Léonard de Vinci
Léonard de Vinci (italien : Leonardo di ser Piero da VinciÉcouter, dit Leonardo da Vinci), né le du calendrier actuel — le , date de l'époque — à Vinci (Toscane) et mort le à Amboise (Touraine), est un peintre polymathe toscan, simultanément artiste, organisateur de spectacles et de fêtes, scientifique, ingénieur, inventeur, anatomiste, sculpteur, peintre, architecte, urbaniste, botaniste, musicien, philosophe et écrivain.
Naissance | |
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Décès | |
Sépulture | |
Période d'activité |
Jusqu'en |
Nom de naissance |
italien : Leonardo di ser Piero da Vinci |
Activités |
Peintre, botaniste, chimiste, physiologiste, physicien, compositeur, zoologiste, scientifique, caricaturiste, designer, dessinateur en bâtiment, écrivain, inventeur, ingénieur civil, philosophe, astronome, ingénieur, diplomate, anatomiste, sculpteur, mathématicien, architecte, polymathe, artiste visuel |
Formation |
Scuola d’abaco |
Maître | |
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Lieux de travail | |
Mouvement | |
Mécène | |
Père | |
Mère |
Caterina di Meo Lippi (d) |
Enfant naturel d'une paysanne, Caterina di Meo Lippi, et d'un notaire, Pierre de Vinci, il est élevé auprès de ses grands-parents paternels dans la maison familiale de Vinci jusqu’à l’âge de dix ans. À Florence, son père l'inscrit pour deux ans d’apprentissage dans une scuola d’abaco et ensuite à l'atelier d'Andrea del Verrocchio où il côtoie Botticelli, Le Pérugin et Domenico Ghirlandaio.
Il quitte l’atelier en et se présente principalement comme ingénieur au duc de Milan Ludovic Sforza. Introduit à la cour, il obtient quelques commandes de peinture et ouvre un atelier. Il étudie les mathématiques et le corps humain. Il rencontre également Gian Giacomo Caprotti, dit Salai, un enfant de dix ans, turbulent élève de son atelier, qu’il prend sous son aile.
En , Léonard part à Mantoue, à Venise et retourne à Florence. Il y repeint et s'adonne à l’architecture ainsi qu'à l'ingénierie militaire. Pendant un an, il confectionne des cartes géographiques pour César Borgia.
En , la ville de Florence lui commande une fresque, mais il en est déchargé par le roi de France Louis XII qui l'appelle à Milan où, de à , il est « peintre et ingénieur ordinaire » du souverain. Il rencontre Francesco Melzi, son élève, ami et exécuteur testamentaire. En , son père meurt, mais il est exclu du testament. En , il est usufruitier des terres de son oncle décédé.
En , après une retraite à Vaprio d'Adda, Léonard travaille à Rome pour Julien de Médicis, frère de Léon X, et y délaisse la peinture pour les sciences et un projet d’assèchement des marais pontins. En , François Ier l'invite en France au manoir du Cloux avec Francesco Melzi et Salai. Il y emmène notamment La Joconde probablement terminée sur place et qui a traversé les siècles comme une des œuvres picturales les plus célèbres au monde, si ce n'est la plus célèbre. Léonard meurt subitement au Clos Lucé en . Son ami Francesco Melzi hérite de ses notes et de ses dessins. Salai hérite des peintures du maître et partage avec un serviteur les vignes que Léonard a reçues de Ludovic Sforza.
Léonard de Vinci fait partie des artistes de son époque dit « polymathes » : il maîtrise plusieurs disciplines comme la sculpture, le dessin, la musique et la peinture qu'il place au sommet des arts. Léonard se lance dans une minutieuse étude de la nature et de l'expression humaine : une image doit représenter la personne, mais aussi les intentions de son esprit. Il fournit sur ses tableaux un minutieux travail de retouches et de corrections à l'aide de techniques propres à la peinture à l'huile, d'où l'existence de tableaux inachevés et ses échecs dans la peinture de fresques. Ses études sont reprises dans les innombrables dessins de ses carnets : dessiner est, pour cet inlassable graphomane, un véritable moyen de réflexion. Il consigne ses observations, ses plans et ses caricatures qu'il utilise au besoin d'un travail d'ingénierie ou pour la confection d'un tableau.
Si Léonard de Vinci est surtout connu pour sa peinture, il se définit aussi comme ingénieur, architecte et scientifique. Les connaissances initialement utiles à la peinture deviennent pour lui une fin en soi. Ses centres d'intérêt sont très nombreux : optique, géologie, botanique, hydrodynamique, architecture, astronomie, acoustique, physiologie et anatomie.
Il n'a toutefois ni l'éducation ni les méthodes de recherche d'un scientifique. Pourtant, son absence de formation universitaire le libère de l'académisme de son temps : se revendiquant un « homme sans lettres », il prône la praxis et l'analogie. Cependant, avec l'aide de quelques hommes de science, il se lance dans la rédaction de traités scientifiques, plus didactiques et structurés et souvent accompagnés de dessins explicatifs. Sa recherche de l'automatisme s'oppose à la notion du travail en tant que ciment des relations sociales.
Léonard de Vinci est souvent décrit comme le symbole de l'esprit universel de la Renaissance, l’uomo universale ou un génie scientifique. Mais il semble que Léonard lui-même exalte son art afin de gagner la confiance de ses commanditaires et la liberté d'effectuer ses recherches. De plus, les biographes du XVIe siècle écrivent des récits fort dithyrambiques de la vie du maître alors principalement connu pour ses peintures. Seules la transcription du Codex Atlanticus et la découverte de plus de 6 000 feuillets de ses notes et traités à la fin du XVIIIe siècle mettent en valeur les recherches de Léonard. Les historiens des XIXe et XXe siècles perçoivent alors en lui une sorte de génie ou de prophète de l'ingénierie. Au XXIe siècle, cette image reste encore très présente dans l'imaginaire populaire. Pourtant les années voient des historiens remettre en cause l'originalité et la validité de la plupart des recherches du maître. Ceci étant, la grande qualité de son art graphique, tant scientifique que pictural, reste encore incontestée par les plus grands historiens ou critiques d'art et de nombreux livres, films, musées et expositions lui sont consacrés.
Biographie
Enfance
Léonard de Vinci est né dans la nuit du vendredi entre neuf heures et dix heures et demie du soir[1],[N 1]. La tradition établit cette naissance dans une petite maison de métayer du petit village toscan d’Anchiano, un hameau voisin de la ville de Vinci ; mais peut-être est-il né à Vinci même[3]. L'enfant est le fruit d’une relation amoureuse illégitime entre Messer Piero Fruosino di Antonio da Vinci[N 2], notaire âgé de 25 ans et descendant d’une famille de notaires, et une jeune femme de 22 ans nommée Caterina di Meo Lippi[N 3],[3].
Ser Piero da Vinci[N 4] est issu d'une famille de notaires depuis quatre générations au moins ; son grand-père devient même chancelier de la ville de Florence. Cependant, Antonio, père de ser Piero et grand-père de Léonard, se marie avec une fille de notaire et préfère se retirer à Vinci pour y mener une paisible vie de gentilhomme campagnard en profitant de rentes que lui rapportent les métairies qu'il possède dans la petite ville. Même si certains documents le nomment avec la particule Ser, il n'a officiellement pas droit à ce titre dans les documents officiels : tout semble prouver qu'il n'a pas de diplôme et qu'il n'a même jamais exercé de profession définie[6]. Ser Piero, le fils d’Antonio et père de Léonard, reprend le flambeau de ses ascendants et trouve le succès à Pistoia puis à Pise pour s’installer, vers , à Florence. Son bureau se trouve au palais du Podestat, le bâtiment des magistrats qui fait face au palazzo Vecchio, le siège du gouvernement, alors appelé Palazzo della Signoria. Des monastères, des ordres religieux, la communauté juive de la ville et même les Médicis font appel à ses services[7],[6].
Pourtant qualifiée de « fille de bonne famille » par le biographe Anonimo Gaddiano, la mère de Léonard, Caterina, serait selon la tradition fille de paysans pauvres et, donc, fort éloignée de la classe sociale de ser Piero. Depuis , des recherches menées sur les documents communaux et paroissiaux ou sur les registres fiscaux tendent à l'identifier à Caterina di Meo Lippi, fille de petits cultivateurs, née en et orpheline à l’âge de 14 ans. Cependant, d'après les conclusions disputées d'une étude dactyloscopique de , elle pourrait être une esclave venue du Moyen-Orient[8],[9]. Selon Alessandro Vezzosi, directeur du Musée Leonardo da Vinci, il est établi que Piero était le propriétaire d'une esclave du Moyen-Orient appelée Caterina, qui a donné naissance à un garçon appelé Leonardo. Cette thèse d'une esclave venue du Moyen-Orient est soutenue par la reconstruction de l’empreinte de l'index gauche de Léonard à partir de quelque 200 empreintes digitales — la plupart fragmentaires — tirées d'environ 52 feuillets des notes de Léonard[10]. En , le professeur Carlo Vecce identifie la mère de Léonard, Caterina, comme étant probablement une esclave circassienne, vendue et revendue plusieurs fois à Constantinople puis à Venise. Finalement achetée par le père de Léonard, celui-ci l'affranchira après avoir eu un enfant d'elle[N 5],[11].
Léonard semble être baptisé le dimanche suivant sa naissance[1]. La cérémonie a lieu dans l'église de Vinci par le curé de la paroisse, en présence de notables de la ville et d'aristocrates importants des environs. Dix parrains — un nombre exceptionnel —, témoignent du baptême : ils habitent tous le village de Vinci et on compte notamment Piero di Malvolto, le parrain de ser Piero et propriétaire de la ferme natale de Léonard[1],[4]. Le lendemain du baptême, ser Piero retourne à ses affaires à Florence. Ce faisant, il prend des dispositions pour que Caterina se marie rapidement avec un fermier et chaufournier local ami de la famille de Vinci, Antonio di Piero del Vaccha dit « Accattabriga (bagarreur) » : peut-être agit-il ainsi pour éviter les commérages pour avoir abandonné une mère et son enfant[13]. Il semble que l'enfant soit resté auprès de sa mère le temps du sevrage — soit environ 18 mois —, puis ait été confié à son grand-père paternel chez qui il passe les 4 années suivantes en compagnie notamment de son oncle Francesco[14]. Les familles maternelle et paternelle demeurent en bons termes : Accattabriga travaille dans un four loué par ser Piero et ils apparaissent régulièrement comme témoins dans des contrats et actes notariés les uns pour les autres[15],[16]. De fait, les souvenirs d'enfance relatés par Léonard adulte permettent de comprendre qu'il se considère comme un enfant de l'amour. Il écrit ainsi à son propos : « Si le coït se fait avec grand amour et grand désir l'un de l'autre, alors l'enfant sera de grande intelligence et plein d'esprit, de vivacité et de grâce »[17].
À cinq ans, en , Léonard rejoint la maison de sa famille paternelle à Vinci. Pourvue d'un petit jardin, la maison est cossue et se trouve au cœur de la ville, juste à côté des murailles du château. Ser Piero a épousé la jeune fille d'un riche cordonnier de Florence, âgée de 16 ans, Albiera degli Amadori, mais elle meurt très jeune en couches, en [18]. Ser Piero se marie quatre autres fois. Des deux derniers mariages naissent ses dix frères et deux sœurs légitimes[19]. Léonard semble entretenir de bonnes relations avec ses belles-mères successives : ainsi, Albiera porte une affection particulière à l'enfant[20]. De même, qualifie-t-il dans une note la dernière femme de son père, Lucrezia Guglielmo Cortigiani, de « chère et douce mère »[20],[8].
Léonard n'est pas élevé par ses parents : son père réside principalement à Florence et sa mère s’occupe des cinq autres enfants qu'elle a après son mariage. Ce sont plutôt son oncle Francesco de 15 ans son aîné et ses grands-parents paternels qui assurent son éducation. Ainsi, son grand-père Antonio, oisif passionné, lui donne le goût de l'observation de la nature, lui répétant constamment « Po l’occhio ! (« Ouvre l’œil ! ») »[21]. De même, sa grand-mère Lucia di ser Piero di Zoso est très proche de lui : céramiste, elle est peut-être la personne qui l'initie aux arts[22]. Par ailleurs, il reçoit une éducation assez libre avec les autres villageois de son âge dans laquelle il apprend notamment à lire et à écrire[23],[24].
Vers , Léonard rejoint son père et Albiera à Florence. Bien que son père le considère dès sa naissance comme son fils à part entière[25], il ne légitime pas Léonard qui ne peut donc accéder au notariat[26],[27]. De plus, appartenant à une catégorie sociale intermédiaire entre dotti et non dotti, il ne peut fréquenter une de ces écoles latines dans lesquelles est dispensé l'enseignement des lettres classiques et des humanités : elles restent réservées aux futurs membres des professions libérales et marchands de bonnes familles du début de la Renaissance[28]. C'est donc à l'âge de dix ans qu'il entre dans une scuola d’abaco (une « école d'arithmétique ») destinée aux fils de commerçants et d'artisans[23],[N 6] où il apprend des rudiments de lecture, d'écriture et surtout d'arithmétique. Le cursus normal y étant de deux ans, Léonard en sort vers , l'année de ses douze ans — âge auquel il est envoyé en apprentissage dans l'atelier d'Andrea del Verrocchio[27]. Son orthographe, qualifiée de « pur chaos » par l'historien des sciences Giorgio de Santillana, témoigne ainsi de ses lacunes[29]. De même, il n'étudie ni le grec ni le latin qui, en tant que supports exclusifs à la science, sont pourtant essentiels à l'acquisition des connaissances théoriques scientifiques : il n'apprendra le latin — et encore, imparfaitement — qu'en autodidacte, et seulement à l'âge de 40 ans[30]. Pour Léonard, avant tout libre penseur et adversaire de la pensée traditionnelle, cette éducation lacunaire restera par la suite un sujet sensible : face aux attaques du monde intellectuel, il se présentera volontiers comme un « homme sans lettres », disciple de l’expérience et de l’expérimentation[31].
Formation à l’atelier de Verrocchio (1464-1482)
Vers — en au plus tard —, alors qu'il a une douzaine d'années, Léonard entre en apprentissage à Florence. Pressentant de fortes dispositions, son père le confie à l'atelier d'Andrea del Verrocchio[27]. De fait, ser Piero da Vinci et le maître se connaissent déjà[32] : le père de Léonard effectue plusieurs actes notariaux au bénéfice de Verrocchio ; de plus, les deux hommes travaillent non loin l'un de l'autre. Dans sa biographie de Léonard, Giorgio Vasari relate que « Piero prit quelques-uns de ses dessins et les apporta à Andrea del Verrocchio, qui était un bon ami, et lui demanda si le garçon gagnerait à étudier le dessin ». Verrocchio « s'étonna beaucoup des débuts particulièrement prometteurs » du garçon et l'accepte comme apprenti, non pour son amitié pour ser Piero mais pour son talent[33],[34].
Artiste renommé, Verrocchio est un polymathe : orfèvre et forgeron de formation, il est peintre, sculpteur et fondeur mais aussi architecte et ingénieur[35]. Comme chez la plupart des maîtres italiens de son temps, son atelier est simultanément en charge de plusieurs commandes. Outre de riches marchands, son principal commanditaire est le riche mécène Laurent de Médicis : il crée ainsi principalement des peintures et des sculptures de bronze, comme L'Incrédulité de saint Thomas, une tombe pour Cosme de Médicis, des décorations de fêtes, et s'occupe de la conservation d’œuvre antiques pour les Médicis. En outre, dans cet atelier, on disserte de mathématiques, d'anatomie, d'antiquités, de musique et de philosophie[36],[33].
Signe de son activité, un inventaire des biens présents dans le lieu évoque pêle-mêle plusieurs tables et lits, un globe terrestre et des livres — recueils de poèmes classiques traduits de Pétrarque ou d'Ovide, ou littérature humoristique de Franco Sacchetti. Le rez-de-chaussée est réservé au magasin et ses ateliers ; l'étage supérieur permet de loger les artisans et apprentis qui y travaillent[38]. Dans ce lieu réunissant maîtres et élèves, Léonard a pour condisciples Lorenzo di Credi, Sandro Botticelli, Le Pérugin et Domenico Ghirlandaio[35].
De fait, loin d'être un studio d'art raffiné, cette bottega est une boutique où se fabriquent et se vendent grand nombre d'objets d'art : les sculptures et peintures ne sont pour la plupart pas signées et sont le résultat d'un travail collectif. Son objectif premier est de produire des œuvres à vendre plutôt que de promouvoir le talent de l'un ou l'autre artiste[38]. Verrocchio semble être un maître bon et humain, menant son atelier collégialement au point que de nombreux élèves, comme Léonard ou Botticelli, restent encore chez lui plusieurs années après leur apprentissage[37].
Comme tous les nouveaux arrivants dans l'atelier, Léonard occupe une place d'apprenti (italien : discepolo) et réalise les plus humbles tâches (nettoyer les pinceaux, préparer le matériel pour le maître, balayer les sols, broyer les pigments et veiller à la cuisson des vernis et des colles). Peu à peu, il est autorisé à reporter sur le panneau l’esquisse du maître. Puis il devient compagnon (italien : garzone) : il se voit confier du travail d'ornementation ou d'exécution d'éléments secondaires comme le décor ou le paysage. Selon ses capacités et ses progrès, il peut ensuite réaliser des parties entières de l’œuvre[39].
Les commandes — la création de la sphère de cuivre du Dôme/de la coupole de santa Maria del Fiore de Florence commandée à Verrochio en 1468 et installée en mai 1472 par exemple — sont l'occasion d'acquérir des notions d'ingénierie et de machinerie[40], de mécanique, de métallurgie et de physique[41]. Verrochio, d'après Vasari, aurait même initié le jeune homme à la musique[42]. Léonard reçoit donc une formation multidisciplinaire qui réunit l’étude de l’anatomie superficielle, de la mécanique, des techniques de dessin, de la gravure et surtout l’étude des effets d’ombre et de lumière sur des matériaux comme les draperies[35],[43].
Il découvre l'antique technique du clair-obscur (italien : chiaroscuro) consistant à user des contrastes d’ombre et de lumière afin de provoquer l’illusion du relief et du volume aux dessins et aux peintures en deux dimensions. Pendant qu'il apprend la confection des couleurs, Léonard expérimente des mélanges de pigments à de fortes proportions de liquides transparents afin d'obtenir des couleurs translucides et d'ainsi étudier et modeler les dégradés de draperies, de visages, d'arbres et des paysages : c'est la technique du sfumato, qui donne au sujet des contours imprécis à l'aide d'un glacis ou d'une texture lisse et transparente[44].
Verrocchio demande également à son élève de compléter ses peintures et notamment le tableau Tobie et l’Ange, où il dessine la carpe que tient Tobie et le chien marchant derrière l'ange à gauche. Verrochio, plus versé dans l'art de la sculpture, est connu pour ses représentations d’animaux généralement considérées comme « quelconques » et « faibles ». Il n'est donc pas étonnant que le maître confie la réalisation des animaux à son élève Léonard dont le sens aigu de l'observation de la nature semble évident[44]. Cependant, pour Vincent Delieuvin, cette collaboration semble possible, mais n'est pas irrécusable, car elle repose sur des arguments conventionnels : Verrocchio ou le jeune Pérugin sont tout aussi capables de dessiner des thèmes naturalistes de cette manière[45].
Léonard étudie également la perspective dans son aspect géométrique, à l'aide des écrits de Leon Battista Alberti, et dans son aspect lumineux à travers les effets de perspective aérienne[46],[47]. Cette technique, applicable à la seule peinture à l'huile, lui permet également de façonner ses volumes et ses éclairages de manière plus fluide, et même de modifier ses peintures au gré de ses idées. C'est pour cela qu'il ne s'essaie pas à la fresque, trop fixe et immuable dès qu'elle est posée sur un mur ou un plafond. C'est probablement pour ce manque de compétences spécifiques qu'il ne sera pas invité à peindre les murs de la chapelle Sixtine à Rome entre 1481 et 1482 avec ses congénères Botticelli, Le Perugin ou Ghirlandaio[48],[43].
En , dans Le Baptême du Christ, Léonard peint l’ange à l’extrême gauche, et réalise partiellement d'autres éléments du tableau. Une analyse aux rayons X montre qu'une grande partie du décor, le corps du Christ et l'ange de gauche, sont faits de plusieurs couches de peinture à l'huile dont les pigments sont fortement dilués. D'après Giorgio Vasari, Léonard y réalise un personnage « tellement supérieur à toutes les autres figures, qu'Andrea, honteux d'être surpassé par un enfant, ne voulut plus jamais toucher à ses pinceaux », anecdote que confirme la recherche historique[49].
En , à l'âge de vingt ans, Léonard achève son apprentissage et peut ainsi devenir maître[50]. Il semble être en bons termes avec son père qui habite toujours à proximité de l’atelier avec sa deuxième épouse, mais toujours sans autre enfant. À l'occasion de cet achèvement, son nom apparaît avec ceux de Le Pérugin et Botticelli dans le Livre rouge des débiteurs et des créanciers de la Compagnie de Saint-Luc, c'est-à-dire dans le registre de la guilde des peintres de Florence, une sous guilde de celle des médecins[N 7],[51],[52]. Malgré cela, il décide de rester à l'atelier de Verrocchio : en , Léonard y est toujours mentionné. Il y réalise de nombreux décors, engins ou déguisements de spectacles et de fêtes commandés à l'atelier par Laurent de Médicis, dont un étendard destiné à Julien de Médicis pour une joute à Florence, ou un masque d'Alexandre le Grand pour Laurent de Médicis[53],[54].
L'été de l'année , il lui arrive de retourner à Vinci où il semble retrouver sa mère, le mari de celle-ci, Antonio, et les enfants du couple : « Le séjour chez Antonio me contente » écrit-il dans ses notes. Au dos du feuillet où il écrit ce passage, se trouve probablement le plus ancien dessin d’art connu de Léonard : daté du « Jour de Notre-Dame-des-Neiges, », il s'agit d'un panorama impressionniste, esquissé à la plume, où est visible un relief rocailleux et la vallée verdoyante de l’Arno, près de Vinci[52] — mais il pourrait tout autant s'agit d'un paysage imaginaire[55]. Outre la maîtrise des différents types de perspectives — notamment celle qu'il nomme plus tard « perspective aérienne » —, cette esquisse ne montre qu'un paysage, d'habitude placé en décoration : il est ici le thème principal de l'œuvre. En bon observateur, Léonard y dépeint la nature pour elle-même[52].
Les archives judiciaires de montrent qu'avec trois autres hommes, une dénonciation l'accuse de sodomie avec un prostitué Jacopo Saltarelli, pratique à l’époque illégale à Florence. Tous ont été acquittés des charges retenues, probablement grâce à l'intervention de Laurent de Médicis[56],[53]. Cet incident sera pour nombre d'historiographes un indice attestant de l'homosexualité du peintre[57].
C'est également dans les années que quatre tableaux lui sont principalement attribués : une Annonciation, vers -[58], deux Vierge à l'Enfant (La Madone à l'œillet, vers -[59], et La Madone Benois, vers -[60]) et le portrait avant-gardiste d’une Florentine, Portrait de Ginevra de' Benci (vers -[61]) dans lesquels Léonard semble de mieux en mieux maîtriser la peinture à l'huile et la technique des pigments fortement dilués[62]. En , Léonard reçoit sa première commande pour un retable de la chapelle du Palazzo della Signoria. Les historiens n'en possèdent que les dessins préparatoires ; ils semblent avoir servi à la confection de l'Adoration des Mages, dont il reçoit la commande en et qu'il laisse également inachevée[63],[53].
Les années milanaises (1482-1499)
En , Léonard de Vinci a environ trente ans. Il quitte Laurent le magnifique et Florence pour rejoindre la cour de Milan. Il y restera 17 ans. Les raisons qui le poussent à ce départ ne sont pas connues et les historiens de l'art en sont réduits à émettre des hypothèses[64]. Certainement trouve-t-il l'atmosphère autour de Ludovic Sforza plus propice à la création artistique, ce dernier voulant faire de la cité dont il vient de prendre la tête l'« Athènes de l'Italie »[65]. Peut-être marque-t-il aussi son amertume pour ne pas avoir été sélectionné dans l'équipe de peintres florentins chargés de la création de décors à la chapelle Sixtine[N 8],[66]. Qui plus est, Vasari et l'auteur de l'Anonimo Gaddiano assurent que le peintre est alors chargé par Laurent le magnifique d'offrir à son correspondant une lyre faite d'argent et en forme de crâne de cheval, à laquelle Léonard joue parfaitement[67],[68]. Enfin, Léonard arrive avec l'espoir d'y déployer ses talents d'ingénieur, en témoigne un courrier qu'il fait écrire à son hôte[N 9] et qui décrit diverses inventions dans le domaine militaire, et, incidemment, la possibilité de créer des œuvres architecturales, sculptées ou peintes[70].
Pourtant c'est plutôt sa qualité d'artiste qui est d'abord reconnue puisque la cour le qualifie d'« Apelle florentin », en référence au célèbre peintre grec de l'Antiquité. Ce titre lui laisse l'espoir de trouver une place et de toucher ainsi un salaire et au lieu d'être simplement payé à l'œuvre[71]. Malgré cette reconnaissance, les commandes ne viennent pas car il n'est pas suffisamment installé à Milan et n'a pas encore les relations nécessaires[72].
Se produit alors la rencontre avec un peintre local, Giovanni Ambrogio de Predis, bien introduit à la cour, qui lui permet de se faire connaître de l'aristocratie milanaise[73]. De Prédis offre à Léonard de l'héberger dans son atelier puis dans la demeure qu'il partage avec son frère Evangelista et dont l'adresse est « Paroisse de San Vincenzo in Pratot intus »[72]. La relation est fructueuse puisqu'il reçoit, dès avril et conjointement avec les frères de Predis, commande d'un tableau par une confrérie locale ; il s'agit de La Vierge aux rochers, destiné à orner un retable pour la décoration d'une chapelle récemment construite au sein de l'église Saint-François-Majeur[74]. Marque de reconnaissance de son statut, il est le seul des trois artistes à porter le titre de « maître » dans le contrat[75]. Léonard établit ainsi, rapidement après son arrivée à Milan, son propre bottega au sein duquel évoluent des collaborateurs comme Ambrogio de Predis ou Giovanni Antonio Boltraffio, et des élèves comme Marco d'Oggiono, Francesco Napoletano puis, plus tard, Salai[76].
