Moetolo

viol perpétré la nuit par des hommes sur des jeunes femmes dans les sociétés polynésiennes

Le moetolo (en samoan et tokelau moetotolo, en niuéen tolopo, en maori des îles Cook motoro[1]) est, dans plusieurs îles de Polynésie (dont Samoa[2], Wallis-et-Futuna[3], Tuvalu[4], Tokelau[5] et Tahiti[6]), un viol perpétré par un homme sur une jeune femme en s'introduisant la nuit chez elle. Aux Samoa, le moetolo vise à déflorer la jeune femme et lui faire perdre sa virginité afin d'apporter la honte et le déshonneur sur sa famille[2].

Étymologie

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Le terme moetolo est constitué des termes moe (dormir) et tolo (ramper)[7]. Il se réfère aux hommes qui rampent jusqu'à l'intérieur des maisons alors que ses occupants sont endormis[8].

Modes d'action

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Le moetolo est généralement perpétré pendant la nuit, alors que la victime dort. L'homme (en général un adolescent ou un jeune adulte) entre dans l'habitation d'une jeune femme, et cherche à avoir un rapport sexuel avec elle ou à la pénétrer. Si l'agresseur est pris sur le fait, il peut être sévèrement battu par le reste de la famille ; s'il revient, l'homme prouve sa bravoure aux yeux de ses pairs[9].

La définition du moetolo varie selon les sources écrites. La pratique est ancienne, mais semble difficile à documenter car les violences sexuelles sont souvent des sujets tabous dans les sociétés polynésiennes, et de tels actes ont pu être camouflés à travers des métaphores[1].

Aux Samoa, le moetolo vise à déflorer la jeune femme et lui faire perdre sa virginité afin d'apporter la honte et le déshonneur sur sa famille. La pratique est connue avant l'arrivée des Occidentaux, et a encore lieu au XXIe siècle[2]. Lorsqu'un individu moetolo est pris sur le fait, il est souvent battu par les hommes de la famille et puni par son village[7].

On retrouve à Tahiti un terme similaire sous le nom de mōtoro (qui signifie en tahitien « ramper la nuit »[6]), bien que la pratique soit différente : il s'agit pour l'homme de pénétrer en rampant la nuit dans une maison pour parler à une femme et la convaincre d'avoir un rapport sexuel[6]. S'il n'y a pas coercition physique, l'objectif poursuivi par le garçon est d'insister le plus possible « pour que la jeune fille cède sans protester »[6]. Pour l'anthropologue Patrick Cerf, cette pratique est sensiblement différente du moetolo samoan[6]. Toutefois, un autre terme est utilisé en tahitien, māfera, pour désigner la pratique de « surprendre une personne du sexe opposée quand elle dort », qui est traduit par viol et implique une contrainte[6].

Cette pratique est ancienne, et d'après Patrick Cerf, largement encouragée dans la société tahitienne pré-coloniale. D'après cet anthropologue, elle représentait « une soupape, un exutoire nécessaire après l'avènement de la répression sexuelle imposée par les missionnaires »[6].

Tokelau

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Dans un article de 1988, le moetolo est décrit à Tokelau comme « une infraction (offence) commise la nuit en entrant dans l'habitation d'une autre personne dans l'objectif d'obtenir une relation sexuelle. Typiquement, cela inclut des attouchements ou le contact avec les vêtements d'une personne qui dort dans la maison. Il ne s'agit pas d'un rapport sexuel »[5]. À Atafu, cela est puni de dix ans d'exil[10]. Dans une enquête menée en 2015 parmi de nombreuses communautés polynésiennes en Nouvelle-Zélande, les participants tokelauans indiquent que le moetolo est perçu comme une source de honte pour l'homme qui commet l'acte et pour sa famille ; la famille de la victime peut décider de sa punition[11].

À Tuvalu, le moetolo est décrit par Simati Faaniu (1983) comme le fait d'« entrer illégalement dans la maison de la fille quand tout le monde est parti se coucher ». Pour cet auteur, la rencontre est arrangée à l'avance entre le jeune homme et la jeune femme, mais si le jeune homme est pris par la famille réveillée, il risque d'être puni[4].

Pierre-Chanel Simutoga décrit cette pratique à Wallis[3] :

« les jeunes garçons (...) pratiquent souvent le moetolo après que la Lune s'est couchée, tard dans la nuit au moment où le sommeil profond atteint tout le monde. Le garçon, enduit d'huile de coco pour pouvoir glisser entre les doigts de ses éventuels poursuivants et ne leur laisser aucun indice, après avoir déposé son paréo (...) à l'extérieur, pénètre dans le fale [habitation] de la maisonnée à la recherche de la fille (...) Certains arrivent à leurs fins, d'autres procèdent simplement à des attouchements sur la personne convoitée. »

Contexte

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Valeur de la virginité

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Dans la culture wallisienne, la virginité est liée à la pureté : une fille vierge est considérée comme sacrée (tapu, un terme signifiant également « interdite, réservée »). « La virginité des jeunes filles [est] considérée comme un « bien de valeur » (koloa) pour la famille »[12]. Cette conception de la pureté féminine est partagée par de nombreuses cultures polynésiennes[11].

