La Mort de Géricault

tableau d'Ary Scheffer
La Mort de Géricault
La Mort de Géricault
Artiste
Date
1824
Type
Dimensions (H × L)
38 × 46 cm
No d’inventaire
MI 209
Localisation

La Mort de Géricault est un tableau réalisé par Ary Scheffer en 1824 dépeignant les derniers instants de Théodore Géricault, mort de maladie à trente-deux ans le , exposé au Louvre.

Le tableau modifier

Le tableau est une huile sur toile de dimensions 38 × 46 cm ; il est signé en bas à gauche « A. Scheffer 1824 ».

Description modifier

La scène est censée se passer le ou très tôt le , Géricault étant mort officiellement à 6 heures du matin, dans son appartement du 2e étage du 23 rue des Martyrs à Paris. Agonisant ou mort depuis quelques instants, il est allongé sur son lit, tandis que Louis Bro, debout dans la ruelle, se penche vers lui en étreignant sa main gauche ; au premier plan, Pierre-Joseph Dedreux-Dorcy, dont on ne voit pas le visage, est effondré sur le dossier d'une chaise et tient la main droite de Géricault.

La lumière est concentrée sur le lit et le corps de Géricault, tandis que le reste de la pièce est dans une relative obscurité.

Le visage du mourant est identique au dessin d'Ary Scheffer du , ainsi qu'au masque mortuaire[1] et, par la barbe rousse, aux portraits en couleur de Géricault réalisés par ses amis très proches Champmartin et Vernet[a].

Pierre-François Lehoux a raconté que le papier de tenture dont était recouvert la chambre de Géricault disparaissait presque entièrement sous les gravures, de belles copies de maîtres qu'il avait faites dans sa jeunesse et quelques études de chevaux[2]. Sur le mur, Scheffer a représenté des œuvres que Géricault affectionnait particulièrement[3] ; parmi ces dessins et peintures, on reconnait L'Épave, les Trompettes de hussards, plusieurs études de chevaux et esquisses pour Le Radeau de La Méduse, l'Officier de chasseurs et le Cuirassier blessé[4]. En réalité, peut-être Scheffer a-t-il figuré symboliquement quelques-unes des œuvres les plus notoires de l'artiste[2].

Historique modifier

Le tableau a été commandé à Scheffer en vue du Salon de 1824. Ce Salon est inauguré le , mais le tableau n'est pas prêt et ne sera achevé qu'en décembre[5], pour être exposé hors catégorie en janvier 1825[6]. C'est sans doute la raison pour laquelle, à la différence d'autres contemporains et amis de Géricault (Eugène et Jean-Baptiste Isabey, Léon Cogniet, David d'Angers et Horace Vernet notamment), Ary Scheffer ne figure pas sur la liste des artistes présents[7] à la remise des prix par Charles X à la fin du Salon de 1824 le , illustrée par le tableau grand format de François-Joseph Heim.

Faisant partie de la collection d'Henry Scheffer, frère cadet d'Ary, le tableau a été acheté par un arrêté du pour 4 500 francs sur le budget de la liste civile de Napoléon III à destination du musée du Louvre et porté au registre des acquisitions des peintures du Second Empire sous le no M.I. 209[6]. Une réplique, signée mais non datée, existe au musée de la Vie romantique, acquise en 1991[8], tandis qu'une aquarelle de plus petites dimensions est au musée de Dordrecht[2]. Une copie faite probablement par un élève est mentionnée dans un musée de Bucarest[2].

L'œuvre a surtout été connue à partir de 1830 grâce à la lithographie qu'en a tiré Hippolyte-Louis Garnier (1802-1855)[9], reprise plus tard par Charles Maurin.

La peinture du Louvre a été présentée dans plusieurs expositions, notamment une exposition itinérante à Cologne, Zurich et Lyon en 1987-1988, l'exposition Théodore Géricault au Grand Palais en 1991-1992[10], et sa réplique du musée de la Vie romantique dans Ary Scheffer (1795-1858) Gevierd Romanticus au musée de Dordrecht, ville natale d'Ary Scheffer, en 1995-1996.