En 1490, il rencontre le grand polymathe siennois Francesco di Giorgio Martini à Milan à l'occasion de la consultation architecturale pour l'érection de la tour-lanterne du Dôme de Milan, commandée par Ludovic Sforza. Francesco di Giorgio Martini emmène alors avec lui Léonard à Pavie où il était appelé en consultation pour la cathédrale de la piazza del Duomo[77],[78].
De retour à Milan, Léonard doit certainement voir sa position s'améliorer certes lentement mais régulièrement[79]. Il devient « ordonnateur de fêtes et spectacles » donnés au palais et invente des machines de théâtre qui connaissent du succès. Le sommet de ses réalisations, datant de , est « un chef-d'œuvre de machinerie théâtrale [créée] pour Danae de Baldassare Taccone au palais de Giovan Francesco Sanseverino, où l'actrice principale se transforme en étoile »[80]. Plus largement, son activité d'ingénieur est connue, mais il doit s'employer pour la faire reconnaître[81]. L'épisode de peste à Milan de - est pour lui l'occasion de proposer des solutions au thème de la « ville nouvelle » qui émerge alors. En , Léonard participe à un concours pour la construction de la tour-lanterne de la cathédrale de Milan et y présente une maquette courant -. Son projet n'est pas retenu, mais il semblerait qu'une partie de ses idées aient été reprises par le vainqueur du concours, Francesco di Giorgio[82]. Si bien que, dans les années , il devient avec Bramante et Gian Giacomo Dolcebuono un ingénieur urbaniste et architectural de premier plan[83]. De fait, les archives lombardes lui accolent volontiers le titre d'« ingeniarius ducalis », et c'est à ce titre qu'il est envoyé à Pavie[84].
Durant ce temps, Léonard se consacre à des études technico-scientifiques, qu'elles concernent l'anatomie[85], la mécanique (horloges et métiers à tisser)[86] ou les mathématiques (arithmétique et géométrie)[87], qu'il note scrupuleusement dans ses carnets, certainement en vue d'en tirer des traités systématiques[88]. En , il prépare l'écriture d'un livre sur l'anatomie humaine qui s'intitule De la figure humaine. Il y étudie les différentes proportions du corps humain, ce qui l'amène à produire l'Homme de Vitruve, qu'il dessine sur base des écrits de l'architecte et écrivain romain Vitruve[89]. Cependant, même s'il se définit comme un « homme sans lettres », Léonard montre dans ses écrits colère et incompréhension devant le mépris dont il fait l'objet par les docteurs en raison de son absence de formation universitaire[88].
Entre à , il s’occupe également de la réalisation d'une imposante statue équestre en l’honneur de Francesco Sforza, le père et prédécesseur de Ludovic. Il projette d'abord de faire un cheval en mouvement. Mais, devant les difficultés d'une telle réalisation, il est obligé de renoncer et revient à une solution plus classique, comme celle de Verrocchio. Seul un immense modèle en argile est réalisé le . Mais les 60 tonnes de bronze nécessaires pour la statue sont utilisées pour fondre des canons servant à la défense de la ville contre l’invasion du roi français Charles VIII[90]. Le modèle en argile est toutefois exposé au palais des Sforza et sa confection contribue considérablement à la notoriété de Léonard auprès de la cour de Milan. Cela lui vaut d'être nommé pour réaliser plusieurs travaux au palais, dont un système de chauffage et plusieurs portraits[91]. C'est pendant cette période qu'il peint le portrait de Cecilia Gallerani dit La Dame à l'hermine (), un Portrait d'une dame milanaise (connu sous le nom de La Belle Ferronnière), une Femme de profil (certainement avec Ambrogio de Predis) et peut-être la Madone Litta[92]— dont l'exécution finale sur panneau est attribuée à Giovanni Antonio Boltraffio ou à Marco d'Oggiono[93]. C'est probablement la Dame à l'hermine qui est décisif dans l'engagement de Léonard comme artiste de la cour. Parmi les commandes se trouve la célèbre fresque La Cène exécutée dans le réfectoire du cloître Santa Maria delle Grazie[94]. Le cheval d'argile, quant à lui, est utilisé comme cible d’entraînement et détruit par les mercenaires français de Louis XII venus envahir Milan en [91].
Le , dans une note écrite dans un carnet consacré à l'étude de la lumière qui lui tient lieu de journal de bord, Léonard indique recueillir dans son atelier un jeune enfant de dix ans, Gian Giacomo Caprotti, en échange d'une somme de quelques florins donnée à son père. Rapidement, l'enfant accumule les méfaits. Ainsi Léonard note-t-il à son propos : « Voleur, menteur, têtu, glouton » ; dès lors l'enfant gagne le surnom de Salai, issu de la contraction de l'italien Sala[d]ino signifiant « petit diable »[95]. Pour autant, le maître lui voue une grande affection et n'imagine pas s'en séparer. Dès lors, les historiens se questionnent sur l'exacte relation existant entre le quadragénaire et cet enfant puis adolescent au visage si parfait, et beaucoup dès le XVIe siècle y voient une confirmation de son homosexualité — et à tout le moins, de son goût pour les mauvais garçons[96],[97]. Malgré ses piètres qualités artistiques, Salai est intégré à l'atelier du peintre[98].
En , Léonard a quarante ans. Il note dans ses documents d’imposition prendre à sa charge, chez lui, une femme nommée Caterina[99]. Il le confirme dans un carnet : « Le 16 juillet/Caterina est venue le » (Codex Forster, III 88 r.). Cependant, les historiens sont en désaccord sur l'identité de celle-ci : s'agirait-il de la mère du peintre, qui aurait alors 58 ans, ou d'une simple servante ? Rien ne vient confirmer ou infirmer l'une ou l'autre hypothèse. Quoi qu'il en soit, en , date de sa dernière trace officielle, elle est certainement veuve et semble ne plus entretenir de relations avec ses deux filles survivantes, et son fils légitime est probablement tué cette même année par un tir d’arbalète. De plus, cette même Caterina meurt en ou et la liste détaillée de dépenses funéraires que Léonard établit pour cette femme semble bien trop onéreuse pour laisser penser qu'il s'agit-là d'une simple servante, récemment à son service de surcroît[100],[101].
Les années , enfin, sont une période durant laquelle quelques documents parcellaires suggèrent un conflit opposant Léonard et Ambrogio de Predis à la confrérie ayant commandé La Vierge aux rochers pour l'église Saint-François-Majeur : les peintres se plaignent de ne pas être justement rémunérés et les commanditaires de ne pas avoir reçu l'objet de leur commande pourtant prévue pour au plus tard[102],[103]. Cette situation conduit les artistes à vendre le tableau à un acheteur plus offrant : sans doute Ludovico Sforza lui-même qui offre le tableau à l'empereur Maximilien ou au roi de France. En tout état de cause, une seconde version du tableau (aujourd'hui exposée au National Gallery de Londres) est peinte entre et et décore au XVIe siècle le retable d'une des chapelles de l'église Saint-François-Majeur[104].
Années d'errance (1499-1503)
En , Léonard de Vinci est un artiste peintre installé à Milan auprès de Ludovic Sforza[105]. Néanmoins, sa vie entre alors dans une phase importante de transition : en , Louis XII, qui revendique des droits à la succession des Visconti, envahit Milan et le peintre perd son puissant protecteur qui s’enfuit en Allemagne chez son neveu l'empereur Maximilien d'Autriche[106],[107]. Il hésite alors sur ses allégeances : doit-il suivre son ancien protecteur ou se tourner vers Louis XII qui rapidement prend langue avec lui[108] ? Néanmoins, les Français se font rapidement détester par la population et Léonard prend la décision de partir[109].
Il entame alors une vie errante qui le conduit en à la cour de la duchesse Isabelle d'Este à Mantoue[109]. L'historien de l'art Alessandro Vezzosi émet l'hypothèse qu'il s'agit là de la destination finale de son voyage initialement choisie par le peintre[110]. Il y réalise un carton pour le portrait de la marquise à la demande de celle-ci, mais son tempérament libre se heurte au caractère facilement tyrannique de son hôtesse[111],[112] : il ne reçoit aucune autre commande de la cour et, en , il reprend la route et se rend à Venise[113].
S'il ne reste que peu de temps à Venise — puisqu'il en part dès avril 1500 —, il y est employé comme architecte et ingénieur militaire pour préparer la défense de la ville qui craint une invasion ottomane[114]. Paradoxalement, il proposera, deux ans plus tard ses services d'architecte au sultan turc, Bayézid II (le grand pere de Soliman le Magnifique) qui n'y donnera pas suite[115]. Il ne peint pas dans la ville des doges mais prend soin de présenter les tableaux qu'il a emporté avec lui[113].
Il retrouve enfin sa région natale et Florence : nous est parvenu un document bancaire indiquant qu'il a retiré 50 ducats d'or de son compte le . Il semble qu'il soit d'abord hébergé par les moines servites de la ville au couvent de l'église de la Santissima Annunziata dont son père est un des procurateurs et qui bénéficie de la protection du marquis de Mantoue[116]. Il y reçoit d'ailleurs la commande d'un retable représentant une Annonciation et destiné à décorer le maître-autel de l'église. Filippino Lippi, qui a pourtant déjà signé un contrat dans ce sens, s'est retiré pour le maître, mais ce dernier ne produit rien[117].
Par ailleurs, il rapporte très probablement un carton, Sainte Anne, la Vierge, l'Enfant Jésus et saint Jean-Baptiste enfant, très récemment commencé. Il s'agit d'un projet de « sainte Anne trinitaire » entamé, selon les hypothèses, afin de marquer son retour dans sa ville natale[118], voire « pour s'imposer sur la scène artistique [locale] dès son arrivée en 1500 »[119]. Exposé, celui-ci connaît un grand succès : Gorgio Vasari écrit que les Florentins « se pressent en foule durant deux jours pour le voir »[112]. Durant l'été , Léonard commence La Vierge au Fuseau pour Florimond Robertet, secrétaire d'État du roi de France[120].
Malgré ces travaux de peinture, Léonard de Vinci déclare préférer se consacrer à d'autres domaines, en particulier techniques et militaires (horloges, métier à tisser, grues, systèmes défensifs de villes, etc.[114]), et il se proclame plus volontiers ingénieur que peintre[121]. D'ailleurs, son séjour chez les moines servites est pour lui l'occasion de participer à la restauration de l'Église San Salvatore al Vescovo, menacée par un glissement de terrain[122]. Il est de même consulté à plusieurs reprises comme expert : pour étudier la stabilité du campanile de la basilique San Miniato al Monte ou lors du choix de l’emplacement du David de Michel-Ange[123].
De fait, il s'agit d'une période où il marque un certain dédain pour la peinture[126],[127] : dans une lettre du dans laquelle il répond aux demandes pressantes de la duchesse de Mantoue d'obtenir du maître un portrait, le moine carme Fra Pietro da Novellara indique que « [les] expériences mathématiques [de Léonard] l’ont tellement détourné de la peinture qu’il ne peut plus supporter le pinceau »[128]. Pour autant, ce témoignage est à relativiser car Fra Pietro doit rendre des comptes à Isabelle d'Este, susceptible dirigeante, impatiente d'obtenir un tableau du maître : comment tempérer son impatience sinon en arguant d'une répugnance de Léonard pour la peinture[129] ? Enfin, de son côté, Léonard paraît pouvoir se permettre de refuser de travailler pour une commanditaire si prisée de la Renaissance puisqu'il vit alors sur ses économies accumulées à Milan[130]. Du au , Léonard demeure le plus souvent à Florence mais son existence reste erratique[116]. Le , Fra Pietro de Novellara en témoigne ainsi : « son existence est si instable et si incertaine qu'on dirait qu'il vit au jour le jour »[131].
Au printemps 1502, alors qu'il travaille pour Louis XII et pour le marquis de Mantoue François II, il est appelé au service de César Borgia dit « le Valentinois » qu'il avait rencontré en à Milan et en qui il pense trouver un nouveau protecteur[133]. Celui-ci le nomme le « architecte et ingénieur général » ayant tout pouvoir pour inspecter les villes et forteresses de ses domaines[134]. Entre le printemps et, au plus tard, , il parcourt ainsi la Toscane, les Marches, l'Émilie-Romagne, et l'Ombrie. Inspectant les territoires nouvellement conquis, il lève des plans et dessine des cartes, remplissant ses carnets de ses multiples observations, cartes, croquis de travail et copies d'ouvrages consultés dans les bibliothèques des villes qu'il traverse[135],[136]. Lors de l'hiver -, il rencontre l'espion de Florence, Nicolas Machiavel, qui deviendra son ami[137]. Malgré ce titre d'ingénieur dont il avait rêvé, il quitte finalement César Borgia sans que l'on ne connaisse les raisons de cette décision : prémonition de la chute prochaine du Condottiere ? Propositions des autorités florentines ? Ou aversion pour les crimes de son protecteur ? Quoi qu'il en soit, Léonard s'affranchit du Valentinois au printemps [138]. Pour autant, il ne rentre pas immédiatement à Florence puisqu'il participe tout l'été suivant en tant qu'ingénieur au siège de Pise conduit par l'armée florentine : il se charge alors de détourner le fleuve Arno afin de priver d'eau la ville rebelle, mais l'essai constitue un échec[139].
Seconde période florentine (1503-1506)
En , Léonard est de nouveau établi à Florence : il se réinscrit à la guilde de Saint-Luc — la corporation des peintres de la ville[140]. Il entame alors le portrait d'une jeune femme florentine nommée Lisa del Giocondo. Le tableau est commandé par le mari de celle-ci et riche commerçant de soie florentin Francesco del Giocondo. Le portrait connu depuis sous le nom de La Joconde, sera achevé vers -[141]. Alors que Léonard se détourne des demandes de la duchesse d'Este, l'acceptation de cette commande suscite les interrogations des chercheurs : peut-être est-ce la conséquence du lien de connaissance personnelle entre Francesco del Giocondo et le père de Léonard[130].
Son retour en ville est d'emblée marqué par une commande prestigieuse émanant des édiles de la ville : il doit réaliser une imposante fresque murale commémorant la bataille d'Anghiari qui a vu en la victoire de Florence sur Milan. L'œuvre doit orner la salle du Grand Conseil (appelée de nos jours « Salle des Cinq-Cents ») située dans le Palazzo Vecchio. La réalisation du carton de La Bataille d'Anghiari occupera une grande partie du temps et des réflexions du maître pour les années à [142]. Michel-Ange ayant reçu une commande concomitante sur la paroi opposée pour La Bataille de Cascina, les deux peintres travaillent dans le même lieu[143],[144]. Michel-Ange lui a toujours été hostile[143] et l'Anonimo Gaddiano rapporte que les relations entre les deux hommes — qui ont conscience de leur génie — s'enveniment[145]. Malgré cette rivalité affichée, il apparaît que le jeune artiste influence fortement Léonard (l'inverse étant moins vrai), en témoignent les études de corps masculins musculeux, lui qui répugnait ces « nus austères sans grâce, qui ressemblent davantage à un sac de noix qu'à des figures humaines ». C'est ainsi très certainement sous l’influence du travail de Michel-Ange, et en particulier son David, que Léonard intensifie ses études sur l’anatomie humaine[146].
Six mois après le début de son travail, alors que le peintre a déjà achevé une partie de son carton, un contrat est rédigé par les commanditaires, peut-être inquiets par la réputation qu'a le peintre de ne jamais achever ses entreprises. Il lui est ainsi prescrit d'avoir terminé avant sous peine de pénalités de retard[147],[N 11]. Finalement, ni lui ni Michel-Ange n'achèveront leur œuvre. Il ne réalisera ainsi que le groupe central — la lutte pour l'étendard[149] — qui demeure peut-être caché sous des fresques peintes au milieu du XVIe siècle par Giorgio Vasari[143]. Son schéma est connu uniquement grâce à des croquis préparatoires et plusieurs copies, dont la plus célèbre est probablement celle de Pierre Paul Rubens[150]. De son côté, la peinture de Michel-Ange l'est à travers une copie réalisée en par Aristotele da Sangallo[151].
Toujours en , le conflit avec les commanditaires de La Vierge aux rochers se poursuit : Léonard a laissé son œuvre (qui sera dénommée plus tard « version de Londres ») inachevée en quittant Milan en si bien qu'Ambrogio de Predis a dû y mettre la main. Néanmoins, se plaignant toujours d'être mal payés, les artistes déposent, les 3 et , une requête adressée au roi de France demandant de nouveau un complément de salaire[103].
Le , le père de Léonard meurt[152], : « Le , un mercredi, à sept heures, est mort ser Piero de Vinci, notaire au palais du Podestat, mon père - à sept heures, âgé de quatre-vingts ans, laissant derrière lui dix garçons et deux filles »[153]. Signe de son trouble, malgré une écriture quelque peu détachée, il fait quelques erreurs : son père est mort à 78 ans et le tombe un mardi[154] ; de même, contrairement à son habitude, il n'écrit pas en miroir. Léonard est écarté de l’héritage en raison de son illégitimité[155].
Pendant cette période, il reprend ses études anatomiques à l'hôpital Santa Maria Nuova. Il y travaille notamment sur les ventricules cérébraux et améliore sa technique de dissection, de démonstration anatomique et sa figuration des différents plans des organes. Il projette même de publier ses manuscrits anatomiques en . Mais, comme pour la majorité de son œuvre, il n'ira pas jusqu'au bout[156].
Le , dans son conflit juridique l'opposant à la confrérie milanaise de l'église milanaise San Fransesco Grande commanditaire de La Vierge aux rochers, les arbitres mandatés par cette dernière constatent que l’œuvre n'est pas finie et donnent deux ans aux artistes — Léonard et Giovanni Ambrogio de Predis — pour achever leur travail[157].
Malgré le contrat sévère le liant à sa commande, le peintre est prié le de quitter son travail sur La Bataille d'Anghiari : Charles d'Amboise — le lieutenant général du roi Louis XII, le puissant allié de Florence — le demande à Milan pour d'autres projets artistiques[158]. Les autorités florentines accordent avec réticence un congé de trois mois au peintre[159]. Léonard semble s'en accommoder : ayant expérimenté un nouveau type de peinture sur sa fresque, inspiré de l'encaustique romaine, l'œuvre a été détériorée ; il semble ne plus avoir le courage de revenir dessus[143]. De plus, grâce à cette intervention milanaise, Léonard réussi à se dégager temporairement de ses obligations florentines pour reprendre, à Milan, la confection de La Vierge aux rochers[160]. Les autorités françaises obtiennent un nouveau report du travail jusqu'à fin septembre, puis décembre . De fait, le maître ne reviendra pas sur son œuvre[159].
Seconde période milanaise (1506-1513)
Les raisons pour lesquelles Léonard quitte si facilement son travail sur La Bataille d'Anghiari sont probablement multiples : la mesquinerie du commanditaire comme l'affirme Giorgio Vasari[160], les problèmes techniques insurmontables liés à ses expérimentations sur l'œuvre ; les liens distendus avec sa famille — partant avec la ville — à la suite des actions judiciaires intentées par ses frères en vue de le déshériter après le décès de son père (jugement en leur faveur en ) ; le déplacement à Milan imposé par le suivi du litige l'opposant à ses commanditaires de La Vierge aux rochers ; la conscience que le royaume de France qui le sollicite est plus puissant et stable que Florence, à l'économie et au pouvoir fragiles ; la prise de conscience de sa haute valeur artistique lui permettant d'espérer une multiplication de commandes prestigieuses[161].
Quoi qu'il en soit, les courriers adressés au gonfalonier de Florence, Pier Soderini, par Charles d'Amboise, le , puis par le roi Louis XII, le , sont sans équivoque : Léonard ne travaillera plus pour Florence mais pour la France ; les autorités florentines ne peuvent que se plier. C’est donc à ce titre que le maître retourne à Milan[162] : dès cette année , Louis XII fait ainsi de Léonard son « peintre et ingénieur ordinaire »[163] et lui alloue un salaire régulier, probablement le meilleur qu'il ait jamais reçu auparavant[160].
Les années de cette seconde période milanaise demeurent assez imprécises pour les chercheurs[164]. Néanmoins, ils savent qu'en ou , il rencontre Francesco Melzi, jeune homme de bonne famille alors âgé d’une quinzaine d’années, qui restera un élève fidèle jusqu'à la fin de sa vie, un ami, son exécuteur testamentaire et son héritier[165].
Pendant deux ans, il fait également de courts allers-retours entre Milan et Florence[166]. Ainsi, en , il est encore à Florence et il est logé dans la maison de Piero di Braccio Martelli avec le sculpteur Giovanni Francesco Rustici[167] ; puis quelques semaines plus tard, il est de retour à Milan, à la Porta Orientale dans la paroisse de San Babila[166]. De fait, ce n'est qu'à partir de qu'il quitte définitivement Florence pour Milan[168].
Avec son retour dans la capitale lombarde, en même temps que les études d'anatomie qu'il poursuit, il reprend la confection du tableau de la sainte Anne, qu’il avait délaissé pour la création de La Bataille d'Anghiari, et semble pratiquement l'achever entre et [169],[160].
L'oncle de Léonard, Francesco, meurt en . Dans son testament, il fait de son neveu Léonard l'héritier de ses terres agricoles et de deux maisons attenantes situées dans les environs de Vinci. Mais le testament est contesté par les demi frères et sœurs de Léonard qui entament une procédure judiciaire. Léonard fait appel à Charles d’Amboise et, par l'intermédiaire de Florimond Robertet, au roi de France pour qu'ils interviennent en sa faveur. Tous réagissent favorablement, mais le jugement ne progresse pas. Le procès se termine par une victoire partielle de Léonard qui, avec le soutien du cardinal Hippolyte d’Este, frère d’Isabelle, n'obtient que l'usufruit de la propriété de son oncle et de l'argent qu'elle rapporte ; la jouissance de cette propriété devant revenir à ses demi-frères à sa mort[166].
À son retour à Milan, après avoir terminé le tableau de La Vierge aux rochers le dont il reçoit — au bout de 25 ans de conflits juridiques — le paiement final[103], Léonard délaisse son métier de peintre pour celui de chercheur et ingénieur et ne peint plus que rarement : peut-être un Salvator Mundi (daté après mais dont l'attribution demeure discutée[171],[172]), La Scapigliata () et Léda et le Cygne (mais, c'est peut-être une peinture d'atelier effectuée par un assistant entre et [173]) et Saint Jean-Baptiste en Bacchus[N 12] et Saint Jean-Baptiste, entamés après et certainement achevés alors qu'il se trouve à Rome[175].
Au retour de ses campagnes militaires en , Louis XII le fait ordonnateur des fêtes données dans la capitale lombarde[160] : Léonard s'illustre notamment lors du triomphe du roi de France dans les rues milanaises. Il s’intéresse aux effets qu'offre la lumière entre ombre et éclairage sur les objets. Il est également employé comme architecte et ingénieur hydrologue dans la construction d'un système d'irrigation[164],[176].
Vers , stimulé par sa rencontre avec le professeur de médecine lombard Marcantonio della Torre, avec lequel il collabore, il poursuit ses études sur l’anatomie humaine[177] : reprenant les dissections, il étudie notamment l'appareil uro-génital, le développement du fœtus humain, la circulation sanguine[178] et découvre les premiers indices du processus d’athérosclérose[179]. Il fait également de nombreux aller-retours à l’Hôpital Santa Maria Nuova de Florence où il jouit du soutien des médecins pour ses études[180].
Charles d'Amboise meurt en . Le roi Louis XII perd peu à peu son influence sur le Milanais et les Sforza récupèrent petit à petit le duché. Léonard perd donc son principal protecteur en la personne de Charles et décide de quitter Milan. Commence alors pour lui une période de quelques années pendant laquelle il est en quête d’un nouveau mécène. Durant l'année , il est hébergé non loin de Milan, à Vaprio d'Adda, dans la « Villa Melzi », la propriété familiale des parents de son élève Francesco Melzi ; il est également accompagné par Salai qui a désormais 35 ans. Léonard a 60 ans, loin des tourbillons politiques de Milan, il livre des conseils architecturaux afin d'aménager la grande maison des Melzi, il dissèque des animaux (faute de corps humains), termine un précis de géologie (le Codex Leicester) et améliore les tableaux qu'il a emportés avec lui[181].
Séjour à Rome (1514-1516)
En , Milan retourne progressivement sous l'influence des Sforza et Rome accueille le Florentin Jean de Médicis, nouvellement élu pape sous le nom de Léon X. Esthète, bon vivant, désireux de s'entourer d'artistes, de philosophes, de gens de lettres, et favorable au royaume de France, il fait notamment appel à Léonard de Vinci pour travailler à Rome avec Julien de Médicis, son frère. Léon X et Julien sont les fils de Laurent de Médicis, le premier bienfaiteur de Léonard quand le peintre en était encore à ses débuts à Florence. Léonard est installé dans le Palais du Belvédère, le palais d'été des papes construit trente ans plutôt. Un appartement est transformé pour y accueillir son logement, celui de ses élèves et son atelier qui est notamment équipé d'outils nécessaires à la confection de couleurs. Il y retrouve les livres et les tableaux qu'il avait laissés à Milan et fait envoyer à Rome. Les jardins du palais lui permettent d'étudier la botanique et sont également le cadre de farces dont il est friand et pour lesquelles il se charge de la confection de plusieurs décors de scène[182].
Léonard semble à ce moment-là entretenir des relations lointaines mais amicales avec ses frères et sœurs. Dans un courrier retrouvé dans ses notes, il semble avoir intercédé dans l'acquisition difficile d'un bénéfice — une fonction rémunérée au sein de l’Église — pour son demi-frère le plus âgé, alors notaire à Florence. D'autres courriers ont été retrouvés : ils soulignent toutefois les rapports quelque peu tendus qui existent entre lui et l'un des plus jeunes[183].
