Papeterie de Thiers

La papeterie de Thiers était une spécialité de savoir-faire élaborée dans la région de Thiers à l'est du département du Puy-de-Dôme et en région Auvergne-Rhône-Alpes. Cette technique doit une partie de son existence à la présence de la Durolle et à une main d'œuvre abondante dans la région.

Papeteries visibles avec leur séchoir en bois près du pont Saint-Jean dans la vallée des Usines.

Trouvant ses premières traces au XVe siècle dans la future vallée des Usines, la papeterie deviendra la deuxième activité économique de la ville de Thiers derrière la coutellerie et devant la tannerie en connaissant son apogée au XVIIIe siècle. Plus de 1 000 papetiers sont alors comptabilisés à Thiers alors que les marchands thiernois exportent les productions locales dans tout le pourtour méditerranéen et jusque dans les Indes.

Victimes d'une concurrence rude créée dans un contexte international compliqué, aggravée par une situation géographique en fond de gorges, les papeteries vont peu à peu diminuer en main d'œuvre et en établissements pour voir la dernière papeterie de la ville remplacée par une coutellerie en .

En , s'il n'existe aucun établissement fabriquant du papier sur Thiers, l'histoire papetière de la région est présentée brièvement au musée de la coutellerie et peut être appréhendée à Ambert assez proche avec le moulin à papier de Richard-de-Bas.

Origine géographique modifier

Les papeteries s'installent véritablement au XVe siècle dans des rouets le long de la rivière Durolle entre le quartier du Moûtier situé dans la ville-basse de Thiers et plus en amont dans la montagne thiernoise, dans les futures vallées des Usines et des Rouets[1],[2]. En effet, les maillets sont entraînés par la force motrice de la rivière pour produire du papier. Les couteliers, déjà présents dans la vallée à cette date utilisent également la puissance de la Durolle comme moyen de travail — tout comme les tanneurs également[3].

Plan montrant le parcours de la Durolle contournant l'est puis le sud de Thiers et situant les principales usines sur les rives de la rivière.
Carte de la vallée des Usines et de la cité médiévale de Thiers, principaux lieux de production de couteaux et de papiers sur la ville.

Histoire modifier

Origines modifier

La force hydraulique de la Durolle est utilisée à Thiers dès le Moyen Âge pour mouvoir les moulins à farine, les foulons des tanneurs, les maillets des papetiers, et avec le développement de la coutellerie, les martinets des fondeurs et les meules des émouleurs[4],[5].

Si dès le XVe siècle, un quart des ouvriers thiernois exerce le métier de coutelier[6], la deuxième activité économique de la ville de Thiers est la papeterie. En effet, en , l'Auvergne représentait à elle seule plus de la moitié de tous les moulins du Royaume de France. L'économie de la vallée de la Dore s'oriente vers cet artisanat, avec Ambert et Thiers comme centres névralgiques[7]. À cette date, Ambert compte jusqu'à 150 moulins tandis que Thiers en compte une cinquantaine[8].

La corporation des papetiers thiernois possède des règlements de « toute ancienneté », confirmés par lettres patentes du roi Henri III en . En , Louis XIV donne de nouveaux statuts aux papetiers de la région pour régler des dissensions entre les fabricants[9].

Cohabitation avec la coutellerie modifier

L'architecture des forges Mondière dans la vallée des Usines atteste qu'une activité papetière a eu lieu dans cette usine.

Les limites de l'expansion de l'industrie papetière thiernoise peuvent s'expliquer par le poids non négligeable de la coutellerie sur le bassin[10]. En effet, la principale activité économique de la ville absorbe directement un quart des ouvriers et indirectement plus d'un ouvrier sur deux au XVe siècle. Les autres activités se départagent ainsi les autres personnels : tanneries, papeteries ou encore fabriques de cartes à jouer[11].

