La présence française dans ces quatre communes a été un élément majeur de la colonisation française après la conférence de Berlin (1884-1885). En effet, la France désirait construire un chemin de fer afin de relier ses communes de Saint Louis et de Dakar et finit par entrer en conflit avec le Damel du Cayor, Lat Dior. La France s'assure le contrôle militaire de l'ensemble du Cayor dès 1865 à la suite de la bataille de Loro. Les rapports restent tendus mais à la suite de l'aide militaire française apportée à Lat Dior contre Cheikhou Amadou en 1875, ils trouvent un terrain d'entente et signent en 1879 un traité autorisant la construction du chemin de fer en échange du maintien de Lat Dior à la tête du Cayor. Toutefois, l'année suivante Lat Dior décide de révoquer le traité et mène des attaques contre les positions françaises, ce qui empêche la construction de la ligne ferroviaire. Pour la France, Lat Dior a violé le traité de 1879. Ce prétexte, associé à la fin de la conférence de Berlin, permet une intervention militaire qui fait officiellement du Cayor un protectorat français en 1886, la colonisation de l'ensemble de l'Afrique de l'Ouest est alors amorcée. Saint Louis, puis Dakar deviendront par la suite les deux capitales successives de l'AOF créée en 1895.
Un droit de vote pour les Parlements de la République
Le statut des habitants de Saint-Louis est posé par la Révolution de 1789 (Lamiral, un envoyé porteur du cahier de doléances des notables, européens et mulâtres, se fait plus ou moins accepter dans les couloirs des
États généraux, sans statut défini). Il s'y est créé progressivement un statut de Français citoyen auquel le code civil est appliqué partiellement pour tenir compte des particularités juridiques musulmanes.
En 1848, la Révolution accepte (le ) l'envoi d'un député au parlement de la Seconde République (Barthélémy Durand Valantin, réélu en ) pour les ports de Saint-Louis et de Gorée, tous les habitants depuis plus de cinq ans pouvant voter (4 706 votants le , dont des noirs et des métis).
Avant la première guerre mondiale, la vie politique des quatre communes est liée au petit nombre d'électeurs, à l'isolement relatif (les nouvelles prennent du temps pour aller et venir de métropole), et prend donc un tour local où c'est moins le parti que le « clan » qui fait l'élection. Les députés sont en général soit des officiers de la marine nationale, soit des mulâtres. Le clan des commerçants bordelais, le rôle de l'Église, et le clan des commerçants locaux se disputent en général les suffrages. C'est la lassitude de ce système paralysant qui conduit à la montée d'une nouvelle génération de noirs partiellement acculturés qui, à partir de 1900, s'investissent dans un jeu politique jusque-là tenu par les mulâtres et les coloniaux. La victoire de Blaise Diagne en 1914, premier noir élu député, débouche sur un élargissement de la citoyenneté au-delà des quatre communes.
Les originaires des communes de plein exercice de Dakar, Goré, Rufisque et Saint-Louis étaient régis par un « statut local ». Mais, à l'égard de ceux-ci, le domaine d'application du « statut local » était limité à certaines matières : l'état des personnes, le mariage, les successions, donations et testaments. Ces matières faisaient l'objet de leur « statut civil réservé », d'abord défini, sous le Second Empire, par un décret du [33], puis, sous la IIIe République, par un décret du [34]. Dans les autres matières, notamment dans celle des obligations, les originaires des communes de plein exercice étaient soumis au « statut civil français ». Il s'agissait d'une situation exceptionnelle qui ne s'expliquait que par l'ancienneté des Établissements français du Sénégal, auxquels le territoire des quatre commune de plein exercice était réputé correspondre.
Il en résultait que les originaires des communes de plein exercice relevaient, en principe, des juridictions dites « de droit français ». Ce n'est que pour juger les affaires intéressant leur « statut civil réservé » que des juridictions dites « de droit local » avaient été créées. Pour les musulmans, il s'agissait de juridictions dites de droit musulman, tenues par des « cadis ». Pour les non-musulmans, la juridiction spéciale était constituée par la juridiction de droit français, complétée par l'adjonction d'un assesseur appartenant à leur coutume. L'appel était portée devant la cour d'appel de Dakar, assistée, pour les musulmans, d'un « cadi » ou, pour les non-musulmans, d'un « notable ».
Les originaires des communes de plein exercice, qui ne conservaient leur « statut local » qu'en matière de « statut civil réservé », étaient soumis au régime répressif français. Il en résultait qu'ils n'étaient pas soumis au régime dit de l'indigénat, lequel permettait à l'autorité administrative certaines peines de police.
Une loi du disposait : « Les originaires des communes de plein exercice du Sénégal et leurs descendants sont et demeurent des citoyens français soumis aux obligations militaires prévues par la loi du ».
Le député Jean-Baptiste Lafon de Fongaufier impose au gouverneur, un décret du que Saint louis et Gorée (avec Dakar Guet Ndar, Ndar Toute Sor, et en 1884, Gokhoumbathie) deviennent des communes de droit, avec respectivement seize et quatorze conseillers municipaux (Dakar est séparée de Gorée en 1878) et le même statut est accordé à Rufisque (avec Diokoul, Mérina et Tiawlène) en . De plus, un conseil général est rétabli en 1879 (il avait été mis en place mais seulement pour les commerçants avant 1850). Cela donne une citoyenneté partielle aux habitants des quatre communes, que le député Blaise Diagne (premier député noir) réussit à rendre complète en 1916 par une négociation permettant d'établir la conscription dans les quatre communes en échange d'une citoyenneté française (accordée aux parents y compris aux épouses des polygames dans certains cas). C'est ce statut qui permet à Galandou Diouf puis à Lamine Gueye et dans le cadre de la réforme de 1944 Leopold Sedar Senghor d'être députés.