Alors qu'à Rome, Raphaël et Michel-Ange sont très actifs à cette époque et que les commandes de peintures se suivent, Léonard semble refuser de reprendre le pinceau, même pour Léon X. Il marque sa volonté d'être considéré comme un architecte ou un philosophe. Baldassare Castiglione, auteur et courtisan proche de Léonard, le décrit ainsi comme l’un « des meilleurs peintres au monde, qui méprise l’art pour lequel il possède un talent si rare et qui préfère étudier la philosophie [et les sciences] ». De fait, les seules choses qui semblent le rattacher à la peinture sont ses études plus approfondies des mélanges de couleurs et de la technique du sfumato qui lui permettent de continuer les minutieuses retouches des tableaux qu'il a emportés avec lui. Parmi ceux-ci, il y a La Joconde, le Saint Jean-Baptiste et le Bacchus, probablement ses dernières œuvres peintes. Il s'intéresse également aux mathématiques, à l'astronomie et aux miroirs concaves et leurs possibilités de concentration de la lumière afin de produire de la chaleur. Il parvient aussi à disséquer trois corps humains, ce qui lui permet de parfaire ses recherches sur le cœur. Certes, cette pratique n'est pas source de scandale, mais elle semble causer un certain émoi dans le milieu de la cour et Léonard est vite découragé dans la poursuite de cette activité[182],[184].
Comme Léonard s'intéresse aux sciences de l'ingénierie et de l'hydraulique, il est engagé, en ou en , dans un projet d’assèchement des marais pontins situés à 80 kilomètres au sud-est de Rome, commandé par Léon X à Julien de Médicis. Après avoir visité les lieux, Léonard dresse une carte de la région — à laquelle Francesco Melzi ajoute le nom des villages — avec les différentes rivières qu'il s’agit de détourner afin d'en amener l'eau vers la mer, avant qu'elles n'alimentent les marais[182]. Les travaux commencent en , mais sont interrompus aussitôt face à la désapprobation des populations locales et sont définitivement arrêtés à la mort de Julien en [185].
Il semble que le séjour de Léonard à Rome soit pour lui une période où il se montre déprimé à cause de refus de commandes qui l'intéressent et de conflits avec un assistant allemand qu'il juge paresseux, inconstant et peu loyal. Cette situation contribue à le rendre physiquement malade et d'une grande irritabilité[182]. Il est peut-être victime d'un de ses premiers accidents vasculaires cérébraux qui le conduiront à la mort quelques années plus tard[186]— mais cette information est contestée[187]. En , il note une formule amère dans un carnet, « i medici me crearono edesstrussono ». Celle-ci a été diversement comprise car elle présente un jeu de mots dans sa langue originale, le terme medici pouvant se rapporter tout à la fois aux « Médicis » et aux « médecins » : Léonard veut-il dire « Les Médicis m'ont créé et m'ont détruit » ou « Les médecins m'ont créé et m'ont détruit »[188] ? Quoi qu'il en soit, la note souligne les déceptions de son séjour romain. Peut-être pense-t-il que jamais on ne lui laissera donner sa mesure sur un chantier important ; ou bien se plaint-il des « destructeurs de vie » que seraient les médecins pour le malade qu'il serait[189].
Dernières années en France (1516-1519)
En septembre , le nouveau roi de France François Ier reconquiert le Milanais lors de la bataille de Marignan[190]. Le suivant, Léonard assiste à Bologne à la rencontre entre le pape Léon X et le roi français[191]. À l'exemple de son devancier Louis XII, celui-ci demande au maître de s'installer en France[188]. Toujours fidèle à Julien de Médicis, Léonard ne répond pas à cette invitation. Néanmoins, le marque un tournant dans sa vie puisque Julien de Médicis, malade depuis longtemps, meurt, le laissant sans protecteur immédiat. Constatant le manque d'intérêt d'un quelconque puissant italien, il choisit de s'installer dans le pays qui le réclame depuis longtemps[192].
Il arrive donc à la seconde moitié de l'année à Amboise. Il a alors 64 ans. Le roi l'installe au manoir du Cloux — actuel château du Clos Lucé — en compagnie notamment de Francesco Melzi et Salai : il reçoit alors une pension de 2 000 écus pour deux ans et ses deux compagnons respectivement 800 écus et 100 écus[193]. Son serviteur milanais, Battista da Villanis, l'accompagne également[194]. Le souverain, pour qui la présence en France d'un hôte si prestigieux est source d'orgueil[195], le nomme « premier peintre, premier ingénieur et premier architecte du roi »[196].
Le , Léonard reçoit la visite du cardinal d'Aragon ; le journal de voyage de son secrétaire, Antonio de Beatis, constitue un témoignage précieux des activités et de l'état de santé du maître[197]. Ainsi il indique que, atteint d'une paralysie de la main droite, celui-ci ne peint plus mais fait toujours travailler efficacement ses élèves sous sa direction[198],[N 13] ; de plus, il affirme que Léonard lui présente trois de ses toiles majeures, Saint Jean-Baptiste, Sainte Anne, la Vierge et l'Enfant Jésus jouant avec un agneau et La Joconde qu'il aurait apportées d'Italie[199],[N 14] ; enfin, il présente également un nombre important d'ouvrages qu'il a écrits, consacrés notamment à l'anatomie, l'hydrologie et l'ingénierie[200].
Les chercheurs se demandent volontiers ce que peut chercher le roi François Ier chez ce vieil homme au bras droit paralysé, qui ne peint ni ne sculpte plus et qui a mis de côté ses recherches scientifiques et techniques[201],[202] : tout au plus crée-t-il en septembre un lion automate pour le roi[203] et organise des fêtes, telle celle donnée du au pour le baptême du Dauphin ; il réfléchit aux projets urbanistiques du roi qui rêve de se doter d'un nouveau château à Romorantin et envisage d'en embellir certains sur la Loire[204] ; il travaille sur un projet de canaux reliant la Loire et la Saône[174] ; enfin il donne la dernière main à certains de ses tableaux, notamment sa sainte Anne qu'il laissera pourtant inachevée à sa mort[205]. Peut-être le roi aime-t-il tout simplement converser avec lui et se satisfait-il de sa présence prestigieuse à sa cour[201].
En , Léonard a 67 ans. Sentant sa mort proche, il fait établir son testament le devant un notaire d’Amboise. Du fait de sa position auprès du roi, il parvient à se faire octroyer une lettre de naturalité, ce qui lui permet de contourner le droit d'aubaine, c'est-à-dire la mainmise automatique par le roi des biens d'un étranger mort sans enfant sur le sol français[199].
Selon ce testament, les vignes autrefois offertes par Ludovic le More à Léonard sont divisées entre Salai et Batista de Villanis, son serviteur. Le terrain que le peintre avait reçu de son oncle Francesco est légué aux demi-frères de Léonard — respectant ainsi le compromis trouvé à l'issue du procès où ils avaient contesté l'héritage de Francesco en faveur du peintre. Sa servante Mathurine reçoit un manteau noir à bords de fourrure[194].
Francesco Melzi, enfin, hérite de « tous les livres que le testateur a en sa possession et d'autres instruments et dessins de son art et ses travaux de peinture »[206]. Les chercheurs se sont longtemps interrogés sur l'aisance financière de Salai après la mort du maître : il aurait en fait reçu par anticipation de nombreux biens dans les premiers mois de l'année 1518 et n'aurait pas hésité à en revendre certains à François Ier du vivant même de Léonard, tel son tableau de la sainte Anne[N 15],[207].
Léonard s'éteint brusquement le au Clos-Lucé[208]. Ce que Giorgio Vasari décrit comme un « paroxysme final, messager de la mort » est probablement un accident vasculaire cérébral aigu[202].
La tradition rapportée par Giorgio Vasari selon laquelle Léonard meurt dans les bras de François Ier repose sans doute sur une des exagérations du chroniqueur : le , la Cour se trouve alors à deux jours de marche d'Amboise, au château de Saint-Germain-en-Laye où la reine accouche du futur Henri II, des ordonnances royales y sont données le 1er mai et une proclamation y est publiée le . Le journal de François Ier ne signale d'ailleurs aucun voyage du roi jusqu’au mois de juillet. Cependant, élément qui pourrait accréditer la version de Vasari, la proclamation du est signée par le chancelier et non par le roi, dont la présence n'est pas mentionnée dans les registres du conseil[208],[209],[210]. Vingt ans après la mort de Léonard, François Ier dira au sculpteur Benvenuto Cellini : « Il n'y a jamais eu un autre homme né au monde qui en savait autant que Léonard, pas autant en peinture, sculpture et architecture, comme il était un grand philosophe »[211].
Conformément aux dernières volontés de Léonard, soixante mendiants portant des cierges suivent son cercueil[212]. Il est enterré dans une chapelle de la collégiale Saint-Florentin, située au cœur du château d'Amboise. Néanmoins, délabré par le temps, et en particulier lors de la période révolutionnaire, l'édifice est détruit en ; la dalle funéraire disparaît alors. Les lieux sont fouillés en par l'homme de lettres Arsène Houssaye qui découvre des ossements qu'il rattache à Léonard de Vinci. Ceux-ci sont transférés en dans la chapelle Saint-Hubert située non loin du château actuel[213],[210].
Léonard de Vinci polymathe
Léonard de Vinci est formé à Florence par Andréa del Verrocchio à nombre de techniques et de notions diverses comme l'ingénierie, la machinerie[40], la mécanique, la métallurgie et la physique[41]. Le jeune homme est également initié à la musique[42], il étudie des notions d’anatomie superficielle, de mécanique, des techniques de dessin, de gravure, l’étude des effets d’ombre et de lumière[35],[43] et, surtout, étudie le livre de Leon Battista Alberti De Pictura qui est le point de départ de ses réflexions sur les mathématiques et la perspective[214]. Tout cela permet de comprendre qu'à l'instar de son maître et d'autres artistes de Florence, Léonard rejoint la famille des polymathes de la Renaissance[215].
L'artiste
Pour Léonard de Vinci, la peinture est maîtresse de l'architecture, de la poterie, de l'orfèvrerie, du tissage et de la broderie, et elle a, par ailleurs, « inventé les caractères des diverses écritures, donné les chiffres aux arithméticiens, appris aux géomètres le tracé des différentes figures et instruit opticiens, astronomes, dessinateurs de machines et ingénieurs »[216]. Pourtant, les experts n'attribuent à Léonard, longtemps connu pour ses tableaux, que moins d'une quinzaine d’œuvres peintes. Beaucoup d'entre-eux demeurent inachevés et d'autres à l'état de projets. Mais aujourd'hui Léonard est aussi connu comme siégeant parmi les esprits les plus ingénieux, les plus prolifiques : à côté du petit nombre de ses peintures se trouve la masse énorme de ses carnets, témoins d'une activité de recherches scientifiques et d'observation minutieuses de la nature[217].
Le peintre
Au XVe siècle, les artistes ont encore peu l'habitude d'apposer leur signature manuscrite sur leurs œuvres. Ce n'est qu'ultérieurement que l'usage de l'autographe encore inconnu se répand. L'auteur désireux de marquer son œuvre le fait encore sous la forme impersonnelle d'inscriptions (souvent latines) effectuées à l'intérieur ou à côté du tableau. Ce qui ne manque pas de poser d'importants problèmes dans la recherche d'attribution des œuvres réalisées au cours de la Renaissance[218].
La peinture est une science
Au XVe siècle, la peinture est encore considérée comme un simple travail manuel, activité vue comme méprisable. Son caractère intellectuel n'est affirmé que par Leon Battista Alberti dans son ouvrage De pictura () puisque, souligne-t-il, la création d'un tableau implique l'usage des mathématiques à travers la recherche de la perspective et de la géométrie des ombres. Mais Léonard veut aller plus loin et, la désignant comme une cosa mentale, désire la placer au sommet de l'activité scientifique et en l'intégrant dans les traditionnelles Artes Liberales du Moyen Âge[219]. Ainsi, selon lui, la peinture — qui ne peut se limiter à une imitation de la nature (du sujet) — trouve son origine dans un acte mental : la compréhension. Cet acte mental s'accompagne ensuite d'un acte manuel : l'exécution. L'acte mental est la compréhension scientifique du fonctionnement intime de la nature afin de pouvoir la reproduire sur un tableau. Et ce n'est qu'à partir de cette compréhension qu'intervient l’exécution, l'acte manuel nécessitant un savoir-faire. Acte mental et acte manuel ne peuvent donc exister l'un sans l'autre[220],[221].
Mais pour comprendre le fonctionnement de la nature, l'observation simple sans méthode des phénomènes ne suffit pas, inlassablement Léonard observe et analyse les phénomènes en utilisant la démonstration et le calcul mathématiques. Cette méthode prend pour point de départ les modèles mathématiques qu'Alberti utilise dans la recherche de la perspective et Léonard étend cette dernière à tous les phénomènes observables (l'éclairage, le corps, la figure, l'emplacement, l'éloignement, la proximité, le mouvement et le repos). L'attrait que les mathématiques et la géométrie exercent sur le peintre trouve vraisemblablement son origine dans l'école platonicienne qu'il découvre probablement au contact de Luca Pacioli auteur de Divina Proportione dans les années - . Ses carnets témoignent durant ces années d'une grande activité de recherches en mathématiques et en géométrie. Il découvre également Platon qui, dans son Timée, établit une relation entre les éléments et les formes simples : terre/cube, feu/pyramide, eau/icosaèdre, air/octaèdre. De ce fait, pour Léonard, l'espace appelé à être reproduit sur un tableau est parcouru de points, de lignes et de surfaces mathématiquement quantifiables et mesurables changeant leurs propriétés à chacune de leur position ; ce faisant, la peinture devient une science totale de la vision par laquelle Léonard développe notamment d'autres aspects de la perspective et de l'usage de l'ombre et de la lumière[222],[223],[224].
Mais, pour Léonard qui entend placer la peinture au-dessus de l’esprit et des sciences, les sciences quantitatives ne suffisent pas ; afin d'appréhender les beautés de la nature, il faut recourir aux sciences qualitatives. Suivant en cela les pythagoriciens et Aristote, Léonard trouve l'origine du beau dans l'ordre, l'harmonie et les proportions. Pour Léonard, dans le domaine de l'art, les principes de quantité et de qualité sont indissociables et de leur relation naît logiquement la beauté. La perfection des mathématiques sert la perfection de l'esthétique[225],[226]. D'autre part, Léonard évoque la présence de contours « véritables » et de contours « visible » aux objets opaques. Le contour véritable indique la forme exacte d'un corps, mais celle-ci est presque invisible à l'œil non averti, et devient plus ou moins flou en fonction de la distance ou du mouvement du sujet. Il souligne ainsi l'existence d'une vérité scientifique et une vérité visible ; c'est cette dernière qui est représentée dans la peinture[227].
« Les sciences mathématiques ne s'étendent qu'à la connaissance de la quantité continue [les mathématiques] et discontinue [la géométrie], mais ne se préoccupe pas de la qualité, qui est la beauté des œuvres de la nature et de l'ornement du monde. »[228]
— Léonard de Vinci, Ms.Codex Urbinas 7v
Pour Daniel Arasse, la comparaison entre Alberti et Léonard de Vinci ne se limite pas aux mathématiques : pour Alberti la peinture est un miroir de la nature tandis que, pour Léonard, c'est l'esprit du peintre lui-même qui doit se transformer afin de devenir « miroir conscient » de la nature. Le peintre s'intéresse moins à l'« aspect » des choses, mais bien à sa manière de les voir. Il devient ainsi « l'esprit même de la nature, et se fait l’interprète entre la nature et l'art ; il recourt à celle-ci pour dégager les raisons de ses démarches, assujetties à ses propres lois » (Codex Urbinas, 24v). Le peintre ne « refait » pas la nature, il l'« achève »[229],[230]. Vincent Delieuvin ajoute que l'artiste découvre ainsi la beauté et la poésie de la création divine et sélectionne dans la diversité de la nature les éléments propres à construire une vision très personnelle du monde et de l'humanité. Léonard fait du peintre le « seigneur et dieu » de son art et compare le processus d'invention à celui de Dieu créateur[221].
Ensuite, après l'acte mental vient l'acte manuel, le noble travail de la main, qui en tant qu'intermédiaire entre l'esprit et la peinture s'occupe de « l’exécution bien plus noble que ladite théorie ou science »[231]. Cette noblesse réside entre autres dans le fait que cette main, dans son œuvre, va jusqu'à à effacer la dernière trace de son passage sur la peinture. L’œil, quant à lui, est la fenêtre de l'âme, le sens privilégié de l'observation, l'intermédiaire entre l'Homme et la nature. L’œil et la main travaillent de concert échangeant sans cesse leurs connaissances et c'est de cet échange que, pour Daniel Arasse, « se noue le caractère divin de la peinture et que se joue la création du peintre »[232],[233].
La peinture au-dessus de tous les arts
Au XVe siècle, les artistes du Quattrocento encouragent l'intégration des arts dans les disciplines des arts libéraux. En ce sens, Leon Battista Alberti introduit l'enseignement de la peinture dans la rhétorique et la présente comme une savante combinaison d'éléments comme le contour, l'organisation et la couleur. Il adjoint également à sa présentation une comparaison entre la peinture et la poésie. À cette époque, une intense réflexion se fait entre les théoriciens de la Renaissance afin de déterminer quel art appartient le plus à la cosa mentale. Ce débat appelé Paragone (qui signifie « comparaison ») des arts bat son plein vers la fin du XVe siècle. Il perdra, cependant, progressivement de son intérêt vers le milieu du XVIe siècle pour s'éteindre ensuite[234],[235].
Entre et , Léonard de Vinci participe à ce débat et rédige un Paragone en première partie de son Traité de la Peinture : là où Alberti se contente d'une comparaison entre la peinture et la poésie, Léonard compare celle-ci non seulement à la poésie, mais également à la musique et à la sculpture en présentant la peinture comme un « art total », situé par-dessus tous les autres[236],[237].
« Comment la peinture surpasse toute œuvre humaine, par les subtiles possibilités qu’elle recèle : L’œil, appelé fenêtre de l’âme, est la principale voie par où notre intellect peut apprécier pleinement et magnifiquement l’œuvre infinie de la nature ; l’oreille est la seconde et elle emprunte sa noblesse au fait qu’elle peut ouïr le récit des choses que l’œil a vues. »
— Léonard de Vinci, Carnets (Ms. 2185)[238]
Il présente ainsi la peinture comme supérieure à la poésie, car elle est compréhensible par tous alors que la poésie doit être traduite pour tous ceux qui n'en comprennent pas la langue[N 16]. Par ailleurs, face à la musique, la peinture présente une plus grande pérennité : la première est composée de notes, certes harmonieuses, mais n'est-elle pas un art « qui se consume dans l’acte même de sa naissance[240] » ? La peinture est également supérieure à la sculpture par le fait qu'elle propose des couleurs alors que la matière sculptée reste uniforme. Elle présente également la possibilité de représenter toute la nature là où la sculpture ne peut présenter qu'un seul sujet. De plus, le sculpteur doit travailler dans le bruit et la poussière alors que le peintre s’installe confortablement devant son tableau dans le silence ou à l'écoute de musique ou de poésie[236],[237].
Le clair et l'obscur
L'étude de la lumière et la maîtrise de son rendu sont parmi les grands sujets qu'aborde Léonard dans ses recherches picturales. C'est, pour lui, un moyen d'atteindre la parfaite retranscription de la nature et de donner une impression de mouvement[241]. Après ses premières études de draperies qu'il mène déjà à l'atelier de Verrocchio, Léonard éprouve le besoin d'étudier les théories consacrées à l'optique. À Florence, pendant ses années de formation, il étudie le traité d'Alhazen, les recherches de Roger Bacon, John Peckham et Vitellion. Ces lectures lui permettent de comprendre la théorie de l'intromission : l’œil est passif et il reçoit l'image et non l'inverse, comme l'annoncent Platon et Euclide. Vers , il écrit dans ses notes ses expériences sur l'ombre et la lumière et les dessins qu'il y adjoint illustrent comment les ombres, directes et indirectes, se forment sur des corps opaques[241],[242].
D'autre part, il étudie également les écrits de Leon Battista Alberti et assimile, éprouve et perfectionne les algorithmes de la perspective et la variation de grandeur que les objets prennent à la vue par rapport à la distance et l'angle de vue. Mais, à la perspective purement géométrique d'Alberti qui, prise isolément, ne peut suffire à exprimer l'éloignement en extérieur, Léonard apporte deux autres types de perspectives : la perspective aérienne ou atmosphérique et la perspective de couleur. Puisque les rayons visuels d'un objet s'affaiblissent en prenant de la distance, l’œil en enregistre les modifications. Les objets subissent de ce fait une perte de leur netteté et de leurs couleurs proportionnellement à leur distance. Même si les peintres flamands du XVe siècle utilisent déjà la perspective arienne, le mérite de Léonard est de l'avoir théorisée par de nombreuses expérimentations dont celle de la chambre noire[243],[244].
Les premiers exercices que Léonard effectue sur la lumière sont ses fameuses études de draperie sur lin[241]. Cependant, selon l'historien de l'art Johannes Nathan, si les études dessinées sont facilement identifiables à Léonard de Vinci grâce aux hachures de gaucher, il en est autrement des études de drapés peintes sur toiles de lin. Seul un dessin présente les hachures caractéristiques de celles d'un gaucher et seule l'Étude de drapé pour une figure agenouillée, aujourd'hui conservée à la Royal Collection au château de Windsor, possède une lignée de propriétaires ininterrompue et peut donc être attribuée à Léonard. De plus, les nombreuses autres études effectuées sur toile de lin généralement présentées comme peintes de la main de Léonard nécessitent une méthode, le pinceau, bien éloignée de celle à laquelle Léonard est habituée comme la pointe d'argent ou la plume[245]. L'historien Carlo Pedretti ajoute parmi ces études celle qu'il intitule Drapé enveloppant les jambes d'une figure assise pour sa similitude reliée au tableau Sainte Anne, la Vierge et l'Enfant Jésus jouant avec un agneau[246].
Le geste et l'émotion
Dans ses portraits, et notamment ceux impliquant une Madone, Léonard a pour principe de représenter le mouvement au prisme de l'émotion, c'est-à-dire l'instant éphémère pendant lequel un mouvement est en lien avec une émotion. Ainsi, dans le tableau La Madone à l'œillet, Marie tend à l'Enfant un œillet, symbole de son sacrifice futur : Léonard de Vinci saisit l'instant où Jésus est sur le point de saisir la fleur, c'est-à-dire d'accepter son destin, tandis que sa mère esquisse un sourire symbolisant cette même acceptation[247].
« Une figure ne sera louable que si elle exprime avec le geste les passions de son âme. »[248]
— Léonard de Vinci, Traité de la peinture VIII.478
Le geste, chez Léonard, est toujours dépeint dans une situation intermédiaire, entre son commencement et son achèvement. La Joconde en est l'exemple le plus abouti, car la position assise du modèle est, malgré sa sereine immobilité, marque un mouvement : le bras gauche est en pleine rotation et se pose sur la main droite, ce qui donne l'impression que Mona Lisa est en train de s'asseoir. Dans La Dame à l'hermine, Léonard donne à la main de l'amante de Ludovic Sforza, Cecilia Gallerani, un mouvement qui semble à la fois vouloir retenir l'animal tout en le caressant tendrement ; or une telle description fait écho à l'histoire même de la figure, l'hermine étant le symbole des Sforza[249]. Carlo Pedretti décrit un autre mouvement dans l'immobilité dans le tableau Sainte Anne, la Vierge et l'Enfant Jésus jouant avec un agneau dans lequel Marie est à la fois assise en équilibre sur les genoux de sa mère et penchée vers l'avant afin d'attirer à elle l'Enfant : sa position présente ainsi « un mouvement oscillatoire […] où la poussée vers l'avant est contrebalancée par le retour naturel du poids du corps vers l'arrière, conformément au principe de l'inertie »[246]. De fait, d'après Daniel Arasse, Léonard poursuit cette quête de la captation de l'instant d'émotion par le mouvement dès le début de sa carrière : de la création du Portrait de Ginevra de' Benci (vers 1474 – 1476) à celle de La Joconde (entre 1503 et 1516)[249].
En outre, les représentations d'expressions faciales sont nombreuses, qu'elles apparaissent dans ses dessins ou ses tableaux : colère, peur, rage, imploration, douleur ou extase ; leurs meilleurs exemples se trouvent ainsi dans La Cène, L'Adoration des Mages ou La Bataille d'Anghiari. Léonard semble également se livrer à de nombreux essais picturaux sur le sourire et particulièrement sur les trois tableaux qu'il conserve avec lui jusqu'à sa mort : La Sainte Anne, le Saint Jean-Baptiste et La Joconde ; le sourire y est l'expression même de la vie, de son dynamisme, de son caractère éphémère et de son ambiguïté[248].
L'huile exclusivement
Afin de reproduire tous les effets de lumières et d'ombres qu'il observe dans la nature, Léonard cherche à perfectionner sa technique de peintre. Sur des panneaux de bois (de cyprès, de poirier, de sorbier, de noyer ou le plus souvent de peuplier) préparés de Gesso puis de blanc de plomb, il trace un dessin presque invisible ; après plusieurs autres étapes, il met les formes en couleurs à l'aide de glacis et pose en particulier les ombres[246]. Ces couches sont constituées de médiums huileux à peine colorés : le peintre obtient alors des aplats presque transparents qui lui permettent de modeler les ombres et les lumières ou de façonner des formes visibles à travers un vague voile brumeux. C'est ce que Léonard appelle dans ses écrits le « sfumato », technique qui donne un léger flou à ses contours à l'image de la réalité visible dans la nature et qui lui permet également d'évoquer les légers mouvements de ses modèles. Ici aussi, la Sainte Anne, La Joconde et le Saint Jean Baptiste, sont considérés par les critiques d'art comme les sommets de ce procédé[250],[227],[251].
En outre, toujours à la recherche de la juste proposition afin de retranscrire au mieux les émotions de ses personnages, Léonard opère par tentatives : à de multiples reprises, il revient sur ses sujets, les corrige ou superpose leurs formes ou leurs contours, il modifie ses premiers jets, modèle peu à peu ses volumes, ses ombres et perfectionne l'expression de l'âme humaine au gré de ses découvertes scientifiques ou de ses observations[252].
Mais, la lenteur et la minutie du maître lui imposent de ne peindre qu'à la peinture à l'huile, celle-ci étant la seule technique qui, par ses longs temps de séchage, autorise ses innombrables retouches sur le tableau. Voilà sans doute pourquoi, pendant ses années d'apprentissage, il ne s'essaye pas à la fresque et pourquoi il n'a non plus été appelé, au contraire de nombre de ses collègues, à la décoration de la chapelle Sixtine en [252]. La fresque de La Cène qu'il peint sur le mur du réfectoire de Santa Maria Delle Grazie entre et est un exemple désolant de cette limitation qu'il essaye pourtant de dépasser maladroitement. L'utilisation de glacis à la peinture à l'huile superposés à des remplissages à la détrempe — peinture adaptée à la fresque, mais au séchage trop rapide pour Léonard — sur une préparation de chaux et de Gesso ne permet pas à la fresque de se conserver longtemps et s'en trouve déjà considérablement dégradée au cours du XVIe siècle[253].
