Marcel Carrère

policier français

Marcel Carrère, né le à Juvisy-sur-Orge (France) et mort le à Clamart[1], est un policier français. Il fut le commissaire divisionnaire qui dirigea l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS) de 1966 à 1971. En collaboration avec les services américains du Bureau des narcotiques et des drogues dangereuses (BNDD), il lutta contre les filières de la French Connection.

Marcel Carrère
Description de l'image MARCEL CARRERE.jpeg.
Naissance
Juvisy-sur-Orge, Seine-et-Oise.
Décès (à 65 ans)
Clamart, Hauts-de-Seine.
Nationalité Drapeau de la France France
Profession

Biographie

modifier
Marcel Carrère à son bureau.
Marcel Carrère à l'OCRTIS, en juillet 1968.
Marcel Carrère devant une saisie importante d'héroïne blanche.
Marcel Carrère à l'aéroport de Washington D.C., début février 1970. Derrière lui, Honoré Gévaudan puis Max Fernet.
Marcel Carrère à l'ONU, le 26 juin 1971.

Marcel Roger Carrère fut l'un des quatre fils d'une concierge et d'un employé de la SNCF qui vécurent dans le centre de Juvisy-sur-Orge. À vingt-deux ans, il entra dans la police nationale comme simple gardien de la paix. Neuf ans plus tard, le , commissaire de 3e classe, 2e échelon, il fut affecté au service de la sécurité publique de Meudon[2], où il résida 1, rue Porto-Riche puis 25, avenue Le Corbeiller, jusqu'à sa mort. En 1955, il accéda au grade de commissaire principal[3], et, le , devint sous-chef du service régional de la police judiciaire de Paris[4].

Selon Honoré Gévaudan (1920-1999), alors directeur central adjoint de la police judiciaire, il fut le premier commissaire divisionnaire français à travailler en permanence sur le plan international : « Son office, destiné à réprimer le trafic sur l'ensemble du territoire, se réduisait à seize inspecteurs, pas un de plus. Ils étaient confinés dans trois bureaux d'un recoin de la rue des Saussaies, sombre, lugubre, indigne même de la police française qui n'a jamais été gâtée sur le plan de l'immobilier. Mais Carrère avait donné à sa boutique un lustre qui dépassait les frontières. [...] Certes, sa spécialité le lui imposait, mais son entregent, sa cordialité, sa faconde en faisaient le flic le plus connu hors de France. Il avait visité les États-Unis, l'Amérique du Sud : il participait à toutes les réunions qui, déjà, se multipliaient à travers le monde. Il prenait parfois son bâton de pèlerin et parcourait l'Hexagone, où il dispensait des conférences agrémentées de la présentation de semelles de haschisch, de boulettes d'opium, d'échantillons d'héroïne, de pipes, de shilums, de diapositives. Il emportait tout cela dans une valise comme un voyageur de commerce qui étalerait ses produits non pour les vendre mais pour qu'on en connaisse les dangers et qu'on s'en méfie. Il compensait par sa personnalité attachante la petitesse des moyens dont il disposait. »[5] Le FBI quant à lui le considérait comme « le meilleur spécialiste du monde » parce que ses services avaient saisi « plus d'une tonne de drogue en moins de trois ans »[6].

Le , à l'aéroport d'Orly, après quatorze mois d'enquête, il arrêta notamment deux PDG, deux ingénieurs, deux complices, qui transportaient douze oscilloscopes, avec, à l'intérieur de chacun d'eux, un kilo d'héroïne[7]. En , inspiré par la mésaventure de Jacques Angelvin, il s'illustra en démantelant le gang dit des « DS truquées » : « 112 kilos d'héroïne pure, à 200 millions le kilo au prix de détail, soit une valeur de 22 milliards 400 millions d'anciens francs », à cette époque « le coup le plus dur jamais porté aux trafiquants »[8]. En , après une longue filature, il mit encore la main sur un atelier de conditionnement clandestin, situé à Montrouge, où trois individus s'apprêtaient à confectionner, dans une baignoire, 22 kilos 500 de cette même drogue[9].

Pourtant, malgré ces résultats, Richard Nixon adressa début une lettre au nouveau président Georges Pompidou[10] pour que soit encore intensifiée la lutte contre les filières des parrains Marcel Francisci, Jean-Baptiste Croce, Jean-Baptiste Andreani, Jo Cesari, Jean-Jé Colonna, les frères Guérini, Orsini, Venturi, Lotti, en tout une quinzaine de clans mafieux, alors en pleine expansion outre-atlantique, dopées par la guerre du Viêt Nam, alimentées par l'opium d'origine turque et accusées de fournir 80 % de la meilleure héroïne blanche des États-Unis[11]. Les Français protestèrent, invoquant, à juste titre, les apports en provenance du Triangle d'or, ignorant la renaissance d'une quelconque filière française de drogue vers les États-Unis, prétendant même, dans un rapport remis par l'OCRTIS au ministère de l'Intérieur, que « les laboratoires de transformation de morphine-base en héroïne se trouvaient aux États-Unis »[12] ; les Américains, dont les inquiétudes étaient fondées, qui considéraient cette Union corse comme plus dangereuse que Cosa nostra et menaient une campagne excessive de dénigrement contre la France, persistèrent.

