Portail:Littérature/Invitation à la lecture/Sélection/novembre 2007
- C'était comme si le ciel
- Eût embrassé la terre,
- Comme si dans la clarté des fleurs,
- Elle eût à rêver de lui.
- L'air passait à travers champs,
- Les épis se berçaient lentement,
- Les forêts bruissaient doucement,
- Tant la nuit était claire d'étoiles.
- Et mon âme étendait
- Largement ses ailes,
- Volait à travers des campagnes calmes,
- Comme pour rentrer chez elle.
Joseph von Eichendorff (1788 - 26/11/1857)
s:Lesage - Laquais Lesage - Laquais
Ne me parle donc point d’un poste de précepteur. C’est un bénéfice à charge d’âmes. Mais parle-moi de l’emploi d’un laquais. C’est un bénéfice simple, qui n’engage à rien. Un maître a-t-il des vices, le génie supérieur qui le sert les flatte, et souvent même les fait tourner à son profit. Un valet vit sans inquiétude dans une bonne maison. Après avoir bu et mangé tout son soûl, il s’endort tranquillement comme un enfant de famille, sans s’embarrasser du boucher ni du boulanger. Je ne finirais point, mon enfant, poursuivit-il, si je voulais dire tous les avantages des valets. Crois-moi, Gil Blas, perds pour jamais l’envie d’être précepteur, et suis mon exemple. Oui mais, Fabrice, lui repartis-je, on ne trouve pas tous les jours des administrateurs ; et si je me résolvais à servir, je voudrais du moins n’être pas mal placé. Oh ! tu as raison, me dit-il, et j’en fais mon affaire. Je te réponds d’une bonne condition, quand ce ne serait que pour arracher un galant homme à l’Université. La prochaine misère dont j’étais menacé, et l’air satisfait qu’avait Fabrice, me persuadant plus que ses raisons, je me déterminai à me mettre dans le service. Alain-René Lesage (1668 - 17/11/1747) - Histoire de Gil Blas de Santillane (1715) (Livre I, Ch. XVII) |
s:Kourouma - Enfant-soldatAhmadou Kourouma - Enfant-soldat Je m'appelle Ibrahima. J'aurais pu être un sale gosse comme les autres (dix ou douze ans, selon les sources), ni meilleur ni pire, si j'étais né ailleurs que dans un foutu pays d'Afrique. Mais mon père est mort. Et ma mère, qui marchait sur les fesses, elle est morte aussi. Alors je suis parti à la recherche de ma tante Mahan, ma tutrice. C'est Yacouba qui m'accompagne. Yacouba, le féticheur, le multiplicateur de billets, le bandit boiteux. Comme on n'a pas de chance, on doit chercher partout, dans le Libéria et la Sierra Leone de la guerre tribale. Comme on n'a pas de sous, on doit s'embaucher, Yacouba comme grigriman et moi comme enfant-soldat. De camp retranché en ville investie, de bande en bande de bandits de grand chemin, j'ai tué pas mal de gens avec mon kalachnikov. C'est facile. On appuie et ça fait tralala. Je ne sais pas si je me suis amusé. Je sais que j'ai eu beaucoup mal. Mais Allah n'est pas obligé d'être juste avec toutes les choses qu'il a créées ici-bas. Ahmadou Kourouma (24/11/1927 - 2003) - Allah n'est pas obligé (Editions du Seuil, 2000) (4e de couverture). |
s:Jarry - Ubu Alfred Jarry - Père Ubu, Mère Ubu
Père Ubu : - Merdre! Mère Ubu : - Oh! voilà du joli, Père Ubu, vous estes un fort grand voyou. Père Ubu : - Que ne vous assom'je, Mère Ubu ! Mère Ubu : - Ce n'est pas moi, Père Ubu, c'est un autre qu'il faudrait assassiner. Père Ubu : - De par ma chandelle verte, je ne comprends pas. Mère Ubu : - Comment, Père Ubu, vous estes content de votre sort ? Père Ubu : - De par ma chandelle verte, merdre, madame, certes oui, je suis content. On le serait à moins: capitaine de dragons, officier de confiance du roi Venceslas, décoré de l'ordre de l'Aigle Rouge de Pologne et ancien roi d'Aragon, que voulez-vous de mieux ? Mère Ubu : - Comment ! Après avoir été roi d'Aragon vous vous contentez de mener aux revues une cinquantaine d'estafiers armés de coupe-choux, quand vous pourriez faire succéder sur votre fiole la couronne de Pologne à celle d'Aragon ? Alfred Jarry (1873 - 01/11/1907) – Ubu roi (1896) (Acte premier, scène première). |
s:Eichendorff - Clair de lune Joseph von Eichendorff - Nuit de Lune (1835)
Joseph von Eichendorff (1788 - 26/11/1857) |
s:Dugain - Raison d'ÉtatMarc Dugain - Raison d'État Ces hommes (les sous-mariniers) devaient mourir pour que le doute puisse continuer à bénéficier au pouvoir, pour que la vérité ne lui soit jamais jetée à la face. Au bout du compte, que sont ces vingt-trois vies, comparées à un secret d'État à naître ? Rien. Et cela n'a rien de choquant. Le contraire aurait étonné. Dans un pays où la vie ne vaut rien, où la mort a longtemps été une délivrance, peut-on concevoir qu'on change des siècles d'exercice du pouvoir dans le secret contre les vint-trois vies d'hommes qui ont choisi le métier des armes ? Le contraire aurait été à lui seul une révolution. Et de révolution, dans ce pays, nous n'en avons jamais eu. Marc Dugain - Une exécution ordinaire (éditions Gallimard, 2007) (page 233). |