Défloration rituelle (Samoa)

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Aux Samoa, avant l'arrivée des missionnaires, le mari — ou un personnage de haut rang — déflorait publiquement la fiancée avec ses doigts pendant la cérémonie du mariage traditionnel. Au besoin, la jeune fille était maintenue de force[Note 1]. Le sang coulant de l'hymen déchiré était recueilli sur une étoffe blanche montrée à toute l'assistance, et les femmes présentes se l'appliquaient sur le corps, donnant lieu à des manifestations de joie. Ce sang devait constituer une preuve de la virginité de l'épouse, mais il symbolisait surtout le pouvoir de donner la vie[13],[Note 2]. Si la jeune femme avait eu un rapport sexuel avant cette cérémonie, les Samoans considéraient qu'elle avait « perdu » ce sang de la défloration et qu'elle était devenue « asséchée », risquant de devenir stérile. Le rite de la défloration publique s'est maintenu jusqu'aux années 1950[14].

Voir aussi

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Notes et références

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  1. La femme était souvent en pleurs durant cette cérémonie (Tcherkézoff, 2003).
  2. Pour les Samoans, le sang virginal est associé au sang menstruel : dans leur conception du monde, la procréation résulte de la rencontre entre le sperme masculin et le sang féminin. (Tcherkézoff, 2003).

Références

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  1. a et b (en) Teuila Percival et al., Pacific pathways to the prevention of sexual violence : full report, Pacific Health, School of Population Health, University of Auckland, (ISBN 978-0-473-16977-0, 0-473-16977-0 et 978-0-473-16978-7, OCLC 704908975, lire en ligne).
  2. a b et c Serge Tcherkezoff, Faa-Samoa une identité polynésienne : L'anthropologie comme dialogue culturel, Editions L'Harmattan, , 546 p. (ISBN 978-2-296-33669-8, lire en ligne)
  3. a et b Pierre-Chanel Simutoga, « Chapitre II. L’organisation sociale traditionnelle », dans Technologie traditionnelle à Wallis : Essai de sauvegarde de la mémoire collective des charpentiers wallisiens (tufuga) du district de Hihifo, Société des Océanistes, coll. « Publications de la SdO », (ISBN 978-2-85430-112-0, lire en ligne), p. 20
  4. a et b (en) Simati Faaniu, Tuvalu: A History, editorips@usp.ac.fj, (lire en ligne), p. 45
  5. a et b (en) A.H. Angelo, « Tokelau - The Village Rules of 1988 », QUT Law Review, vol. 4, no 0,‎ , p. 209–223 (ISSN 2201-7275 et 2205-0507, DOI 10.5204/qutlr.v4i0.306, lire en ligne, consulté le ) :

    « Moetolo is an offence committed at night by entering the dwelling of another person with intent to make sexual advances. Typically what is involved is the touching, or the disturbing of the cloths, of a person sleeping in the house. The offence does not deal with sexual intercourse. »

  6. a b c d e f et g Patrick Cerf, La domination des femmes à Tahiti: Des violences envers les femmes au discours du matriarcat, Au vent des îles, (ISBN 978-2-915654-18-9, lire en ligne), p. 298-299
  7. a et b « Protoform: MOHE-TORO [PN] Seduce by approaching secretly at night », sur Polynesian Lexicon Project Online (consulté le ).
  8. (en) Byron Malaela Sotiata Seiuli, « Moetolo ‘Sleep-Crawlers’: A Samoan Therapeutic Approach to Sexual Abuse », Sexual Abuse in Australia and New Zealand,‎ (lire en ligne [PDF])
  9. (en) University of Auckland Dept of Anthropology, Working Papers in Anthropology, Archaeology, Linguistics, Maori Studies, (lire en ligne)
  10. (en) A.H. Angelo, « Tokelau - The Village Rules of 1988 », QUT Law Review, vol. 4, no 0,‎ , p. 209–223 (ISSN 2201-7275 et 2205-0507, DOI 10.5204/qutlr.v4i0.306, lire en ligne, consulté le ) :

    « Any person who goes to the house of the pastor for the purpose of committing moetolo commits an offence and shall on conviction be ordered out of Atafu and forbidden to return for a period of up to 10 years. »

  11. a et b (en) Jenny Rankine, Teuila Percival, Eseta Finau et Linda-Teleo Hope, « Pacific Peoples, Violence, and the Power and Control Wheel », Journal of Interpersonal Violence, vol. 32, no 18,‎ , p. 2777 (ISSN 0886-2605, lire en ligne, consulté le )
  12. Sophie Chave-Dartoen, « Rites de passage à Wallis: Succession des générations et renouvellement de la vie », Journal de la société des océanistes, nos 122-123,‎ , p. 77–90 (ISSN 0300-953X et 1760-7256, DOI 10.4000/jso.554, lire en ligne, consulté le )
  13. Serge Tcherkézoff, Faa-Samoa, une identité polynésienne (économie, politique, sexualité) : L'anthropologie comme dialogue interculturel, Paris/Budapest/Torino, L'Harmattan, , 545 p. (ISBN 2-7475-5219-5, lire en ligne), p. 315-373.
  14. Serge Tcherkézoff, « La valeur immatérielle des nattes fines de Samoa : une monnaie au sens maussien », Journal de la Société des Océanistes, nos 136-137,‎ , p. 43–62 (ISSN 0300-953x, DOI 10.4000/jso.6905, lire en ligne, consulté le ).