Le non finito ou l’inachevé
Cependant, cette inlassable quête de la beauté parfaite représente un frein dans la production picturale du peintre, ce qui ne gêne pas une production de nombreux dessins et écrits. La contemplation, l'observation et la description des phénomènes que Léonard cherche à comprendre afin d'amener sa peinture à la perfection, l'incitent à travailler méthodiquement et lentement ; Léonard s'écarte parfois longtemps de la peinture au profit de ses recherches sur la nature. En conséquence, certaines œuvres restent à l'état de projet ou d'ébauche[254].
En outre, les incessantes retouches sur les contours et les compositions sont également à l'origine de ce non finito qui caractérise l’œuvre de Léonard. Si la technique du sfumato permet tant de modelages et de recherches de l'ombre parfaite, les temps de séchage de la peinture à l'huile n'en restent pas moins longs et rallongent considérablement le temps de gestation de l’œuvre[255].
Pour Vincent Delieuvin, cet état d'inachèvement est difficile à interpréter. Voulu on non, mais presque fondateur de l’œuvre de Léonard, il s'agit sans doute du témoin d'une nouvelle tendance de liberté créatrice. Contrairement à ses trois premiers tableaux parfaitement achevés (L'Annonciation vers 1472 – 1475, Portrait de Ginevra de' Benci, vers 1474 – 1476, et La Madone à l'œillet vers 1473), l'Adoration des Mages, commencé en mais jamais achevé, marque le début d'une période où il commence des œuvres auxquelles il n’éprouve pas le besoin de mettre un terme. Le Saint Jérôme, vers 1483, est encore très ébauché et la Madonna Benois, datée entre 1478 et 1482, même si elle présente un aspect fini, laisse derrière elle une fenêtre ouverte sur un ciel vide traduisant probablement un paysage non terminé. Léonard laisse des tableaux avec des parties très finies et d'autres à l'état d'ébauches où il se donne probablement la liberté de trouver une meilleure disposition ou de parfaire l'ouvrage plus tard. Cette tendance semble tellement systématique qu'elle pourrait constituer une sorte d'expérience picturale à l'ambition artistique propre : le non finito[256]. L'historien des arts suggère même que Léonard pourrait avoir — peut-être sans le réaliser — poussé la recréation de la nature tellement loin qu'il arrive à en reproduire le caractère non achevé[255].
Le dessinateur
Pour Léonard de Vinci, qui a une tendance graphomane, le dessin est au cœur de la démarche de sa pensée et constitue le « fondement » de la peinture. Dessiner est un acte graphique qui est sa seule manière d'analyser et d'ordonner ses observations[257]. Sans cesse, il représente tout ce qu'il voit et écrit tout ce qu'il lui vient à l'esprit, sans cacher ses idées, mais en les mélangeant au fil de ses pensées, tant et si bien qu'il semble fonctionner par analogie formelle et thématique[258].
Les hachures et l'écriture de Léonard indiquent qu'il est gaucher, il s'agit par ailleurs d'un fort critère d'attribution de ses dessins — ajouté au fait que la majorité d'entre eux ont une lignée de propriétaires ininterrompue[259],[260]. Pour autant, il ne peut s'agir d'un critère suffisant, certains de ses élèves droitiers choisissant de suivre son modèle jusqu'à imiter ses hachures de gaucher[261].
Un classement difficile
L’œuvre dessinée de Léonard est particulièrement difficile à classer : malgré sa formation orientée principalement vers l'art, seuls quelques-uns de ses dessins sont des études de peintures, de sculptures ou de constructions. La plupart d'entre-eux ne portent qu'indirectement sur le domaine artistique, comme la physionomie, l'anatomie, la lumière ou l'ombre, voire ne relèvent que de recherches scientifiques ou techniques, comme la cartographie, l'art militaire ou la mécanique. Il ressort que Léonard ne trace pas de véritable frontière entre ces domaines : de nombreux documents comportent une simultanéité de recherches dans différents domaines ; à ce titre, la Feuille d'étude avec des figures géométriques, avec la tête et le torse d'un homme âgé et de profil et avec une étude de nuages constitue un exemple significatif. De fait, il semble que le maître, en , ne parvient pas à effectuer de classement parmi ses travaux majoritairement composés d'ébauches, de plans, de projets ou de concepts arrangés les uns avec les autres[262].
Cette difficulté s'en trouve aggravée par de nombreux retranchements opérés dans la collection, parfois même par Léonard. Les efforts de son héritier, Fancesco Melzi, pour mettre de l'ordre dans les notes et dessins sans en détériorer l'intégrité sont par la suite contrariés par Pompéo Léoni, un artiste qui entre en possession des documents vers et en découpe une majeure partie. Il colle le résultat de ses découpes dans deux cahiers, l'un avec les dessins techniques que l'on nomme aujourd'hui le Codex Atlanticus conservé à la bibliothèque Ambrosienne de Milan, l'autre avec d'autres dessins qu'il considère artistiques et qui sont conservés à la Royal Collection au château de Windsor. Même si cette opération visait un but louable, elle aboutit à des mélanges : certains dessins conservés au Royaume-Uni et considérés comme techniques devraient se trouver à Milan et inversement[262].
Aspects techniques
Les premiers dessins indiquent que Léonard privilégie la plume et l'encre brune qu'il pose sur un premier tracé à la pierre noire ou à la pointe métallique. Les premiers dessins préparatoires encore existants, comme l'Étude de bras et la Tête de Profil ont probablement servi à l'Annonciation et montrent déjà l'utilisation des hachures que Léonard utilise dans nombre de ses dessins pour étudier les ombres. Celles-ci permettent constater que le peintre utilise majoritairement sa main gauche pour dessiner. Dès son apprentissage, la pointe métallique semble être son outil de prédilection pour sa capacité à rendre les transitions d'ombres comme le démontre Le Condottiere inspiré d'une œuvre d'Andréa del Verrocchio[259].
Vers , il découvre la sanguine (craie rouge) pour sa facilité d'estompage, ce qui lui permet un rendu plus nuancé de la physionomie et des expressions. Il semble d'ailleurs que l'usage de la mine d'argent diminue progressivement au profit de celui de la sanguine qu'il adopte jusqu'à la fin de sa vie et qu'il combine à d'autres techniques, au charbon de bois notamment dans le Portait d'Isabelle d'Este. De plus, le dessin à la craie présente, pour l'étude des transitions fluides entre les zones sombre et claires, des possibilités similaires à la peinture à l'huile. Il continue par ailleurs à utiliser l'encre noire ou brune pour dessiner les contours les plus précis[263],[264].
Le dessin technique
Selon Léonard, il existe un aspect de la réalité scientifique qui est intransmissible par la peinture : les contours nets. Ceux-ci se brouillent chez le peintre car celui-ci doit laisser une place à la beauté, incompatible avec cette exigence de netteté. Pour Léonard, seul le dessin technique permet de représenter le véritable contour des corps opaques[257].
L'originalité de Léonard découle de ce qu'il considère la vue comme le premier des sens, aussi représente-t-il ses observations de la manière la plus synthétique et complète possible. Cela se constate surtout dans ses dessins d'anatomie où les parties de corps se rapprochent de ses études artistiques : le résultat de la dissection d'un bras humain en montre les muscles sous différents angles, sous différentes coupes alors même que ces vues sont impossibles à obtenir en dissection. Ses dessins peuvent devenir schématiques : ainsi renonce-t-il petit à petit à la représentation des muscles pour des espèces de cordes de transmission de forces. Il semble qu'il ait même cherché à représenter le corps humain dans son entièreté : la Représentation du corps féminin en est un exemple significatif. Malgré les erreurs qu'il y commet au regard de l'anatomie — bien compréhensibles au XVe siècle — il propose une représentation transparente de la complexité des correspondances entre les organes. En introduisant une forme de fiction dans ce qu'il considère comme une réalité scientifique, il se présente comme le précurseur de l'illustration scientifique moderne qui prendra son essor à la fin du XIVe siècle notamment dans le De Humani corporis fabrica d'André Vésale[257],[265],[266].
Ses dessins d'architecture ne sont pas à proprement parler des représentations techniques. Cela découle d'abord de l'analogie qu'il fait entre architecture et anatomie où le bâtiment serait l'organe (le microcosme) quand la ville serait le corps (le macrocosme). De plus, il ne donne pas forcément des plans à l'échelle qui auraient pu servir à une quelconque exécution pratique. Enfin, ses dessins se révèlent plutôt être des transpositions visionnaires d'une certaine idée d'espace compact de bâtiments comme sculptés dans la masse d'une pierre. Le caractère séduisant de ces croquis dissimule mal leur aspect imaginaire et peu réalisable. De fait, il semble que Léonard y appréhende peu les réalités physiques de l'architecture[267],[268],[269].
Mais, d'une manière générale, il ne semble pas que l'aspect pratique de ses recherches ait une importance pour lui : Léonard cherche avant tout de nouvelles possibilités, qu'elles soient réalisables ou non, car ce sont sa curiosité et son imagination qui le meuvent. Dans cet esprit, il conçoit de nombreuses études sur le vol des oiseaux, sur l'aérodynamique et sur les possibilités d'imiter le battement des ailes afin de faire voler l'homme. Un tel acharnement à la recherche au-delà du réalisable combiné au caractère fantastique de ses dessins, pose l'hypothèse d'un dédain des réelles possibilités de réalisation en faveur d'une infatigable curiosité scientifique du chercheur[89].
Le dessin artistique et préparatoire
Exact ou véritable, le trait du dessin scientifique limité à « la connaissance de la quantité continue et discontinue » doit, dans le dessin préparatoire, devenir beau, harmonieux et traiter de « la qualité, qui est la beauté des œuvres de la nature et de l'ornement du monde »[270].
De très nombreux croquis de Léonard nous sont parvenus, contrairement aux peintres qui lui sont contemporains. Cependant, leurs destinations sont très variables : si certains ne se rattachent à aucun tableau en particulier, d'autres semblent avoir servi pour plusieurs œuvres peintes — alors que par contraste la Joconde, par exemple, ne présente aucun croquis préparatoire. Une part importante des dessins artistiques de Léonard est davantage consacrée à l'exploration des fondements de la création et à la recherche de solutions formelles sans vraiment viser une application concrète. Ainsi l'artiste traite et collectionne ses propres dessins avec soin pour y faire appel quand l'occasion se présente[271].
La composition inculte
Pour trouver le beau et organiser sa composition, Léonard utilise un trait plus suggestif et plus rapide que ce qu'il fait dans ses dessins à visée scientifique. Son premier dessin daté par lui de , le Paysage de la vallée de l'Arno, est caractérisé par un trait sûr, énergique mais encore contrôlé, tandis que les feuilles préparatoires de la Madone Benois présentent de nombreux essais aux traits discontinus et aux contours repris cherchant plutôt à trouver le bon mouvement qu'à respecter la rigueur anatomique[259].
Enseignée ou inspirée par son maître Andrea del Verrocchio, Léonard découvre cette méthode au cours de ses jeunes années et semble l'adopter sous le nom de componimento inculto, la « composition inculte »[259]. Certains de ses dessins préparatoires prennent l'apparence de gribouillages, sorte de taches parmi lesquelles il sélectionne le contour le plus adéquat à sa composition[272],[273].
Étude pour la Madone au chat, vers , Londres, British Museum, no 1856,0621.1 | |||||||||
La Madone au chat est un des meilleurs témoins de cette façon de dessiner où Léonard se livre à des recherches de composition et essaye de nombreuses propositions : Léonard y effectue plusieurs tentatives se couvrant les unes les autres ; il n'hésite pas ensuite à retourner la feuille de son dessin pour y dessiner, par transparence, le trait choisi entre tous ceux qu'il a précédemment dessiné pour construire sa composition[274],[259]. Ce procédé est également visible dans une étude pour Sainte Anne, la Vierge et l'Enfant Jésus[275].
L'Adoration des Mages illustre également le componimento inculto : une étude par réflectographie infrarouge révèle la présence du dessin sous-jacent qui présente de nombreux traits discontinus et abondamment repris, notamment sur le groupe de personnages de droite ; le dessin étudie simultanément tellement de postures qu'il apparaît comme une zone sombre et assez informe[276].
Mouvements et sentiments intérieurs
Il semble que cette pratique de la composition inculte — que Giorgio Vasari qualifie en de « licence dans la règle » — fasse école dans l'histoire des arts de la Renaissance : en privilégiant le mouvement physique et spirituel des personnages sur leurs formes extérieures, il affranchit le peintre du devoir d'imitation et l'invite à transcender cette imitation vers une restitution plus complète de la vie dans son entièreté et dans sa globalité[276],[273].
Léonard propose de dépasser l'imitation fidèle des formes extérieures au bénéfice d'une étude des mouvements des figures qui en traduisent les sentiments intérieurs[272]. Ces mouvements font l’objet de beaucoup d'études de la part de Léonard. Même ses études scientifiques font écho à cette réflexion : ainsi son travail sur l'écoulement de l'eau ou sur des paysages apparemment statiques traduit une volonté de représenter le mouvement dans la fixité[277].
« Le bon peintre doit peindre deux choses importantes : l'homme et les intentions de son esprit. La première est aisée, la seconde délicate, car elle doit être obtenue par la représentation des gestes et des mouvements des membres. »[278]
— Léonard de Vinci, Traité de la Peinture TPL 180
Le langage des corps est également un moyen de raconter une histoire : Léonard cherche à assigner le bon geste à chaque personnage en n'hésitant pas à revenir sur les contours de ses modèles, à superposer les différentes positions des membres et même à en exagérer les poses ou à en déformer l'anatomie, comme pour la Figure grotesque qu'il dessine vers [272].
Pour Léonard les émotions du moment se reflètent immédiatement sur le visage du modèle. Au XVe siècle il n'est pas rare de relier les traits d'une personne avec son caractère, en relation avec la théorie des humeurs selon laquelle la santé d'une personne dépend de l'équilibre entre les quatre humeurs qui forment le caractère (bileux, sanguin, atrabilaire et flegmatique) : Léonard présume ainsi l'existence d'un lien direct entre le caractère d'une personne et sa physionomie (la physiognomonie)[279],[280].
Léonard illustre cette pensée dans de nombreuses caricatures par ailleurs majoritairement composées de têtes d'hommes âgés parfois confrontées à celle d'un jeune homme ou de personnages qui s'opposent par leur genre ou par leurs traits en miroir. Par exemple, dans le dessin des Cinq têtes grotesques, Léonard oppose le caractère positif d'un personnage portant une couronne de laurier et le caractère négatif des visages grimaçants de quatre autres personnages qui l'entourent[279],[280].
Ces caricatures sont sans doute des tentatives d'analyse de la structure du visage en rapport avec les travaux d'anatomie de Léonard ou peuvent traduire une intention comique peut-être en rapport avec la comédie ou la poésie burlesque dont le peintre est friand. Giorgio Vasari rapporte que, si Léonard voyait une personne qui avait un visage intéressant, il la suivait toute la journée pour l'observer et en fin de journée, « il le dessinait comme s'il l'avait sous les yeux ». Quoi qu'il en soit, Léonard semble tirer l'inspiration de nombreux dessins préparatoires dans cet ensemble de croquis caricaturaux pour l'élaboration de L'Adoration des Mages, la Bataille d'Anghiari ou encore La Cène. Il recommande par ailleurs à ses élèves de multiplier les études des détails physionomiques afin d'en retirer les meilleurs motifs : un passage du Traité de la Peinture indique par exemple que Léonard divise les différentes formes de nez en trois catégories comportant elles-mêmes plusieurs sous-catégories[281],[282].
Proportions humaines
Les études de Léonard qui portent sur les proportions humaines s'inscrivent dans le cadre des recherches graphiques à propos de l'activité artistique du peintre. Ces études portent principalement sur l'homme, les chevaux et plus rarement sur les animaux[283].
L’intérêt pour les proportions humaines est alors ancien : dès l'Antiquité, le sculpteur Polyclète en réalise plusieurs et, depuis le Moyen Âge, de nombreux artistes suivent le canon moins exact dit « du Mont Athos » qui divise le corps humain en neuf parties ; ce n'est qu'au XVe siècle que Leon Battista Alberti perfectionne ce canon. À partir de , Léonard travaille sur un projet de traité qu'il intitule De la figure humaine où il étudie les proportions humaines par de nombreuses mesures systématiques sur deux jeunes hommes. Il pense étudier les proportions des différentes parties du corps entre elles, les incluant dans un schéma géométrique lisible et non plus principalement établi en mesures absolues. Cependant, son travail reste très expérimental : dans les dessins de têtes humaines, le quadrillage qui souligne les proportions n'est posé qu'après avoir dessiné le sujet. Ce qui signifie que le travail en est encore au stade de recherches. Léonard ajoute les mensurations à partir d'une image qui lui est familière et pour laquelle il ne suit pas encore un schéma de proportions fixes, comme le fera quelques années plus tard Albrecht Dürer (-) en [283].
Cependant, parmi toutes les études de proportions de Léonard, l’Homme de Vitruve, représente une exception : il s'agit d'une étude soignée, qui s'écarte de toutes ses recherches précédentes et à propos de laquelle il effectue une longue série de mesures[284],[285].
L'étude de l'Homme de Vitruve que Léonard entreprends constitue une remise en cause des proportions humaines relevées depuis l'Antiquité. Ce travail a pour origine les recherches de l'architecte romain Vitruve (Ier siècle av. J.-C.) qui, dans son De architectura libri decem, s’appuie sur un système grec appelé « métrologie » . Vitruve travaille sur un système fractionné dans lequel l'écartement des bras tendus équivaut à la taille de l'homme adulte ; cette taille est divisée en plusieurs parties avec un système de proportions du corps humain faisant appel au système duodécimal dont les dénominateurs sont pairs — méthodologie qui perdurera jusqu'à l'introduction du mètre au XIXe siècle[284],[285].
Rompant avec le système duodécimal antique et avec les proportions antiques, les recherches empiriques de Léonard contredisent le canon produit par l'antique système métrologique : ainsi il ramène à 1⁄7, la proportion des pieds par rapport à la hauteur du corps quand Vitruve l'évaluait à 1⁄6 ; de même, redessinant l'Homme de Vitruve, il en revoit les mesures et résout le canon antique en plaçant le centre de l'homo ad circulum (le cercle) au nombril et celui de l’homo ad quadratum (le carré) au-dessus du pubis[286],[285].
D'un point de vue purement artistique, il est permis de se demander si l'Homme de Vitruve, un dessin aussi bien soigné, à la mise en page si élaborée et émanant de recherches aussi précises, a encore un rapport avec l'activité artistique de Léonard. Le travail normal d'un peintre ne requiert pas tant de calculs aussi poussés. En outre, aucune autre étude de Léonard n'atteint un tel niveau artistique et un tel degré d'exactitude comparé à ce travail qui, après tout, est une interprétation d'un point de vue qui n'était initialement pas le sien. Ceci pourrait être l'indice d'un projet plus ambitieux qu'une simple étude : l'Homme de Vitruve est peut-être destiné à être placé en ouverture ou en clôture d'un traité. Il semble que, face aux difficultés que le projet de l'Homme de Vitruve a mis en évidence, Léonard arrête de produire toute nouvelle étude de proportions[286].
Spectacles et allégories
Depuis sa formation à l'atelier de Verrocchio, Léonard est un grand amateur de comédie et de poésie burlesque, il aime le théâtre et la fête, le divertissement, les merveilles et les automates sont pour lui le terrain fabuleux de nouvelles inventions et d'inspirations pour ses recherches. Dès lors il prend part à l'élaboration de plusieurs décors de théâtre et de spectacles organisés par ses commanditaires : pour Laurent de Médicis, à Florence, il participe à des décorations de fêtes et s'occupe de la conservation d’œuvre antiques[33], à Milan, en , à l'aide de ses machineries, il crée la mise en scène des Fêtes du Paradis au château des Sforza auprès desquels il est « ordonnateur des fêtes »[287] en , à Florence encore, il dessine les plans d'un Lion mécanique qui est envoyé à Lyon pour le couronnement de François Ier[288] auprès de qui il termine sa vie en organisant spectacles et mariages[287].
Plusieurs dessins et études relatifs à cette activité reflètent cette soif qu'éprouve Léonard pour les représentations allégoriques et spectaculaires. Notamment les caricatures de personnages grotesques mais aussi les dessins dits « allégoriques » qui nourrissent une grande fascination auprès des spectateurs et des commanditaires du XVe siècle : l'idée qu'un simple dessin puisse avoir un sens caché ou un message crypté suscite une grande attirance auprès du public lettré. Ces allégories animent souvent les processions, les tournois ou les représentations scéniques ou alors sont souvent de simples dessins ou des rébus destinés à divertir[289][réf. à confirmer].
Cependant, les messages que contiennent les allégories résident souvent dans la combinaison d'une image et d'un texte, et, là, se trouve sans doute une contradiction dans la conviction de Léonard que l'image est supérieure à la parole : une image allégorique n'est complète que si elle se soumet à un texte. Quoi qu'il en soit, Léonard dessine des croquis sous-titrés comme « la vertu luttant contre l'envie » ou encore dans l'Allégorie au lézard symbole de la vérité « Le lézard fidèle à l'homme, voyant celui-ci endormi, combat le serpent ; et constatant qu'il ne peut le vaincre, il court sur le visage de l'homme et le réveille pour que le serpent ne puisse faire de mal à l'homme », légende sans laquelle l'image est difficile à comprendre. Dans une autre feuille Allégorie des entreprises humaines, Léonard fait pleuvoir une série d'objets du quotidien et écrit : « Ô triste humanité, à combien de choses ne te soumets-tu pas pour l'argent ! »[290][réf. à confirmer].
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La gloire luttant contre l'envie, vers - , Royal Collection - Windsor, no inv.JBS 18v. -
Allégorie au lézard symbole de la vérité, vers - , New York, Metropolitan Museum of Art, no inv.17.142.2. -
Allégorie des entreprises humaines, vers , Royal Collection - Windsor, no RCIN 912698.
D'autres allégories sont dépourvues de texte comme la Femme debout dans un paysage qui, outre le fait d'illustrer la conviction de Léonard qu'une image doit représenter non seulement la personne, mais aussi les intentions de son esprit, attire l'attention du spectateur vers une zone en dehors du paysage semblant faire appel à une part inconnue de son imagination[291]. Un consensus s'établit pour identifier le personnage du dessin à Matelda, dernière guide de Dante dans le Purgatoire, qui lui apparaît au chant XXVIII dans la Divine Comédie au moment où elle indique la route à prendre pour le Paradis céleste. Matelda explique à Dante les mouvements de l'air, de l'eau et l'origine de la végétation. Selon Daniel Arasse, cette vision où la grâce s'allie à l'explication des phénomènes a sans nul doute dû séduire Léonard[292]. L’allégorie du loup et de l'aigle, si elle reste une des dernières allégories au dessin fort soigné de Léonard également dépourvu de texte d’explication, est encore le sujet de nombreuses discussions entre experts à propos du sens qu'il convient d'y accoler : l'inconstance de la fortune abandonnée aux caprices du vent, ou bien le navire de l'Église dont le pilote — apparemment un loup (ou un chien) — met le cap vers un aigle royal. C'est un débat qui reste encore ouvert alors que de nombreux détails du dessin, comme la couronne apparemment arborant des lys de France, restent encore inconnus et sans certitude qu'ils soient porteurs de sens[293][réf. à confirmer],[291].
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Femme debout dans un paysage, vers - , Royal Collection - Windsor, no RCIN 912581. -
Allégorie au loup et à l'aigle, vers , Royal Collection - Windsor, no 17.142.2.
Le sculpteur
Léonard de Vinci, ne laisse aucune œuvre sculptée derrière lui[294]. Cependant, il est très probable qu'il ait été initié à cet art par son maître Andrea del Verrocchio — lui-même principalement connu pour ses sculptures — durant ses années d'apprentissage dans son atelier : il participe ainsi certainement à la création de plusieurs œuvres de celui-ci, notamment à l'Incrédulité de saint Thomas, datée entre et . Il est possible qu'il ait également pratiqué cet art pour son propre compte : il mentionne ainsi dans ces carnets quelques œuvres sculptées, comme une énigmatique Histoire de la Passion, et se présente en auprès du duc de Milan comme étant capable de sculpter le marbre, le bronze ou la terre[295] ; Gorgio Vasari mentionne également la confection d'un « groupe de trois figurines en bronze qui surmontent la porte nord du baptistère [de Florence], ouvrage de Giovanni Francesco Rustici, mais conduite sous la direction de Léonard »[294].
Certaines sources indiquent l'existence d'exercices préparatoires en terre cuite : Gorgio Vasari mentionne en des « têtes de femmes souriantes et des têtes d'enfants » et, en , Giovanni Paolo Lomazzo recense parmi les œuvres en sa possession une « Tête de Christ enfant ». Ces sculptures, aujourd'hui perdues, font, depuis le XIXe siècle, l'objet de recherches auprès de nombreux spécialistes et historiens de l'art, mais aucun consensus ne se dégage à leurs propos. Cependant trois terres cuites lui sont parfois attribuées, mais avec précaution : un Ange exposé au Louvre à Paris, un saint Jérôme et une Vierge à l'Enfant au Victoria and Albert Museum de Londres. Cependant, ces trois sculptures, pourtant typiques de l'art florentin du Quattrocento, sont trop éloignées des tableaux de jeunesse de Léonard pour pouvoir formellement les lui attribuer avec certitude[295].
Les sculptures les plus connues de Léonard sont les commandes d'œuvres équestres conduites pour le compte du duc de Milan Ludovic Sforza, Gian Giacomo Trivulzio (-) — dont les dessins préparatoires sous la forme d'une série de dessins à la plume sont exposés à la Royal Collection au château de Windsor, — puis probablement pour le roi de France François Ier (-). C'est sur le premier projet que Léonard travaille le plus ardemment et pour lequel il existe le plus d'études : Ludovic Sforza commande en une statue à la mémoire de son père Francesco. Léonard conçoit successivement deux projets : le premier, très ambitieux avec un cavalier dominant un ennemi étendu au sol, est abandonné au profit d'un second présentant Ludovic chevauchant un cheval au pas. Mais, à ce nouveau modèle pour lequel il n'existe plus aucun dessin préparatoire, l'artiste donne une dimension monumentale : d'une taille de 7,2 mètres — trois fois plus grand que nature —, la statue nécessite à peu près 70 tonnes de bronze.