À compter de début , des efforts substantiels furent consentis, la police judiciaire devant remettre chaque semaine à la Place Beauvau un rapport sur les prises et les enquêtes en cours. Les 8 et , des auditions parlementaires, présidées par Alain Peyrefitte, alors président de la Commission des Affaires culturelles et sociales de l'Assemblée nationale, furent organisées[13], et, le , Richard Nixon adressa ses félicitations à Georges Pompidou[14].

Un an plus tard, le , le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas adopta la loi antidrogue prohibant « l’usage, la production, la cession ainsi que la présentation sous un jour favorable des stupéfiants ». Le , les peines de réclusion pour les « marchands de mort » quadruplèrent, passant de cinq à vingt années — quarante pour les récidivistes[15] —, et, le de la même année, par la signature à Paris d'un protocole d'accord entre le ministre de l'Intérieur Raymond Marcellin et le procureur général John Newton Mitchell, fut entérinée la coopération entre les polices des deux pays. À cette occasion, Français et Américains révélèrent les résultats d'une enquête qui permit de démanteler un réseau de vingt-trois trafiquants internationaux. On apprit que trois cent cinquante-huit kilos de morphine-base avaient été saisis deux jours plus tôt, au large de Port-Saint-Louis-du-Rhône, et qu'en tout, depuis le , six cent soixante-quinze trafiquants avaient été arrêtés.

Mais cela demeurait encore insuffisant pour endiguer un phénomène qui gangrenait la jeunesse américaine, le nombre d'héroïnomanes ne cessant de croître. Selon les chiffres du BNDD, qu'Edward Jay Epstein pense artificiellement gonflés afin de faire pression sur la Maison-Blanche, il serait passé de 69 000 en 1969, à 322 000 en 1970, puis à 560 000 en 1971[16]. La contagion, quoique statistiquement limitée, commençait même à s'étendre à la population des grandes métropoles françaises, où l'on pouvait rencontrer des drogués en pleine rue, dans des écoles, casernes, clubs, boîtes de nuit… Le cœur du problème, selon Raymond Marcellin, venait du fait que « le combat contre la drogue », spectaculairement traité par les médias, volontiers alarmistes, jouant sur les peurs et les fantasmes[17], passait en vérité « à l'arrière-plan des préoccupations de la direction centrale de la police judiciaire », submergée par l'augmentation des délinquances de toutes natures[10].

Le , Richard Nixon, qui briguait l'élection présidentielle américaine de 1972, repartit à l'assaut en déclarant « la guerre à outrance contre la drogue » et, le 26, eut lieu à l'ONU la journée internationale contre l'abus et le trafic illicite des drogues. Un mois plus tard, le , dans une interview provocatrice et controversée au journal Le Méridional, téléguidée par sa hiérarchie, John T. Cusack, un ancien de la US Navy fraîchement nommé directeur du BNDD pour l'Europe, prétendit que « trois ou quatre gros bonnets » se sentaient « en sécurité » à Marseille[18]. Le directeur central de la police judiciaire, Max Fernet (1910-1997), retraité le , eut beau répliquer que ces allégations étaient injustifiées, de nouveaux moyens furent immédiatement débloqués : micros espions, télé-objectifs, jumelles marines, voitures rapides, écoutes téléphoniques, crédits provenant des fonds spéciaux, les mille cinq cents agents du Bureau des Narcotiques et des Drogues Dures de Washington D.C., dirigé par John E. Ingersoll, bénéficiant quant à eux d'un budget de quelque quarante-trois millions d'euros[19].

Paris était en lutte ; Washington, en campagne. Aux saisies et aux arrestations ponctuelles pour essayer de contenir dans des limites acceptables un « milieu » qu'on connaissait parfois très bien, devait succéder la bataille sans concessions jusqu'à l'éradication complète du problème. Puisque « la French Connection, œuvre de la pègre et de la pègre seule, [avait] prospéré sur le fumier de la négligence et non de la connivence, de l'indifférence et non de la collusion, de l'ignorance et non de la vénalité, [...] le crime n'intéress[ant] aucunement les gouvernements tant qu'il ne recèle pas l'ingrédient politique à incidence électorale »[20], il fallut prendre des mesures radicales. L'effectif de l'OCRTIS passa de seize à quarante agents, celui de la brigade des stupéfiants de Marseille, de sept à soixante-dix-sept, plusieurs centaines de fonctionnaires furent affectés à la lutte contre le trafic, plusieurs milliers d'autres, formés, et un remaniement des dirigeants, même s'ils n'avaient pas failli, s'avéra inévitable[21] : John T. Cusack, par un « mouvement interne à son administration »[22], céda la place à Paul Knight, le commissaire principal Marcel Morin, trente-cinq ans, devint, en remplacement d'Antoine Comiti, muté à Montpellier, chef de la brigade de Marseille, et, en , le commissaire divisionnaire François Le Mouël, quarante-trois ans, créateur en 1964, avec Marcel Morin, de la brigade de recherche et d'intervention dite « antigang » (BRI-PP), succéda à Marcel Carrère à la tête de l'Office central.

