Motion de censure en France

En droit constitutionnel français, la motion de censure est le principal moyen dont dispose le Parlement pour montrer sa désapprobation envers la politique du gouvernement et le forcer à démissionner.

Assemblée nationale modifier

Hémicycle de l’Assemblée nationale en 2010.

Troisième République modifier

Durant la Troisième et la Quatrième République, le gouvernement pouvait être renversé facilement du fait des conditions relativement souples de mise en jeu de la responsabilité ministérielle[1].

Les gouvernements des deux républiques devaient toute leur légitimité au parlement, le président de la République ne faisant guère que les proposer aux assemblées, auxquelles il devait d'ailleurs lui aussi sa fonction. Un soutien trop faible du parlement, même sans que la censure soit votée, les conduisait souvent à démissionner.

La motion de censure sous la IIIe République fonctionnait sous la forme du droit d'interpellation, un seul député pouvait « interpeller » le gouvernement, et la Chambre voter après débat un texte qui, lorsqu'il était défavorable au gouvernement, entraînait son départ.

Quatrième République modifier

Sous la IVe République, l’Assemblée Nationale est plus puissante que le Conseil de la République, qui a remplacé le Sénat. Celui-ci n’a plus la responsabilité de renverser le gouvernement et perd son pouvoir d’avis conforme. L’Assemblée Nationale peut renverser le gouvernement soit en rejetant une question de confiance posée par celui-ci soit en prenant l’initiative, en votant une motion de censure.

Selon la constitution du 27 octobre 1946, « Le vote par l'Assemblée nationale d'une motion de censure entraîne la démission collective du cabinet. Ce vote ne peut intervenir qu'un jour franc après le dépôt de la motion. Il a lieu au scrutin public. La motion de censure ne peut être adoptée qu'à la majorité absolue des députés à l'Assemblée. »[2].

La responsabilité ministérielle pouvait s’exercer après l’entrée en fonction du gouvernement, à l’initiative des parlementaires via une motion de censure (qui a remplacé l’interpellation).

La motion de censure était déjà rationalisée puisque les votes de censure étaient acquis à la majorité absolue des membres de l’Assemblée, ils interviennent après un délai de réflexion de vingt-quatre heures et se déroulent au scrutin public[1].

Dans la pratique, dès la première application (), le gouvernement, se trouvant mis en cause par une majorité relative, démissionne, considérant qu’il est désapprouvé sans avoir de majorité absolue contre lui. Il crée ainsi un précédent qui sera une source d'instabilité majeure jusqu’à la fin de la IVe .

L’habitude s’est prise de tenir compte de la majorité relative alors que le texte de la constitution devait requérir une majorité absolue. À l’époque on appelle cela « une crise politique » et non « une crise constitutionnelle », malgré les implications pour le système tout entier. Les ministres du gouvernement qui étaient mis en minorité du fait qu'il y avait une majorité relative contre eux, démissionnent. À l’époque, il n’y a pas d’incompatibilité ministérielle; le ministre quittant son ministère retrouve instantanément son siège de député.

Cinquième République modifier

La motion de censure est réformée en 1958 dans le but d'assurer la stabilité gouvernementale.

Dans une logique de rationalisation du parlementarisme, les constituants de 1958 encadrent strictement les conditions de dépôt et de vote de la motion de censure. L'article 49 de la Constitution prévoit notamment qu’une telle motion « n’est recevable que si elle est signée par au moins un dixième des membres de l’Assemblée Nationale » (soit 57,7 députés, arrondi à 58), que « le vote ne peut avoir lieu que quarante-huit heures après son dépôt » et que « seuls sont recensés les votes favorables à la motion de censure qui ne peut être adoptée qu’à la majorité des membres composant l’Assemblée ». Cette dernière disposition permet dans les faits de considérer les abstentions comme des votes de soutien au gouvernement et donc de rendre plus difficile son renversement[1].

Selon la constitution du 4 octobre 1958 toujours, « lorsque l’Assemblée nationale adopte une motion de censure ou lorsqu’elle désapprouve le programme ou une déclaration de politique générale du Gouvernement, le Premier Ministre doit remettre au président de la République la démission du Gouvernement ».

Selon l'Article 27 de la Constitution, il est possible pour un député de déléguer son vote pour l’adoption d’une motion de censure s’il est absent le jour du vote[3].

La motion de censure est le seul cas dans lequel le Premier Ministre est légalement forcé à démissionner. François Mitterrand dira à ce sujet : « Le Premier ministre, qui met en œuvre la politique de la majorité parlementaire, ne peut être révoqué que par elle. »[3].

Dépôt d'une motion de censure à l'initiative des députés modifier

L’Assemblée nationale met en cause la responsabilité du gouvernement par le vote d'une motion de censure. Une telle motion n'est recevable que si elle est signée par un dixième au moins des membres de l'Assemblée nationale (donc 58 députés). Le vote ne peut avoir lieu que quarante-huit heures après son dépôt. Seuls sont recensés les votes favorables à la motion de censure, résultant deux conséquences : d’une part, l’abstention profite au gouvernement, d’autre part, ce n’est pas celui-ci qui doit prouver qu’une majorité le soutient, c’est l’opposition qui doit démontrer qu’elle réunit la majorité absolue des députés[3].