Dans la vallée des Usines principal lieu de production papetière de la ville, les usines changent plusieurs fois de destination à travers l'histoire alternant entre coutellerie et papeterie[12]. L'usine du pont de Seychalles est un parfait exemple : lors de l'ouverture de l'usine en , une papeterie s'installe — l'inscription « papeterie du pont de Seychal » est d'ailleurs encore visible sur la façade principale en [13]. L'usine s'est en fait construite sur les traces d'un ancien rouet du XVe siècle destiné à une activité coutelière. En , elle devient la plus grande papeterie de la ville pour fabriquer notamment des billets de banque[14]. En , elle devient propriété de la Société générale de coutellerie et orfèvrerie[12],[15].

Expansion commerciale modifier

Blason de Thiers symbolisant la puissance commerciale thiernoise du XVIe siècle au XVIIIe siècle.

Les objets produits à Thiers sont exportés dans plusieurs pays au XVIIe siècle : en Espagne, en Italie, en Allemagne, en Turquie et « aux Indes »[6],[Note 1].

À partir du XVIIIe siècle, les couteliers thiernois exportent leurs productions en dehors des frontières nationales d'une manière croissante[6]. Le commerce, et plus particulièrement ceux du couteau et du papier, est un atout majeur pour la ville de Thiers qui compte déjà plus de 10 000 habitants au XVIIIe siècle[16]. Il participe non seulement à l'essor économique de cette ville, mais également au maintien d'activités artisanales très présentes dans la région[16].

La puissance commerciale de Thiers, dont les couteaux et les papiers sont les principaux objets, laisse comme emblème municipal un navire trois-mâts pour la symboliser.

Lente chute de l'activité papetière thiernoise modifier

Dès le XVIIIe siècle, l'industrie papetière thiernoise connaît une lente et longue agonie[10]. En premier lieu, les guerres continuelles de Louis XIV contre les pays avec lesquels les marchands commerçaient. Le Royaume d'Espagne reste ouvert au marché papetier français jusqu'au XVIIe siècle. Par la suite, cette ouverture va se clore à cause de la guerre de succession d'Espagne. Les traités mettant fin à cette guerre en 1713 et 1714 ferment la frontière aux échanges commerciaux depuis la France[9]. Si le papier de Thiers était alors destiné à l'écriture, celui d'Ambert était plutôt tourné vers l'édition. Et l'Espagne était alors une grande cliente des marchands thiernois dans ce domaine[9].

Au cours du XVIIIe siècle, la papeterie de Thiers a bien du mal à conserver ses marchés internationaux, les Espagnols s'approvisionnant dorénavant à Gênes en Italie qui vient d'installer de nouveaux moulins à papier. En France, principal marché des papetiers à cette date, la concurrence est rude avec un secteur dense et des productions importantes dans d'autres régions. La Hollande imposera une concurrence d'autant plus importante que cette région historique avait réussi à moderniser ses mécanismes de production[9]. Les papetiers thiernois eurent donc beaucoup de mal à prendre le virage de la modernité[9].

Un autre facteur de décroissance entre en jeu, celui des matières premières devenues rares et difficiles à approvisionner jusqu'à Thiers à cause de leur prix exponentiel en raison du contexte de crise économique du secteur en [9].

Limitées par l’étroitesse de la vallée de la Durolle, la plupart des papeteries sont de petite taille et sont souvent contraintes de s’associer pour répondre aux commandes les plus importantes. Par ce biais, les papetiers thiernois ont été des fournisseurs privilégiés de l’État, qui exigeait que certains papiers soient fabriqués à la cuve, c’est-à-dire quasiment à la main. Cette condition, qui fait pendant un temps la fortune de ces papetiers, est finalement un frein à la modernisation de leur activité. De plus, la petitesse des usines et le rendement limité des roues hydrauliques empêchent l’installation de machines. Rapidement, Thiers n’est plus concurrentielle, perd tous ses marchés en plus d'un contexte international qui joue en sa défaveur[17].

Disparition de la papeterie à Thiers au profit de la coutellerie modifier

L'usine du pont de Seychalles qui devient une des plus grandes coutelleries de la ville dans les années après avoir été une papeterie pendant près d'un siècle.

