Orangisme (Belgique)

courant politique belge au XIXe siècle

L'orangisme est un courant politique de la Belgique du XIXe siècle, composé de l’élite francophone de Flandre, de Wallonie ainsi que de Bruxelles, qui soutenait la dynastie des Orange-Nassau, en particulier Guillaume Ier et le prince d'Orange. Le mouvement s'est opposé à la révolution de 1830 pendant plusieurs années. Leur désir était de rétablir le royaume uni des Pays-Bas sous l'autorité de Guillaume Ier et ainsi faire en sorte que le sud continue à en faire partie[1].

Grandes armes du Royaume et des rois des Pays-Bas entre 1815-1907.

Histoire modifier

Composition et fondement de l’orangisme avant 1830 modifier

L’orangisme est composé principalement du sommet de la société de l’époque. Ses membres sont issus, pour une grande majorité de l’aristocratie ainsi que du mouvement bourgeois. La laïcité, les idées libérales et l’anticléricalisme sont donc des idéologies qu’on retrouve au sein du mouvement orangiste.

Le mouvement ne recrute pas dans les classes inférieures de la société, que sont les classes moyennes et le peuple. C’est ce qui va d’ailleurs leur poser problème par la suite, n’ayant pas de base sociale, ils ne vont pas pouvoir exercer de pression politico-sociale reposant sur un grand nombre d'ouvriers. Contrairement au mouvement révolutionnaire, l’orangisme ne se constitue que des couches supérieures de la société et donc était très peu nombreux numériquement. Par contre les personnes qui composaient le mouvement étaient très influentes[2].

L’aristocratie sudiste modifier

Guillaume Ier des Pays-Bas sur une toile de 1819.

Lorsque les troupes françaises eurent quitté les Pays-Bas en 1813, un gouvernement provisoire prit le pouvoir. Celui-ci était formé par le comte Leopold de Limburg Stirum, Frans Adam van der Duyn van Maasdam et Guisbert Charles van Hogendorp. Ceux-ci invitèrent le prince Guillaume afin de lui offrir le trône des Pays-Bas. Il refusa une première fois le trône en , puis l'accepta finalement avec une constitution qui garantissait des pouvoirs étendus au nouveau prince souverain. Il ne se proclama roi des Pays-Bas qu'en mars 1815.

Il avait pour mission d’incarner l’union entre le nord et le sud du royaume des Pays-Bas. Bien qu’ayant déjà la sympathie du nord, étant donné que la dynastie Nassau était la suite logique pour le nord, gagner celle du sud était une tâche plus ardue[3]. En effet, l’aristocratie sudiste était numériquement deux fois plus nombreuses que dans le nord et pleine de revendications. L’annexion par les révolutionnaires français en 1794 avait très fortement lésé les privilèges de l’aristocratie sudiste. Privilèges qui n’avaient jamais pu être récupérés, même sous Napoléon au pouvoir. Ainsi, les aristocrates sudistes réclamaient toujours leurs privilèges auprès de Guillaume de Nassau, même si celui-ci était conscient qu’une restauration aristocratique était impossible vu la domination croissante à l’égalité ainsi que l’importance des libéraux[4]. Le roi va néanmoins traiter l’aristocratie sudiste très correctement et ainsi répondre à certaines demandes tel que l’obtention de fonctions honorifiques et symboliques, assister à des cérémonies importantes ou encore être très proche de la famille royale. De ce lien entre l’aristocratie et la couronne naquit une loyauté qui explique pourquoi beaucoup d’orangistes venaient de ces familles aristocratiques. Cela se remarque notamment dans la liste de soutien au prince d’Orange signée en 1834 par une très grande majorité d’aristocrates de l’époque. Le roi belge aura beaucoup de difficultés à gagner la confiance d’une grande partie de l’aristocratie étant donné que des familles importantes tel que d'Ursel, de Bergeyck, de Trazegnies ou encore de Lalaing n’hésitaient pas, par exemple, à ne pas être présent lors des bals de la cour. Cela ne lui sera pas favorable étant donné qu’il cherchait à trouver appui auprès des forces conservatrices.

