Pornocratie pontificale
La « Pornocratie pontificale » fait référence à une période trouble de l'histoire de la papauté aussi appelée Saeculum obscurum (« Siècle sombre »). Cette période s'ouvre par le décès du pape Formose en 896 qui conduit tout d'abord au concile cadavérique ouvert par son successeur l'année suivante. Jusqu'à l'élection de Serge III en 904, sept à huit papes sont élus, quasiment un par an. Ainsi de 904 à la mort de Jean XII en 964, la papauté est influencée par la famille des Théophylactes. Cette période serait particulièrement marquée par la débauche des souverains pontifes et la présence de femmes et de courtisanes dans les affaires ecclésiastiques[1].
Définition
modifierL'emploi du terme pornocratie pontificale est attribuable au cardinal Baronius, au XVIe siècle. Les historiens allemands du XVIIIe siècle ont ensuite employé l'expression Römisches Hurenregiment signifiant « gouvernement romain des putains »[1]. Au cours de cette période de cinquante-neuf ans, s'étalant de 904 à 963, douze papes se sont succédé sur le trône papal. Plusieurs historiens font également référence à ce moment par le terme Saeculum obscurum : le siècle sombre (888–1046).
Histoire
modifierLes balbutiements
modifierL'œuvre de Liutprand de Crémone, datant de 972, témoigne de cette période teintée des conséquences du concile cadavérique, Synodus Horrenda en latin, datant de 897 par le pape Étienne VI, où était jugé à titre posthume le pape Formose pour avoir rompu l'alliance de la papauté avec les Spolètes[2]. L'historiographie actuelle nous permet de comprendre que l'œuvre de Liutprand de Crémone visait probablement à rectifier les torts commis envers Formose, en incriminant la classe politique romaine suivant sa condamnation en 904[2]. Tout au long du concile cadavérique, le corps de Formose en pleine décomposition siégeait sur le trône papal revêtu de ses vêtements pontificaux. À la suite de sa condamnation, le jugement déclare son règne invalide, ce qui, par le fait même, annule tous ses actes pontificaux[3]. Sa dépouille fut ensuite remise aux Romains puis jetée dans le Tibre[4]. La finalité du procès, du fait de son caractère grotesque, marqua l'opinion publique qui était en faveur de Formose. Un évènement historique marquant qui caractérise le commencement de la pornocratie pontificale.
Mise en contexte
modifierÀ la suite de l'élection du pape Serge III, le sort de la papauté est remis entre les mains de l'importante famille sénatoriale romaine Théophylactes, aussi appelée Tusculani[1]. Serge III doit son titre à Théophylacte Ier de Tusculum, le comte de Tusculum, une figure d'autorité importante du Latran[1]. Plusieurs stratagèmes ourdis par son épouse Theodora et leurs filles Theodora la jeune et Marozie Ire permirent l'ingérence de femmes des familles de la noblesse romaine dans les affaires ecclésiastiques[1]. Lorsque le dernier pape de la période de la pornocratie pontificale, le pape Jean XII, vint au pouvoir par l'un des fils de Marozie, les pratiques de corruption par les familles romaines riches étaient répandues. Il était alors coutumier qu'elles placent leurs enfants dans la curie en octroyant de généreux pots-de-vin, afin de les voir devenir cardinaux. Une position qui leur assurait influence, pouvoir et richesse.
Liste des papes installés
modifier- Serge III (904–911)
- Anastase III (911–913)
- Landon (913–914)
- Jean X (914–928), emprisonné et assassiné par Marozie Ire.
- Léon VI (928–929)
- Étienne VII (929–931)
- Jean XI (931–935), fils supposé du pape Serge III et de Marozie Ire.
- Léon VII (936–939)
- Étienne VIII (939–942)
- Marin II (942–946)
- Agapet II (946–955)
- Jean XII (955–963), fils d'Albéric II de Spolète, pape à l'âge de 18 ans.
Femmes politiques importantes de cette période
modifierThéodora
modifierThéodora, mère de Marozie Ire, mit sur le trône papal son amant Jean X (914–928)[1]. Luitprand de Crémone la qualifiait de Scortum Impudens, que l'on peut traduire par « Putain Éhontée »[1].
Marozie
modifierMarozie Ire, figure centrale de cette époque, était la fille de Théophylacte Ier de Tusculum, qui la donna comme épouse à Albéric Ier, un noble franc de Spolète. Ils eurent ensemble un fils : Albéric II. Marozie fut également la jeune maîtresse de Serge III, à qui elle donna un fils illégitime : Jean XI (931–936), favorisant celui-ci au détriment de son autre fils Albéric II[1]. Plusieurs nominations de papes durant la pornocratie lui sont attribuées, notamment : Anastase III (911–913) ainsi que Landon (913–914). Elle aurait fait assassiner le pape Jean X (914–928), l'amant de sa mère, afin de voir son fils Jean XI accéder au siège pontifical. Marozie s'est ainsi mérité le titre de Senatrix de Rome[1], en raison de son rôle dans multiples élections papales. Elle aurait ensuite épousé Hugues d'Arles, le roi d'Italie, où son pouvoir sur Rome s'accentua. Albéric II, n'ayant jamais oublié son traitement défavorable, réussit à la retirer du pouvoir en 932, de même que son mari, à la suite de quoi elle fut emprisonnée[1].