La fin du XVIIIe siècle fut compliqué pour la ville de Thiers, qui passe de 11 430 habitants en à 10 605 en puis 9 836 en [18]. Cette chute de population s'explique par une économie globale du bassin en mauvaise posture. La coutellerie, la tannerie, la gainerie et la papeterie perdent des emplois à chaque recensement[10].

Évolution de la main d'œuvre industrielle à Thiers entre 1789 et 1810
Années Coutellerie Tannerie Gainerie Papeterie
1789 5 000 70 100 1 000
1800 4 500 en diminution 24 en diminution 90 en diminution 840 en diminution
1810 3 000 en diminution 16 en diminution 40 en diminution 800 en diminution

Alors que toutes les industries thiernoises connaissent une crise économique importante, la coutellerie sera la seule activité qui connaitra un essor dès le milieu du XIXe siècle lors de la révolution industrielle[19].

Au début du XXe siècle, pour ne plus dépendre des caprices de la Durolle, les usines utilisent la force motrice électrique alors que les dernières papeteries ferment leurs portes définitivement. La Durolle permet d'obtenir une puissance d'environ 1 000 chevaux par jour en moyenne en contre 1 500 chevaux pour l'énergie d'origine électrique[10].

La puissance moyenne par jour de la force motrice électrique s'établit ainsi :

année puissance en cheval-vapeur
170 en augmentation
803 en augmentation
1 123 en augmentation
1 500 en augmentation

L'indépendance des usines face à la Durolle leur permet de devenir des « usines complètes ». Ainsi, dans la vallée de la Durolle, plus de 12 000 ouvriers couteliers et 550 fabricants sont présents en . Le bassin thiernois est alors le plus gros bassin français de production de couteaux et d'outils possédant une lame, loin devant ceux de Châtellerault, Nogent-en-Bassigny et Paris et à égalité avec Sheffield au Royaume-Uni.

Image d'une ville papetière ? modifier

Papeterie Recourland au XIXe siècle dans la vallée des Usines.

Le « Thiers coutelier » efface l'image du « Thiers papetier » modifier

Face au poids important de l'économie coutelière dans la région, et l'emprise de la main d'œuvre vers cette activité, Thiers s'oriente dès le milieu du XIXe siècle vers une « mono-industrie coutelière »[20]. Avec plus de 12 000 couteliers sur une population municipale de 17 400 au début des années et la dernière papeterie qui ferme définitivement ses portes en , la mémoire papetière semble disparaître au profit d'une activité autant voire plus ancienne et plus ancrée sur la région, celle du couteau[21]. Disparition rapide puisque la très grande majorité des papeteries seront détruites pour accueillir de nouvelles usines de coutellerie. En , seuls trois bâtiments très marqués par la papeterie sont encore existants : l'ancienne papeterie Navarron, une de ses annexes et les forges Mondière — toutefois assez transformées par les activités de forge et de scierie qui suivirent[22],[23].

Léger travail de mémoire papetière locale modifier

Le musée de la coutellerie bien que présentant d'abord la coutellerie thiernoise et son histoire, traite de l'histoire commune à la coutellerie de plusieurs activités au XVe siècle dans la région, dont la papeterie dans son parcours scientifique et culturel[24].

Quelques traces de l'activité papetière résistent à Thiers. Si quelques rares bâtiments subsistent et témoignent encore de cette dernière, la toponymie de certains lieux fait un travail de mémoire sur ce qui fut la deuxième économie de la ville pendant plusieurs siècles[22]. Ainsi, le quartier de la « Paillette », son ruisseau et la « rue des Papeteries » sont des témoins de ce passé industriel et artisanal[25]. Le « pont des Patières », ancien nom de l'actuel pont Saint-Jean en est un également[26],[27].

Notes et références modifier

Notes modifier

  1. Legrand d'Aussy remarque dans son livre, Voyage en Auvergne, en 1788, que les industriels thiernois luttent efficacement contre les industriels anglais jusque dans les Indes.