Dans les secteurs industriels et commerciaux modifier

Beaucoup d’industriels et de commerciaux dont le travail prospère est permis grâce à l’union du royaume des Pays-Bas et au soutien financier de Guillaume d’Orange, vont aussi être présent dans le courant orangiste. L’exemple de l’industrie du textile l’illustre bien. Son essor va de pair avec celui de l’orangisme dans les villes de Lokeren, Alost, Gand, Saint-Nicolas, Lierre, Renaix ou encore Bruxelles. En effet, ils craignent que la scission ne mette en péril leur industrie grandissante et que donc l’opposition au nouveau régime belge est inévitable. Ce sentiment est aussi présent chez les assureurs anversois, les commerçants ostendais ou encore une partie des industriels et négociants de Liège, Mons et Tournai[5].

Les hautes fonctions modifier

Beaucoup de hauts fonctionnaires d’avant 1830 ont dû céder leur place aux révolutionnaires. Ceux-ci ont été renvoyés, rétrogradés ou encore envoyés à la retraite sans trop de scrupules, ce qui créa en eux un sentiment amer. La plupart d’entre eux sont devenus des orangistes très actifs, tel que des ex-ministres, ex-bourgmestres, ex-échevins ou ex-gouverneurs[6].

Le monde de l’enseignement et des sciences modifier

Une bonne partie d’orangistes est présente dans ces deux sphères-ci. Les professeurs et enseignants partisans du mouvement sont même exclus du vote pour le Congrès national. Guillaume d’Orange avait mis en place une intelligentsia au sein des intellectuels et universitaires. Avec la scission, les intellectuels venus s’installer dans le sud sont devenus indésirables de par le fait de parler néerlandais ou d’être étranger. Encore une fois, ce rejet créé un sentiment de trahison qui facilitera leur adhésion au mouvement orangiste[7].

1830 : Révolution belge et indépendance de la Belgique modifier

Ce qui permet à un mouvement tel que l’orangisme de se développer à la suite de la révolution, c’est le grand nombre de personnes mécontentes à ce moment-là. En plus de l’élite qui a perdu beaucoup de privilèges et de pouvoir qu’elle ne pourra jamais entièrement récupérer, ainsi que les victimes de violence collective, s’ajoute à cela les années difficiles économiquement à partir de 1830. Il faudra attendre 1848 pour que les choses s’améliorent de manière notable.

Les années 1830 : développement du mouvement modifier

Coup d’État raté en 1831 modifier

Dès 1830, les orangistes furent opposés aux monarchistes, membres du Congrès national. Ces monarchistes, bien que minoritaire en nombre, étaient déterminés à exclure à tout prix la maison d’Orange de toute accession au trône. Le bombardement d’Anvers par les partisans hollandais du survint quelques jours avant les premières séances du Congrès national, ce qui permit aux anti-orangistes de renforcer leur argumentation. Les orangistes du Congrès national quant à eux sont vus comme peu combatifs et peu dynamiques. On ne retrouve au Congrès qu’une minorité d’orangistes fidèles et acharnés.

Lors de l’assemblée du , il fut introduit devant le Congrès une proposition pour exclure définitivement la maison d’Orange-Nassau de toute accession au trône. Les jours suivant furent marqués par un grand nombre de débats houleux au sein de l’assemblée. Le , lors d’une séance à huis clos, fut voté à 161 contre 28 l’exclusion des Orange-Nassau[8].

Cette première défaite des orangistes ne fut pas la dernière. Dès , une censure fut mise en place au sein du Congrès. Les quelques orangistes restant au sein de cette assemblée ne purent plus parler du Prince d’Orange. De nombreuses menaces furent adressées à ces quelques orangistes, ce qui eut comme effet d’installer la terreur au sein du Congrès. « Le nom du prince d’Orange ne pouvait plus être prononcé impunément dans une assemblée belge » rapportait un journal flamand. Agir au sein du Congrès était alors devenu totalement désespéré pour les orangistes. D’autres moyens furent donc utilisés.

Le mouvement contre-révolutionnaire orangiste allait se développer grandement grâce aux actions mises en place entre janvier et . Un coup d’État allait s’organiser petit à petit au fil de ces mois. Alberic du Chastel, ami proche du prince, fut une des figures les plus importantes de ce coup d'État. Chargé des finances, c’est lui qui s’occupa de recruter des soldats et des hommes pour mener à bien ce coup d’État.