Publication

modifier
  • Dictionnaire de l'argot moderne, en collaboration avec Géo Sandry, Éditions du Dauphin, 1953 (diffusé dans 35 pays, réédité 16 fois).

Distinctions

modifier

Références

modifier
  1. État civil sur le fichier des personnes décédées en France depuis 1970
  2. Journal officiel de la République française, 1944, p. 2094.
  3. Journal officiel de la République française, 1955, p. 2728.
  4. Journal officiel de la République française, 1962, p. 1933.
  5. Gévaudan 1985, p. 35.
  6. Revue internationale de criminologie et de police technique, Interpol, 24, 1969, p. 172.
  7. Douglas Valentine, The Strength of the Wolf : The Secret History of America's War on Drugs, Verso Books, (1re éd. 2004), p. 408-409.
  8. Georges Menant, « Le Commissaire Carrère raconte sa victoire sur le gang de la drogue », Paris Match,‎ , p. 72.
  9. Jacques Derogy, « Guerre d'astuces contre les passeurs de la drogue », L'Express,‎ , p. 60.
  10. a et b Marcellin 1978, p. 101.
  11. Marcel Morin et François Missen, La Planète blanche, Tsuru Éditions, , p. 51.
  12. Nouzille et Follorou 2004, p. 222.
  13. Alain Peyrefitte, La Drogue : ce qu'ont vu, ce que proposent médecins, juges, policiers, ministres, Plon, .
  14. Marcellin 1978, p. 102.
  15. Journal officiel de la République française, 3 et 4 janvier 1971.
  16. Epstein 1990, p. 109-110.
  17. Marchant 2008, p. 72.
  18. Marcellin 1978, p. 110-111.
  19. Epstein 1990, p. 109.
  20. Gévaudan 1985, p. 20-21.
  21. Nouzille et Follorou 2004, p. 236-237.
  22. Marcellin 1978, p. 111.

Bibliographie

modifier
  • Michèle Backmann et Nicolas Brimo, Ces "Messieurs" de la drogue, L'Unité, .
  • Thierry Colombié, Beaux Voyous, l'histoire de la French Sicilian Connection, Fayard, 2007.
  • Thierry Colombié et Jean de Maillard, La French Connection, les entreprises criminelles en France, Éditions Non Lieu, 2012.
  • (en) Edward Jay Epstein, Agency of Fear: Opiates and Political Power in America, New York, Putnam, (1re éd. 1977)
  • Gustavo Freda, Thibault Moreau et Jean-Michel Prud'homme, Drogue et toxicomanie : études et controverses, L'Harmattan, 1993.
  • Honoré Gévaudan, La Bataille de la French Connection, Jean-Claude Lattès,
  • Charles Gillard, Échec aux rois de la drogue, Buchet chastel, 1970.
  • Alain Jaubert, Dossier D... comme drogue, la mafia française, éd. Alain Moreau, 1973, rééd. 1990.
  • Henrik Krüger, The Great Heroin Group, Boston, South End Press, 1980.
  • Raymond Marcellin, L'Importune Vérité : Dix ans après mai 68, un ministre de l'Intérieur parle, Plon,
  • Alexandre Marchant, Drogues et drogués en France (1945-1990), Mémoire de Master 2, Paris I,
  • Alexandre Marchant, « La French Connection, entre mythes et réalité », Vingtième siècle, juillet-.
  • Alfred W. McCoy, La Politique de l'héroïne - L'implication de la CIA dans le trafic des drogues, Éditions du Lézard, 1979.
  • Alfred W. McCoy, Marseille sur héroïne, les beaux jours de la French Connection (1945-1975), Esprit frappeur, 1999.
  • Robin Moore, The French Connection, the World's Most Crucial Narcotics Investigation, Boston, Little Brown & co, 1969.
  • Robin Moore, The French Connection : A True Account of Cops, Narcotics and International Conspiracy, London, Coronet Books, 1972.
  • Vincent Nouzille et Jacques Follorou, Les Parrains corses, Fayard,
  • Louis Sappin et Pierre Galante, La Grande Filière : croissance, déferlement et débâcle de la French Connection, Robert Laffont, 1979.