Mesure de Plancherel

En mathématiques, la mesure de Plancherel est une mesure définie sur l'ensemble des représentations unitaires irréductibles d'un groupe localement compact , qui décrit comment la représentation régulière se décompose en représentations unitaires irréductibles. Le terme mesure de Plancherel est appliqué plus spécifiquement quand le groupe est le groupe symétrique fini . Il porte le nom du mathématicien suisse Michel Plancherel connu pour ses travaux sur la théorie des représentations.

Groupes finis modifier

Soit un groupe fini. On note l'ensemble de ses représentations irréductibles. La mesure de Plancherel sur l'ensemble est définie par

, et où est la dimension de la représentation irréductible [1].

Groupe symétrique modifier

Un cas particulier important est le cas du groupe symétrique fini , où est un entier positif. Pour ce groupe, l'ensemble des représentations irréductibles est en bijection naturelle avec l'ensemble des partitions entières de . La dimension d'une représentation irréductible associée à une partition entière , est égale à , le nombre de tableaux de Young standard de forme  ; dans ce cas, la mesure de Plancherel est souvent considérée comme une mesure sur l'ensemble des partitions entières d'ordre n, donnée par

[2].

Le fait que la somme de ces probabilités est égale à 1 découle de l'identité combinatoire

ce qui correspond au caractère bijectif de la correspondance Robinson-Schensted .

Connexion avec la plus longue sous-suite croissante modifier

La mesure de Plancherel apparaît naturellement dans des problèmes combinatoires et probabilistes, notamment dans l'étude de la plus longue sous-suite croissante d'une permutation aléatoire . En raison de son importance dans ce domaine, le terme mesure de Plancherel se réfère presque exclusivement au cas du groupe symétrique .

Soit la longueur d'une plus longue sous-suite croissante d'une permutation aléatoire dans choisie selon la distribution uniforme. Soit la forme des tableaux de Young de par la correspondance Robinson-Schensted. Alors on a l'identité suivante :

,

est la longueur de la première ligne de . De plus, le fait que la correspondance Robinson-Schensted est bijective, implique que la distribution de est exactement la mesure de Plancherel sur . Ainsi, pour comprendre le comportement de , il est naturel de considérer pour choisi selon la mesure Plancherel en , puisque ces deux variables aléatoires ont la même distribution de probabilité[3].

Mesure de Plancherel « poissonnisée » modifier

La mesure de Plancherel est définie sur pour tout entier . Dans diverses études sur le comportement asymptotique de quand , il s'est avéré utile[4] d'étendre la mesure à une mesure, dite mesure « poissonisée » de Plancherel, sur l'ensemble de toutes les partitions entières. Pour tout , la mesure poissonisée de Plancherel de paramètre sur l'ensemble est définie par

pour tout [2].

Processus de croissance Plancherel modifier

Le processus de croissance de Plancherel est une suite aléatoire de tableaux de Young tels que chaque est un diagramme de Young aléatoire d'ordre dont la distribution de probabilité est la n-ième mesure de Plancherel, et chaque est obtenu depuis son prédécesseur par l'ajout d'une seule case, selon la probabilité de transition

pour des diagrammes de Young de taille et de taille [5].

Le processus de croissance de Plancherel peut ainsi être considéré comme un couplage naturel des différentes mesures de Plancherel de tous les groupes symétriques, ou aussi comme une marche aléatoire sur le treillis de Young. Il n'est pas difficile de montrer que la distribution de probabilité de dans cette marche coïncide avec la mesure de Plancherel sur [6].

Groupes compacts modifier

La mesure de Plancherel pour les groupes compacts est similaire à celle pour les groupes finis, sauf que la mesure n'est pas nécessairement finie. Le dual unitaire est un ensemble discret de représentations de dimension finie, et la mesure de Plancherel d'une représentation de dimension finie irréductible est proportionnelle à sa dimension.

Groupes abéliens modifier

Le dual unitaire d'un groupe abélien localement compact est un autre groupe abélien localement compact, et la mesure de Plancherel est proportionnelle à la mesure de Haar du groupe dual.

Groupes de Lie semi-simples modifier

La mesure de Plancherel pour les groupes de Lie semi-simples a été déterminée par Harish-Chandra. Le support est l'ensemble des représentations tempérées, et en particulier les représentations unitaires n'ont pas besoin d'apparaître toutes dans le support.

Soit un groupe réductif réel. On considère la représentation régulière (par multiplication à gauche et à droite) de sur , c'est-à-dire l'espace vectoriel des fonctions de carré intégrable par rapport à la mesure de Haar. Il existe une décomposition intégrale

est le groupe dual, c'est-à-dire le groupe des classes d'équivalence des représentations irréductibles de et .

La mesure définie par cette décomposition sur le groupe dual est la mesure de Plancherel. La décomposition et donc la mesure de Plancherel ont été explicitement décrites par Harish-Chandra[7]. Il a notamment prouvé que le support de est contenu dans le sous-espace des représentations tempérées.

Notes et références modifier

  1. Alexei Borodin, Andrei Okounkov et Grigori Olshanski, « Asymptotics of Plancherel measures for symmetric groups », Journal of the American Mathematical Society, vol. 13, no 3,‎ , p. 481–515 (DOI 10.1090/S0894-0347-00-00337-4, MR 1758751).
  2. a et b Kurt Johansson, « Discrete orthogonal polynomial ensembles and the Plancherel measure », Annals of Mathematics, vol. 153, no 1,‎ , p. 259–296 (DOI 10.2307/2661375, JSTOR 2661375, arXiv math/9906120, S2CID 14120881).
  3. Benjamin F. Logan et Lawrence Alan Shepp, « A variational problem for random Young tableaux », Advances in Mathematics, vol. 26, no 2,‎ , p. 206–222 (DOI 10.1016/0001-8708(77)90030-5).
  4. Jinho Baik, Percy Deift et Kurt Johansson, « On the distribution of the length of the longest increasing subsequence of random permutations », Journal of the American Mathematical Society, vol. 12, no 4,‎ , p. 1119–1178 (DOI 10.1090/S0894-0347-99-00307-0, S2CID 11355968).
  5. A. M. Vershik et Kerov, « The asymptotics of maximal and typical dimensions irreducible representations of the symmetric group », Funct. Anal. Appl., vol. 19,‎ , p. 21–31 (DOI 10.1007/BF01086021, S2CID 120927640).
  6. Sergueï V. Kerov, « A differential model of growth of Young diagrams », Proceedings of St.Petersburg Mathematical Society, vol. 4,‎ , p. 165-192.
  7. Harish-Chandra, « Discrete series for semisimple Lie groups. II. Explicit determination of the characters », Acta Mathematica, vol. 116, no 1,‎ , p. 1–111.