Ce coup d’État eut lieu le . Il avait pour but principal d’attaquer Bruxelles et le Congrès national pour empêcher qu’un vote soit effectué en faveur du duc de Nemours, fils du roi de France et que celui-ci se voie placé à la tête du pouvoir. Malheureusement, le plan ne se déroula pas comme prévu pour les orangistes qui virent une vague de froid s’abattre sur le pays gelant ainsi les cours d’eau et rendant les routes impraticables. Les plans d'action qui furent normalement mis en place à Bruxelles, Gand, Louvain et Anvers furent annulés. On préféra les réserver pour une deuxième tentative de coup d'État.

En fin février, un regain d’énergie apparut du côté des orangistes lors de l’annonce de la nouvelle selon laquelle le roi de France refusait que son fils devienne roi de Belgique.

Vers la mi-mars, période caractérisée par une grande division au sein du gouvernement belge, les chefs de file du mouvement jugèrent le moment comme opportun pour relancer un coup d’État. En comparaison avec l’attaque du , la préparation, la coordination et la concertation du projet furent bien meilleures. Mais le plan allait une nouvelle fois échouer. Cette fois-ci à cause de l’ambassadeur britannique, lui-même orangiste, installé en Belgique, qui conseilla aux leaders des armées orangistes d’attendre avant de lancer ce coup d’État. Cette intervention suscita des réactions très contrastées au sein des troupes orangistes à Bruxelles. Par ce conseil, les troupes se désordonnèrent et prirent peur. L’attaque de Bruxelles échoua face à la Garde civique. Anvers, Gand et Louvain attendirent un signal venant de Bruxelles pour également passer à l’offensive, mais celui-ci n’arrivera jamais. Le deuxième coup d’État fut complètement brisé en quelques heures seulement[9].

Déclin du mouvement (traité des XXIV) modifier

Après ce coup d’État manqué en , les orangistes devinrent la cible d’attentats et de pillage. À Bruxelles, Liège, Gand et Anvers, des actions violentes se produisirent contre les objectifs orangistes. Il fallut attendre l’avènement de Léopold Ier en pour que la situation se calme temporairement. Après la double débâcle des coups d’État manqués, le mouvement contre-révolutionnaire va essayer de continuer à grandir et à s’imposer en Belgique. Ils firent usage des libertés civiles octroyées aux citoyens belges et garanties par la Constitution. On verra donc apparaître différents journaux orangistes, financés par des subsides royaux venant de La Haye. La Belgique étant un pays qui se targue de sa liberté de presse, les orangistes pourront difficilement être sanctionnés. Ceci leur permit donc de continuer à attaquer le gouvernement ainsi que le roi en plus de rabaisser la Belgique aux yeux de ses habitants et des pays étrangers.

Entre la fin de 1831 et le milieu de 1834, plusieurs bagarres eurent lieu, accompagnées de dégâts et de destructions d’habitations et de biens, à Gand, Anvers et Bruxelles[10]. On dénombra parmi ces victimes la crème de la vieille aristocratie. Ces actions eurent lieu dans le prolongement des évènements violents de 1830. L’ancien régime étant destitué, ses partisans orangistes sont des traîtres à la patrie et sont donc la cible d’attentats. Les autorités laissent d’ailleurs la violence anti-orangiste se déchaîner partout[9].

Le gouvernement belge fit passer une loi qui sanctionna sévèrement toute manifestation d’orangisme et la police renforça fortement ses contrôles. Ces actes violents eurent pour effet d’intimider les partisans orangistes qui furent réduits au silence soit par la brutalité soit par la peur[11].

Les orangistes furent dès lors fortement affaiblis par l’État belge, les évènements de 1838 à 1839 vont jouer un rôle essentiel dans le processus de démantèlement du mouvement. En , Guillaume Ier, roi des Pays-Bas, annonce son intention de signer le traité des XXIV Articles.