Seuls ont subsisté quelques plans du moule d'une pièce qui devait servir à la confection de la statue. Un modèle en terre cuite est fabriqué et impressionne tous les contemporains du maître. Mais, de son propre aveu, « l’œuvre est si grande qu'[il] doute que jamais elle ne soit terminée ». En effet, tout s'arrête en lorsque le bronze qui doit servir à la statue géante est réquisitionné et fondu pour la confection d'armes contre l'armée française qui menace le duché finalement envahi en . Le modèle de terre est alors détruit par des arbalétriers français qui s'en servent comme cible[296],[297],[294].
Dans son Paragone des arts, Léonard place la sculpture bien en dessous de la peinture car il la juge moins universelle que cette dernière. Pourtant l'historien de l'art Vincent Delieuvin note que l'artiste cherche à donner à ses tableaux un relief proche de la sculpture et que les figures de ses peintures prennent naturellement une « gestuelle dynamique, dont les effets de raccourcis rivalisent avec la tridimensionnalité de la sculpture »[296].
Le musicien
En , Léonard part de Florence pour se rendre à Milan. D'après Giorgio Vasari, il est porteur d'un cadeau de Laurent de Médicis pour Ludovic Sforza : une lyre d'argent en forme de crâne de cheval. Il est probablement accompagné du talentueux musicien Atalante Migliorotti à qui il semble avoir enseigné le maniement de la lyre. Léonard est considéré à l'époque comme un très bon joueur de lyre, maître de musique, inventeur d'instruments et concepteur de fabuleux spectacles tant à la cour de Milan qu'à celle de France. Les dessins d'ingénieur de l'artiste contiennent, en effet, plusieurs études pour tambours et instruments à vent à claviers, violes, flûtes et cornemuses ainsi que des automates et des systèmes hydrauliques pour des machines de théâtre. Ceux-ci visent à en améliorer l'utilisation et l'efficacité et certaines de ses inventions concernant ce domaine sont reprises quelques siècles plus tard. Même si aucune composition musicale n'est connue de Léonard, ses carnets contiennent également plusieurs preuves qu'il maîtrise l'usage des notes. Celles-ci constituent le plus fréquemment d'ingénieuses énigmes ou rébus[299],[300],[301]. Paolo Giovo et Giorgio Vasari signalent que Léonard sait très bien chanter en s'accompagnant en particulier de la lira da braccio[302].
À la fin du XVe siècle cette combinaison de maîtrises des arts n'est pas vraiment rare dans le métier d'artiste peintre ou sculpteur : même si Léonard s'inscrit parmi les premiers « peintres-musiciens », ces derniers deviennent de plus en plus nombreux et trouvent leur succès social autant dans la musique que dans la peinture. En cette matière, Léonard a ses pairs parmi Andrea del Verrocchio son maître, Le Sodoma, Sebastiano del Piobo ou Rosso Fiorentino[303].
L'ingénieur et le scientifique
À la Renaissance, les scientifiques et ingénieurs du XVe siècle perçoivent les limites de leurs domaines[304] : certaines théories scientifiques sont remises en question[305] alors que la démarche scientifique n'est ni théorisée ni fixée[306] et les moyens de rendre compte des recherches et études demeurent textuelles et très peu graphiques[307],[308]. Néanmoins, s'ils sont capables de percevoir de nouveaux principes, ils ne parviennent pas à s'extraire de l'héritage de leurs prédécesseurs[309].
Évoluant dans ce cadre, Léonard de Vinci se définit lui-même comme ingénieur, architecte et scientifique[121] : à partir des années , il désire en effet donner à son art un sens scientifique plus fouillé, plus approfondi. Il se lance alors dans une minutieuse étude de la nature et développe ses connaissances sur la géologie, la botanique, l'anatomie, l'expression humaine ou l'optique. Mais alors que ces connaissances sont initialement acquises afin de servir la peinture, elles deviennent progressivement une fin en soi. Il se lance dans la rédaction de plusieurs traités sur notamment l'anatomie et les mouvements de l'eau. Ces notes parfois dotées d'un titre se structurent autour d'un style plus didactique et plus structuré[258].
Néanmoins, il n'est pas le seul « artiste universel » de son époque. Sont ainsi notamment connus parmi ses plus célèbres devanciers Guido da Vigevano (vers - après ), Konrad Kyeser ( - après ), Jacomo Fontana (dit « Giovanni ») (-), Filippo Brunelleschi ( - ), Mariano di Jacopo (dit « Taccola » qui s'autoproclame « l'Archimède siennois ») ( - vers )[310] et parmi ses contemporains Bonaccorso Ghiberti ( - ), Giuliano da Sangallo ( - )[311] et Francesco di Giorgio Martini ( - )[312].
Rapport à l'ingénierie et à la science
Formation, limites et difficultés
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La rencontre avec le mathématicien Luca Pacioli a lieu en (Jacopo de' Barbari (?), , Naples, musée de Capodimonte, inv. Q 58). -
Celle avec l'anatomiste Marcantonio della Torre a lieu vers (gravure de Tobias Stimmer, ).
Léonard de Vinci suit une scolarité dans une scuola d’abaco, c'est-à-dire une école destinée aux futurs commerçants dispensant le savoir strictement nécessaire pour exercer leur activité. Il ne fréquente donc pas une « école latine » dans lesquelles est dispensé l'enseignement des humanités classiques[23]. De fait, il n'étudie ni le grec ni le latin qui, en tant que supports exclusifs à la science, sont pourtant essentiels à l'acquisition des connaissances théoriques scientifiques et surtout sont les supports d'un vocabulaire stable et spécifique[30]. Néanmoins, même s'il reconnaît cette difficulté dans l'accès à la langue latine, Léonard revendique vers la fin de sa vie posséder suffisamment de vocabulaire en langue vernaculaire pour pouvoir se passer de la première : « Je dispose dans ma langue maternelle d'un si grand nombre de mots, que je devrais déplorer mon manque de parfaite compréhension des choses, plutôt que d'un manque d'un vocabulaire nécessaire pour exprimer les concepts de mon esprit »[313].
La faiblesse de son bagage théorique, notamment en mathématiques, constitue une difficulté pour Léonard[314],[315]. À terme, ce sera seulement par la fréquentation de spécialistes des domaines qu'il entend investir qu'il pourra progresser : Luca Pacioli en pour les mathématiques[316] ou Marcantonio della Torre pour l'anatomie par exemple[317]. De plus, faute d'un vocabulaire technique fixe, précis et adapté, il perd autant de traits de concept, ce qui limite certains de ses raisonnements[318]. De la même manière, son absence de maîtrise du latin lui interdit un accès direct aux ouvrages scientifiques, ceux-ci étant pour la plupart écrits dans cette langue[319].
Son absence de formation universitaire se ressent enfin dans l'absence dans ses recherches de toute méthodologie structurée et cohérente[306], une absence corrélée avec une difficulté à choisir entre une approche systématique de son sujet d'étude et une approche empirique[320]. Or c'est notamment grâce à la fréquentation de spécialistes qu'il parvient à trouver un équilibre entre la description du détail et la vision d'ensemble de son sujet d'étude[317].
Léonard de Vinci entre vers à l'âge d'environ 12 ans en apprentissage dans l'atelier d'Andrea del Verrocchio[27] où il reçoit une formation multidisciplinaire qui réunit l'art, la science et la technique et où les techniques de dessin sont couramment combinées avec l’étude de l’anatomie superficielle et la mécanique[35].
C'est ainsi que ses recherches sont souvent traitées de manière transdisciplinaire : son sujet est envisagé sous toutes ses manifestations, et il ne s'arrête pas au simple savoir des ingénieurs mais désire y ajouter des réflexions théoriques issues des sciences mathématiques et de la philosophie. Cette démarche issue de sa formation autodidacte et pluridisciplinaire le distingue alors des ingénieurs qui lui sont contemporains[320].
« Homme sans lettres », comme il se définit lui-même, Léonard montre dans ses écrits colère et incompréhension devant le mépris dont il fait l'objet par les docteurs en raison de son absence de formation universitaire[88]. En réaction, Léonard devient libre penseur, adversaire de la pensée traditionnelle et se présente plutôt volontiers comme un disciple de l’expérience et de l’expérimentation[31]. Ainsi, son absence de formation universitaire est paradoxalement ce qui le libère des connaissances et méthodes figées de son temps. C'est ainsi qu'il réalise une vraie synthèse entre savoir théorique de son temps et observations issues de la pratique de l'ingénieur[321]. De fait, la science de Léonard est fondée sur la puissance de l'observation[322].
Homme de son temps, Léonard de Vinci reprend à son compte l'héritage antique, médiéval et de ses devanciers ingénieurs et scientifiques du Quattrocento[323] comme le montrent ses premières représentations anatomiques humaines mêlant croyances traditionnelles, observations issues de dissections d'animaux et spéculation pure[257],[324]. Souvent incapable de se démarquer des théories scientifiques de son époque[325], il tente de concilier ses découvertes novatrices avec la tradition de son temps[326]. Il finit parfois même par ne dessiner que ce qu'il s'attend à voir au lieu de ce qu'il voit[327]. De fait, ses notes scientifiques donnent parfois « un sentiment diffus d'impasse » : ainsi, concernant le cœur, « limité à la fois dans ses expérimentations directes et par la physiologie du cœur admise de son temps, il sembl[e] condamné à décrire toujours plus en détail le passage du sang à travers les valves. C'est à ce moment-là que son travail d'anatomiste paraît avoir pris fin »[328].
Enfin, le travail de Léonard est le reflet de sa personnalité profonde : à l'instar de sa production picturale, son travail scientifique et technique est marqué par l'inachèvement[329]. C'est ainsi que les différents traités qu'il ambitionne d'écrire (anatomie, mécanique, architecture, hydraulique, etc.) demeurent systématiquement à l'état de projet[330],[331],[332],[320].
Notes, journaux et projets de traités
Léonard de Vinci produit jusqu'à la fin de sa carrière plusieurs milliers de pages d'études qui ne représentent qu'une portion de son travail — beaucoup d'entre-elles sont perdues. Il s'agit du témoignage le plus vaste et le plus varié de la pensée de son époque[333].
Au fur et à mesure de sa carrière, il a pour ambition de produire un traité systématique pour chaque domaine d'activité qu'il aborde : traité sur la peinture à la fin des années , sur l'anatomie en [333], sur la mécanique du corps humain (elementi machinali) en - [330], sur le mouvement de l’eau après [320], sur l'architecture entre et [332], sur l'anatomie du cheval (qui aurait été rédigé selon Giorgio Vasari mais disparu en )[334], sur l'optique dans les années -[335] ou sur la mécanique[336]. Mais, de tous ces projets, aucun n'aboutit. Seul un Traité de la peinture voit le jour grâce au travail de son élève Francesco Melzi qui compile tous les écrits récoltés sur le sujet dans les documents du maître dont il hérite en [337].
Le caractère approfondi et systématique de son travail constitue une indication puissante de ce désir d'écrire des traités[332] : c'est ce caractère systématique qui permet ainsi à Andrea Bernardoni de qualifier un traité sur les mécanismes de « nouveauté absolue pour l’histoire de la mécanique »[336]. En outre, rarement avant lui, le dessin n'aura pris une telle importance : celui-ci, toujours pédagogique[338], allie précision et « stylisation pour rester lisible »[339].
Les apports de Léonard de Vinci
Malgré les recherches modernes visant à revoir à la baisse le caractère novateur et isolé du travail de Léonard de Vinci, les historiens des sciences lui reconnaissent plusieurs apports.
Un de ses plus importants apports est son utilisation du dessin technique[340] puisqu'il est l'un des premiers ingénieurs à déployer des techniques aussi précises et pointues de représentation graphique de ses idées (aspect déjà évoqué plus haut)[341]. En outre, il lui confère une valeur aussi grande que le texte descriptif[342]. De fait, il possède des capacités exceptionnelles de dessinateur, en plus de sa grande capacité de perception de la globalité de son sujet d'étude et de son style littéraire précis : cela ressort particulièrement dans ses études d'anatomie qui comptent ainsi « parmi les plus pointues jamais réalisées »[343]. Or il applique les techniques de représentations anatomiques à tout sujet technologique[86] : il systématise l'association de différentes techniques avec des plans sous forme éclatée, en tournant autour de son sujet selon plusieurs points de vue. Il est le seul parmi ses devanciers et contemporains à le faire[342].
Autre différence avec ses contemporains, le dessin technique de Léonard de Vinci, grâce aux techniques artistiques de la perspective ou le rendu de l'ombre, préfigure le dessin industriel tel qu'il est encore utilisé aujourd'hui : en comparaison, Daniel Arasse trouve que les dessins d'ingénieurs renommés comme Francesco di Giorgio Martini « font preuve d'une gaucherie certaine »[344]. Une telle utilisation du dessin technique est unique parmi les ingénieurs contemporains de Léonard[320].
Autre apport de Léonard de Vinci dans le domaine scientifique et technique, le caractère systématique de ses recherches[345] : traduisant ses réflexions, ses dessins techniques et ses descriptions témoignent d'une attention aussi aiguë pour le détail qu'à l'ensemble de son objet. Sa méthodologie propose autant d'allers-retours pour obtenir l'étude la plus complète possible[342]. De fait, le maître présente « un besoin de rationaliser que l'on ignorait jusqu'alors chez les techniciens »[346].
De plus, Léonard de Vinci apporte une « démarche […] radicalement neuve » qui préfigure la démarche expérimentale moderne et que Pascal Brioist qualifie de « protoexpérimentale » : néanmoins, il ne faut pas y voir là une démarche identique à celle du laboratoire telle qu'elle est mise en place par Robert Boyle au XVIIe siècle mais reste fondée sur l'atelier où la preuve n'est recherchée que dans la matérialité ; de même, il propose des expériences de pensée qui ne reposent pas sur un protocole expérimental[347].
Enfin Léonard parvient à se libérer des connaissances et méthodes de son temps notamment par son absence de formation universitaire[321]. De fait, il présente une réelle capacité à contredire les théories de son temps. Il présente des intuitions qui ne seront reformulées puis validées que plusieurs siècles plus tard, comme son hypothèse de la formation des fossiles, remarquable d'exactitude, en contradiction avec les explications de son temps liées à la littérature biblique ou à l'alchimie[348]. Bien plus, la nouveauté de ses travaux techniques et notamment la recherche de l'automatisme tient certainement au fait qu'elles ne sont pas explorées par ses contemporains puisque la « rentabilisation économique du travail grâce à l'automatisation des opérations mécaniques de production » ne fait alors pas partie des centres d'intérêt de la société compte tenu de la relation au travail et des relations sociales[349].
Le scientifique
Les centres d'intérêt de Léonard de Vinci sont extrêmement nombreux : optique, géologie, botanique, hydrodynamique, architecture et ingénierie[350], mais aussi astronomie, acoustique, physiologie et anatomie[348] pour ne citer qu'eux. Or parmi ceux-ci l'anatomie humaine constitue le domaine sur lequel il se penche avec le plus d'assiduité au long de sa carrière[350].
Anatomie humaine et comparée
L'anatomie humaine est le sujet d'étude de prédilection de Léonard parmi tous ceux sur lesquels il se penche[343]. Il s'agit d'un travail né du besoin d'améliorer la description picturale des figures qu'il représente sur ses tableaux[333].
Ses premiers travaux documentés remontent au milieu des années : il s'agit d'abord de représentations faites alors qu'il n'a vraisemblablement jamais réalisé de dissection de corps humain[328]. Puis elles sont issues d'observations de matériel humain obtenu grâce à ses protecteurs[351] : une jambe vers -, des crânes à partir d'avril , puis des corps entiers très rapidement… À la fin de sa vie, il aura procédé à « plus de trente » dissections[352].
De fait, si ses premiers travaux constituent la mise en image de représentations médiévales[328], ses comptes rendus, notamment graphiques, deviennent d'une précision remarquable[353]. Car Léonard présente toutes les qualités d'un grand anatomiste : grande capacité d'observation, dextérité manuelle, talent de dessinateur et capacité à traduire en mots le résultat de ses observations[343]. De plus, ses qualités graphiques se nourrissent de son travail dans d'autres disciplines comme l'ingénierie, l'architecture et l'art : multiplication des points de vue (rotation autour du sujet, coupe selon le plan, vue en éclaté, dessins sériés, etc.[339]) et des techniques (pierre noire ou plus rarement fusain pour le dessin sous-jacent[354], plume et encre[339], hachures, lavis[354]).
Il lui arrive souvent d'avoir des difficultés d'approvisionnement en corps humains, comme lorsqu'il s'établit dans la villa familiale de son élève Francesco Melzi à la suite de la campagne de conquête française en 1512-1513 sur Milan[351]. Il se tourne alors vers la dissection d'animaux : porcs, singes, chiens, ours, chevaux[351]… En effet, il estime que « tous les animaux terrestres ont similitude de muscles, de nerfs et d'os et ne varient qu'en longueur ou grosseur », lui permettant de progresser sur l'anatomie humaine[355]. Ainsi, un de ses premiers comptes rendus de dissection concerne vers - un ours : Léonard juge cet animal intéressant puisqu'il s'agit d'un plantigrade dont le pied offre des ressemblances physiologiques avec celui de l'homme[356]. Néanmoins, l'animal qui le passionne le plus au cours de sa carrière est le cheval, un intérêt qui trouve visiblement son origine au cours des années par la commande du Monument Sforza[351].
De fait, tous les aspects de l'anatomie humaine sont étudiés en profondeur — anatomie structurelle, physiologie, conception, croissance, expression des émotions et sens[333] — ainsi que tous ses domaines — os, muscles, système nerveux, système cardio-vasculaire, organes (vessie, organes génitaux, cœur, etc.)[330]. Si bien qu'à la fin de sa carrière, Léonard est « en mesure de mieux appréhender l'articulation entre les détails et l'ensemble, et de procéder en partant de la cause pour comprendre l'effet, essayant d'analyser les propriétés des éléments que l'autopsie lui révélait »[352].
Optique
L'optique est au centre des recherches de Léonard de Vinci en vue d'établir son Traité sur la peinture et d'améliorer encore la pratique de son art, notamment la technique du sfumato[357],[358].
Lors de ses recherches sur l'œil, il reprend au début de sa carrière la théorie de la « pyramide visuelle » de Leon Battista Alberti dont l’œil serait le sommet et permettant d'établir les règles de la perspective[358], mais il lui paraît que cette théorie ne rend pas réellement compte de la réalité tridimentionnelle : il la corrige alors par ce qu'il nomme la perspective « sphérique » ou « naturelle »[357].
Concernant les rayons lumineux, il raisonne en termes d'ombre et de lumière : sa théorie est que l'image des objets est émise par ces derniers et est projetée sur la rétine de celui qui regarde[359].
Pour étudier l'œil et les rayons lumineux, il imagine toutes sortes de dispositifs afin de simuler et étudier le fonctionnement de l'œil[358] mais sans parvenir à découvrir le rôle que joue le cerveau dans l'inversion de l'image permettant la vue à l'endroit d'une image projetée à l'envers[325].
Astronomie
C'est particulièrement dans le Codex Leicester, que Léonard étudie l'astronomie[360],[361]. Il apparaît que son astronomie « est d'ordre optique » et s'intéresse à la diffusion de la lumière entre les corps célestes— au premier rang desquels la Lune et le Soleil[362].
Ses recherches proposent quelques intuitions originales. Il relève ses observations sur la lumière provenant de la Lune : il en conclut que c'est bien la lumière du Soleil qui est reflétée à sa surface qui parvient sur Terre[361]. Partant, il fournit une intéressante explication du halo de la nouvelle lune[360].
Néanmoins, il demeure, comme ses contemporains, résolument géocentriste[362].
Mathématiques
Léonard de Vinci ne sera jamais un véritable mathématicien[363] : du fait de sa scolarité, il ne possède qu'un bagage basique[364]. Dès lors, il n'utilise que des notions très simples dans ses recherches scientifiques et techniques[315] et les chercheurs relèvent ses fréquentes erreurs de calcul dans des opérations élémentaires[365]. Il doit donc se faire guider, expliquer, conseiller par des mathématiciens reconnus[316]. Or sa rencontre en avec le mathématicien Luca Pacioli — dont il illustre vers le traité de mathématiques, le De divina proportione[365] — est ainsi fondamentale : elle stimule son goût pour le domaine[316] et modifie sa façon de voir le monde. Il en vient ainsi à considérer que tout élément naturel est régi par des systèmes mécaniques eux-mêmes régis par des lois mathématiques[366]. Enfin, il loue les mathématiques pour l'état d'esprit « de rigueur, de cohérence et de logique » qu'il est nécessaire d'acquérir pour aborder toute chose : ne prévient-il pas, « Que nul ne me lise dans mes principes qui n'est pas mathématicien »[367] ?
Botanique
L'étude des végétaux entre très tôt dans le répertoire des études graphiques de Léonard de Vinci et a pour origine le questionnement d'une représentation fidèle de la nature dans ses œuvres picturales[368]. Son travail est si précis dans ces derniers que l'exactitude des végétaux qu'ils comportent peuvent constituer un indice d'attribution au maître, comme c'est le cas de La Vierge aux rochers dans sa version du Louvre datée de - [369] ou, au contraire, des inexactitudes constituent autant d'indices permettant de refuser l'attribution de la version conservée à la National Gallery[370].
De manière générale, Léonard de Vinci utilise une démarche beaucoup plus structurée que dans d'autres domaines scientifiques, l'objet d'étude étant composé d'une grande richesse de détails subtils[371]. Ces représentations sont issues de longues séances d'observations des plantes dans la région de Milan et dans les Alpes italiennes[372]. Or non seulement il rend avec fidélité chaque élément constitutif du végétal étudié mais il le fait selon une mise en scène plastique comprenant effets de lumière et agencement des formes dans l'espace[371].
Finalement, une partie des manuscrits conservés à la bibliothèque de l'Institut de France sont consacrés aux études de botanique et laissent accroire qu'il a pour ambition de produire, vers - , « un traité de botanique appliqué à la représentation picturale des plantes »[373].
Géologie
De nombreux aspects de la géologique sont étudiés par Léonard de Vinci : étude des fossiles, nature des roches sédimentaires, présence de fossiles marins dans ces roches, hydrologie, origine des sédiments, causes de l'érosion par les ruissellements, nature des forces terrestres et premiers principes de l'isostasie[374]. En , l'enthousiasme du monde anglo-saxon lors de la publication anglaise des écrits de géologie de Léonard fait que celui-ci est même appelé le « père de la géologie moderne »[375] ; à tout le moins les historiens des sciences contemporains lui reconnaissent-ils d'en être un des précurseurs[376].
Ses principales observations géologiques remontent à son séjour à la cour de Ludovic Sforza à Milan entre et : la cité est en effet située non loin des Alpes où il se rend alors souvent, notamment au Mont Rose où il observe les mouvements formés par les strates rocheuses et où il trouve des fossiles[377].
Léonard propose des idées assez novatrices expliquant la présence des fossiles sur les reliefs par le fait qu'ils étaient recouverts par la mer[377], une idée redécouverte et reformulée 150 ans plus tard par Nicolas Sténon[378]. Il considère également que le phénomène de dépôt de fossiles selon des couches homogènes de roches sédimentaires, en strates, constitue un processus naturel lent[377]. Ces deux éléments remettent alors en cause l'histoire biblique[379] et en particulier le déluge[377].
Il étudie également le phénomène d'érosion par le ruissellement[377] : il étudie ainsi les relations entre la pente qu'un cours d'eau dévale, son débit et les conséquences en termes d'érosion[380]. En conséquence, il propose des hypothèses concernant la manière dont se déposent des sédiments en fonction de leur masse et du débit du cours d'eau[381].
Par ailleurs, il a l'intuition, encore confuse, du principe de l'isostasie selon laquelle les continents s'élèvent tandis que l'érosion réduit leur masse et, ce faisant, transfère une masse équivalente de sédiments aux bassins océaniques — principe scientifiquement décrit par le géophysicien américain Clarence Edward Dutton en [382].
À l'instar de ses connaissances botaniques, sa connaissance des matériaux qu'il décrit est si exacte que ses représentations de roches constituent des indicateurs permettant d'aider à authentifier ses œuvres[370] : c'est le cas, par exemple, avec la version conservée au musée du Louvre de La Vierge aux rochers[370] ou avec le tableau Sainte Anne, la Vierge et l'Enfant Jésus jouant avec un agneau[383].
L'architecte, l'urbaniste et le cartographe
Architecture
Tous les sujets de l'architecture sont explorés par Léonard de Vinci au cours de sa carrière : architecture religieuse (notamment églises à plan centré) ; architecture civile (demeures, villas, palais et les éléments qui les constituent comme les escaliers) ; architecture militaire (fortifications et les éléments qui constituent ces dernières)[384]. Son travail est principalement connu à travers les centaines de pages de dessins et de croquis qu'il a laissés et dans lesquelles il ne laisse que peu de réflexions et indications écrites[384]. Néanmoins, les réalisations concrètes issues de ses plans sont rares et ne sont pas toujours attribuables avec certitude[385]. De fait, son travail dans le domaine est surtout théorique : cela ne porte cependant aucun préjudice à sa réputation auprès de ses contemporains, car le projet et sa réalisation ont alors une valeur identique[386].
C'est au service de Ludovic Sforza à Milan dans les années que naît sa réputation d'architecte[386], alors qu'il participe à un concours pour la construction de la tour-lanterne de la cathédrale de Milan : son projet n'est certes pas retenu, mais il semblerait qu'une partie de ses idées aient été reprises par le vainqueur du concours, Francesco di Giorgio[82]. Si bien que dans les années il devient avec Bramante et Gian Giacomo Dolcebuono un ingénieur urbaniste et architectural de premier plan[83] sous le titre d'« ingeniarius ducalis »[84].
Léonard a pour modèles des devanciers de la première partie de la Renaissance comme Filippo Brunelleschi, Francesco di Giorgio[387][388] ; ses travaux s'inscrivent dans la lignée de la première Renaissance visible surtout au nord de l'Italie et sont marqués d'archaïsme[389]. Il se singularise donc parmi ses contemporains comme Bramante qui s'inspirent de l'architecture antique et de la redécouverte des ruines de Rome. C'est pourquoi ses idées sont particulièrement goûtées en France où il « n'introduit pas des formes nouvelles, mais des idées audacieuses »[390].
