Sab' Inganono (Afraid of the cannons)
Sab' Inganono (Afraid of the cannons) est une ancienne chanson de guerre zouloue attribuée aux régiments (amabutho) de l'ère précoloniale (XIXe siècle)
Sortie | XIXè siècle |
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Enregistré | Afrique du Sud |
Genre | musique traditionnelle zouloue |
Critique |
Reconnue patrimoine tangible |
La chanson devient un succès populaire par son adoption dans les cultures sub urbaines, les mouvements de revendications et luttes populaires antiapartheid.
Origines et inspirations
modifierOrigines
modifier"Sab'Inganono (Afraid of the cannons)", (Afraid of the cannons en anglais et qui signifie littéralement "Peur du canon", est une ancienne chanson de guerre zoulou attribuée aux régiments (amabutho) de l'ère précoloniale (XIXe siècle)[1].
Son origine est profondément ancrée dans le contexte des nombreux conflits pour la terre qui ont marqué l'histoire de l'Afrique du Sud[1].
À l'origine, cette chanson était centrée sur la résistance aux armes à feu européennes. Elle avait pour fonction de motiver les troupes zouloues et de célébrer la tactique du "corps à corps" comme moyen de neutraliser l'avantage des canons ennemis[1].
Un exemple des paroles initiales illustre cette thématique : "Izinkemba zethu ziyahlaba, noma inganono iyabhonga" ("Nos lances percent, même si le canon tonne")[1].
Dans la culture zouloue, et particulièrement dans le contexte du style musical Maskanda auquel cette chanson est liée, une chanson est souvent appelée un "igama", qui peut être traduit par "déclaration, mot ou nom", et comporte des implications non verbales. De nombreux Maskanda interprètent "igama" comme un "message" transmis par une combinaison de mots, de gestes, de mouvements, d'images et de sons, la danse (ukugiya) étant inextricablement liée à l'expression verbale et musicale[1].
Contenu
modifierAu fil du temps, le contenu de "Sab'Inganono" a évolué, reflétant les différentes étapes de l'histoire sud-africaine[1].
Au XXe siècle, la chanson a connu des adaptations anticoloniales intégrant des références aux luttes contre l'apartheid, notamment par des artistes engagés de la culture sub urbaine et plus populaires tels Johnny Clegg[1].
Après 1994, dans le contexte de la réconciliation nationale, des versions officielles expurgées ont parfois gommé les noms d'ennemis et certaines références politiques. Cependant, une exception notable subsiste dans le KwaZulu-Natal rural, où des chefs traditionnels ont maintenu des versions non expurgées[1].
En 2019, un procès a opposé l'État à un groupe de Maskanda refusant de modifier le couplet "UBotha wayesaba" ("Botha avait peur"), qui a finalement été jugé "patrimoine intangible"[1].
Cette réception contrastée illustre comment les paroles de "Sab'Inganono" ont servi de baromètre aux tensions entre la mémoire populaire et le narratif officiel. La chanson est devenue un chant de survie et de résistance durant la période coloniale et de l'apartheid. Avec la globalisation, elle a connu des adaptations, comme un remix électro en 2010 avec des paroles en anglais ("Fear the gun, but love the land") pour la Coupe du Monde[1].
Plus récemment, des références aux violences xénophobes ont émergé dans certaines interprétations ("Inganono yabafokazana" – "Le canon des pauvres")[1].
L'évolution du contenu est également visible en comparant un enregistrement de 1927 (archives de l'UNISA) présentant une version purement martiale, à une version live de 2022 par Zahara, où le couplet guerrier est remplacé par "Siyayiqonda imfundo" ("Nous comprenons l'éducation")[1].
Mélodies et rythmes
modifierDes transcriptions de la mélodie principale et de la progression harmonique de ses versions (2011 et 2013) existent, indiquant une tonalité en g-mixolydien ou d-dorien[1]. Il existe également une transcription de l'interaction hétérophonique entre la voix principale, le chœur d'accompagnement et les instruments dans une de ses interprétations (2013)[1].