Références modifier

  1. « Histoire du couteau en Auvergne », sur Claude Dozorme (consulté le ).
  2. Anne Henry, « Un site urbain façonné par l’industrie : Thiers, ville coutelière », In Situ. Revue des patrimoines, no 6,‎ (ISSN 1630-7305, DOI 10.4000/insitu.8588, lire en ligne, consulté le )
  3. « Le moulin à papier Richard de bas à Ambert », sur www.richarddebas.fr (consulté le )
  4. « La vallée des usines - Balades dans le Puy-de-Dôme », canalblog,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  5. Caroline DRILLON et Marie-Claire RICARD, L'Auvergne Pour les Nuls, edi8, (ISBN 978-2-7540-4485-1, lire en ligne).
  6. a b et c Paul Combe, « Thiers et la vallée industrielle de la Durolle », Annales de Géographie, vol. 31, no 172,‎ , p. 360–365 (ISSN 0003-4010, DOI 10.3406/geo.1922.10136, lire en ligne, consulté le ).
  7. Pierre-Claude Reynard, Histoires de papier, la papeterie auvergnate et ses historiens, Broché, , 410 p. (lire en ligne)
  8. « Le moulin à papier Richard de Bas : 700 ans de fabrication à la main », sur ActuaLitté.com (consulté le )
  9. a b c d e et f Bruno Tournilhac, « Les industries thiernoises au XVIIIe siècle », Le Pays Thiernois,‎
  10. a b c et d Dany Hadjadj, Pays de Thiers: le regard et la mémoire, Presses Univ Blaise Pascal, (ISBN 978-2-84516-116-0, lire en ligne)
  11. « De la fiscalité des jeux de cartes à travers l’histoire – Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes », sur histoire-de-la-douane.org (consulté le )
  12. a et b « PSS / Usine du Pont de Seychalles (Thiers, France) », sur www.pss-archi.eu (consulté le )
  13. « Usine de papeterie Bouchet Chassaigne, puis Fayet, puis Lair, Maillet et Lair, puis coutellerie Société Générale de Coutellerie et Orfèvrerie, puis usine de produits de polissage Magnol », sur www.pop.culture.gouv.fr (consulté le )
  14. « Guide de Thiers » [PDF], sur Thiers-tourisme,
  15. France 3 Auvergne-Rhône-Alpes, « La métamorphose de la Vallée des Usines », sur Fondation Michelin,
  16. a et b Dany Hadjadj, Pays de Thiers : le regard et la mémoire, Presses Univ Blaise Pascal, , 592 p. (ISBN 978-2-84516-116-0, lire en ligne).
  17. AnneHenry, « Un site urbain façonné par l’industrie : Thiers, ville coutelière », sur www4.culture.fr (consulté le )
  18. « Thiers - Notice Communale », sur cassini.ehess.fr (consulté le )
  19. « Fabrication - Informations 3Thiers - 3Thiers, ma web coutellerie », sur 3thiers.com (consulté le ).
  20. L'Usine Nouvelle, « Thiers affûte ses lames pour sauver la coutellerie - Investissements industriels », L'usine nouvelle,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  21. Centre France, « Jusqu’au siècle dernier, le quartier a résonné des bruits de l’industrie coutelière », sur www.lamontagne.fr, (consulté le )
  22. a et b Centre France, « Marches à l'ombre [3/5] - Du Moutier à la ville haute de Thiers, par les "pâtières" », sur www.lamontagne.fr, (consulté le )
  23. Centre France, « Culture - Visite des forges Mondière de Thiers (Puy-de-Dôme), future annexe du musée de la Coutellerie », sur www.lamontagne.fr, (consulté le )
  24. Musée de la coutellerie de Thiers, La coutellerie thiernoise : histoire et techniques de fabrication, Thiers, Ville de Thiers
  25. « Rue des Papeteries - Inventaire Général du Patrimoine Culturel », sur patrimoine.auvergnerhonealpes.fr (consulté le )
  26. « Au fil de l'eau…vergnat La Durolle dans la vallée des usines » (consulté le )
  27. « Thiers-ville », sur www.genealogie-vieillard.com (consulté le )