Phonoscène est l'appellation donnée par l'industriel Léon Gaumont à des films de cinéma synchronisés à des enregistrements phonographiques selon le procédé du Chronophone mis au point par Georges Demenÿ, un transfuge de la « Station physiologique » (laboratoire) d'Étienne-Jules Marey, qui furent enregistrés dès 1902 sous la direction d'Alice Guy, la première femme réalisatrice de l'histoire du cinéma. Ce sont parmi les premiers exemples de films musicaux, après ceux du Phono-Cinéma-Théâtre.

Une publicité pour le chronophone présentant une phonoscène.

Le chronophone était basé sur une synchronisation approximative d'un phonographe avec une caméra de prise de vues, d'abord au format 58 mm Gaumont, puis au format standard international, le 35 mm de Thomas Edison. La synchronisation était rendue par le même dispositif lors de la projection. Le démarrage de chaque machine se faisait au même moment, mais il n'y avait aucun lien - mécanique ou électrique - entre les deux, pour assurer et maintenir un quelconque synchronisme du déroulement du film avec l'émission du son.

La technique de fabrication était d'abord de faire enregistrer une chanson par gravure sur un cylindre de cire (et plus tard sur un disque de cire) à l'aide d'une aiguille d'acier activée par les vibrations du son sur la membrane qui la portait. Puis, sur le plateau de tournage, on mettait en mouvement la caméra en même temps qu'un phonographe : c'est ce qu'on appelle aujourd'hui un playback ; le chanteur suivait l'enregistrement de sa propre voix et de l'orchestre d'accompagnement. L'astuce évitait ainsi de recommencer une prise de vues à cause d'un problème d'enregistrement ou d'interprétation. Les phonoscènes se présentent sous la forme d'un plan en pied (appelé plan moyen) d'environ 3 minutes. Pour d'autres prestations que les chansons (sketches, monologues), la gravure était faite sur le plateau même, au moment du tournage[1]. Un grand nombre de Phonoscènes utilisaient un disque déjà commercialisé par une firme phonographique (les marques : Odéon, Zonophone, Gramophone, Fonotipia, Idéal, Favorit, APGA, Appolon, Aérophone ont été identifiées) sur lequel l'artiste chantait en playback[2].

La production de phonoscènes peut être classée en quatre catégories : chansons, airs d'opéra populaires, airs d'opérettes et enfin une dernière catégorie regroupant les scènes de danse, les monologues, saynètes, assauts d'escrime[3]. Une autre appellation, les filmparlants rassemble des saynètes comiques.

L'ère des phonoscènes (1902-1917)

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La production expérimentale débute en 1902. Le premier catalogue date de 1907. Déconsidérée lors du déclenchement de la Première Guerre mondiale, qui déstabilise le cinéma européen (arrêt des productions de Georges Méliès, par exemple), la diffusion des phonoscènes cesse définitivement en 1917[4].

Des phonoscènes sont présentées au théâtre de la 39e rue à New York les 5, 6 et [5].

Jean-Jacques Meusy estime à 774 le nombre de phonoscènes produites par Gaumont[6]. Le catalogue en ligne des archives Gaumont-Pathé en recense aujourd'hui 140.

Avant les Scopitones et les Cinéphonies, l'ère des phonoscènes présente une des « histoires paratactiques » du clip[7],[1].

Diffusion

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Les phonoscènes sont d'abord présentées lors de séances exceptionnelles organisées par Léon Gaumont à l'académie des sciences. Gaumont reproduit ainsi la stratégie de Thomas Edison et des frères Lumière : faire valider l'avancée technique par des institutions savantes. À partir de 1907, la diffusion s'élargit (foires, bordels, brasseries, café-concerts...) en même temps que se sédentarise la projection cinématographique. À partir de 1910, la diffusion est à la fois régulière (4 nouvelles phonoscènes par semaine) et massive (plusieurs milliers de spectateurs par jour à Paris).