La maladie et la mort de Théodore Géricault modifier

En 1822, Géricault souffre d'un abcès de la région lombaire gauche[11], dont on sait maintenant qu'il était une complication de la tuberculose de la colonne vertébrale, connue sous le nom de mal de Pott. C'est semble-t-il à la suite d'un accident de cheval au Champ-de-Mars[12], par un choc lors d'une collision avec un autre cavalier[13], que cet abcès volumineux s'est fistulisé à la peau ; aucun remède n'existant à l'époque, cet abcès caséeux ne pourra jamais guérir, et plusieurs interventions de curetage — dont la dernière huit jours avant sa mort —, n'y changeront rien. Après une période de repos et une légère accalmie fin 1822, le patient doit rester alité pendant plusieurs mois au cours de l'année 1823 et son état général se dégrade considérablement, comme en témoigne Eugène Delacroix dans son journal le  : « Il y a quelques jours, j'ai été le soir chez Géricault. Quelle triste soirée. Il est mourant ; sa maigreur est affreuse […] Sa tête est celle d'un vieillard mourant »[14]. Et le rédacteur d'une notice écrit en 1838 : « Géricault mourut réduit pour ainsi dire à l'état de momie, par la longueur et la nature de sa maladie. »[15]. Parmi les nombreux amis, élèves et admirateurs qui rendent visite à Géricault ou qui l'assistent pendant cette triste période, quelques-uns auraient[16] ou ont fait de lui un rapide dessin : Horace Vernet (Géricault debout en pied, avec pot de chambre, urinal et clystère, 1823[17]), Nicolas-Toussaint Charlet (Théodore Géricault malade assis dans son lit, 1823[18]) et Ary Scheffer, avec Étude du visage de Géricault sur son lit de malade le [19] (musée de la Vie romantique), qui lui servira quelques mois plus tard pour son tableau La Mort de Géricault.

Ary Scheffer et la représentation des morts modifier

La mort de son ami Géricault sera suivie en décembre 1824 d'une autre mort tragique, celle d'Anne-Louis Girodet, dont Scheffer fait un portrait posthume en 1825, Les Adieux de Girodet à son atelier le [20]. La mort de Théodore Géricault n'est pas le seul ni le premier exemple iconographique de morts dans l'œuvre d'Ary Scheffer. Pour illustrer les thèmes relatifs au Moyen Âge et aux légendes chers aux premiers romantiques, il peint La Mort de Saint-Louis[21], La Mort de Malvina[22] (1818 ou 1819[23]), La Mort de Gaston de Foix[24], Eberhard pleurant son fils mort[25]. D'autres tableaux, à l'instar de La Mort de Géricault, évoquent en scènes de genre la tristesse et la compassion face à un mourant : Le jeune malade[26],[27], La sœur de la miséricorde[28].

Dans le genre du portrait post-mortem, devenu en France une pratique courante à la mort des hommes célèbres depuis la Restauration, plusieurs personnages sont représentés par Ary Scheffer sur leur lit de mort : La Fayette[29], Armand Carrel[30], Ferdinand-Philippe d'Orléans[31], ainsi que sa mère[32],[33] et son frère[34] (cf. Portrait post-mortem en peinture#Le portrait post-mortem comme œuvre d'art).

Notes et références modifier

Notes modifier

  1. Seules sources fiables avérées, aucun autoportrait supposé de Géricault n'étant unanimement reconnu comme tel par les experts spécialistes de Géricault Lorenz Eitner (en), Philippe Grunchec, Germain Bazin et Bruno Chenique.

