Littérature visionnaire

La littérature visionnaire rassemble des œuvres sur le thème des visions de l'au-delà. Il s'agit d'une sous-catégorie de la littérature par thème.

Visions de l'au-delà

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Jérôme Bosch : La vision de Tondale

Les récits de voyage dans l’au-delà remontent à l’Antiquité. On les retrouve par exemple dans les grandes épopées comme Gilgamesh, l’Odyssée et l’Énéide. Avec l’avènement de la chrétienté et durant la période du Moyen Âge, ce sont les âmes des mortels plutôt que des héros mythiques qui visitent les lieux de l’après-vie. Si les récits sont généralement moins grandioses et poétiques que ceux d’Homère ou de Virgile, ils se multiplient en nombre au point de devenir un véritable genre littéraire : celui des visions ou de la littérature visionnaire. Ce genre a été très populaire et apprécié au Moyen Âge[1]. Certains récits comme la Vision de Tondale ou la Vision de Wettin sont encore assez bien connus aujourd’hui, même s’ils ont été éclipsés dans la culture populaire par la Divine comédie de Dante, une œuvre que le médiéviste Aaron Gourevitch qualifie de « bilan grandiose de toute la littérature des voyages dans l’au-delà »[2].

Dans le récit typique des visions, l’âme d’un homme ou d'une femme qui vient de mourir est guidée par un ange pour une visite de l’enfer ou du paradis, après quoi la personne défunte revient miraculeusement à la vie pour raconter son expérience à un auditoire[3]. Les visionnaires peuvent être des gens de toutes conditions, mais ce sont souvent des moines et les récits sont généralement rédigés par des clercs qui poursuivent des buts pratiques. Leur principale motivation est souvent didactique et vise l’éducation des fidèles. Dès la fin du VIe siècle, le pape Grégoire le Grand utilise dans ses Dialogues des exemples de récits visionnaires pour aider les fidèles à comprendre ses enseignements théologiques[4]. Bède le Vénérable dans son Histoire ecclésiastique du peuple anglais illustre sa conception de l’au-delà à travers son récit de la Vision de Drythelm[5]. On y reconnait le purgatoire qui n'est pas encore désigné par ce mot mais qui finira néanmoins par être intégré quelques siècles plus tard dans les doctrines officielles de l’Eglise catholique et par prendre racine dans les croyances des fidèles.

Les buts poursuivis par les auteurs de récits visionnaires ne sont pas toujours de nature pastorale ou théologique. Dès l’époque des rois mérovingiens et encore plus durant la période carolingienne, des visions ont été utilisées à des fins politiques. C’est ainsi que de grands souverains comme Charlemagne, dans la Vision de Wettin, Charles Martel, dans la Vie d’Eucher, ou Charles le Chauve, dans la Vision de Bernold, se retrouvent en enfer ou du moins subissent temporairement des peines posthumes[6],[7].

Intérêt historique

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Pour les historiens du Moyen Âge, la littérature visionnaire est utile et son étude est toujours d’actualité comme en témoignent les nombreuses collections de récits édités récemment dans plusieurs langues[8]. Les visions aident notamment à comprendre comment certains concepts comme celui du purgatoire se sont définis, ont évolué et se sont fixés dans le temps. Mais un des aspects les plus intéressants demeure l’éclairage qu’elles donnent sur les mentalités, les angoisses, les espérances et la conception générale du monde qu’avaient les gens ordinaires au Moyen Âge. Les visions illustrent par exemple des conceptions populaires qui ont divergé appréciablement et pendant longtemps de celles des théologiens. La popularité de l'Apocalypse de Paul ou de la Vision de Wettin durant le Moyen Âge tardif suggère par exemple que les gens appréciaient des récits dans lesquels l'au-delà n'était pas conforme à la conception adoptée par l'Église pour le purgatoire[9]. Des historiens ont pu montrer par d'autres moyens que cette conception du purgatoire, devenue officielle au XIIe siècle, a été difficilement acceptée par la population et ne s'est ancrée dans la piété populaire qu'après plusieurs siècles[10]. Autre exemple de conceptions divergentes: les défunts qui peuplent le paradis et l’enfer dans les visions conservent souvent leur enveloppe corporelle et sont soumis à des supplices corporels ou aux plaisirs des sens. Or, selon les théologiens et les doctrines officielles de l’Église, les âmes ne réintègrent leur corps qu’après le jugement dernier. D’ailleurs, les visions sont généralement dénuées de tout contenu eschatologique. Elles se limitent au premier jugement individuel, celui du défunt, celui qu’il subit immédiatement après la mort[11].