Outre les projections foraines, Martin Barnier évoque des diffusions au Nouvel Alcazar en mars-avril 1910 puis à la Scala de l'été 1912 jusqu'à la déclaration de la guerre de 1914-1918[8].

Montpellier

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Martin Barnier évoque une diffusion massive (des milliers de spectateurs) à l’Hippodrome de Montpellier autour de 1910. À la même époque, des projections-synchronisations régulières ont lieu à la brasserie Guillaume-Tell.

Saint-Étienne

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Projections massives dans la salle Gaumont de la ville à partir du jusqu'à la déclaration de guerre[9].

Toulouse

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Les Nouveautés (un temps cinéma Gaumont-Nouveautés du boulevard Carnot, aujourd'hui fermé) présente des phonoscènes en [10].

Entre 1910 et 1917, quatre phonoscènes sont présentées chaque semaine en première partie de programme des cinémas parisiens Gaumont. Deux au Gaumont Palace et deux autres (différentes) au Cinéma-Théâtre-Gaumont (7, boulevard Poissonnière), à Paris.

Attribution

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La réalisation des phonoscènes est assurée au début par Alice Guy puis par Louis Feuillade.

Selon Bernard Bastide[11], Étienne Arnaud a dirigé onze phonoscènes d'opéra suivants :

  • (n° 301) Valse extrait de Roméo et Juliette Tournage le .
  • (n° 302) Cavatine extrait de Roméo et juliette Tournage le .
  • (n° 303) Rachel, quand au Seigneur extrait de La Juive Tournage les 16 et .
  • (n° 304) Cavatine extrait de La Juive– CAVATINE Tournage les 16 et .
  • (n° 305) Dieu m'éclaire extrait de La Juive Tournage les 16 et .
  • (n° 306) Duo du 4e acte extrait de La Juive Tournage les 16 et .
  • (n° 308) Évocation des Nonnes extrait de Robert le Diable Tournage le  ; .
  • (n° 319) Pour tant d'amour, extrait de La Favorite Tournage le .
  • (n° 320) Ô Mon Fernand, extrait de La Favorite Tournage le .
  • (n° 321) Duo du 1er acte extrait de La Favorite Tournage le .
  • (n° 322) Jardins de l'Alcazar extrait de La Favorite Tournage le .

En Angleterre, Artur Gilbert, pour le compte de la Gaumont-British Picture Corporation, en synchronise 33 en 1906, 54 en 1907 et 15 en 1908[réf. souhaitée]. Sans doute assiste-t-il à la séance spéciale organisée pour présenter l'invention à la reine consort Alexandra de Danemark, le , et lors de laquelle sont présentées[12] :

  • L'Air du Miserere (extrait du Trouvère de Verdi)
  • The Captain Song (extrait de l'operette H.M.S. Pinafore de Gilbert et Sullivan)
  • Tit-Willow (extrait de l'opéra comique Le Mikado de Gilbert et Sullivan)
  • This Little Girl and That (extrait de la pièce musicale The Little Michus d'Albert Vanloo, Georges Duval et André Messager)
  • La Serenade issue de Faust

Première exhumation

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Dans les années cinquante, un "cinquantenaire du cinéma sonore" (en 1952?) tente de réhabiliter la mémoire des phonoscènes lors d'une séance spéciale présentant le Chronophone conservé au Musée des arts et métiers ou au Conservatoire national des arts et métiers[réf. nécessaire].

Diffusion télévisée

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Fin des années 1970

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Plusieurs phonoscènes sont diffusées à la télévision pendant la saison 1977-1978 dans l'émission hebdomadaire Dimanche Martin produite et animée par Jacques Martin. Les séquences «Le Musical de l'Au-delà» ou le « Grand Album » permet à Pierre Philippe de « se transformer en mineur de fond au sein des archives Gaumont »[13]. Bien avant que les historiens ne s'intéressent aux phonoscènes, le grand public en prend connaissance grâce à cette émission très populaire. Pierre Philippe réalise ensuite pour Arte un documentaire en deux parties, Le roman du music-hall, diffusé en , dans lequel sont également présentés quelques phonoscènes[14].

