Mahieddine Boutaleb

Mahieddine Boutaleb (en arabe : محيي الدين بوطالب), né en 1918 dans la Casbah d'Alger, et mort en 1994, est un peintre et est un maître céramiste algérien qui aura laissé une empreinte indélébile sur l'art de la céramique du 20e siècle[1].

Mahieddine Boutaleb
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Biographie

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Mahieddine Boutaleb développe ses compétences à Alger, où il étudie la miniature dans la célèbre école d'enluminure des frères Racim au début des années 1940. Pendant la période des Trente Glorieuses, la Manufacture de Sèvres permet au céramiste talentueux de concevoir des décors uniques et personnels. En valorisant ses influences arabo-musulmanes, il crée une œuvre dynamique dans la tradition Sèvroise, notamment dans ses atmosphères de grand feu qui donnent une grande richesse à ses compositions.

Le jeune Boutaleb grandit à Alger, dans la pleine effervescence du XIXe siècle, lieu de résidence pour les artistes orientalistes. Baudelaire est captivé par Femmes d'Alger dans leur appartement lorsqu'il voit, au Salon de 1834, le tableau de Eugène Delacroix. Musée du Louvre va acquérir l'œuvre. Les passionnés d'Arts de l'Islam, d'Orientalisme et du Romantisme sont ravis des deux côtés de la Méditerranée. Dans ce contexte la ville blanche regorge de talents. Elle abrite de nombreux établissements d'art, des ateliers d'enluminure et de sculpture sur bois. L'université d'Alger dispose d'un « cabinet de dessin d'enseignement professionnel », d'une École supérieure des beaux-arts et d'une « école d'art de la rue des Consuls » qui enseigne aux jeunes gens les coutumes traditionnelles. Ensuite, la Villa Abd-el-Tif d'Alger, un palais datant du 18e siècle, accueille à partir de 1907 des artistes venus de métropole sur le modèle de la villa Médicis de Rome, et contribue également à la renommée artistique en Algérie[2].

Mahieddine Boutaleb à fréquenté l'école de miniatures des frères Omar Racim et Mohammed Racim. Il y acquiert des compétences en dessin, décoration, calligraphie et art de la miniature dans l'atmosphère culturelle riche d'un Islam renaissant et moderniste dont les frères sont les représentants emblématiques. Boutaleb y trouve la teinte qui correspond à un rituel ancien, notamment le bleu caractéristique des Arts de l'Islam. Même si la miniature enseignée par Mohammed Racim est d'origine persane, elle se veut clairement algérienne[3]. Il introduit le concept de perspective et encourage une peinture basée sur l'équilibre, la symétrie et la mesure. Dans ce domaine exhaustif et exigeant, Boutaleb développe ses compétences artistiques pour sa future carrière à Sèvres, où il développe également une solide culture arabo-musulmane qui soutiendra son talent créatif. En 1941, il obtient une importante récompense en tant qu'étudiant, la « 1ère bourse de la section miniature de la ville d'Alger »[4].

Les Ateliers Soupireau situés jadis au 11 rue Fontaine Bleue, Alger, Algérie en 1912.

Il suit aussi l'école dirigée par Ernest Soupireau où il apprend les techniques de la céramique. Le renouveau de la céramique en Algérie est grandement influencé par Ernest Soupireau, qui formera des artistes talentueux tels que Boujemâa Lamali (1890-1971), d'origine kabyle et célèbre artisan de la modernité des poteries de Safi. De 1904 à 1913, il fait ses études et travaille à l'institut Soupireau. Lamali acquiert sa formation professionnelle à Alger, puis part en France où il entre à la Manufacture de Sèvres en 1914, « Il est le premier Nord-Africain admis à la manufacture de Sèvres. Par la suite, il deviendra un innovateur majeur au Maroc, lui le kabyle d'Algérie, partagé entre la France qui lui avait fourni les ressources nécessaires pour son art et ce pays qui lui avait offert l'essence de ses recherches et de sa créativité. Boujemâa Lamali sera celui qui ouvrira la voie jusqu'à à Sèvres[2].

Le jeune artiste évolue au sein de l'élite urbaine cosmopolite, une intelligentsia algérienne cultivée et lettrée, avec des artistes qui ont pris part aux grandes manifestations, telles que les célébrations du centenaire de la colonisation en 1930 à Alger et au Petit Palais à Paris, l'Exposition coloniale de 1931 ou l'Exposition universelle de 1937 de Paris. L'ornementation des bâtiments et la décoration des pavillons de leur pays ont été réalisées par les Algérois. La céramique, qui est l'une des principales contributions aux arts de l'Islam, est évidemment très présente lors de ces événements importants et doit certainement attirer l'attention du futur décorateur.