Sa vision de l'architecture est hygiéniste : considérant que le bâtiment doit s'insérer dans son environnement comme un organe dans un organisme[391], il se voit volontiers comme un médecin agissant sur un corps malade[392]. Par ailleurs, il montre sa préoccupation de la bonne santé du bâtiment aussi bien dans ses matériaux le composant que sa structure : nature des matériaux, jeu des équilibres et prise en compte des faiblesses inhérentes aux formes qui sont dessinées[393]. Enfin, salubrité et circulation deviennent des considérations centrales dans le cadre du bien-être des habitants[394].
Sa méthodologie de travail met en avant la représentation en perspective aérienne, ce qui est assez unique chez les architectes de son époque qui préfèrent la présentation plan/coupe/élévation. Il élabore différents dessins en fonction de différents points de vue du même lieu comme s'il faisait le tour de son objet d'étude[395]. En revanche, à l'instar de ses confrères, il utilise couramment la maquette en bois, considérée comme une étape essentielle pour l'élaboration de son œuvre[396].
Son apport à l'architecture est d'allier un cadre rigoureux au service d'une imagination foisonnante[390]. De plus, sa force tient dans l'interdisciplinarité de sa réflexion, contrairement à des architectes spécialisés dans leur domaine[386]. De plus, concernant l'architecture privée, Léonard s'écarte résolument des propositions de ses contemporains et demeure attaché à la fonctionnalité des bâtiments qu'il dessine[397] dont l'escalier constitue un élément central[393].
Si son intérêt pour l'architecture est très variable puisqu'il allège voire suspend son travail dans le domaine entre et [390], son intérêt pour l'architecture militaire demeure constant[398] : ses principaux employeurs dans ce dernier domaine seront Venise[114],[399] et César Borgia dit « le Valentinois »[134]. Il s'appuie en outre sur les réflexions de Francesco di Giorgio Martini[400], Baccio Pontelli, Giuliano da Sangallo et son frère Antonio da Sangallo le Vieux[401].
Si ses contemporains ne sont tout d'abord pas convaincus de l'expertise qu'il revendique dans le domaine[401], ce n'est qu'après qu'il est pris au sérieux, après s'être formé auprès des ingénieurs militaires milanais[402],[403]. De fait, il reprend les idées de ses contemporains et promeut la forme circulaire[404], l'idée d'abaissement des fortifications et l'accent mis sur les bastions[388]. Pour autant, il ne se contente pas de reprendre ces idées mais il va jusqu'au bout de leur logique : primauté donnée à l'abaissement, à l'horizontalité et à la forme ronde[405].
Urbanisme
Les réflexions de Léonard de Vinci à propos de l'urbanisme sont conduites en quatre grands moments : sous le règne de Ludovic Sforza, alors qu'il se trouve à Milan ; pour l'envoyé du roi de France à Milan, Charles d'Amboise ; lors de son second séjour à Florence à partir de ; puis, finalement, lors de son séjour en France de à [406].
Le thème de la « ville nouvelle » ou « ville idéale » qui émerge après l'épisode de peste à Milan de - constitue l'origine de ses réflexions sur le domaine[82] : afin de corriger les problèmes de surpopulation des centres urbains, il imagine ainsi une « ville à deux niveaux » dans laquelle la gestion des flux d'eau est étudiée en détail[407]. Il reprend ces idées lorsqu'il est chargé par François Ier en de réfléchir à l'élaboration d'un nouveau château à Romorantin[204] mais le projet sera abandonné[408].
Dans le domaine, il bénéficie de l'influence des travaux de Bernardo Rossellino et Leon Battista Alberti[406]. Néanmoins, il apporte certaines réflexions tout à fait novatrices sur la circulation et la salubrité : rues et voies ; circulation et fonction de l'eau[394],[409] ; et bien-être des habitants[399].
Cartographie
Plusieurs nécessités président à la création de dessins cartographiques par Léonard de Vinci et sont liées à son activité d'ingénieur civil et militaire : à des fins militaires ; dans le cadre de relevés hydrographiques (assèchement de marais, navigabilité de fleuves et des canaux, systèmes d'irrigation, régulation de cours d'eau) ; dans l'optique d'une connaissance topographique du nord et du centre de l'Italie[410],[411]. Néanmoins, les travaux cartographiques de Léonard ne connaissent pas de réalisation pratique[412].
Ses sources d'inspiration sont multiples au premier rang desquelles se trouve le traité sur la Géographie de Claude Ptolémée, daté du milieu du IIe siècle[410], Leon Battista Alberti[413], Paolo Toscanelli qu'il côtoie et l'initie au travail de géomètre[403] et Danesio dei Maineri[413].
Il réalise deux types de dessins cartographiques : de simples dessins réalisés à la plume ; des cartes colorées (comme la représentation du Val di Chiana par exemple)[410]. Or ces représentations sont considérées comme des œuvres d'art en soi : de fait, à la Renaissance, la cartographie relève souvent de grands artistes comme Léonard de Vinci ou Albrecht Dürer[414]. Ainsi, le Plan d'Imola est décrit par Daniel Arasse comme la carte « la plus impressionnante, la plus réussie, la plus belle » de Léonard[413] et, selon Frank Zöllner, comme le « plus important des dessins cartographiques de Léonard », « considéré comme un incunable de la cartographie moderne »[415].
Longtemps, Léonard a été tenu pour le créateur de la cartographie moderne : par le mode de représentation selon la vue orthogonale au plan et en utilisant des différences de tons selon les altitudes[416],[417] ; par sa méthodologie ensuite lorsqu'il utilise sur le Plan d'Imola comportant un système d'arpentage, qui utilise un point central correspondant au centre du cercle tracé sur la carte, permettant de mesurer avec précision les dimensions des édifices et les rues[415].
L'ingénieur
Léonard de Vinci est bien un ingénieur selon l'acception du terme tel qu'il avait cours à son époque : « inventeur et constructeur d'« engins » (machines complexes et simples mécanismes) de toutes sortes et pour toutes les fonctions possibles ». Son travail consiste donc à fournir les solutions techniques à tout problème civil ou militaire[418]. Il porte une attention soutenue et constante sur le domaine tout au long de sa carrière, qui se traduit par des études dessinées et de longues descriptions[419].
Cependant, il n'existe qu'un seul document qui est réputé citer Léonard de Vinci comme ingénieur professionnel à Milan. Mais il est non daté et anonyme. En outre, un examen superficiel suffit à comprendre que Léonard n'y est pas inscrit que sur une liste de trois noms portant une qualification plus générique d'« ingeniarius et pinctor », qui correspond au titre d'artiste-ingénieur et non sur la liste des ingénieurs ducaux qui comprend une dizaine de noms[320].
Son premier contact avec le monde de l'ingénierie se fait lors de sa formation à l'atelier d'Andrea del Verrocchio sur la construction la coupole de la cathédrale Santa Maria del Fiore à Florence[420]. De fait, les plus anciennes traces de son intérêt pour le domaine remontent aux années avec des dessins de mécanismes déjà très élaborés[323].
Léonard hérite également d'une tradition issue de l'Antiquité[421] qui s'est poursuivie certes avec Filippo Brunelleschi[422], Jacomo Fontana[423] et surtout Francesco di Giorgio Martini, un ingénieur dont Léonard possède et annote un exemplaire d'un des ouvrages[424].
L'originalité de Léonard est la constance de son intérêt pour l'ingénierie, l'importance et la variété des sujets étudiés et surtout son « inventivité technique »[419]. Cela apparaît notamment par la variété et la richesse de la documentation qu'il laisse derrière lui, dont la quantité n'a pas d'égal parmi les ingénieurs qui lui sont contemporains[422]. Par ailleurs, s'il s'inspire de ses prédécesseurs, il n'est pas envisageable pour Léonard de Vinci d'étudier un système existant sans tenter de l'améliorer par ses connaissances et ses intuitions[425]. Son objectif, en créant une machinerie, est de créer un objet complexe à partir des mécanismes les plus simples et les plus traditionnels possibles[323] : ainsi, même un chercheur critique comme Bertrand Gille reconnaît qu'avec le maître « il y a progrès dans chaque élément de chaque machine »[421].
Or c'est à son activité d'ingénieur et d'inventeur que Léonard de Vinci doit à l'époque contemporaine la plus grande part de sa gloire universelle et ce, depuis le XIXe siècle : selon une vision romantique, il serait tout à la fois inventeur de génie mais aussi un visionnaire dont les créations préfigureraient ce qui ne serait inventé que plusieurs siècles plus tard — uniquement limité par exemple par le manque d'une source d'énergie autre que la force animale[426].
Bien qu'il ait à son crédit quelques inventions et son inventivité[427], la recherche contemporaine insiste sur le fait que, contrairement à la légende qui se rapporte à son travail, les inventions de Léonard sont plutôt des reprises d'inventions ou de réflexions déjà envisagées par d'autres — comme le scaphandre ou le parachute[422] — ou de méthodes de représentations graphiques techniques, telle la vue en éclaté[428]. De fait, selon Pascal Brioist, Léonard est profondément un homme du Moyen Âge et non un homme du futur : profondément marqué par ses prédécesseurs, il fait la synthèse de toutes les connaissances de son temps[429].
Traditionnellement, cinq domaines se partagent à parts inégales l'attention de Léonard de Vinci : armes et machines de guerre, machines hydrauliques, machine volante, mécanique générale et machineries de fêtes. Mais plusieurs autres peuvent y être ajoutés[419].
Armes et machines de guerre
Léonard de Vinci connaît des débuts difficiles dans le domaine de l'ingénierie militaire. En effet, les inventions — majoritairement militaires — qu'il se vante de pouvoir construire auprès de Ludovic Sforza dans une lettre de motivation pour arriver à Milan n'existent pas : soit il ne s'agit que de pure exagération, soit il ne fait que reprendre des idées d'autres, ce qui est d'autant plus facile qu'il quitte son territoire, en l'occurrence, Florence[430]. De fait, il énumère : ponts, échafaudages et escaliers, outils pour détruire murs et forteresses, machines de siège, bombardiers et mortiers, passages secrets, chars, armes pour les batailles navales, navires pouvant résister aux bombes, c'est-à-dire toutes sortes de matériels pouvant servir, à la fois pour la protection de la ville et pour un siège[422]. Les autorités milanaises ne se laissent pas abuser alors que le duché souffre d'un déficit d'ingénieurs dans le domaine[402],[403].
Ses sources d'inspiration sont alors nombreuses, au premier rang desquelles se trouve le traité De re militari () de Roberto Valturio qu'il possède et annote, mais aussi les écrits de Konrad Kyeser, Vitruve, Leon Battista Alberti, mais aussi, plus proche de lui Mariano di Jacopo, Francesco di Giorgio Martini, Le Filarète ou Aristotile Fioravanti[431]. Parmi les armes qu'il étudie, on trouve des arbalètes montées en batteries, une Arbalète géante, des mortiers aux projectiles explosifs (vers -)[432], un sous-marin pourvu d'un système de vrille pouvant percer la coque des navires[433], un char automobile blindé, un char pourvu de faux destinées à couper les jarrets des soldats et leurs chevaux au début des années [65]…
Ce n'est qu'après qu'il est pris au sérieux, après s'être formé auprès des ingénieurs militaires locaux[402]. Cependant, il s'agit d'un sujet assez théorique pour lui et, dans les descriptions qu'il en fait auprès de ses éventuels commanditaires, il vante volontiers le caractère meurtrier de ses inventions. Cependant, il se montre particulièrement indisposé par le domaine après des visites des champs de bataille[434] et finit par décrire la guerre comme « pazzia bestialissima » (une « folie bestiale »)[432].
Machine volante
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Le parachute, étudié vers (Codex Atlanticus, f.381v.).
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L'« hélice volante », étudiée vers - (Ms B 83v).
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Une des machines à ailes battantes ou « ornithoptère », datée vers (bibliothèque de l'Institut de France).
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Quelques profils d'ailes pour machine à voilures fixes, étudiée vers .
En tant que sommet de la quête de création technique, la machine volante est l'objet de recherches ingénieriques auquel Léonard de Vinci a consacré le plus de temps au cours de sa carrière[435] : il y consacre près de 400 dessins dont 150 machines volantes[436]. Il s'agit d'une des réflexions les plus célèbres de l'ingénieur[437], même si ce travail n'est connu que depuis peu[438].
Certes Léonard n'est pas le premier à s'intéresser au sujet mais il est le premier à le faire de façon aussi constante, approfondie et systématique[439]. Ainsi, un de ses contemporains, Giovan Battista Danti, aurait ainsi construit une machine qui lui aurait permis d'effectuer des vols planés au-dessus du lac Trasimène vers [439]. S'il ne s'agit pas à proprement parler d'une machine volante, Léonard de Vinci étudie le parachute dont le dessin constitue une reprise flagrante d'un dessin daté vers [440].
Léonard expérimente successivement trois types de machines volantes. La première est la « vis volante » — aussi qualifiée de l'« hélice volante » par les chercheurs — qui, depuis sa découverte à la fin du XIXe siècle dans les documents du maître, fait que la paternité de l'hélicoptère lui est parfois attribuée. Mais il s'agit de la reprise d'un dessin issu du traité De ingeneis de Mariano di Jacopo paru en [441]. En outre, cette machine de près de 10 mètres de diamètre à la masse énorme ne serait qu'un jeu d'esprit : dans le commentaire de son dessin, Léonard note ainsi que l'objet peut être certes réalisé mais en petites dimensions, en carton et avec un ressort en métal[442].
Le second type de machines volantes est la machine à ailes battantes ou ornithoptère[441] pour lequel il décide qu'« il n'y a pas d'autre modèle que la chauve-souris »[443]. Imaginée entre et [441], elle devait être mue par la seule force musculaire de son pilote[439]. Au fur et à mesure de ses recherches, il constate que celle-ci serait insuffisante et y ajoute des forces mécaniques[441] qui, néanmoins, ne fournissant toujours pas assez d'énergie[444]. Il se tourne donc dans les années - vers une machine planante[435]
À partir de , il porte sa réflexion sur des machines à voilure fixe[445], s'appuyant sur les seules forces ascensionnelles[446],[437]. Son planeur comporte des ailes inspirées de celles des chauves-souris[447]. Il est réputé avoir voulu procéder à des essais de vols dès à Milan[448] puis en avril à partir du mont Ceceri, à Fiesole, un village situé à côté de Florence[447]. Mais ces tentatives relèvent plutôt, selon les historiens des sciences, de la légende[449].
Les études sur le vol et sur la machine volante sont l'occasion de découvertes plus ou moins conscientes et plus ou moins formulées : principe d'action-réaction — théorisé deux siècles plus tard par Isaac Newton —[442] ; un rapport poids-puissance musculaire incomparablement plus favorable à l'oiseau — ce qui est déterminé quatre siècles plus tard par Étienne-Jules Marey[447] ; phénomène de la traînée[445] ; principe de proportionnalité inverse entre vitesse et section dans le cadre de la mécanique des fluides[438] ; optimisation du centre de gravité d'un objet volant[446]. Finalement, pour ses recherches, il observe et s'inspire de l'anatomie et du vol des oiseaux et, à ce titre selon Pascal Brioist, il est « le père du biomimétisme »[450].
Mécanique générale
Dans ce domaine, Léonard de Vinci possède d'indéniables qualités : il se révèle un mécanicien observateur et imaginatif et un dessinateur brillant, même si son degré d'habileté n'est pas connu[451]. La plupart des innovations qu'il produit dans le domaine se font dans les années [452].
Ses sujets d'étude sont extrêmement variés : on trouve ainsi de nombreux automates, alors à la mode, comme le véhicule automobile à ressorts, le lion mécanique destiné aux festivités royales en qui fait l'admiration de ses protecteurs[453] ; il crée également un dessin de vélo dont on ne sait s'il s'agit d'un dessin autographe ou s'il est de la main d'un de ses élèves. Il se pourrait même qu'il date de l'époque du transfert du manuscrit par les troupes françaises en vers l'Institut de France[454]. Néanmoins, les machines sur lesquelles Léonard s'est penché avec le plus d'attention sont — après les machines volantes[435] — les machines textiles[455] : il place l'invention du métier à tisser au même niveau d'importance que celui de l'imprimerie car il constitue selon lui « une invention plus belle, plus subtile, porteuse de meilleurs gains »[456].
Dans ce domaine comme ailleurs, le maître s'inspire ici de ses devanciers : Francesco di Giorgio Martini, Roberto Valturio[457], Konrad Kyeser[457] ou Taccola[454]. De fait, en étudiant les treuils et les grues, Léonard de Vinci se place dans le contexte intellectuel de l'ingénierie de son temps puisque ces dispositifs sont les mécanismes les plus étudiés et représentés dans les traités de machines de la Renaissance[458]. La plupart de ces mécanismes sont nés de l'esprit de Filippo Brunelleschi[420].
Dans le domaine de la mécanique générale, Léonard de Vinci n'est donc pas le précurseur absolu que le passé a bien voulu faire de lui[312] : en fait, il tente surtout d'améliorer ce qui existe déjà et d'en régler des problèmes de détail[459]. Néanmoins, son véritable apport réside dans une recherche à mécaniser et automatiser des opérations courantes[460] dans le but de gagner du temps, de l'énergie et parce que c'est porteur d'innovations[456]. Sa réflexion est telle dans le domaine qu'il est ainsi parfois appelé par les observateurs modernes le « prophète de l'automatisation »[456].
Dernier centre d'intérêt, enfin, il travaille, comme nombre de ses contemporains, à résoudre le problème du mouvement perpétuel, mais il réalise rapidement que cette recherche est vaine. Il produit ainsi des dessins de mécanismes afin d'en prouver l'impossibilité par l'absurde : « Ô spéculateurs du mouvement perpétuel, combien de vaines chimères avez-vous créées dans cette quête ? Allez occuper la place qui vous revient parmi ceux qui cherchent la pierre philosophale »[86].
Ingénieur hydraulicien
L'hydraulique constitue un des domaines de prédilection de Léonard de Vinci et ce, dès les années -[461]. Mais son travail, dans les années , sur la « Cité Idéale » à Milan, constitue une entreprise fondatrice dans le domaine puisque la gestion de l'eau en termes de flux constitue le point central de sa réflexion[462]. Autre aspect de sa réflexion, il s'y intéresse lors de son séjour à Venise en alors que la cité cherche des solutions pour se défendre d'une possible invasion des Turcs : il propose d'inonder les environs de la cité-état en guise de moyen de défense[463]. Puis, lors de son séjour romain, il étudie les moyens d'évacuer les eaux stagnantes des marais pontins au sud de Rome. Mais la mort du commanditaire, le cardinal Julien de Médicis en arrête définitivement les travaux[464].
Témoin le plus important de son activité, le Codex Leicester (vers 1504-1508) — le plus vaste et complet écrit du maître sur le sujet — traite exclusivement de l’eau dans toutes ses manifestations et est rédigé alors que Léonard se trouve en Toscane[320]. Les recherches de Léonard comprennent alors des relevés topographiques, des calculs, des projets d’excavation[465], des plans d'écluses, de barrages[466]; Il y envisage les machines hydrauliques comme sources d'énergie autre que la force animale[467].
Ici également, il s'inscrit dans une lignée d'ingénieurs comme Mariano di Jacopo (dit « Taccola »), qui, dans son traité technologique De Ingeneis, dessinait déjà les ouvrages d'art comprenant ponts-siphons, aqueducs, tunnels, des vis d'Archimède ou norias[403], et Francesco di Giorgio Martini, qui élaborait quant à lui quantité de machines mues par l’énergie hydraulique (pompes, foulons, scies ou moulins)[403], et, enfin, Leon Battista Alberti et son De Re Aedificatoria qui s'intéresse à la puissance des cours d'eau et des tourbillons[403].
Le travail de Léonard sur l'hydraulique fait que ses compétences dans le domaine sont reconnues par ses contemporains. François Ier le charge ainsi de l'aménagement fluvial dans le cadre du projet urbanistique du roi à Romorantin[468].
Ses activités le conduisent à étudier divers projets au nombre duquel se trouve la défense de Venise d'une éventuelle attaque turque par l'inondation de zones terrestres par les eaux du fleuve Isonzo. Contrairement à l'idée répandue que ses études ne débouchent jamais sur des réalisations concrètes, il semble que des essais aient été conduits avec succès puisqu'en et en , il les évoque dans ses notes[462].
Entre et , il rédige le début d'un Traité des Eaux dans lequel il a pour ambition de mettre en place une méthodologie alliant théorie et expérience[462] voire à faire primer les connaissances théoriques sur la pratique[320] : ainsi, il conduit des expériences avec notamment de l'eau colorée et des maquettes comportant des parois en verre, desquelles il tire des conclusions conceptuelles[469].
De fait, ses apports sont indéniables dans le domaine : il est ainsi le premier à étudier de façon systématique la formation des lits des rivières[470]. De même, personne avant lui n'articule à ce point, « comme dans le Milanais, une entreprise urbanistique hygiéniste et une planification du développement de la région fondé sur la maîtrise de l’eau »[471].
Pourtant, il demeure fils de son temps, avec ses théories erronées. Ainsi, Bertrand Gille note-t-il que « si Leonard possède effectivement des connaissances sur la nature et sur la puissance virtuelle de la vapeur d'eau, il en arrive, après des vues fort justes à des aberrations totales. Dans un passage, il nous montre l'origine des fleuves dans la chaleur volcanique »[472].
Dans l'esprit de Léonard de Vinci
La pensée de Léonard de Vinci
Léonard reçoit l’enseignement des écoles dites d’abbaco où se donne un enseignement pratique, notamment celui des mathématiques appliquées, destinées aux marchands. On y enseigne la Règle de trois que l'on applique à une succession d’analogies entre plusieurs exemples traités. Un enseignement complémentaire moral et religieux composé de lectures commentées de textes comme des romans de chevalerie ou diverses écritures en langue vernaculaire. Léonard ne reçoit pas l’enseignement des scuole di lettere préparant à l’université, il n'apprend ni le latin classique, ni le grec ancien et la lecture des auteurs de l’Antiquité ne lui est accessible que par de rares traductions[474].
L'humain avant la nation
Face à toute tentative d’identification nationale italienne ou française, Serge Bramly, biographe de Léonard de Vinci, souligne que, l’Italie n’étant apparue qu’au XIXe siècle, il est impossible d’en accoler la nationalité au maître. Pour le chercheur, Léonard, plus attaché aux individus qu’à une nation, est plutôt défini par ses contemporains comme toscan. Sa maîtrise limitée du latin et du grec le confirme : Léonard écrivait plutôt en toscan populaire, même avec des interlocuteurs étrangers[475].
En outre, évoluant de Florence à la France — sous l'invitation de François Ier — en passant notamment par Milan, il travaillait sans scrupules pour diverses cités ou gouvernements rivaux qui composaient alors la péninsule italienne. Léonard choisissait ses affiliations en fonction des circonstances politiques et non en fonction d’une loyauté nationale rigide[475].
C’est, par ailleurs, après la bataille de Marignan provoquant la chute de son ancien protecteur de longue date Ludovic Sforza que Léonard reçoit la proposition de François Ier d'entrer à son service. Celui-ci, après quelques hésitations, accepte et se fait même octroyer une naturalisation. Pour Serge Bramly, les frontières changeantes d'alors relativisaient toutes formes d’affiliations nationales. Il considère plutôt Léonard comme un homme réfléchi dans une époque tumultueuse. Époque durant laquelle les artistes avaient davantage intérêt à saisir des opportunités leur apportant bienfaits et confort qu’à respecter une quelconque fidélité nationale. Face à toute étiquette de mercenaire, le biographe préfère qualifier Léonard d'humaniste universel lui réfutant l'idée même d’une identité nationale exclusive. Pour le maître, l'élévation de l'humanité prévalait sur les priorités locales ou gouvernementales, le plaçant plutôt dans la perspective du progrès humain que dans une identité nationale spécifique[475].
Expérience et analogie
Face aux railleries des hommes de lettres Léonard revendique être un « homme sans lettres » et affirme une culture de l’expérience directe, un mélange d’empirisme qui se libère des théorèmes préétablis et de naturalisme pour lequel tout ce qui existe peut être expliqué par des causes ou des principes naturels. Il se méfie des « sciences mensongères » et, plus indirectement, de la théologie préférant déduire la théorie de l’expérience : « au préalable, je me livrerai à une expérience avant d’aller plus loin, car j’ai l’intention d’alléguer d’abord l’expérience, puis de montrer par le raisonnement pourquoi cette expérience produit forcément ce résultat ». Mais, à partir de , Léonard fait une grande consommation de livres ; il prend conscience de l'importance de la Praxis et de la nécessité de faire évoluer l'expérience dans un cadre théorique : l'observation et la théorie sont complémentaires, si la première est source de la seconde, cette dernière doit être validée par d'autres observations[476],[477],[478].
Léonard rêve d'une synthèse totale des connaissances donnant accès à une forme de grâce. Cela le rapproche des néoplatoniciens avec qui il a sans doute quelques contacts, mais, ignorant le latin et le grec, il ne peut les côtoyer et les connaître vraiment. Cependant, comme eux, sa pensée se construit autour d'une analogie entre l'organisme humain et la structure du monde, le microcosme et le macrocosme. Jusqu’au début des années 1500, ce mode de pensée le guide dans la totalité de ses recherches : il utilise par exemple cette méthodologie pour développer ses recherches anatomiques, pour s'inspirer des tourbillons de l’eau afin de dessiner la chevelure de ses personnages, pour étudier ses machines volantes en observant le vol des oiseaux ou encore pour établir les plans d'une ville qu'il considère comme un corps humain à qui il faudrait un « médecin architecte » pour la soigner. Mais, vers la fin de sa vie, cette recherche de la grâce se trouve contrariée par un pessimisme croissant où, dans sa vision du monde, la nature entrave, par ses destructions, l’œuvre des hommes[479],[331],[480],[481].