Années 2000

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Lors d'une soirée Thema consacrée fin 2005 à l'histoire du clip, le court documentaire Clipausaurus Rex de Philippe Truffault évoque les phonoscènes (ainsi que les song-slides) parmi les plus anciens ancêtres du clip[15]. Quelques phonoscènes sont par la suite éditées sur DVD par Lobster ou Gaumont.

Quelques phonoscènes visibles en DVD ou aux Archives françaises du film

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Bibliographie

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  • Raymond Chirat, Éric Le Roy (coll.), Catalogue des films français de fiction de 1908 à 1918, Cinémathèque française, 1995 (ISBN 2-900596-11-4)
  • Rick Altman, Silent Film Sound, Columbia University Press, New York, 2004 (ISBN 0-231-11662-4) Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • Édouard Arnoldy, Pour une histoire culturelle du cinéma : au-devant de "scènes filmées", de "films chantants et parlants" et de comédies musicales, éd. du CEFAL, Liège, 2004, (ISBN 2-87130-181-6) Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • Martin Barnier, En route vers le parlant : histoire d'une évolution technologique, économique et esthétique du cinéma (1926-1934), éd. du CEFAL, Liège, 2002 (ISBN 2-87130-133-6)
  • Martin Barnier, « Une histoire technologique : l’exemple du son avant le "parlant" », Revue d’histoire moderne et contemporaine nos 51-54, , pp. 10-20.
  • Martin Barnier, « Léon Gaumont 1864-1946 » in Jean-Claude Daumas (dir.), Dictionnaire historique des patrons français, Flammarion, 2010, pp. 316-317 (ISBN 978-2-08-122834-4)
  • Martin Barnier, Bruits, cris, musiques de films. Les projections avant 1914. Préface de Rick Altman, Presses Universitaires de Rennes, 2011 (ISBN 978-2-7535-1203-0)
  • Bernard Bastide, Étienne Arnaud (1878-1955), une biographie, Mémoire pour le DEA, Université Paris 3 Sorbonne nouvelle, sous la direction de Michel Marie, 2000-2001, 272 p. Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • Gianati Maurice et Mannoni Laurent, Alice Guy, Léon Gaumont et les débuts du film sonore, éd. John Libbey Publiblishing Ltd., 2012
  • Philippe d'Hugues et Dominique Muller (dir.), Gaumont : 90 ans de cinéma, éd. Ramsay & Cinémathèque Française, 1986 (ISBN 2-85956-540-X)
  • Henry Keazor, « Introduction », in Henry Keazor et Thorsten Wübbena (dir.), Rewind, Play, Fast Forward: Past, Present and Future of the Music Video, Verlag (Bielefeld), 2010, pp. 41-57 (ISBN 3-837-61185-X). Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • Jean-Jacques Meusy, Paris-Palaces ou le temps des cinémas (1894-1918), CNRS, 1995 (ISBN 2-271-05361-7)
  • Martin Pénet (réunies par) et Claire Gausse (coll.), Mémoire de la chanson : 1100 chansons du Moyen Age à 1919, Omnibus, 1998 (ISBN 2-258-05062-6) (2e éd. 2001)
  • Giusy Pisano et Valérie Pozner (dir.), Le Muet a la Parole, Cinéma et performance à l'aube du XXe siècle (avec un DVD), AFRHC, 2005 (ISBN 2913758789) Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • Thomas Schmitt, « The Genealogy of Clip Culture », in Henry Keazor et Thorsten Wübbena (dir.), Rewind, Play, Fast Forward: The Past, Present and Future of the Music Video, Verlag (Bielefeld), 2010, pp. 41-57 (ISBN 3-837-61185-X) article sur Google Books Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • Thomas Louis Jacques Schmitt, « Scènes primitives. Notes sur quelques genres comiques “hérités“ du café-concert », in 1895 : revue de l’Association française de recherche sur l’histoire du cinéma (AFRHC), no 61, 2010, pagination[réf. nécessaire] (résumé en ligne ; texte intégral septembre 2013)