Mahieddine Boutaleb, jeune homme talentueux, quitte Alger pour la France en 1945 pour passer le concours et rejoindre la Manufacture de Sèvres. L'artiste commence ses premières armes en tant qu'apprenti aux côtés du peintre Mohamed Temmam, qui a également été formé à l'École Soupireau, et qui est le deuxième fil rouge qui guide Boutaleb vers Sèvres. Ils contribuent tous les deux à la décoration des services de l'Élysée. Il commence une scolarité de trois ans. Son professeur est Pierre Gaucher. La manufacture n'a pas été épargnée par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale, ce qui, paradoxalement, offre une opportunité aux jeunes gens qui y commencent leur carrière. Le regroupement des ateliers de décoration permet une étroite collaboration entre les anciens peintres décorateurs et les nouveaux arrivants qui peuvent observer leurs pairs et s'inspirer de leur expertise. Les plus jeunes sont accompagnés de Pierre Auguste Gaucher, Roger Sivault, Marcel Prunier, André Plantard, Auguste Berlin, Adrien Leduc. Éliane Métayer, Lucie Roden, Claude Boulmé, Andrée Kiefer et Mahieddine Boutaleb. Selon Jean-Paul Midant, ces artistes qui sont arrivés à Sèvres dans l'après-guerre « constituaient à eux seuls une véritable école, pleine de puissantes caractéristiques ». Dans les ateliers de Sèvres., il y a un esprit d'autonomie et d'originalité qui rend les créations de cette époque singulières. Les années 1948-1963 sont dirigées par Léon Georges Baudry et « semblent être marquées par une participation importante du personnel de la manufacture qui a lui-même développé de nombreuses formes et décors ».

C'est à partir de 1950 que le Mahieddine Boutaleb démontre son talent en tant que peintre décorateur reçoit de grands travaux. Il respecte les consignes des commandes d'État concernant les « grandes tables » (Sénat, palais de l'Élysée, hôtel Matignon, Assemblée nationale, etc.). En même temps, sa volonté de se perfectionner le pousse à explorer les divers métiers de Sèvres, puisque cette même année, il fait un stage dans l'atelier de moulage où il suit une formation auprès du célèbre modeleur Maurice Gensoli et du sculpteur Marcel Derny.

Boutaleb se distinguera par sa maîtrise exceptionnelle du grand feu, qu'il perfectionnera tout au long de sa carrière. C'est le seul peintre de son temps à avoir vraiment développé cette technique et à avoir produit des œuvres en « pâte nouvelle » et en « pâte dure ». Il va notamment créer des décors et des fonds semi-mats ou en forme de coquille d'œuf vraiment remarquables. Mahieddine Boutaleb va réellement donner ses lettres de noblesse au grand feu et exploiter les opportunités extraordinaires que ce processus lui offre. Le défi exigeant de l'artiste consiste à personnaliser sa création en effectuant un travail minutieux sur les palettes, en notant la composition de la couleur sur un carnet pour chaque essai. C'est pourquoi son œuvre est singulière et presque impossible à reproduire, car il était le seul à connaître ses formules et les compositions secrètes qu'il utilisait. Cette source de bonheur est connue des grands céramistes : être maîtres de leur œuvre et attendre avec enthousiasme la sortie du four pour observer la richesse engendrée par la cuisson à une température de 1380°C»[2].

Dans la revue de la Société des Amis du musée national de Céramique, Sèvres, Marie-Aimé Suire, historienne d'art et Mireille Cousin, ancienne responsable des peintres à la Manufacture de Sèvres, décrivent le travail de Mahieddine Boutaleb[2] : «Afin de mettre en évidence ces années de recherches et la façon dont Mahieddine Boutaleb va apporter sa vision du monde, ses états d'âme et son élan vital de conteur à l'imagination fertile aux autres. Le sens de la vie n'a jamais été exalté par quelqu'un de mieux que Boutaleb, qui a failli la perdre en 1962 et a réussi à se recentrer sur l'essentiel, c'est-à-dire son élan créateur. S'il joue un rôle important dans l'histoire de la seconde moitié du 20e siècle de la manufacture, c'est pour son talent exceptionnel, sa noblesse visionnaire mais respectueuse du passé, sa connaissance innée de la matière, son expertise du grand feu et sa double culture qui en font un peintre et un céramiste apprécié et enfin reconnu. Une œuvre de Boutaleb est toujours reconnue pour ses qualités à la fois originales, persuasives, techniques bien maîtrisées et intellectuelles qui se manifestent à différents niveaux de lecture. Il est nécessaire de fournir une indication spécifique afin de mieux comprendre l'artiste : Boutaleb a toujours donné son nom à ses pièces personnelles en arabe et en français, car il pensait que ses œuvres de l'esprit, nées de son talent et de son souffle créatif, méritaient d'être distinguées par cette mention remarquable, qui témoigne de sa propriété intellectuelle.