L'écriture de Léonard, reflet de son être
L'écriture de Léonard ainsi que les hachures de ses dessins indiquent qu'il est gaucher : il s'agit du meilleur moyen de lui attribuer des œuvres dessinées. Bien qu'il soit capable d'écrire à l'endroit — il écrit sans inversion pour signer et annoter des contrats notariés — et qu'il peigne sans doute des deux mains, son écriture est souvent spéculaire, en conséquence de quoi les chercheurs ont longtemps cru qu'il cryptait ses écrits afin de les cacher à des yeux trop curieux. Il n'en est rien : le sens normal d'écriture pour un gaucher présente le risque de tacher le papier en faisant glisser sa main sur l'encre encore humide ; c'est cette raison que met en avant l'ami de Léonard, le mathématicien Luca Pacioli, qui explique en outre que ses écrits sont aisément lisibles en se servant simplement d’un miroir. Enfin, une note écrite datable de prouve qu'il écrit ainsi depuis sa jeunesse afin de consigner les sujets les plus banals[482],[260],[483].
Le XVe siècle connaît un clivage intellectuel et social entre une science théorique et une science pratique. Or Léonard en est un exemple frappant : ainsi, dans l’inventaire des livres qu'il possède en , les chercheurs ne relèvent aucun ouvrage de philosophie, d’histoire, de théologie ou de littérature, mais bien des œuvres de vulgarisation de philosophie ou de sciences[484].
À ces deux sciences correspondent deux écritures : l’humanistica et la mercantesca. Cette dernière est utilisée pour la traduction de textes en langue vulgaire (Dante, de Boccace…), pour les journaux personnels et pour les chroniques. Cette écriture est également d'usage au XVe siècle chez les artistes de botteghe (ateliers) comme chez Andrea del Verrocchio. Les livres populaires comme de petits traités techniques ou des livres de cuisine sont également écrits en mercantesca et sont souvent accompagnés des dessins comme sur les carnets de Léonard. Par ailleurs, il existe une autre forme d'écriture : la lettera mancina, « lettre gauchère », plus libre, plus spontanée et utilisée pour soi-même[485].
L'historienne de l'art Catherine Roseau remarque qu'il se pourrait que Léonard — qui conseillait à ses élèves de regarder leurs peintures à travers un miroir afin de porter dessus un œil neuf pour mieux les corriger — trouve dans cette forme d'écriture une manière qui lui est propre d’appartenance au monde ; un peu comme s'il se considérait comme l'image microcosmique inversée du macrocosme du monde. Par l'usage de l'écriture spéculaire, Léonard pourrait se sentir comme un miroir tendu au monde et qui lui présenterait une réalité plus imaginaire[486].
La psyché de Léonard de Vinci
Comparé à d'autres personnages historiques de son époque, Léonard laisse derrière lui un des témoignages les plus importants qu'un historien pourrait posséder sur l'activité cérébrale d'un être humain, mais presque rien à propos de ses émotions, de ses goûts et de ses sentiments. Les bribes de phrases qui laissent entrevoir un sentiment plus subjectif sont très rares, atypiques ou incomplètes. Par exemple, la mort de son père n'est commentée que par deux brèves notes dont l'une écrite à l'aide d'une écriture normale, de gauche à droite, alors qu'il a une écriture habituellement inversée. Léonard écrit toutefois quelques fables qui permettent de comprendre ses états d'âme par rapport à tel ou tel aspect de sa vie[487],[488].
Une personnalité contradictoire
Daniel Arasse souligne la personnalité contradictoire de Léonard : amoureux de la nature et de la vie, mais fasciné par les bruits de la guerre ; homme aimable, attirant et affable, homme de cour et pourtant invétéré chercheur solitaire pour qui grâce et savoir ne font qu'un (voir plus haut l’allégorie de la Femme debout dans un paysage), certains aspects de son œuvre comme ses personnages grotesques — qu'il qualifie de « laideurs idéales » —, ses dragons, ses allégories ou certaines de ses prophéties semblent indiquer qu'il est habité par de sombres idées tant sur l'humanité que sur lui-même[489]. Son choix du végétarisme semble y trouver sa source[490] et les prophéties et dessins de déluges balayant toutes traces d'activité humaine vont s'accroissant vers la fin de sa vie[491]. Il en vient même à façonner une véritable cloison entre ses émotions intimes et sa vie publique et à passer auprès des gens de cour tantôt pour une sorte de magicien fantasque par ailleurs souvent l'organisateur de leurs fêtes et spectacles tantôt pour un sage magicien si cher aux néoplatoniciens. Mais ce magicien semble pour Arasse être une sorte de masque, un persona, que Léonard l'« homme sans image » — même la peinture ne peut rien laisser de l'identité de l'artiste alors que celui-ci doit intimement s'identifier à son sujet[273] — qui ne lui semble pas être autre chose qu'une « forme errante » choisi « comme écran pour lui-même [...], celle d'un artiste philosophe, amant d'une beauté originelle, démiurge de fictions, enquêteur de toutes choses, mis à part Dieu »[489].
Le solitaire mondain
La triste fable d'une pierre de campagne illustre sans doute une raison de l'isolement de Léonard. Entourée de fleurs colorées, attirée par ses sœurs citadines, la pierre roule sur le chemin en pente vers la ville où elle est écrasée par les passants, salie par la fiente des animaux et polie par les différents mouvements de la ville. Cette fable semble exprimer que Léonard regrette la paisible vie d'enfant qu'il menait auprès de ses parents d'adoption à la campagne de Vinci. Même s'il est attiré par les lumières des cours et des villes dans lesquelles il organise spectacles et fêtes fantasques Léonard semble regarder, comme la pierre de loin et avec nostalgie, « ce lieu de solitude et de paix sereine » qu'il a quitté pour vivre « en ville, parmi des gens d’infinie malignité »[487].
Les carnets de Léonard renferment maintes maximes célébrant la solitude et la campagne : « Quitte ta famille et tes amis, traverse monts et vallées pour rejoindre la campagne » ou encore « tant que tu es seul, tu es ton propre maître »[487]. De fait, pour le peintre l'activité picturale nécessite pour être menée à bien, « une forme profane de vie contemplative » et insiste plusieurs fois sur l'obligation d'être seul afin de méditer sur son art : « le peintre doit être solitaire, considérer ce qu'il voit, parler avec lui-même ». Tout cela, même si dessiner en compagnie reste bénéfique afin de tirer profit des avantages de l'émulation[492] et que Léonard passe la plus grande partie de sa vie à Florence, Milan et Rome, au contact des centres de créativité et de commerce surpeuplés, généralement entouré de ses élèves, de ses compagnons ou à la quête de mécènes[487].
Amis et amours
Léonard de Vinci a beaucoup d'amis reconnus dans leurs domaines respectifs où ils possèdent une importante influence sur l'histoire de la Renaissance. Il s'agit notamment du mathématicien Luca Pacioli dont il illustre le livre De divina proportione ; César Borgia au service duquel il passe deux années ; Laurent de Médicis et le médecin Marcantonio della Torre avec qui il étudie l'anatomie. Il rencontre Michel-Ange dont il est rival et témoigne d'une « connivence intime » avec Nicolas Machiavel, les deux hommes développant une étroite amitié épistolaire[493]. Léonard semble ne pas avoir eu d'étroites relations avec des femmes, sauf avec Isabelle d'Este pour qui il a fait un portrait au bout d'un voyage qui le mène à Mantoue. Ce portrait semble avoir été utilisé en préparation d'une peinture, aujourd'hui perdue[494]. Il était également ami de l'architecte Jacopo Andrea da Ferrara jusqu'à l'exécution de ce dernier en à Milan[495].
De son vivant, ses capacités extraordinaires d'invention, son « exceptionnelle beauté physique », sa « grâce infinie », sa « grande force et générosité », la « formidable ampleur de son esprit », telles que décrites par Vasari, attisent la curiosité de ses contemporains. Mais, au-delà de ses relations amicales, Léonard garde sa vie privée très secrète[496]. Sa sexualité est souvent l'objet d'études, d'analyses et de spéculations commencées au milieu du XVIe siècle et relancées au cours des XIXe et XXe siècles, notamment par Sigmund Freud dans Un souvenir d'enfance de Léonard de Vinci, publié en , pour lequel plusieurs exégètes démontrent l'existence de certaines incohérences notamment par Meyer Schapiro en et Daniel Arasse en . Ce dernier voit, dans le récit analysé par Freud et dans la fable de la Guenon et l'oiseau (également écrite par Léonard), une peur de l'étouffement maternel et une acceptation de sa situation d'enfant illégitime[497].
« Trouvant un nid de petits oiseaux, la guenon toute contente s’empresse ; ils étaient en état de voler, elle ne garda que le petit. Pleine d’allégresse, elle le prit dans ses mains et alla à son gîte et se mit à considérer l’oiselet et à le baiser. Et, par ardente tendresse, elle le baise tant et l’étreint, de sorte qu’elle l’étouffe. Ceci est dit pour ceux qui, ayant mal corrigé leurs fils, ceux-ci finissent mal. »[498]
— Léonard de Vinci, Codex Atlanticus folio 67 r-a
Au contraire de Michel-Ange, homme pieux partagé entre l'ascèse et l'extase s'imposant le célibat, Léonard n’est pas catholique pratiquant et n’éprouve aucun tourment à l’idée d’avoir des compagnons masculins, parmi lesquels se trouve l'un de ses élèves turbulent : Gian Giacomo Caprotti dit Salai[499]. Dans l'Italie du Quattrocento et plus particulièrement à Florence, l'amour entre hommes n'est pas socialement rejeté, même si la pratique de la sodomie y reste sévèrement réprimée. Francesco Melzi, élève et fils adoptif de Léonard dont la beauté douce ressemble à celle de Salaï, écrit que les sentiments de Léonard étaient un mélange d'amour et de passion[500]. Le rôle que joue la sexualité de Léonard dans son art semble très présent en particulier dans l'impression androgyne et érotique qui se manifeste dans plusieurs de ses dessins et dans ses tableaux Bacchus et Saint Jean Baptiste[501],[502]. Cependant, l'homosexualité supposée platonique et courtoise, voire refoulée, de l'artiste, reste hypothétique. Il semble même avoir eu des relations hétérosexuelles avec une courtisane nommée Cremona. Quoi qu'il en soit, il reste très difficile de se prononcer sur les mœurs de Léonard qui déclare, par ailleurs, ressentir de la répugnance pour le coït[503],[504],[505].
« L'acte du coït et les membres qui y concourent sont d'une telle hideur que, n'était la beauté des visages, les ornements des acteurs et la retenue, la nature perdrait l'espèce humaine. »[506]
— Léonard de Vinci
Végétarisme
Léonard est réputé être végétarien. Mais ce choix alimentaire, généralement attribué au doux artiste qui achète des oiseaux en cage sur les marchés afin de les libérer tel que le décrit Gorgio Vasari, est motivé par de plus étranges et terribles images : il condamne violemment la nature humaine pour les atrocités que son caractère carnivore ancestral peut provoquer. Pour lui, l'homme « Roi des bêtes sauvages » dont le gosier est un « tombeau pour tous les animaux » est, contrairement à l'animal, capable de tuer ses congénères par plaisir : « mais toi, en plus de tes enfants, tu dévores père, mère, frères et amis ; et cela ne te suffit pas, tu vas chasser sur le territoire des autres, prenant les autres hommes, mutilant leur membre viril et leurs testicules, tu les engraisses et tu les fais passer par ta propre gorge ». Mais il accole à ce cannibalisme des expressions comme « les animaux qu'on castre », « les bêtes qui servent à faire le fromage » et « plats cuisinés avec les truies »[507]. Ce choix alimentaire semble être confirmé par une lettre que l'explorateur Andréa Corsali adresse des Indes à Julien de Médicis : « Ils ne se nourrissent pas d'aliments contenant du sang, et même entre eux ils ne permettent que l'on nuise à aucune chose animée, comme notre cher Léonard de Vinci »[508].
Le critique d'art Alessandro Vezzosi rappelle toutefois que Léonard pratique la vivisection et qu'il achète parfois de la viande. De plus, le peintre formule les mêmes remarques à propos des fruits de la terre : « Noix, olives, glands, châtaignes et autres, beaucoup d'enfants seront arrachés des bras de leur mère, avec des coups impitoyables, et jetés terre puis mutilés » (Codex Atlanticus, 393 r.)[508].
« Homme, si vous êtes vraiment, comme vous le décrivez, le roi des animaux, — j'aurai dit plutôt le roi des brutes, la plus grande de toutes ! — pourquoi prenez-vous vos sujets et enfants pour satisfaire votre palais, pour des raisons qui vous transforment en une tombe pour tous les animaux ? […] La Nature ne produit-elle peut-être pas en abondance des aliments simples ? Et si vous ne pouvez pas vous contenter de tels aliments simples, pourquoi ne préparez-vous point vos repas en mélangeant entre eux ces aliments de façon sophistiquée ? »
— Léonard de Vinci, Quaderni d’Anatomia II 14 r
L'installation d'une légende
Aux sources de la légende
Les principales sources d'époque qui concernent Léonard de Vinci sont d'une part ses carnets qu'il a rédigés tout au long sa vie et, d'autre part, trois documents qui lui sont presque contemporains : un chapitre de Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes du peintre Giorgio Vasari ; l'Anonimo Gaddiano un manuscrit anonyme daté des années ; et Libro dei sogni écrit dans les années par Giovanni Paolo Lomazzo dont le maître de peinture est un ancien élève de Léonard. Par ailleurs, des contemporains de Léonard, Antonio Billi, marchand florentin, et Paul Jove, médecin et historien italien, ont écrit deux comptes rendus plus courts[509].
Ses feuilles de recherches parvenues jusqu'à l'époque contemporaine représentent quelque 7 200 pages de notes et de croquis[510]. Elles ne constituent toutefois qu'une portion de la quantité de documents que le maître laisse derrière lui à sa mort. Leur collection en différents codex a été collectée, organisée et constituée par différents passionnés, parfois longtemps après la mort du peintre[333]. Rédigées tout au long de sa carrière, elles sont constituées de notes, calculs mathématiques, machines volantes, accessoires de théâtre, oiseaux, têtes, anges, plantes, armes de guerre, fables, devinettes, ébauches et réflexions diverses ; en outre, toutes ces notes y apparaissent suivant le fil de la pensée, comme guidées par le seul hasard. Ces carnets sont une énorme source d'informations sur lesquelles les chercheurs s'appuient pour tenter de saisir le fonctionnement mental « fiévreux, créatif, maniaque et parfois exalté » du maître[510].
Les Vite de Giorgio Vasari (né en , soit huit ans avant la mort de Léonard), sont publiés en . Premier véritable ouvrage d’histoire de l’art, l'ouvrage est revu et complété en sur la base d'entretiens plus détaillés avec des personnes qui ont fréquenté Léonard. Mais Vasari est un Florentin fier de sa ville, il propose un portrait presque dithyrambique de Léonard qui est notamment décrit, avec Michel-Ange, comme l'un des pères d’une « renaissance » artistique (première trace écrite de ce terme). L'ouvrage est constitué d'un mélange de faits vérifiés et d'on-dit, d’hagiographies et d'anecdotes destinées à frapper les esprits[511].
L'Anonimo Gaddiano (ouvrage dont le titre provient du nom de la famille qui en est la première propriétaire) est un manuscrit anonyme qui date des environs de . À l'instar des Vite, il mêle également détails pittoresques, enjolivés ou exacts, sur Léonard[512].
Le Libro dei sogni, enfin, est un manuscrit non publié et rédigé par Giovanni Paolo Lomazzo dans lequel il livre des informations importantes sur Léonard — et, de manière très loquace, sur ces orientations sexuelles — à partir d'entretiens d'un des élèves du maître[512].
De l'histoire au mythe
Historiquement, Léonard de Vinci représente la figure idéale de l'artiste-ingénieur, c'est-à-dire celle de l'esprit universel propre à période de la Renaissance[513], vu comme un personnage situé entre Faust et Platon, ayant consacré sa vie à la recherche de la connaissance[514]. Cette image trouve son fondement dans celle de l'uomo universale de la Renaissance que décrit l'Anonimo Gaddiano à travers sa formule, « Il fut si exceptionnel et universel qu'on peut le dire né d'un miracle de la nature »[515] et telle que le public contemporain se la représente[516]. En , la critique d'art Liana Bortolon (it) loue son génie dans son livre The Life and Times of Leonardo : « En raison de la multiplicité de ses centres d'intérêts qui l'ont poussé à questionner tous les domaines de la connaissance, Léonard peut à juste titre être considéré comme le génie universel par excellence, et ce avec toutes les connotations inquiétantes que possède le terme. Face à un tel génie, toute personne est aussi mal à l'aise aujourd'hui qu'elle l'était au XVIe siècle. Cinq siècles se sont écoulés, mais nous regardons toujours Léonard avec admiration »[517].
Or une telle perception correspond à l'image que Léonard tente de se construire de son vivant : il désire en effet marquer l'histoire et s'attache pour cela à magnifier son art, à gagner une liberté vis à vis de ses commanditaires et à multiplier les recherches scientifiques et en ingénierie — surtout militaire[518]. De fait, cette vision idéalisée lui est contemporaine : sa renommée est alors telle que sa venue à la cour du roi François Ier confère à ce dernier un prestige immense[519] et la légende qui décrit un roi tenant dans ses bras un Léonard de Vinci mourant en est le symbole[N 18],[520]. Plus tard, dans ses Vite, Giorgio Vasari introduit ainsi son chapitre sur Léonard de Vinci par cet éloge :
« Le ciel dans sa bonté rassemble parfois sur un mortel ses dons les plus précieux, et marque d'une telle empreinte toutes les actions de cet heureux privilégié qu'elles semblent moins témoigner de la puissance du génie humain que de la faveur spéciale de Dieu. […] Sa prodigieuse habileté le faisait triompher facilement des plus grandes difficultés. Sa force, son adresse, son courage avaient quelque chose de vraiment royal et magnanime ; et sa renommée, éclatante pendant sa vie, s'accrut encore après sa mort[521]. »
C'est principalement à son œuvre peint que Léonard doit sa renommée, « sa réputation de peintre [ayant] toujours été incontestée »[522]. Ainsi, lorsqu'il arrive à la cour milanaise de Ludovic Sforza en , c'est bien son talent d'artiste qui est d'abord reconnu puisqu'il est reçu avec le titre d'« Apelle florentin », en référence au célèbre peintre grec de l'Antiquité. Ce titre lui laisse l'espoir de trouver une place et de toucher ainsi un salaire et au lieu d'être simplement payé à l'œuvre[523]. Plus tard, Vasari met en avant le fait que l'art léonardien a permis de « tirer un trait sur le Moyen Âge et son art étranger à la nature », lui seul ayant permis l'élévation de l'art pictural à un niveau supérieur[522]. Confortant ce jugement, Baldassare Castiglione, auteur du Livre du courtisan, écrit en : « Un autre des plus grands peintres de ce monde, qui regarde d'en haut son art dans lequel il est sans égal »[524].
Appuyant cette aura, la première édition bilingue français-italien de son Traité de la peinture (Trattato della pittura di Leonardo da Vinci), est publiée à Paris en [525]. Ses tableaux ne sont alors pas étudiés, n'étant redécouverts, comme ses Carnets : le premier carnet à être étudié correspond à des extraits inédits des manuscrits du Codex Atlanticus que le physicien italien Giovanni Battista Venturi transcrit en à Paris[526].
Plus tard, sa figure d'artiste est louée par les écrivains tel, en , Johann Heinrich Füssli pour qui « lorsque Léonard de Vinci apparut avec une splendeur qui distançait l'excellence habituelle : composé de tous les éléments qui constituent l'essence même du génie »[527]. Cette vision est confirmée par des auteurs comme Théophile Gautier qui le décrit en comme ces artistes dont « on dit qu'ils ont habité des sphères supérieures et inconnues avant de venir se refléter sur la toile »[528], Sar Péladan ou Walter Pater qui en dressent « un portrait mystérieux et inquiétant »[529], ou, enfin, Charles Baudelaire qui, dans « Les Phares » au sein de son recueil de poèmes Les Fleurs du mal, célèbre l'ambiguïté du sourire des personnages de ses tableaux :
Léonard de Vinci, miroir profond et sombre,
Où des anges charmants, avec un doux souris
Tout chargé de mystère, apparaissent à l'ombre
Des glaciers et des pins qui ferment leur pays
— Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal - Les Phares)
Enfin, le célèbre historien d'art Bernard Berenson écrit en : « Léonard de Vinci est le seul artiste dont on puisse dire avec une parfaite exactitude : tout ce qu'il a touché s'est transformé en objet d'une éternelle beauté. Qu'il s'agisse de la section transversale d'un crâne, de la structure d'une mauvaise herbe ou d'une étude des muscles, il l'a, avec son sens de la ligne, de la lumière et de l'ombre, à jamais transformé en valeurs qui communiquent la vie ; et tout cela sans le vouloir, car la plupart de ces esquisses magiques ont été jetées pour illustrer une réflexion purement scientifique, qui seule absorbait son esprit à ce moment-là »[530].
Néanmoins, si ses contemporains reconnaissent la qualité de son art, ils émettent tout de même des réserves à cause de l'inachèvement qui le caractérise : Baldassare Castiglionne regrette ainsi qu'il « méprise un art où il excelle et s'est entiché de philosophie ; et il a dans ce domaine des idées si étranges et tant de chimères qu'il ne saurait les peindre avec sa peinture »[531].
Les domaines scientifique et technique ont sans conteste achevé de forger la légende auprès du grand public contemporain d'un Léonard omniscient et absolu : à côté du peintre et dessinateur d'un immense talent, Léonard est en effet perçu comme un technicien hors pair et l'inventeur visionnaire d'objets technologiques modernes, comme l'avion, l'hélicoptère, le parachute, le sous-marin, l'automobile ou la bicyclette[532].
Or la découverte, d'abord chez les scientifiques puis le grand public, de cet aspect de sa carrière est relativement récente puisqu'elle ne remonte qu'à la charnière des XVIIIe et XIXe siècles avec la redécouverte des plus de 6000 feuillets portant ses recherches — soit 12000 pages — que Léonard a laissées derrière lui[343],[533]. D'abord tombée dans l'oubli à la mort du maître en , son activité scientifique et technique est quelque peu redécouverte à la réapparition partielle en de ses carnets, compilés et publiés par Giovanni Battista Venturi[529]. L'importance quantitative de ces notes font qu'il est rapidement perçu comme un « précurseur absolu et solitaire qui, avec des siècles d'avance, aurait précédé l'humanité dans tous les domaines de l'activité et du savoir »[312]. Au milieu du XXe siècle encore, l'historien des sciences et de la technologie Bern Dibner en fait un « prophète » de l'ingénierie, « le plus grand ingénieur de tous les temps », son travail étant celui d'un visionnaire d'autant plus méritoire qu'il évoluait alors dans un contexte où les technologies demeuraient encore rudimentaires et où les sources d'énergie étaient encore relativement limitées[426]. En , Hippolyte Taine écrit ainsi : « Il ne peut sans doute pas y avoir dans le monde un exemple d'un génie si universel, si capable de s'épanouir, si empli de nostalgie envers l'infini, si naturellement raffiné, si autant en avance sur son propre siècle et les siècles suivants[534]. En Paul Valéry fait l'éloge de la pensée de Léonard « Je me propose d’imaginer un homme de qui auraient paru des actions tellement distinctes que si je viens à leur supposer une pensée, il n’y en aura pas de plus étendue. Et je veux qu’il ait un sentiment de la différence des choses infiniment vif, dont les aventures pourraient bien se nommer analyse. Je vois que tout l’oriente : c’est à l’univers qu’il songe toujours, et à la rigueur (note: Hostinato rigore ; obstinée rigueur, Devise de L. de Vinci »[535]. Enfin, Bernard Berenson affirme que « si grand qu'il fût comme peintre, il n'en était pas moins réputé comme sculpteur et architecte, musicien et improvisateur, et que toutes les occupations artistiques, quelles qu'elles soient, n'étaient dans sa carrière que des moments arrachés à la poursuite des connaissances théoriques et pratiques. Il semblerait qu'il n'y ait guère eu de domaine de la science moderne qu'il n'ait soit prévu en vision, soit clairement anticipé, ni ne fut-ce qu'un domaine de spéculation fructueuse dans laquelle il n'était pas un libre ; et comme s'il n'y avait guère de forme d'énergie humaine qu'il ne manifestât »[536]. Perdurant aujourd'hui, la perception qu'a le grand public de l'œuvre artistique, scientifique et technique du maître est parfois si éloignée de la réalité historique que certains observateurs considèrent que « le mythe a pris le pas sur l'histoire »[520].
Léonard de Vinci au-delà du mythe et de la légende
L'image de Léonard artiste a peu pâti de la critique et de la science contemporaines : son Traité de la peinture n'est publié qu'en ; Léonard de Vinci est alors connu uniquement comme un artiste, et ce, jusqu'au XVIIIe siècle. En complément, ses documents sont partiellement compilés en par Luca Beltrami puis par Gerolamo Calvi mais ce n'est qu'en que l'ensemble de ses codex sont totalement publiés[537]. C'est ainsi qu'à partir de la fin du XIXe siècle, l'histoire moderne de l'art « qui s'appuie sur des sources, documents et faits, et fixe des critères cohérents » s'attache surtout à réévaluer sur ces bases scientifiques les attributions au peintre d'œuvres que les historiens de l'art du début du XIXe siècle lui avaient trop facilement octroyées afin, notamment, de contenter les musées cherchant tirer parti de la renommée du peintre afin d'attirer le public[537]. Ce n'est ainsi qu'à partir des années - que le catalogue des œuvres peintes du maître se stabilise scientifiquement à un nombre de 17 à 19 peintures [531]. Pour autant l'art du maître n'est pas remis en cause par les critiques et observateur : son dessin est toujours jugé inimitable, avec une maîtrise parfaite des techniques à sa disposition ; quant à son œuvre picturale, elle est toujours reconnue parmi les fleurons de l'art occidental, porteuse d'innovations formelles et témoignant d'indéniables qualités techniques[538],[217].
La figure du peintre demeure ainsi encore marquée d'une aura quasiment divine au sein de l'imaginaire du public et n'est guère remise en cause par les historiens et critiques d'art. La renommée de l'artiste est telle que les expositions qui lui sont consacrées attirent les foules et ses œuvres se vendent à des sommes exorbitantes[520] : ainsi, le , son tableau Salvator Mundi, dont l'authenticité reconnue en est souvent remise en question, est vendu à New York chez Christie's pour la somme de 450,3 millions de dollars, ce qui en fait la toile la plus chère du monde et de l'histoire[539].