Le rythme de "Sab'Inganono" présente des interprétations variées selon les artistes. Ces différentes approches rythmiques témoignent de la manière dont la chanson traditionnelle est interprétée et adaptée par divers musiciens.
- Sipho Mchunu, dans son interprétation de l'isihlabo de la chanson, utilise un style rapide et rythmiquement libre.
- Johnny Clegg est noté pour une version qui s'éloigne d'une fixation rythmique stricte sur le temps[2]. Il est également relevé que Clegg a perçu une "résonance celtique" dans "Sab'Inganono"[2].
- En contraste, David Jenkins suggère des triolets, notamment par la proéminence de la batterie avec un rythme lent de type reggae skank.
De plus, les versions de Clegg et Jenkins présentent une interaction antiphonaire entre le chanteur principal et le chœur d'arrière-plan.
Paroles
modifierLes paroles originales incluent des vers tels que "Izinkemba zethu ziyahlaba, noma inganono iyabhonga". Au fil du temps, les paroles ont été adaptées pour refléter les contextes sociopolitiques changeants[1].
Ignatia Madalane a contribué à la transcription et à la traduction de nombreuses paroles de chansons, y compris potentiellement des versions de "Sab'Inganono"[1].
La version de 2022 par Zahara inclut le couplet "Siyayiqonda imfundo", tandis que le remix de 2010 contenait "Fear the gun, but love the land"[1].
Lors des funérailles des victimes de Soweto en 1976, des ajouts militants tels que "Amandla! Awethu!" étaient utilisés[1].
L'affaire de 2019 autour du couplet "UBotha wayesaba" met également en lumière la signification politique et mémorielle de paroles spécifiques[1].
Paroles en Zoulou
Traduction en français
Reprises et collaborations et notoriété
modifierUsages dans la culture populaire
modifierLa chanson "Sab'Inganono" a traversé différentes phases de l'histoire sud-africaine, servant de chant de guerre, de cri de résistance et de reflet des tensions sociétales. Son inclusion dans un remix électro pour la Coupe du Monde 2010 témoigne de sa capacité à se réinventer et à toucher un public contemporain[1].
La controverse autour du couplet "UBotha wayesaba" et sa désignation comme "patrimoine intangible" soulignent son importance dans la mémoire collective et le débat public[1].
Contrairement à d'autres thèmes populaires du Maskanda, des artistes célèbres comme Phuzekhemisi, Mfaz’ Omnyama et iHashi Elimhlophe ne semblent pas avoir interprété cette chanson[1].
Reprises
modifierReprise par David Qadasi Jenkins
modifierDavid Qadasi Jenkins a interprété "Sab'Inganono" avec son groupe[3]. Ignatia Madalane et Elias Nxumalo ont transcrit et traduit les paroles de sa version. Malgré la longue histoire de la chanson, Jenkins la considère comme un "ihubo" (hymne)[4].
Reprise par Johnny Clegg
modifierJohnny Clegg est également connu pour avoir interprété "Sab'Inganono"[2]. Il la distingue comme un exemple des styles musicaux zoulous. Bien qu'il reconnaisse ses origines et son histoire, il la catégorise également comme un "ihubo"[2].