Mahieddine Boutaleb crée consciemment des œuvres qui fusionnent les styles et les cultures. Ses sources artistiques, qu'il rénove et adapte à Sèvres, nous frappent par leur capacité naturelle à construire des ponts. Il crée une nouvelle voie en la adaptant à son époque et au public passionné de porcelaine. Le travail de Boutaleb, qui suscite une grande admiration aujourd'hui, nous attire par sa capacité à fusionner deux univers afin de créer des œuvres si personnelles et empreintes d'humanité. Il a certainement consacré son talent à la manufacture sans rien abandonner à ses origines, ni aux nécessités essentielles de Sèvres. Boutaleb illustrera parfaitement la phrase de Georges Mathieu : « Pour qu'une œuvre existe, pour qu'elle se situe historiquement, il faut qu'elle s'inscrive dans le temps, dans le cadre "socio-culturel", qu'elle ait été faite avec une conscience, non seulement de ce qu'elle est, mais de ce qu'elle signifie, de ce qu'elle apporte, de ce qu'elle détruit ».

La carrière de Mahieddine Boutaleb se termine par la décoration des modèles de grands artistes contemporains tels que Alexander Calder, Pierre Alechinsky, Maria Helena Vieira da Silva, Geneviève Asse et surtout avec Joe Downing qui travaillera à Sèvres pendant plusieurs années et dont Boutaleb fera de nombreuses assiettes. Il fut un céramiste de premier plan de son époque, qui réussit à explorer toutes les possibilités techniques que lui offrait l'institution à laquelle il a été fidèle tout au long de sa carrière : ses formes, ses couleurs, ses couverts, ses jeux avec le feu. Cependant, il a également rendu visibles la tension, la densité, l'inconnu et le mystère qui règnent sur ses pièces originelles qui nous racontent son récit. Les registres qui répertoriaient mensuellement les œuvres des peintres 28 montrent qu'il travailla et étudia sans relâche pour perfectionner son art, car pendant ses 37 années de carrière, on retrouve fréquemment la mention « essais de grand feu ». Il présenta une perspective innovante où son imagination s'imposa. Il lui a certainement fallu beaucoup de courage pour surmonter la question coloniale et accomplir à Sèvres la prouesse de concilier sa culture arabo-musulmane avec la grande tradition des céramistes français : une synthèse captivante et un tour de force technique qui nous émerveillent et surtout nous incitent à une lecture multiple de son œuvre, où l'apparence doit être dépassée pour atteindre son miroir intime[2].

Sa vie est l'œuvre d'un homme exilé qui a trouvé dans l'art la possibilité d'une union la plus remarquable possible entre deux conceptions de styles qu'il a fusionné. Un homme qui entretient constamment des liens avec ses origines, mais sans être passéiste, en nous invitant avec habileté à échanger nos regards vers d'autres univers envisageables. À travers une vie entière dédiée à la quête constante du beau, Mahieddine Boutaleb a réussi à imposer sa vision de la céramique et à raconter à la fois son histoire et celle que la Manufacture de Sèvres lui a procuré.

En 1994, Mahieddine Boutaleb disparaît. Les pièces qu'il a créées sont présentées au Musée national des Beaux-Arts d'Alger à la Cité de la céramique - Sèvres et Limoges et dans de nombreuses ambassades internationales[5].

Notes et références

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  1. « Vase porcelaine Sèvres modèle Decoeur signé Mahieddine Boutaleb XXème », sur www.antiques-delaval.com (consulté le )
  2. a b c d et e Marie-Aimée Suire, « Mahieddine Boutaleb (1918-1991) le seigneur du grand feu », Sèvres. Revue de la Société des Amis du musée national de Céramique, vol. 28, no 1,‎ , p. 136–151 (DOI 10.3406/sevre.2019.1198, lire en ligne, consulté le )
  3. founoune, « DE L'"ART INDIGÈNE" A L'ART ALGÉRIEN par Mustapha Orif - », (consulté le )
  4. « Proantic: Mahiedine Boutaleb( 1918-1994), Coupe En Sèvres, Signé , X », sur www.proantic.com (consulté le )
  5. « Résultats de recherche (page 1) | Moteur Collections | Culture », sur www.culture.fr (consulté le )

Voir aussi

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Articles connexes

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Liens Externes

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