Theodora II la jeune
modifierPeu d'informations sur Theodora II subsistent, cependant plusieurs auteurs font état de sa participation à la pornocratie, auprès de sa sœur Marozie, dans la gouvernance du territoire romain, où elle occupait une position d'influence au début de la période de la pornocratie pontificale[1]. Elle eut un fils, qui devint le pape Jean XIII (964–972)[5]
Récapitulatif chronologique
modifier- Serge III (904–911) : en 904, Serge III assassine son prédécesseur l'antipape Christophore afin d'accéder au trône papal. Son entrée au pouvoir marque le commencement de la pornocratie.
- Jean X (914–928) : amant de Théodora, il évince le pape Landon (913–914) du trône.
- Jean XI (931–936) : fils du pape Serge III et de Marozie Ire.
- Albéric II : fils délaissé de Marozie et d'Albéric Ier, il prend possession du pouvoir à Rome en 932. Il fit promettre avant sa mort de faire élire son fils Jean XII sur le siège pontifical.
- Jean XII (955–963) : fils illégitime d'Albéric II, nommé aussi Octavianus, né en 937. Il est élu pape, à la suite du décès du pape Agapet II (946–955), tel que convenu par son père Albéric II sur son lit de mort[6]. Jean XII devient ainsi le plus jeune pape de l'histoire de l'Église catholique, succédant sur le trône papal à ses 18 ans. Il est aujourd'hui connu comme étant l'un des papes les plus dévergondés de la pornocratie, marquant également la fin de cette période[1].
- Otton le Grand : figure importante de la restauration impériale où, en 963, il reprend le pouvoir de Rome, mettant fin à la pornocratie pontificale[6].
- Jean XIII (965–972) : fils de Theodora II, devient pape après la période de la pornocratie pontificale.
Notes et références
modifier- Jacques Brosse, Histoire de la chrétienté d'orient et d'occident : De la conversion des barbares au sac de constantinople, 406–1204, Éditions Albin Michel, .
- Rozein, M. ; (2021), Les papes dans l'œuvre de Liutprand de Crémone († 972) – un témoignage authentique? La construction de récit face à la réalité historique[réf. à confirmer].
- François Bruys, Histoire des papes, depuis Saint Pierre jusqu'à Benoît XIII, Chez Henri Scheurleer, .
- Laurent Feller, Église et société en Occident : Du début du VIIe siècle au milieu du XIe siècle, Armand Colin, coll. « Histoire contemporaine », , 284 p. (ISBN 2200265972).
- (en) J. P. Kirsch, « Pope John XIII », sur The Catholic Encyclopedia, New York, Robert Appleton Company, (consulté le ).
- Marcel Pacaut, « Jean XII (937–964) : pape (955–964) », sur Encyclopædia Universalis (consulté le ).
Voir aussi
modifierBibliographie
modifier- Carmelo Abbate, Sexe au Vatican : Enquête Sur La Face Cachée De L'Église, J'ai lu, , 416 p. (ISBN 978-2290038376).
- (en) Eamon Duffy, Saints and Sinners : A History of the Popes, New Haven: London, Yale University Press, , 326 p..
- (en) P. De Rosa, Vicars of Christ, Bantam, .
- (en) Angelo S. Rappoport, The Love Affairs of the Vatican, or the Favourites of the Popes, (ISBN 9781566199360).
- (en) John Howe, « The nobility's reform of the medieval Church », The American Historical Review, vol. 93, no 2, (lire en ligne).
- A. M. Helvétius et J. M. Matz, Église et société au Moyen âge : ve et xve siècles, Paris, Hachette Supérieur.
- (en) C. Kleinhenz, J. W. Barker, G. Geiger et R. Lansing, Medieval Italy : An Encyclopedia, Routledge, .
- (en) C. Leyser, « Episcopal Office in the Italy of Liudprand of Cremona, c. 890–c. 970 », The English Historical Review, vol. 125, no 515, (lire en ligne).
- (en) S. Matterssich, « On Pornocracy », Cultural Critique, no 100, .
- (en) E. D. McShane, « The Middle Ages », Thought: Fordham University Quarterly, vol. 3, no 34, .
- Jean-Pierre Poly, « François Bougard, Liudprand de Crémone. Œuvres », Cahiers de civilisation médiévale, no 238, (DOI https://doi.org/10.4000/ccm.5987).
- (en) William Walker Rockwell, « Studies in Mediaeval Church History », The Journal of Religion, vol. 22, no 1, (lire en ligne).
- (en) David A. Warner, « Ideals and Action in the Reign of Otto III », Journal of Medieval History, vol. 25, no 1, .
Articles connexes
modifier- Théophylactes (duché de Spolète)
- Comtes de Tusculum
- Crescentius
- Privilegium Ottonianum
- Concile cadavérique
- Histoire de la papauté
- Sexualité des papes
- Théodora Ire et Marozie Ire
- Synode de Sutri
Liens externes
modifier
- « Traduction de textes de Liutprand de Crémone », sur Bibliotheca Classica Selecta, Université de Louvain