Vidéo externe | |
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Johhny Clegg Address for the degree of Doctor of Music honoris causa• 18 avr. 2013, University of KwaZulu-Natal South Africa |
Transcription en Anglais
I was asked to prepare an overview of some of the more interesting parts of my life. In 1967, at the age of 14, I met a Zulu street musician outside a café near my home in YoVille, Johannesburg. His name was Ntonga Nazo Nzihlah from the district of Kandahi, Umabo Nvinih Singah, and this chance meeting ended up with me, some 46 years later, standing here today before this august body, accepting an honorary doctorate in music. It has been an incredible journey for me, and I would like to share some of its defining aspects with you this morning. During the 1960s, the streets of Johannesburg were constantly resonating with the sounds of Maskanda musicians who played guitar, concertina, and violin. They played this music as they walked to work or on weekends when visiting friends down the roads, to the hostels on the edge of the city. It was a troubadour tradition adapting traditional songs to Western instruments but also composing original songs which was social commentaries on various subjects affecting the world of the migrant worker. All of these musicians were migrants from Natal, living in the hostels around Johannesburg and Soweto, or in worker compounds in the city, or living in quarters in blocks of flats or other municipal accommodations. They were construction workers, flat cleaners, hospital workers, timber yard, and other unskilled industrial workers—traditional tribesmen who came to the city to find work. The traditional street music I stumbled upon had been forged over decades of experimentation, as the urban flow of migration to Johannesburg and Durban exposed these migrants to new ideas and formats. The guitar and concertina were reconceptualized and retuned, and, leading to the development of new genres. As a youngster, I was amazed at the innovative manner in which Western instruments were thoroughly Africanized. The guitar evolved from a strumming style known as Uguvamba to a highly sophisticated picking style using fingers called Uwupiga. While the guitar could simply be retuned and have its strings changed, the concertina had to be physically taken apart, with all the buttons rearranged to play Zulu music. The migrant labor hostels were the place where professional concertina button changers worked and made a living. This hidden world opened up to me as I learned more and more songs. Often, I did not know what I was singing, but I had a musical ear and could pronounce Zulu perfectly in melody. This led to some awkward moments where I rendered very lewd body and explicit songs with the innocence of a 15-year-old, making my audience at the hostels laugh until they cried, urging me to Hepinde Futty "play it again, play it again!”. I would play it again, happy they found my performance so intensely moving. A year later, I met Sipho Mvuseni Mchunu who came from Makabeleni Transkoop Natal. He was my age and a tremendous composer of original music. We teamed up as a duo and called ourselves Johnny and Sipho. And we played at the hostels, on the rooftops of apartment buildings, and later in various small folk music clubs that were prepared to take a chance on a racially mixed duo. Sipho introduced me to his Zulu dancing team, and I joined them at Weema Hostel at the bottom of Rissik Street, Johannesburg. They danced a style sometimes called Umkhokho, sometimes also referred as Isshameni. Here, I experienced my first clash with the apartheid authorities. I was caught inside the hostel, and was arrested in terms of the Group Areas Act and the Separate Amenities Act, and taken to John Forster Square, and then taken home to my mother, as I was underage. The police explained that I was breaking the law and, even worse, that I was in an area dangerous for ma as a white person. My mom was understandably worried and asked to speak to the dance leader, Mr. Richard Zwanèh, who came to our flat, sat down, and assured her that I would be looked after at all times. When he returned to the hostel, he told the dance team that “umfanou mouloungouh se Johnny lengue phpeehlah”: this white boy is really joined this dance team, and I was given the dance name Sikè Djikilé Shobeneh. I danced every Saturday and Sunday at Weema, avoiding the police as best I could, as well as the municipal security guarding the gates oh the hostel. The arrests and intimidation increased as I got older, but that's another story for another day. From 1970 to 1977, over those seven years, Sipho and I played traditional Maskanda music. I learned the rules of composition and the rules of presentation. However, from time to time, I couldn't help hearing echoes of certain characteristics of Celtic folk music in some of the Zulu war songs. Scottish and Irish. I heard, there was something that made me feel a conversation could be had between the two traditions. One song in particular was a traditional war song, Iwubula mah buhtòh. Which was known by the name U Sab’Inganono ("You Are Afraid of the Cannons"). And this song paved the way for me to see if a musical mixture and conversation could be constructed around these two different kinds of folk music. Now, I'm just going to go through the song quickly because it's very interesting. At any moment in any composer’s life, there are epiphanies—moments where you suddenly see through and have a breakthrough. This song gave me a breakthrough because, like a Scottish reel, the military bands with bagpipes. It is a 6/8 rhythm. So it is 1-2-3, 1-2-3, 4-5-6, 1-2-3, 4-5-6, 1-2-3, 4-5-6, 1-2-3, 4-5-6. And the song goes like this:
[Music] [Applause] [Music] [Applause].
So; that, I hear, in that melody, I hear a Scottish reel, on bagpipes [Music] [Applause] [Music] [Applause].
So, I hear, there was a melodic connection. And I started to introduce into our Maskanda music these Irish folk Irish music and Scottish music and started to get a strange mixture.