Références modifier

  1. « Masque mortuaire de Géricault, plâtre moulé, face et profils droit et gauche », sur musees-reims.fr
  2. a b c et d Germain Bazin, Théodore Géricault : Étude critique, documents et catalogue raisonné, t. 1 : L'homme. Biographie, témoignages et documents, Paris, La Bibliothèque des Arts, , 231 p. (lire en ligne), « À la recherche d'un visage », p. 201-229
  3. (fr + ja) Bruno Chenique et François Bergot, Géricault (catalogue des trois expositions au Japon (Kamakura, Kyoto et Fukuoka) de 1987-1988), Tokyo, Journal Maïnichi, , 325 p., « Les Portraits de Théodore Géricault », p. 256
  4. Lorenz Eitner (en) (trad. Jeanne Bouniort), Géricault, sa vie, son œuvre [« Géricault, his life and work »], Paris, Gallimard, coll. « Art et artistes », (1re éd. 1983), 449 p. (ISBN 978-2-07072-417-8), p. 387, "La mort de Géricault"
  5. Étienne-Jean Delécluze, Journal 1824-1828, Paris, Grasset, , 509 p., p. 19-20
  6. a et b « La mort de Géricault () », sur collections.louvre.fr
  7. « Charles X distribuant des récompenses aux artistes exposants du salon de 1824 au Louvre, le 15 Janvier 1825 - Description »
  8. « La Mort de Géricault », sur parismusees
  9. « La Mort de Géricault, lithographie de Garnier d'après Ary Scheffer, 1830 »
  10. Sylvain Laveissière (dir.) et Régis Michel (dir.), Géricault, Paris, Réunion des musées nationaux, , 409 p. (ISBN 2-7118-2376-8)
  11. Géricault, Paris, Réunion des musées nationaux, , 409 p. (ISBN 2-7118-2376-8), « Documents. Le manuscrit de Montfort », p. 315, « La maladie de Géricault »
  12. Charles Clément, Géricault : Étude biographique et critique, avec le catalogue raisonné de l'œuvre du maître, Paris, Didier et Cie, , 441 p. (lire en ligne)
  13. Bruno Chenique, Sylvain Laveissière (dir.) et Régis Michel (dir.), Géricault, Paris, Réunion des musées nationaux, , 409 p. (ISBN 2-7118-2376-8), « Géricault : une vie », p. 298-299
  14. Eugène Delacroix, Journal, t. 1, Paris, Plon-Nourrit, (lire en ligne), p. 46-47
  15. De la Garenne, Biographie universelle, ancienne et moderne, article "Géricault", vol. 65, Paris, Louis-Gabriel Michaud, (lire en ligne), p. 298
  16. Antoine-Alphonse Montfort, « Déploration autour d'un lit, dit aussi L'Agonie de Géricault, Louvre RF 5217 »
  17. Bruno Chenique, Régis Michel (dir.) et al., Géricault, Paris, La Documentation française, coll. « Conférences et colloques du Louvre », , 1094 p. (ISBN 978-2110033277), « Géricault posthume », p. 989, fig. 396
  18. Bruno Chenique, Anne-Charlotte Cathelineau (dir.) et al., Géricault, au cœur de la création romantique : Études pour "Le radeau de la Méduse" (catalogue de l'exposition au musée d'art Roger-Quilliot, Clermont-Ferrand), Paris, Nicolas Chaudun, , 286 p. (ISBN 978-2-35039-134-2), « Ultime naufrage. L'artiste fragmenté », p. 239, cat.41
  19. « Théodore Géricault sur son lit de mort »
  20. (en) Didier Rykner, « Un tableau de Scheffer acquis par Montargis », La Tribune de l'Art, (consulté le )
  21. La Mort de Saint-Louis, 1817
  22. La Mort de Malvina, ou Ossian recueillant le dernier soupir de Malvina
  23. Saskia Hanselaar, « La Mort de Malvina du musée Auguste Grasset à Varzy : une œuvre de jeunesse réattribuée à Ary Scheffer », La Revue des musées de France - Revue du Louvre, vol. 61, no 4,‎ , p. 87-96 (ISSN 1962-4271)
  24. La Mort de Gaston de Foix à la bataille de Ravenne le , 1824
  25. « Eberhard, comte de Wutemberg, pleurant la mort de son fils, c.1835 »
  26. « Le jeune malade »
  27. Le jeune malade, 1826
  28. La sœur de la miséricorde
  29. « La Fayette sur son lit de mort,  », sur pop.culture.gouv.fr
  30. « Armand Carrel sur son lit de mort,  », sur pop.culture.gouv.fr
  31. Ferdinand-Philippe, duc d'Orléans, sur son lit de mort, 1842
  32. Cornelia Scheffer-Lamme sur son lit de mort (de face), 1839
  33. Cornelia Scheffer-Lamme sur son lit de mort (de trois quarts), 1839
  34. Charles Arnold Scheffer sur son lit de mort, 1853