Pilastri Acritani

piliers sculptés placés sur la place Saint-Marc de Venise

Les Pilastri Acritani ou « Piliers dits de Saint-Jean d'Acre » sont deux piliers sculptés placés sur la place Saint-Marc de Venise, devant le portail de la façade sud de la basilique. Il s'agit de spolia provenant de l'église Saint-Polyeucte construite entre 524 et 527 à Constantinople par Anicia Juliana.

Pilastri Acritani ou « Piliers dits de Saint-Jean d'Acre » place Saint-Marc de Venise.

Histoire modifier

L'origine légendaire d'Acre modifier

Les deux piliers, situés sur la piazzetta devant le portail sud de la basilique Saint-Marc, ont longtemps été attribués, sur la foi d'une chronique vénitienne du XIVe siècle à un atelier de sculpture syrien. Les 23-, Lorenzo Tiepolo remporte en effet une grande victoire navale sur l'amiral génois Rosso della Turca au large de Saint-Jean-d'Acre[1] : c'est pour commémorer cette victoire contre leurs rivaux que les Vénitiens auraient rapporté du quartier génois d'Acre deux grands piliers sculptés appartenant à une église Saint-Sabas datée du VIe siècle, qu'ils auraient installés sur le côté sud de la basilique Saint-Marc, non loin du mur orné par les dépouilles du sac de Constantinople en 1204, dont le célèbre groupe des Tétrarques de Saint-Marc[2].

Le décor sculpté de ces deux piliers, notamment le lacis compliqué de vigne recouvrant le chapiteau, a pu se prêter à cette identification orientale, dans la mesure où elle ne paraissait pas pouvoir correspondre à un édifice connu à Constantinople. Le monogramme porté par les piliers fut alors identifié à une inscription latine de dédicace[3].

La découverte de Saint-Polyeucte et la réattribution des piliers modifier

Chapiteau de pilier de Saint-Polyeucte conservé au Musée archéologique d'Istanbul.

Les fouilles de la grande église Saint-Polyeucte, conduites à partir de 1961 sous la direction de Martin Harrison, remettent totalement en cause cette tradition historique : bien que l'église soit totalement détruite jusqu'aux fondations, le site préserve de nombreux fragments du décor architectural de cette fondation d'Anicia Juliana à la fin du règne de Justin Ier, y compris des chapiteaux de pilier au décor identique à ceux surmontant les Pilastri Acritani (voir ci-contre). Le monogramme présent sur les piliers se retrouve aussi en plusieurs exemplaires dans les vestiges de l'église : il est décrypté comme signifiant HAGIOS POLYEUKTOS, le nom de cette église, connue par ailleurs par le texte d'une célèbre épigramme de l’Anthologie palatine[4]. Enfin, des chapiteaux-corbeilles à palmettes identiques à trois chapiteaux remployés dans l'angle sud-est de la façade de Saint-Marc sont également retrouvés dans les fouilles, confirmant que les Vénitiens avaient largement pillé le site de l'église, probablement déjà en ruines, sans doute à l'occasion du sac de 1204.

L'identification des piliers comme provenant de Saint-Polyeucte n'invalide peut-être pas tout à fait la tradition historique vénitienne leur attribuant une origine syrienne : l'exportation de blocs architecturaux sculptés de Constantinople ne s'est pas faite uniquement vers l'Occident après 1204, comme le montre par exemple le cas des colonnes de l'église Sainte-Sophie de Trébizonde au milieu du XIIIe siècle. Par conséquent, on a pu proposer de confirmer la tradition vénitienne en supposant que les piliers de Saint-Polyeucte avaient dans un premier temps été emportés à Acre, avant d'y être saisis par les Vénitiens et rapportés à Venise comme symbole d'une victoire sur les Génois[5].

Galerie modifier

Voir aussi modifier

Liens internes modifier

Bibliographie modifier

  • (it) Pietro Estense Selvatico et Vincenzo Lazari, Guida di Venezia e delle isole circonvicine, Venise, Paolo Ripamonti Carpano, , 321 p. (OCLC 42811429) ;
  • (it) G. Saccardo, « I pilastri acritani », Archivio veneto, vol. xxxiv,‎ , p. 285-309 ;
  • (en) Antony Eastmond, Art and identity in thirteenth-century Byzantium : Hagia Sophia and the empire of Trebizond, Aldershot, Ashgate, coll. « Birmingham Byzantine and Ottoman monographs » (no 10), , 208 p. (ISBN 0-7546-3575-9) ;
  • (en) Jaroslav Folda, Crusader Art in the Holy Land : From the Third Crusade to the Fall of Acre, 1187-1291, Cambridge, Cambridge University Press, , 714 p. (ISBN 0-521-83583-6, lire en ligne) ;
  • (en) M. Perry, « Saint Mark's Trophies : Legend, Superstition and Archaeology in Renaissance Venice », Journal of the Warburg and Courtauld Institute, vol. 40,‎ , p. 27-49 ;
  • (de) F. W. Deichmann, « I ‘pilastri acritani’ », Rendiconti Pontificia Accademia romana di Archeologia, vol. 1,‎ , p. 75-89.
  • (en) Martin Harrison, A Temple for Byzantium, University fo Texas, , 159 p. (ISBN 978-0-292-78109-2)

Notes et références modifier