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Hégésippe Moreau - Dix-huit ans


J’ai dix-huit ans : tout change, et l’Espérance
Vers l’horizon me conduit par la main.
Encore un jour à traîner ma souffrance,
Et le bonheur me sourira demain.
Je vois déjà croître pour ma couronne
Quelques lauriers dans les fleurs du printemps ;
C’est un délire… Ah ! qu’on me le pardonne ;
J’ai dix-huit ans !

Hégésippe Moreau (8/4/1810 - 1838) - Poésies

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s:Avril 2010 Invitation 1

"'Jean Moréas - L'investiture"'

Nous longerons la grille du parc,
A l'heure où la Grande Ourse décline ;
Et tu porteras - car je le veux -
Parmi les bandeaux de tes cheveux
La fleur nommée asphodèle.
Tes yeux regarderont mes yeux ;
A l'heure où la grande Ourse décline. -
Et mes yeux auront la couleur
De la fleur nommée asphodèle.
Tes yeux regarderont mes yeux,
Et vacillera tout ton être,
Comme le mythique rocher
Vacillait, dit-on, au toucher
De la fleur nommée asphodèle.

Jean Moréas (1856 - 30/04/1910) - Recueil : "Le pèlerin passionné" (1891)

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s:Avril 2010 Invitation 2

Émile Zola - Thérèse

Vers midi, en été, lorsque le soleil brûlait les places et les rues de rayons fauves, on distinguait, derrière les bonnets de l’autre vitrine, un profil pâle et grave de jeune femme. Ce profil sortait vaguement des ténèbres qui régnaient dans la boutique. Au front bas et sec s’attachait un nez long, étroit, effilé ; les lèvres étaient deux minces traits d’un rose pâle, et le menton, court et nerveux, tenait au cou par une ligne souple et grasse. On ne voyait pas le corps, qui se perdait dans l’ombre ; le profil seul apparaissait, d’une blancheur mate, troué d’un œil noir largement ouvert, et comme écrasé sous une épaisse chevelure sombre. Il était là, pendant des heures, immobile et paisible, entre deux bonnets sur lesquels les tringles humides avaient laissé des bandes de rouille.

Émile Zola (02/04/1840 - 1902) - Thérèse Raquin (1867) ch. I

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s:Avril 2010 Invitation 3

J.M.G. Le Clézio - Les derniers hommes libres

Chaque soir, leurs lèvres saignantes cherchaient la fraîcheur des puits, la boue saumâtre des rivières alcalines. Puis, la nuit froide les enserrait, brisait leurs membres et leur souffle, mettait un poids sur leur nuque. Il n'y avait pas de fin à la liberté, elle était vaste comme l'étendue de la terre, belle et cruelle comme la lumière, douce comme les yeux de l'eau. Chaque jour, à la première aube, les hommes libres retournaient vers leur demeure, vers le sud, là où personne d’autre ne savait vivre. Chaque jour, avec les mêmes gestes, ils effaçaient les traces de leurs feux, ils enterraient leurs excréments. Tournés vers le désert, ils faisaient leur prière sans paroles. lls s'en allaient, comme dans un rêve, ils disparaissaient.

J.M.G. Le Clézio (né le 13/04/1940) - Désert (dernière page) (éd. Gallimard, 1980)

s:Avril 2010 Invitation 4

Hégésippe Moreau - Dix-huit ans


J’ai dix-huit ans : tout change, et l’Espérance
Vers l’horizon me conduit par la main.
Encore un jour à traîner ma souffrance,
Et le bonheur me sourira demain.
Je vois déjà croître pour ma couronne
Quelques lauriers dans les fleurs du printemps ;
C’est un délire… Ah ! qu’on me le pardonne ;
J’ai dix-huit ans !

Hégésippe Moreau (8/4/1810 - 1838) - Poésies

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s:Avril 2010 Invitation 5

Keith Ridgway - Une petite tache rouge

Elle se tenait très haut au-dessus de la terre qui l'avait prise, qui l'avait gardée, la terre qui avait tué son enfant. Elle se mouvait au-dessus de cette terre comme l'encre sortie d'un stylo rouge. Elle s'inscrivait sur la page du monde. Elle y traçait son histoire insignifiante. L'esquisse d'elle-même. Mais elle savait que ce n'était pas cela qui importait. Elle savait que ce n'est pas d'en haut qu'on voit le monde. On voit le monde au ras du sol, on voit les trous et les fossés où les gens sont tombés. Elle savait ce que l'on verrait d'elle. Un point, un point minuscule, isolé, solitaire. Un point auquel nul chemin ne menait, et dont nul chemin ne partait. Une petite tache rouge.

Elle demeurerait à jamais au volant d'une voiture rouge sur un étroit tronçon de route où elle tuait son mari dans le silence de la nuit.

Elle avait donné sa définition.

Keith Ridgway -Mauvaise pente (1998 , trad fr. éditions Phébus, 2001) (page 286)