Après de longs débats parlementaires en Belgique, le traité fut ratifié entre la Belgique et les Pays-Bas le . Dès lors, plus aucun obstacle ne put s’opposer à la normalisation des relations diplomatiques entre la Belgique et les Pays-Bas. Les orangistes virent cela comme un abandon de la part de Guillaume Ier. En effet, celui-ci ne cherchant plus la restauration de la famille d’Orange en Belgique, les orangistes défendaient désormais un objectif qui n'était plus atteignable. De plus, à la demande de La Haye, la presse orangiste dut se retrancher dans le silence. Partout les irréductibles quittèrent l’organisation du mouvement. Il fallut néanmoins encore attendre quatre ans pour que tout projet d’offensive soit abandonné et que l’opposition politique ne s’éteigne totalement[9].

Orangistes historiques connus modifier

Annexes modifier

Bibliographie modifier

  • (nl) Gita Deneckere, « De plundering van de orangistische adel in april 1834 : De komplottheorie voorbij », Revue belge d'histoire contemporaine, vol. XXVI, nos 3-4,‎ , p. 29-63 (lire en ligne, consulté le )
  • Guillaume Jacquemyns, « Les Orangistes défenseurs de l'intégrité territoriale et de la liberté de l'Escaut », Revue belge de philologie et d'histoire, vol. 9, no 2,‎ , p. 535-548 (lire en ligne, consulté le )
  • (nl) Frank Judo, « De lange aanloop naar de aprilrellen van 1834 : Een bijdrage tot de geschiedenis van het orangisme te Brussel, 1832-1834 », Revue belge d'histoire contemporaine, vol. XXVI, nos 1-2,‎ , p. 85-103 (lire en ligne, consulté le )
  • Jean Stengers, « Sentiment national, sentiment orangiste et sentiment français à l'aube de notre indépendance », Revue belge de philologie et d'histoire, vol. 28, no 3,‎ , p. 993-1029 (lire en ligne, consulté le )
  • Jean Stengers, « Sentiment national, sentiment orangiste et sentiment français à l'aube de notre indépendance (suite) », Revue belge de philologie et d'histoire, vol. 29, no 1,‎ , p. 61-92 (lire en ligne, consulté le )
  • Frans van Kalken, Commotions populaires en Belgique : 1834-1902, Bruxelles, Office de Publicité, , 203 p., chap. Ier (« Le Sac d'avril 1834 »), p. 9-35
  • (nl) Els Witte, Het verloren koninkrijk : Het harde verzet van de Belgische orangisten tegen de revolutie, 1828-1850, Anvers, De Bezige Bij, , 688 p. (ISBN 978-90-8542-550-2).
  • Els Witte (trad. du néerlandais par Anne-Laure Vignaux), Le Royaume perdu : Les orangistes belges contre la révolution (1828 – 1850), Bruxelles, Édition Samsa, , 663 p..
  • (nl) Els Witte, « Hoe Oranjegezind waren de taalminnaren? », Wetenschappelijke Tijdingen (nl), vol. LXXIII, no 2,‎ , p. 105-129 (lire en ligne, consulté le )
  • E. Witte, La Construction de la Belgique 1828 – 1847, Tournai, Édition Complexe, .
  • E. Witte et J. Craeybeckx, La Belgique politique de 1830 à nos jours, Bruxelles, Labor, 1987.
  • E. Gubin, J-P Nandrin et E. Witte, Histoire de la Chambre des représentants de Belgique, Bruxelles, Chambre des représentants de Belgique, 2003.
  • Els Witte, « L'aristocratie belge et l'orangisme », Revue belge de philologie et d'histoire, nos 93-2,‎ , p.439-486.
  • Michel Dumoulin (dir.), Nouvelle histoire de Belgique : 1830-1905, vol. 1, Bruxelles, Édition Complexe, .
  • Pierre Havaux, « L'élite francophone voulait la perte de la Belgique », Le Vif,‎ (lire en ligne).

Article connexe modifier

Références modifier

  1. Witte 2015, p. 440.
  2. Havaux 2014.
  3. Witte 2015, p. 445.
  4. Witte 2015, p. 451.
  5. Witte 2015, p. 471.
  6. Witte 2015, p. 472.
  7. Witte 2015, p. 473.
  8. Witte 2005.
  9. a b et c Witte 2014.
  10. Jean Stengers, Histoire du sentiment national en Belgique des origines à 1918, tome 1, Les Racines de la Belgique, éditions Racine, Bruxelles, 2000 (ISBN 2-87386-218-1), p. 216.
  11. Dumoulin 2005.