Si la figure de l'artiste demeure encensée, celle du scientifique et ingénieur, en revanche, est fortement relativisée à l'époque contemporaine. Sa postérité dans ces domaines s'est construite par à-coups, au gré de la diffusion, de l'oubli puis de la redécouverte de ses écrits ainsi que de celle de ses prédécesseurs et contemporains : s'il bénéficie d'une réelle reconnaissance de la part de ses contemporains, son travail subit un relatif oubli après sa mort ; une reconnaissance de ses qualités, démesurée et tardive, naît lors de la redécouverte de ceux-ci au XIXe siècle ; cette reconnaissance est fortement mise en doute au milieu du XXe siècle puis est relativisée au début des années 1980[343],[320].
Ainsi la seconde moitié du XXe siècle voit une forte remise en question voire un désaveu de ses qualités en ingénierie à la suite, notamment, des travaux de Bertrand Gille[540] pour qui « la science technique de Léonard de Vinci est extrêmement fragmentaire, elle semble ne pas aller au-delà d'un certain nombre de problèmes particuliers, traités très étroitement »[346]. Il apparaît de fait que bon nombre des croquis, notes et traités de Léonard de Vinci ne sont pas des inventions originales, mais le résultat d'une compilation de savoirs plus anciens[541]. Troisième moment, avec les années , on assiste à un retour à un équilibre entre les deux extrêmes d'une figure idéalisée et d'une figure tout à fait banalisée[422].
Dans les années , le travail de Léonard de Vinci est remis en contexte : il apparaît alors que nombre des inventions du maître sont en fait des « propositions à nouveaux frais et des réinterprétations de solutions provenant d’un tissu technologique déjà élaboré et bien articulé » mais si cette appropriation est bien effective, elle est réalisée de manière systématisée[533]. Comble de l'injustice, ce sont justement ses travaux les plus pointus et révolutionnaires qui sont le moins connus. Dans le domaine de l'anatomie, par exemple, les travaux de Léonard ne sont redécouverts et publiés que vers , et ce, malgré le travail de tri que Francesco Melzi conduit dans la masse de documents en désordre durant les cinquante années qui suivent la mort du peintre et alors que Pompeo Leoni achève cette organisation de feuilles volantes qu'il réunit sous forme de codex. Or, malgré leurs qualités, ces travaux semblent n'être perçus que comme des curiosités[542].
La réévaluation du travail et de l'apport de Léonard dans le contexte de l'ingénierie de la Renaissance permet de regarder « Léonard de Vinci comme l’un des principaux témoins de son temps et utilisent ses manuscrits pour offrir une vision plus complète du panorama technologique de la Renaissance »[543]. Dès lors, selon l'historien des sciences Alexandre Koyré, il ne faut pas voir Léonard de Vinci comme un « technicien » mais plutôt comme un « technologue »[544], soulignant ainsi « sa propension à considérer la technique bien au-delà du point de vue exclusivement empirique, c’est-à-dire théorique »[533]. Dernier apport, pour Pascal Brioist, si on ne peut parler de démarche expérimentale mais de démarche protoexpérimentale concernant la méthode de Léonard, il s'agit tout de même d'une « démarche […] radicalement neuve ». Néanmoins, il ne faut pas voir dans l'expérience de Léonard une démarche identique à celle du laboratoire telle qu'elle est mise en place par Robert Boyle au XVIIe siècle mais reste fondée sur l'atelier où la preuve n'est recherchée que dans la matérialité ; de même, il propose des expériences de pensée qui ne reposent pas sur un protocole expérimental[347].
Néanmoins, ces connaissances scientifiques n'empêchent pas la survie au sein du grand public de l'image d'« un peintre génial, un savant omniscient, l'inventeur de bien des technologies de notre temps, mais aussi l'initié aux secrets de toutes les civilisations »[529].
Postérité
Expositions et musées
À l'aune de cette perception, la renommée actuelle de Léonard de Vinci est telle que celui-ci est devenu « un label, un produit de grande consommation, une icône culturelle » dont ne peuvent se passer nombre de musées[520].
De nombreuses expositions d'importance sont proposées à un public toujours plus nombreux. Elles peuvent être généralistes, telle celle organisée du au à l'occasion des 500 ans de sa mort au musée du Louvre à Paris regroupant un très grand nombre de chefs-d'œuvre (dont dix de ses tableaux) qui lui sont attribués mais aussi ses carnets de travail et attirant plus d'un million de visiteurs[545]. Elles peuvent être également thématiques : consacrée à ses dessins, du au , au Louvre à Paris[546] ; à ses dessins du corps humain, au Metropolitan Museum of Art à New York, du au [547] ; à une œuvre en particulier, comme autour du tableau de la Sainte Anne à Paris au musée du Louvre, du au [548] ; à son œuvre technologique et architecturale au Musée des beaux-arts à Montréal du au [549].
Par ailleurs, de nombreux musées consacrent des expositions permanentes au maître comme le musée des sciences et des techniques Léonard de Vinci à Milan proposant une galerie dédiée au maître[550], voire lui sont entièrement consacrés, comme le musée du château du Clos Lucé en France[551], ou le Musée Léonard de Vinci à Vinci[552].
Écrits de Léonard de Vinci
Manuscrits de Léonard de Vinci
La forme des supports sur lesquels Léonard écrit ses textes varie de l'un à l'autre, l’objectif poursuivi ou la disponibilité du papier en commandant le format : il peut s'agir aussi bien de feuilles volantes que de carnets, petits ou grands, qu’il porte toujours sur lui pour prendre des notes ; en outre, ces documents sont marqués par le caractère pléthorique et désordonnée de leur contenu[553]. L'analyse de celui-ci permet de connaître la méthode de travail de leur auteur : « il les assemble avec des observations, des remises en cause et des jugements, des comptes rendus de discussions et de nouvelles expériences […]. Il procède par hypothèses et interrogations. Les retours en arrière, les soulignés, ajouts et ratures qui interrompent le flux des phrases attestent l'extraordinaire instantanéité de l'écriture et des dessins »[554]. Léonard y porte ses travaux scientifiques, techniques et artistiques (dont notamment ses études pour ses tableaux et sculptures) mais aussi des notes sur les événements de sa vie (« Le à 7 heures est mort Ser Piero da Vinci »[555]) comportant même dates et heures[556], ses humeurs, ses réflexions (le Manuscrit H comporte ainsi sa devise « Plutôt la mort que la souillure »[557], des fables ou des méditations philosophiques[558].
Il lègue la totalité de ces écrits par héritage à Francesco Melzi, son ami de confiance et son élève préféré[559]. Celui-ci les conserve si jalousement que Giorgio Vasari, dans ses Vite, affirme : « il conserve et thésaurise les manuscrits comme s’il s’agissait de reliques »[560]. Essayant désespérément d'effectuer un tri au sein de la masse de ces documents, ce dernier ne parvient qu'à reconstituer le Traité de la peinture projeté par son maître. À sa mort en , son fils Orazio les laisse à l'abandon. La collection fait l'objet de convoitise de la part de proches de la famille Melzi : ainsi Lelio Gavardi emporte avec lui 13 carnets dans l'espoir de les vendre, mais connaissant un échec, il les donne à l'un de ses amis, Ambrogio Mazzenta. En , apprenant le désintérêt des Melzi pour tous ces documents, Pompeo Leoni, un sculpteur italien au service de Philippe II d’Espagne, décide avec succès de s'en porter acquéreur, de même qu'une partie des 13 carnets détenus par Mazzenta : il les transfère en à Madrid où il travaille. À sa mort en octobre , son fils Miguel Angel en hérite ; à la disparition de ce dernier, un inventaire effectué en dénombre 16 livres du maître. En , une partie des carnets sont achetés par Galeazzo Arconati qui en fait don en à la Bibliothèque Ambrosienne de Milan. Vers le début des années , une autre partie de ces carnets sont achetés par Thomas Howard, 14e comte d'Arundel, acheminés en Angleterre et forment le Codex Arundel ; il se peut qu'il se porte également acquéreur d'un recueil qui formerait le Codex Windsor — sans que les chercheurs soient convaincus du cheminement réel de ce codex. Finalement, seuls deux des carnets demeurent en Espagne dans les collections royales où ils sont redécouverts en [559],[553],[561].
En définitive, seule une partie des manuscrits de Léonard — environ 40 % de ses écrits d’après certaines estimations — sont conservés[343] et éparpillés entre Paris, Milan, Londres, Turin, Madrid et Los Angeles mais la redécouverte récente de ceux de Madrid laisse espoir aux chercheurs d'en trouver d'autres[559],[553].
Le Codex Arundel, conservé à la British Library, à Londres est entamé en alors que le maître habite encore à Florence. Il s'agit d'un recueil de notes prises sans ordre[360] et si Léonard s'y intéresse à la physique, à l'optique, à l'astronomie et l'architecture, il se penche surtout sur les mathématiques. Acheté par Lord Arundel à Pompeo Leoni, et « contrairement à beaucoup d'autres manuscrits léonardiens », « il a été constitué non pas à partir de feuilles séparées, mais de fascicules ayant pour la plupart conservé la structure voulue par leur auteur »[562].
Le Codex Atlanticus est conservé à la Bibliothèque Ambrosienne de Milan. Il fait partie des carnets versés en à la Bibliothèque Ambrosienne de Milan conjointement avec les carnets qui appartiendront plus tard à l'Institut de France ; comme ces derniers, saisis par Napoléon en , il est déposé à la Bibliothèque Nationale mais il est récupéré par la Bibliothèque Ambrosienne à la chute de l'Empire en . Il s'agit du plus vaste ensemble de manuscrits de Léonard et il couvre une période de quarante ans de la vie du maître, de à . Tous les domaines y sont abordés : physique, mathématiques, astronomie, géographie, botanique, chimie, machines de guerre, machines volantes, mécanique, urbanisme, architecture, peinture, sculpture ou encore optique[563],[553].
Le Codex Forster, conservé au Victoria and Albert Museum de Londres, est composé de 5 manuscrits reliés en 3 carnets. Passé dans la collection du comte Lytton à partir de celle de Pompeo Leoni, il appartient à John Forster — dont il tire le nom — qui le lègue aux collections de son propriétaire actuel en . Il couvre les années à . Les sujets abordés sont surtout l'hydrologie et les machines hydrauliques, la topologie et l'architecture[564],[565].
Le Codex Leicester, autrefois appelé Codex Hammer, débute à la transition entre Florence et Milan c'est-à-dire en [360] et court jusqu'aux années . Son historique est linéaire : vers , il est acquis par Giuseppe Ghezzi qui le vend en à Thomas Cook, futur comte de Leicester ; il est ensuite acquis en par Armand Hammer ; Bill Gates s'en porte acquéreur en lors d'une nouvelle vente aux enchères. Les 18 feuilles recto verso qui le composent s'intéressent principalement à l'eau mais aussi à l'astronomie[566].
Le Codex Trivulzianus est conservé à la bibliothèque Trivulzienne au château des Sforza, à Milan. En , il est acheté par le comte Galeazzo Arconati, qui en fait don en à la bibliothèque Ambrosiana, puis, après une période de disparition, il est vendu en à la famille Trivulzio. Il est composé à l'origine de soixante-deux feuilles dont quelques-unes ont aujourd'hui disparu. Il est daté vers , soit le début de carrière du maître. Il comporte de nombreuses études de caricatures ainsi que des croquis architecturaux ; en outre, sa particularité est de comprendre des listes de mots en latin — tentative de Léonard de développer sa maîtrise du vocabulaire en particulier scientifique dans cette langue —[361],[567].
Le Codex Madrid est composé de deux volumes, le premier écrit entre et et le second entre et , et est conservé à la Bibliothèque nationale d'Espagne, à Madrid. Ayant été achetés aux héritiers de Pompeo Leoni par un collectionneur d'art espagnol, don Juan de la Espina, dans le but de les offrir au roi d'Espagne. Arrivés dans les collections royales en , ils y ont un temps été perdus à cause d'erreur de référençage pour être redécouverts 252 ans plus tard, en . Le Codex Madrid I remonte essentiellement aux années mais est retravaillé en , ce qui laisse penser qu'il est en fait constitué de deux parties indépendantes ; il se penche surtout sur la mécanique, notamment l'horlogerie, et le soin qui y est porté indique qu'il peut être la matrice d'un projet de traité sur le sujet. Le Codex Madrid II est lui-même constitué de deux parties : la première, correspondant à un carnet qui date des années -, parle d'hydrologie et ingénierie militaire quand la seconde, un carnet qui remonte vers -, s'intéresse surtout à l'élaboration du Monument Sforza[568],[553].
Le Codex sur le vol des oiseaux aussi appelé Codex de Turin est conservé à la Bibliothèque royale de Turin après à une acquisition grâce à la donation Sabachnikoff par la famille royale d'Italie en 1893. Composé de 18 feuillets, datant vers , il se penche particulièrement sur le problème du vol des oiseaux que Léonard juge nécessaire d'étudier pour espérer améliorer sa machine volante ; le codex contient également de façon marginale quelques croquis architecturaux, des schémas et des dessins de machines[569],[570].
Le Codex Windsor, composé de deux cent trente-quatre feuillets datables de jusqu'à -. Acheté par Lord Arundel à Pompeo Leoni, il entre dans les collections royales britanniques vers . Composé surtout de dessins consacrés à l'anatomie (environ 200 dessins), il couvre une trentaine d'années de la vie du maître. Il se penche également, mais en plus faible proportion, sur les animaux (notamment les chevaux) et les paysages (une soixantaine de feuilles)[571].
Les Manuscrits de l'Institut : manuscrits A, B, C, D, E, F, G, H, I, K, L et M. Les carnets transférés en à la Bibliothèque Ambrosienne de Milan sont saisis en par Napoléon Bonaparte et transférés à l'Institut de France où ils demeurent encore (Manuscrits de l'Institut, numérotés de A à M) : à la suite de la chute de l'Empire en , tous les biens saisis par le régime en terres étrangères ont été restitués mais les petits carnets de l'Institut, ni réclamés ni repérés, ont simplement été oubliés par les vainqueurs. Seul le carnet qui avait été entreposé dans la Bibliothèque Nationale, le Codex Atlanticus, est retourné à Milan. Ils forment un ensemble de 12 carnets de format réduits et « ayant gardé la structure et la composition que leur avait données Léonard »[373]. Considérés dans l'ordre chronologique, les manuscrits se composent ainsi[572] :
- Manuscrit B écrit vers -. Il traite surtout de l'ingénierie et l'architecture militaires[373] ;
- Manuscrit C ouvert en . Il s'intéresse surtout à l'optique[358] et aux rapports entre l'ombre et la lumière[373] ;
- Manuscrit D achevé vers [373], il se penche sur l'optique[358] ;
- Manuscrit A écrit vers -, il traite surtout du mouvement[373] ;
- Manuscrit H écrit vers -, il se penche surtout sur le thème de l'eau[373] ;
- Manuscrit I écrit vers -, il aborde des sujets divers[373] ;
- Manuscrit L écrit entre et , il parle de divers projets militaires[373] ;
- Manuscrit M écrit vers -, il concerne la géométrie et la physique[573] ;
- Manuscrit K écrit vers -, il concerne la géométrie[373] ;
- Manuscrit F ouvert le à Milan, il se penche sur des sujets divers dont l'astronomie, l'optique, la géologie, le vol des oiseaux[360] mais surtout l'hydraulique[373] ;
- Manuscrit G écrit vers - puis en , il traite surtout de botanique[373] ;
- Manuscrit E écrit vers la fin de sa vie, Léonard y travaille surtout sur le vol des oiseaux et sur son projet de machine volante[373].
Le Traité de la Peinture
Le Traité de la Peinture n'est pas à proprement parler un ouvrage de Léonard de Vinci mais une compilation de ses écrits sur le sujet — écrits qu'il comptait organiser en traité dès les années [574]. Ayant hérité de tous les documents de Léonard, Francesco Melzi s'efforce jusqu’à sa mort de reconstituer l'ouvrage projeté par son maître[337]. Ce manuscrit de Francesco Melzi est conservé à la Bibliothèque du Vatican sous la référence Codex Urbinas latinus 1270[574]. La première édition bilingue français-italien s'appuie sur ce Codex Urbinas latinus et est publiée à Paris en [525],[537].
Néanmoins, cette version du Traité souffre de défauts reconnus depuis longtemps et que décrit ainsi Nicolas Poussin en : « Je ne crois pas qu'on dût mettre au jour ce Traité de Léonard qui, à dire vrai, n'est ni en bon ordre, ni assez bien digéré »[575].
En , André Chastel publie une compilation renouvelée et recontextualisée de ces écrits du maître, reconnue par les historiens de l'art pour sa qualité[575],[576].
Dans les arts et la culture populaire
Littérature
Phénomène d'expositions, Léonard est également un phénomène d'édition. Les livres scientifiques qui lui sont consacrés sont si nombreux qu'il est impossible d'en dresser une liste exhaustive ; de même, les ouvrages romanesques où figure est mise en scène comme le best-seller de 2003 Da Vinci Code, roman mêlant faits historiques et artifices scénaristiques. Dan Brown donne alors un nouvel élan à l'intérêt pour Léonard et s'appuie sur l'essai controversé L'Énigme sacrée écrit en par les journalistes britanniques Henry Lincoln, Michael Baigent et Richard Leigh[577]. Le roman est adapté au cinéma par Ron Howard en et totalisant de 757 millions de dollars de recettes, ce qui le place parmi les plus gros succès[578],[579].
Filmographie
De même, la figure du maître florentin se retrouve représentée et utilisée dans d'autres formes d'art de façon si importante qu'il n'est pas possible d'en dresser une liste exhaustive : dans des séries télévisées (Léonard de Vinci en ; Leonardo en 2022)[580],[581], dans le cinéma (Léo, la fabuleuse histoire de Léonard de Vinci en )[582],[583], des bandes dessinées (Léonard, une série humoristique par Bob de Groot et Turk[584])
Jeux vidéo
Il est représenté dans The Secrets of Da Vinci : Le Manuscrit interdit par Kheops Studio en [585]. Il apparaît aussi comme personnage secondaire dans Assassin's Creed II et Assassin's Creed : Brotherhood des studios Ubisoft en et .[réf. nécessaire]
Homonyme
En France, en , 94 établissements scolaires portent le nom de Léonard, ce qui constitue un fait rarissime pour une personnalité étrangère[586].
Notes et références
Notes
- Dans un mémorial, Antonio da Vinci note ainsi la naissance de Léonard, son petit-fils : « Un petit-fils m'est né, fils de mon fils Ser Piero, le samedi quinzième jour d'avril à trois heures de la nuit. Il a reçu le nom de Lionardo » (« Nachue un mio nipote figliulo di Ser Piero mio figliulo a dì 15 daprile in sabato, a ore 3 di notte. Ebbe nome Lionardo »)[2]. À cette époque en Italie, le jour commence à la tombée de la nuit de la veille : le jour de la naissance de Léonard tombe donc le vendredi 14 dans le système de décompte des jours contemporain[1].
- Le nom Vinci provient de celui des « vinchi », plantes assimilables à des joncs, utilisées dans l'artisanat toscan et poussant près du ruisseau Vincio. Léonard en fait son emblème majeur[4].
- Son existence est connue notamment à travers une déclaration faite par Antonio à l'État florentin le en vue de l'établissement de son impôt, mais elle n'y apparaît que sous son seul prénom[1].
- Piero da Vinci jouit du titre « Ser », contraction du latin « senior » (« signore »), petit titre pour les notaires et les prêtres[5].
- L'historien Carlo Vecce, dans son livre Il sorriso di Caterina, La madre di Leonardo (Vecce 2023), indique avoir retrouvé un acte notarié d'émancipation au nom de Caterina datant de , qu'il identifie comme celui de la mère de Léonard.
- Une scuola d’abaco délivre « un enseignement de mathématiques appliquées, adaptées aux besoins des marchands […]. Les scuola d’abaco garantissent l'acquisition de techniques de calcul permettant de résoudre la plupart des problèmes concrets que peut rencontrer un marchand dans son activité commerciale »[23].
- Mais cette inscription est contestée : la guilde des peintres n'enregistre aucun membre entre et , année où Léonard est de retour à Florence. Probablement s'agit-il d'une antidate destinée à entériner un état de fait. Une inondation à Florence, a rendu en le document inaccessible.
- Y appartiennent entre-autres Pérugin, Luca Signorelli, Domenico Ghirlandaio et Sandro Botticelli[65].
- Cette lettre ne nous est pas parvenue. Elle n'est connue qu'à travers son brouillon figurant dans le Codex Atlanticus, plein de corrections et écrit par une autre main[69].
- « Nous nous engageons et commandons que notre membre bien-aimé de la famille, architecte et ingénieur général Leonardo Vinci (...) qui doit considérer les emplacements et les terres de nos États, doit pouvoir tout faire » (« Commettemo e comandamo che al nostro dilettissimo familiare, architetto et ingegnere generale Leonardo Vinci (…) che ha da considerare li lochi et terre de li Stati nostri, debbano dare per tutto passo »)[124],[125].
- « Les illustres et magnifiques et souveraines Seigneuries Priori di Libertà et Gonfaloniere di Guistizia du peuple florentin, constatent : Que Léonard fils de Ser Piero de Vinci s'est boligé voici plusieurs mois à peindre un tableau pour la grande salle du Conseil, qu'attendu que ladite peinture a été commencée sur carton par ledit Léonard, qui a d'ores et déjà reçu pour cela 35 ducats d'or en or, lesdites souveraines Seingeuries désirent que l'œuvre soit menée à bon terme dans les meilleurs délais, et que ledit Léonard reçoive régulièrement pour cela certaines sommes d'argent. C'est pourquoi lesdites souveraines Seigneuries en ayant délibéré, décident que ledit Léonard devra avoir peint intégralement et achevé en toute perfection ledit carton d'ici à la fin du mois de février 1505 - exclus toute exception et tout prétexte - et que ledit Léonard recevra chaque mois 15 ducats d'or, le premier versement étant fixé à la date du 20 avril passé »[148].
- Les attributs de Bacchus ont été rajoutés au XVe siècle ou au XVIe siècle par un peintre inconnu[174].
- Néanmoins, il semble qu'en indiquant « de la main droite », le secrétaire se trompe puisque Léonard est gaucher et non droitier[196].
- « Dans un des faubourgs, Monseigneur a rendu visite avec nous autres à Messer Léonard de Vinci le Florentin […] [dont] on ne peut plus rien attendre de bon de sa part, car il est atteint d'une certaine paralysie de la main droite […] et qui a montré à Son Illustrissime Seigneurie trois tableaux, tous de la plus haute perfection, l'un de certaine dame florentine […], un second […] de saint Jean Baptiste, et le troisième de la Madone et du Fils assise sur les genoux de sainte Anne »[198].
- En l’historien Bertrand Jestaz formule l'hypothèse que François Ier a acquis auprès de Salaì les peintures que Léonard avait emportées avec lui en France en 1516. Il se base sur un document conservé aux Archives nationales à Paris, attestant d’un paiement considérable de 2 604 livres du premier au deuxième « pour quelques tables de paintures qu’il a bailles au Roy ». Étant donné l’énormité de la somme, Bertrand Jestaz en déduit que ces tableaux acquis par le souverain sont certainement les originaux du maître.
- Il écrit ainsi : « Appelles-tu la peinture « poésie muette », le peintre peut qualifier de « peinture aveugle » l’art du poète. Considère alors quelle affliction est plus grande, d’être aveugle ou muet ? […] Considère alors ce qui est le plus essentiel à l’homme, son nom ou son image ? le nom change selon le pays; la forme n’est point changée, sauf par la mort[239]. »
- « L’exemple suivant se comprend aisément, sachant qu’en italien hameçon se dit amo : "Amo [dessin d’un hameçon] ; re sol la mi fa re mi [notes de musique] ; rare [écrit] ; la sol mi fa sol [notes de musique] ; lecita [écrit]". Ce qui donne la phrase suivante : "Amore sola mi fa remirare, la sol mi fa sollecita" : "Seul l’amour me fait revoir [l’objet aimé], lui seul m’exalte."[298] »
- Cet épisode — dont se sont saisis des artistes comme Dominique Ingres avec son tableau La Mort de Léonard de Vinci — constitue « une des fables les plus inlassablement répétées » à propos du peintre[520].
Références
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Annexes
Ouvrages
- : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
Bibliographie
- Dans chaque partie, les ouvrages et les sites Internet consultés sont classés selon l'ordre alphabétique des auteurs.
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Films documentaires
- Léonard de Vinci : Art et science de l’univers, La Sept-Arte, 2001 ;
- Léonard de Vinci, en deux parties de soixante minutes : L'homme qui voulait tout savoir et Liaisons dangereuses, Royaume-Uni, 2003 ;
- Intelligence des patrimoines et CESR de Tours, « Sur les pas de Léonard – documentaire en 12 parties thématiques », sur renaissance-transmedia-lab, ;
- (en) Leonardo's dream machines, sur les tests d'une reproduction à l'échelle d'un dessin d'une machine volante de Vinci, 2005 ;
- Léonard de Vinci : La biographie, Nacarat, 2006.
- Léonard de Vinci, le génie sans frontières, Secrets d'histoire, France 3, 2019.« Léonard de Vinci, le génie sans frontières », sur TV5 Monde (consulté le ).
Voir aussi
Articles connexes
- Automobile (Léonard de Vinci), prototype d'automobile inventé par Léonard de Vinci.
- Pierino da Vinci, neveu de Léonard de Vinci.
- Jacopo Saltarelli, un des premiers modèles de Léonard de Vinci.
- Clos Lucé, dernière demeure de Léonard de Vinci.
- Vinci, ville toscane dont Léonard de Vinci est originaire.
- Chronologie de l’histoire des techniques.
- Histoire de la notion de vérité.
- 'Léonard de Vinci', cultivar de rosier obtenu en son hommage.
- Da Vinci, cratère lunaire.
- Da Vinci, cratère sur Mars.
- (3000) Leonardo, astéroïde.
Liens externes
- « e-Leo : Les carnets complets de Léonard », sur Biblioteca Leonardiana, 2007-2018 (pour accéder aux différents carnets, actionner l'onglet « sfoglia »).
- Château du Clos Lucé, musée consacré à Léonard de Vinci.
- (it) Museo Nazionale della Scienza e della Tecnologia « Leonardo da Vinci », Musée national de Science et de Technologie Leonard de Vinci de Milan.
- (it) Museo Leonardiano di Vinci, Musée Léonard de Vinci.
Bases de données et dictionnaires
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