ; sitôt le spectacle terminé, elle cherche à le joindre, mais c'est au tour de Krimo de l'esquiver.
Ce film s'inscrit dans la tradition du cinéma de Kechiche : Prédominance de la caméra portée, prédilection pour le cadrage intime ; tentative d'effacement du narrateur au profit du jeu des acteurs et de la signifiance de menus détails ; longues séquences, plans homogènes, simplicité du décor, intelligence et/ou économie de la musique de fond ; sujet sociétal, scènes de la vie ordinaire, transformation psychologique du héros restituée sobrement (mais avec une science des propriétés expressives du langage et de l'image, tant au niveau des dialogues, que dans la mise en scène, la prise de vue, ou le travail de montage)... En s'inspirant des codes thématiques, narratifs et stylistiques du film documentaire, le travail de réalisation obtient un effet de réalisme étonnant pour une œuvre de fiction.
L'Esquive se construit autour du personnage de Krimo. Les lieux du récit le concernent directement (son quartier, son école, son appartement) ou indirectement à travers ses amis. Le temps du récit est celui de son premier amour (au sens biologique, psychologique et culturel du terme). L'action se développe à partir de sa vie affective et de ses sentiments pour Lydia (désordre affectif, puis naissance et évolution du sentiment amoureux) ; concrètement, la transformation comportementale de Krimo au cours du film, qu'il est lui-même incapable de comprendre et d’expliquer, fait l’objet d’analyses et de ragots de son entourage qui alimentent et dynamisent l’action. Les différents thèmes (l'amour, l'adolescence, la vie de banlieue, le langage, le théâtre, la violence...) rendent compte de la situation psychologique et sociale du héros (sensibilité propre, type de personnalité, nature et degré de conversation, niveau de maturité psychologique et sociale, type et niveau d'éducation, valeurs sociales...) et de celle de l'entourage avec qui il interagit. Krimo est à l'origine ou partie prenante de nombreuses scènes tragi-comiques du film (garçon introverti qui s'essaie au théâtre, caïd de banlieue interprétant un personnage burlesque, zonard de cité dont l'argot contemporain tente de se concilier avec le marivaudage classique, macho amoureux fou malgré lui, adolescent qui se cherche sans se trouver…)
Les séquences tendent à raconter, à partir de rapports de force, de petites histoires dans la grande histoire. Ces rapports de force semblent voués à une explosion de violence, mais, à la surprise du spectateur, trouvent une issue tempérée (sauf la fois où, à l'étonnement du spectateur là encore, Fathi finit par frapper Frida). C'est que le langage verbal et corporel des jeunes de la cité (filles comprises) reste machinalement empreint de vulgarité, de phallocratie et d'agressivité, même quand il s’agit d’exprimer de la tendresse et de partager de bons moments. Le spectateur en vient à le constater par lui-même, au fur et à mesure qu’il fait connaissance de Krimo et de ses amis, de sorte qu’il apprend à déceler, derrière la violence conventionnelle du milieu, la réalité d'une universalité humaine (par quoi il s'identifie finalement aux gosses de la cité). Le point d’orgue de la transformation intellectuelle du spectateur survient lors de l’arrestation des adolescents : S’ils sont bien coupables du vol de la voiture, le spectateur peine toutefois à porter sur eux le même jugement que celui des policiers, plein d’incompréhension et de mépris ; ceux-ci ont beau être issus des cités également, comme on le devine, ils restent incapables d'y voir la délinquance autrement que comme un fait de racailles. C'est l'une des forces du film de convaincre le spectateur que les débordements des jeunes, livrés à leur sort, ne déprécient en rien, au fond, l'humanité et les idéaux qu'ils portent. (A noter que, dès la première scène, où s'élabore un règlement de comptes entre jeunes, les potes de Krimo invoquent la compassion, le sentiment d'injustice, pour légitimer leur désir d'en découdre).
De ce film qui se veut réaliste et soucieux de traiter nombre de problèmes des banlieues, il ressort chez le spectateur un optimisme inattendu, une envie d'y croire et d’espérer (à la différence d'autres films produits dans les années 2000 sur la vie des cités). La réalisation du film façon documentaire sert, paradoxalement, un parti pris de Kechiche sur la jeunesse des quartiers. Kechiche tente d’amener le spectateur à se faire une autre idée de la cité, à lui restituer, au-delà des apparences et des clichés, son irréductible humanité. Passé le choc de la violence formelle, on découvre des jeunes de banlieue dans leurs diversités, leurs contradictions, leurs bons et mauvais côtés, leurs singularités (Krimo est un caïd romantique, Lydia, dont la faculté de manipulation contraste avec une hypersensibilité, se perd entre séduction et pudeur, témérité et anxiété, Fathi est un authentique voyou mais dont le sens de l’amitié se révèle sans faille, Frida témoigne une capacité tant de compassion que de cruauté…) Du film documentaire, Kechiche en exploite la vocation pédagogique ; l’effacement du narrateur a pour résultat de permettre aux jeunes du quartier de se présenter eux-mêmes (quelques plans, à cet égard, laissent volontairement voir les failles du travail cinématographique, les maladresses de comédiens recrutés en banlieue pour une bonne partie). Et les jeunes semblent prendre la parole pour dire au spectateur : « Enfants des cités, nous voici tels que nous sommes ; sommes-nous les monstres terrifiants que tu te représentais ? » Dès lors, le titre polysémique de l’Esquive - inspiré d'une réplique d'Arlequin dans la pièce de Marivaux - suggère, dans son sens général, l’idée d’une réalité complexe dont on se refuse à admettre (plus ou moins lâchement) la véritable nature, la valeur existentielle même.
Une question développée à partir de la pièce de Marivaux restera finalement non tranchée dans le film. Elle se pose en ces termes : Est-ce que les hommes sont fatalement prisonniers de leur condition sociale ? La révolution française nous a appris à répondre par la négative. En laissant la question en suspens, en faisant précéder la représentation finale de la pièce par la parabole des oiseaux en quête de sens existentiel et de paix sociale - une parabole interprétée par la génération suivante d'enfants de la cité dont un petit Abdelkrim qui ne sait pas son texte -, Kechiche interpelle directement le spectateur et la société française de son temps sur le statut des cités, en termes de pacte républicain (liberté, égalité, fraternité).
Autour du film
modifier- Le tournage s'est déroulé dans le quartier de Franc-Moisin, à Saint-Denis avec des acteurs non professionnels.
Distinctions
modifier- Festival du film Entre vues de Belfort 2003 : Grand prix du long métrage français, Prix du public
- César du cinéma 2005[1] :
Notes et références
modifier- « Césars : "L'esquive", grand vainqueur », nouvelobs.com, (consulté le )
Liens externes
modifier- Ressources relatives à l'audiovisuel :
- La critique d'Africultures