Les quatre communes comptent une population d’environ 26 000 individus en 1870. Le droit de vote ne concerne donc, jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, que 5 % des habitants du futur territoire du Sénégal. Il n'est étendu pour le Conseil général qu'aux citoyens français hors quatre communes (métropolitains et anciens soldats) qu'avec la réforme Sarraut et les commissions municipales des « communes mixtes » (les autres communes côtières) ne sont élues qu'à partir de 1939.
De plus, les barrières sociales et légales, même dans les quatre communes, ne disparaissent que très progressivement entre 1848 et la décolonisation. Ainsi la distinction entre « originaires » (ressortissants des tribunaux coutumiers et islamiques en raison du statut personnel) et « évolués » (individus scolarisés, acculturés ayant renoncé à la protection du statut personnel) dure jusqu'en 1916 pour le droit de vote.
Malgré ces limites, toutefois, contrairement aux autres Africains qui n'ont eu de député que sous la Quatrième République, les Sénégalais pouvaient se réclamer d'une citoyenneté ancienne. Cela peut partiellement expliquer les différences d'attitude du personnel politique entre 1946 et 1960, en particulier la faible implantation du Rassemblement démocratique africain.
Les historiens contemporains (Mamadou Diouf) affirment que ce statut particulier, a priori assimilationiste, montre que la République s'est posée la question de particularismes dans la citoyenneté (en particulier sur le droit coutumier musulman, ou l'extension de la citoyenneté à une communauté et non au seul individu).
↑D'autres communes sont ultérieurement érigées par la France au Sénégal — ainsi Thiès, Tivaouane et Louga par un arrêté du [19] — mais leur nombre reste longtemps peu élevé — quatorze en [19] — et, jusqu'en [20], il ne s'agit que de communes mixtes[19].
↑Décret du 16 mars 1914 modifiant, pour les indigènes nés dans l'une des quatre communes constituées au Sénégal, le décret du , déterminant les pouvoirs répressifs des administrateurs coloniaux vis-à-vis des indigènes non citoyens français, dans Bulletin des lois de la République française. Nouvelle série, t. 6, Paris, Imprimerie nationale, , bulletin no 126, texte no 6786, p. 646 (consulté le 12 octobre 2015)
↑CE Sect. 4 décembre 1936, Sieur M'Bodje Habibou, dans Recueil des arrêts du Conseil d'État. 2e série, t. 106, Paris, Delhomme, , p. 1060-1061 (consulté le 12 octobre 2015)
↑Gerti Hesseling, Histoire politique du Sénégal : institutions, droit et société (traduction Catherine Miginiac), Karthala, 2000, 437 p. (ISBN2865371182)
↑Loi du 8 avril 1879, qui rétablit la représentation des colonies de la Guyane et du Sénégal à la Chambre des députés, publiée au Journal officiel de la République française le 9 avril 1879 [lire en ligne]
↑Loi du 16 juin 1885, qui modifie la loi électorale, publiée au Journal officiel de la République française le 17 juin 1885 [lire en ligne], avec le tableau y annexé [lire en ligne]
Mamadou Diouf, « Les Quatre Communes, histoire d'une assimilation particulière », in Histoire du Sénégal : le modèle islamo-wolof et ses périphéries, Maisonneuve & Larose, 2001, p. 135-156 (ISBN9782706815034)
G. Wesley Johnson, Jr., « L'accession des Africains au pouvoir dans les Quatre Communes », in Naissance du Sénégal contemporain : aux origines de la vie politique moderne (1900-1920) (trad. François Manchuelle), Karthala, Paris, 1991, chap. XI, p. 243-260 (ISBN9782865372775)
Boubacar Sissokho, La vie politique dans les quatre communes du Sénégal entre les deux guerres, Paris VII, Université de Paris VII, 1979, 67 p. (Mémoire de Maîtrise)
[Bruschi 2005] Francesca Bruschi, « Politique indigène et administration au Sénégal (1890-1920) », Il Politico, vol. 70, no 3, nov.-déc. 2005, art. no 6, p. 501-522 (JSTOR43099947).
[Plançon 2008] Caroline Plançon, « Pratiques juridiques urbaines au Sénégal : ruptures et réappropriations du droit foncier étatique », Droit et cultures, no 56 : « Droit étatique en négociations », déc. 2008, p. 2e part., art. no 3, p. 107-126 (résumé, lire en ligne).
[Urban] Yerri Urban, « La citoyenneté dans l'empire colonial français est-elle spécifique ? », Jus Politicum : revue de droit politique, no 14 : « Peut-on penser juridiquement l'Empire comme forme politique ? », juin 2015, p. 1re part., art. no 6, 34 p. (lire en ligne)
[Zuccarelli 1977] François Zuccarelli, « La vie politique dans les quatre communes du Sénégal de 1872 à 1914 », Éthiopiques, no 12, oct. 1977, p. 1re part., art. no 4 (lire en ligne).
[Zuccarelli 1978] François Zuccarelli, « La vie politique dans les quatre communes du Sénégal de 1872 à 1914 », Éthiopiques, no 13, 1978, p. 2e part., art. no 3 (lire en ligne).