La motion ne peut être adoptée qu'à la majorité absolue des membres composant l'Assemblée : en général 289 votes sur les 577 sièges de l'Assemblée Nationale et un peu moins de 289 voix si certaines élections de députés ont fait l'objet d'annulations, qui n'auraient pas encore donné lieu à des réélections avant le jour du vote de la motion[4].

Depuis la réforme de 1995[5] instaurant la session unique, un député ne peut être signataire de plus de trois motions de censure au cours d'une même session ordinaire et de plus d'une au cours d'une même session extraordinaire, afin d'éviter tout abus.

Entre 1958 et 2018, l'Assemblée nationale a discuté 58 motions de censure « spontanées »[6] ; une seule motion a été approuvée, en 1962. L’adoption de la censure ne destitue pas le gouvernement mais il contraint le Premier ministre à rendre sa démission et celle de son gouvernement. Cependant, après l’adoption de la motion de censure de 1962, de Gaulle a explicitement « invité le gouvernement à continuer d’assurer ses fonctions jusqu’au début de la prochaine législature »[3].

Dépôt d'une motion de censure après l'engagement de la responsabilité du gouvernement sur le vote d'un texte modifier

Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale sur le vote de tout ou partie du texte d'un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté sans débat, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent par un dixième des membres de l'Assemblée Nationale, est votée à la majorité absolue. Contrairement à la motion de censure spontanée, un député peut signer autant de motions de censure offensives qu'il veut. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session[5].

Entre 1958 et 2018, l'Assemblée nationale a discuté 51 motions faisant suite à un engagement de responsabilité du Gouvernement sur un texte[7] (aussi appelées « motions offensives »[8]) ; aucune n’a été approuvée. Mais si une motion offensive venait à être adoptée, le gouvernement serait tenu de démissionner et le texte concerné serait automatiquement rejeté.

Corse modifier

En Corse, le terme utilisé est motion de défiance mais il connaît les mêmes règles formelles que la motion de censure prévue sur le plan national en France. L'Assemblée de Corse peut l'utiliser pour renverser le Conseil exécutif de Corse[réf. nécessaire].

Polynésie française modifier

La mise en cause de la responsabilité du président de la Polynésie française et du gouvernement de la Polynésie française par l'assemblée de la Polynésie française est appelée « motion de censure » dans l'article 156[9] de la loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française, dans sa rédaction valable jusqu'au renouvellement de l'assemblée, et « motion de défiance » dans sa version en vigueur au [10].

Martinique modifier

L'assemblée de Martinique peut adopter une motion de défiance constructive à l'encontre du conseil exécutif. Celle-ci doit être signée par au moins un tiers des membres de l'assemblée et doit indiquer la liste des membres du conseil exécutif appelé à remplacer le conseil exécutif contre lequel la motion est déposée. Une motion de défiance ne peut être adoptée qu'à la majorité des trois cinquièmes des membres de l'assemblée : si elle est adoptée, les fonctions des membres du conseil exécutif cessent de plein droit et les candidats aux fonctions de président du conseil exécutif et de conseiller exécutif qui figurent sur la motion sont déclarés élus et entrent immédiatement en fonction. Cette motion de défiance constructive est similaire à la motion de défiance qui existe dans la collectivité territoriale de Corse. Elle est donc comparable à la motion de censure qui peut être utilisée par l'Assemblée nationale pour renverser le Gouvernement sur le plan national.[réf. nécessaire]

Notes et références modifier

  1. a b et c Pauline Türk, Mémentos LMD Principes fondamentaux de droit constitutionnel, Gualino éditeurs, , 232 p., pages 137 à 142.
  2. Article 50 de la Constitution du 27 octobre 1946, avant la loi constitutionnelle du 7 décembre 1954.
  3. a b c et d Guy Carcassonne et Marc Guillaume, La Constitution, Éditions du Seuil, , 479 pages, pages 249 à 259.
  4. Victor Cousin, « Motions de censure : les clés du vote à venir lundi à l’Assemblée nationale », Le Parisien,‎ (lire en ligne).
  5. a et b « La motion de censure : véritable moyen de contrôle ? 49.3 - Approfondissements Découverte des institutions - Repères - vie-publique.fr », sur www.vie-publique.fr, (consulté le ).
  6. « Motions de censure depuis 1958 », sur www.assemblee-nationale.fr, (consulté le ) et « Engagements de responsabilité du Gouvernement et motions de censures », sur www.assemblee-nationale.fr (consulté le ).
  7. « Engagements de responsabilité et motions de censure (art.49, al.3) », sur www.assemblee-nationale.fr, (consulté le ).
  8. Encyclopædia Universalis, « Motion de Censure », sur Encyclopædia Universalis (consulté le ).
  9. « Loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française - Article 156 », sur legifrance.gouv.fr (consulté le ).
  10. « Loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française - Article 156 », sur legifrance.gouv.fr (consulté le ).