Articles connexes

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Notes et références

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  1. a b et c Thomas Schmitt, « The genealogy of clip culture » in Henry Keazor, Thorsten Wübbena (dir.) Rewind, Play, Fast Forward, transcript, (ISBN 978-3-8376-1185-4)
  2. Maurice Gianati et Laurent Mannoni, Alice Guy, Léon Gaumont et les débuts du film sonore, John Libbey Publishning Ltd., , 258 p., Pages 221 à 238
  3. Édouard Arnoldy, Pour une histoire culturelle du cinéma : au-devant de "scènes filmées", de "films chantants et parlants" et de comédies musicales, Liège, Céfal, , 203 p. (ISBN 2-87130-181-6, lire en ligne), p. 39
  4. (en) Rick Altman, Silent film sound, Columbia University Press, , 462 p. (ISBN 978-0-231-11663-3, lire en ligne), p. 158
  5. Martin Barnier, En route vers le parlant : histoire d'une évolution technologique, économique et esthétique du cinéma (1926-1934), Céfal, , 255 p. (ISBN 978-2-87130-133-2, lire en ligne), p. 35
  6. a et b Jean Jacques Meusy, Paris-palaces ou Le temps des cinémas (1894-1918), CNRS Éditions, , 561 p. (ISBN 978-2-271-05361-9, lire en ligne), p. 334
  7. "This shows, however, that the music video has not one, but several histories, which are separated by ruptures, breaks, endings and starting points. Therefore, what we are witnessing now may not be the symptoms of an irretrievable end, but rather a point where the clip – once again – begins to change, differentiate, evolve into something new. This view is confirmed if we take a look at other histories of the music video in which the antecedents of the form did not tie into each other, but followed each other paratactically. For example, the early “Phonoscènes”, which after 1907 were produced with a certain routine and exhibited a refined correlation between the music, the lyrics and the images (see the article by Thomas Schmitt in this volume) did not directly lead into the “Soundies” of the 40s and 50s.(en) Henry Keazor et Wübbena, Rewind, Play, Fast Forward : The Past, Present and Future of the Music Video, Bielfield, Transcript Verlag, , 388 p. (ISBN 978-3-8376-1185-4, lire en ligne), p. 41
  8. Martin Barnier, Bruits, cris, musiques de films. Les projections avant 1914. Préface de Rick Altman, Presses Universitaires de Rennes, 2011 (ISBN 978-2-7535-1203-0) p.230.
  9. Martin Barnier, Bruits, cris, musiques de films. Les projections avant 1914. Préface de Rick Altman, Presses Universitaires de Rennes, 2011 (ISBN 978-2-7535-1203-0) p. 229.
  10. La Dépêche du Midi, 4 décembre 1907
  11. Bernard Bastide, Etienne Arnaud : une biographie, Paris 3, , 544 p.
  12. Gaumont fait une grande publicité de cette séance en reproduisant les nombreux articles que la séance a suscité dans la presse londonienne [réf. souhaitée].
  13. Cf. « Pierre Philippe : le Roman du Music-Hall », et « Pierre Philippe : un cinglé du Music-Hall», entretiens mis en ligne avec l'autorisation des ayants droit.
  14. Documentaire publié en vidéo VHS (Arte Vidéo K7165 et K7166).
  15. La fiche du film sur film-documentaire.fr
  16. a b c et d Giusy Pisano et Valérie Pozner, Le muet a la parole : cinéma et performances à l'aube du XXe siècle, Association française de recherche sur l'histoire du cinéma, , 351 p. (ISBN 978-2-913758-78-0)

Liens externes

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