Exemples de Visions

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Titre Auteur Date
Apocalypse de Paul IVe - Ve siècle
Vision de Fursy 650 - 651
Visions de Maximus, Bonellus et Baldarius Valère du Bierzo 675 - 680
Vision de Barontus 678-679
Vision d'après 757 VIIIe siècle
Vision de Wenlock Boniface de Mayence 716
Vision de Sénèque Alcuin de York 780 - 782
Vision de Fulrad 784 - 823
Vision de la très pauvre femme de Laon Heito 818 - 824
Vision de Wettin Heito 824 - 826
Visio Bernoldi Hincmar de Reims 877
Apocalypse de la Theotokos IXe - XIe siècle
Vision de Charles le Gros Hariulf d'Oudenbourg Xe siècle
Vision d'Ansellus Ansellus Scolasticus 1032 - 1047
Liber Visionum Otloh de Saint-Emmeram 1060
Vision d'Albéric Albéric de Settefratri 1127 - 1128
Vision de Tondale Frère Marcus 1149
Vision de Gottschalk XIIe siècle
Vision du moine d'Eynsham XIIe siècle
Vision de Turchill Raph Coggeshall 1206 - 1218
Vision de William de Stranton 1406 - 1409
Vision d'Edmund Leversedge Edmund Leversedge 1465
Vision de Lazarre VIe siècle


Annexes

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Bibliographie

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Références utilisées dans l'article

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Autres références

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Articles connexes

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Notes et références

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  1. Aaron Y. Gourevitch (trad. Elena Balzamo), La culture populaire au Moyen-âge : simplices et docti, Paris, Aubier, coll. « Histoire », (1re éd. 1981), 447 p. (ISBN 2-7007-2256-6 et 978-2-7007-2256-7, OCLC 408724696), p. 200-201.
  2. Aaron Y. Gourevitch (trad. Elena Balzamo), La culture populaire au Moyen-âge : simplices et docti, Paris, Aubier, coll. « Histoire », (1re éd. 1981), 447 p. (ISBN 2-7007-2256-6 et 978-2-7007-2256-7, OCLC 408724696), p. 204.
  3. Aaron Y. Gourevitch (trad. Elena Balzamo), La culture populaire au Moyen-âge : simplices et docti, Paris, Aubier, coll. « Histoire », (1re éd. 1981), 447 p. (ISBN 2-7007-2256-6 et 978-2-7007-2256-7, OCLC 408724696), p. 201.
  4. Grégoire le Grand, Adalbert de Vogüé (éd.) et Paul Antin (éd.), Dialogues. Volume 3, Livre IV, Paris, Editions du Cerf, coll. « Sources chrétiennes » (no 265), , 388 p. (ISBN 2-204-01320-X, 978-2-204-01320-8 et 2-204-01451-6, OCLC 6144609), ch. 32, 37.
  5. Bède le Vénérable (trad. Philippe Delaveau), Histoire ecclésiastique du peuple anglais, Paris, Gallimard, , 416 p. (ISBN 2-07-073015-8 et 978-2-07-073015-5, OCLC 33630254), livre 5, ch. 12, p. 323-328.
  6. Aaron Y. Gourevitch (trad. Elena Balzamo), La culture populaire au Moyen-âge : simplices et docti, Paris, Aubier, coll. « Histoire », (1re éd. 1981), 447 p. (ISBN 2-7007-2256-6 et 978-2-7007-2256-7, OCLC 408724696), p. 221.
  7. (en) Richard M. Pollard, « A Morbid Efflorescence: Envisaging the Afterlife in the Carolingian Period », dans Richard M. Pollard (dir.), Imagining the Medieval Afterlife, Cambridge University Press, à paraître.
  8. (en) Richard M. Pollard, « Introduction », dans Richard M. Pollard (dir.), Imagining the Medieval Afterlife, Cambridge University Press, à paraître.
  9. La popularité des œuvres du Moyen Âge se mesure notamment par le nombre de manuscrits qui ont survécu jusqu'à nos jours. D'après l'historien Bernard Guenée, on peut considérer qu'une œuvre médiévale a connu un très grand succès lorsqu'il en subsiste aujourd'hui une soixantaine d'exemplaires. Voir Bernard Guenée, Histoire et culture historique dans l'occident médiéval, Paris, Aubier-Montaigne, 2011, p. 255. (ISBN 978-2-7007-0416-7), (OCLC 793851784).
  10. Philippe Ariès, « Le Purgatoire et la cosmologie de l'Au-delà », Annales. Histoire, Sciences Sociales, vol. 38, no 1,‎ , p. 155. (ISSN 0395-2649 et 1953-8146, DOI 10.3406/ahess.1983.411044, lire en ligne, consulté le )
  11. Aaron Y. Gourevitch (trad. Elena Balzamo), La culture populaire au Moyen-âge : simplices et docti, Paris, Aubier, coll. « Histoire », (1re éd. 1981), 447 p. (ISBN 2-7007-2256-6 et 978-2-7007-2256-7, OCLC 408724696), p. 242, 250.