We began an experiment, which led into the music of Juluga and the concept of crossover music—music that encouraged the mixing of language in the same song, melody in the same song, rhythm in the same song, and the rules of composition of each to try to mix then in the same song. Although Juluga was the first musical experiment of its kind in this country, it is important to acknowledge the fact that the idea of mixing music and cross-cultural experimentation was already existing in the subculture of Zulu migrant labor. In his groundbreaking work, Zulu Transformations: A Study of the Dynamics of Social Change, published by the University of Natal Press in 1962, Dr. Absalom Vilagazi identifies a cultural subsection of tribespeople in the Natal Midlands who were important agents of cultural transformation. They were known as the Amatahtah," Atahtah a derogatory term, is a rude word, meaning someone with no fixed cultural address—cultural driftwood. These were farmworkers who also distanced of migrant labor in the big cities and had to constantly adjust their worldview and their outlook. They were people caught between orthodox traditional tribal people and the urban Christian modern Western world. They gave their allegiance to neither. But they tried to find a third way—a mixture that could incorporate aspects of both. The Amatosah referred to them as "Amaloulouanéh”. They beath because you don’t know if they are birds or couldn't tell if they were birds or mice; they were somewhere in between culturally. The quintessential Tahtah is a man who wears a three-piece suit and (???) tire sandals. He says, "I'm in both worlds, and I don't give my allegiance to neither. And I don’t care what you think about them, either". The Tahtah joins the Christian church because he loves the choir music, which he then steals, and he does war dances to the music, which upsets the Christians. Although he may join the church, he also performs traditional rituals to his ancestors, just in case. He introduced new ways of courtship, Ugushela which corresponding modernizing of a young man's courtship attire, image, and presentation. It is these Amatahtah who transformed much of traditional music, dance, and fashion in the 1940s and 1950s, using Western instruments and values to modify and bring the traditional tribal worldview into lines with the forces of social change. If there is a continuity in the work I've done, it is this underlying idea of crossing boundaries and mixing competing approaches. It forms the background and influence in the crossing over of musical forms in most of the music I have composed. It is an attitude and approach to culture, which, in the terms of Lévi-Strauss, the great French anthropologist, his notion of bricolage—being a cultural handyman, fixing and changing the world with anything you have in hand, that is giving life and meaning to what I do. Finally, I say with no fear of embarrassment: Guyhili Ntahtah meenah I am a Tahtah.
Thank you for this great honor and validation.
Traduction en français
On m’a demandé de préparer un aperçu de certains des aspects les plus intéressants de ma vie. En 1967, à l’âge de 14 ans, j’ai rencontré un musicien de rue zoulou devant un café près de chez moi, à YoVille, Johannesburg. Il s’appelait Ntonga Nazo Nzihlah, du district de Kandahi, Umabo Nvinih Singah, et cette rencontre fortuite m’a conduit, quelque 46 ans plus tard, à me tenir aujourd’hui devant cette auguste assemblée pour recevoir un doctorat honorifique en musique. Ce fut un voyage incroyable pour moi, et j’aimerais partager avec vous ce matin quelques-uns de ses moments marquants.
Dans les années 1960, les rues de Johannesburg résonnaient constamment des sons des musiciens Maskanda qui jouaient de la guitare, du concertina et du violon. Ils jouaient en allant au travail ou les week-ends lorsqu’ils rendaient visite à des amis dans les cités ouvrières à la périphérie de la ville. C’était une tradition de troubadours qui adaptait les chansons traditionnelles aux instruments occidentaux, mais qui composait également des chansons originales, des commentaires sociaux sur divers sujets touchant le monde des travailleurs migrants.
Tous ces musiciens étaient des migrants du Natal, vivant dans les foyers de travailleurs autour de Johannesburg et de Soweto, ou dans des cités ouvrières de la ville, ou encore dans des logements municipaux. Ils étaient ouvriers du bâtiment, agents d’entretien, employés d’hôpitaux, ouvriers de scieries, et autres travailleurs non qualifiés — des hommes de tribus traditionnelles venus en ville chercher du travail.
La musique de rue traditionnelle sur laquelle je suis tombé avait été façonnée au fil des décennies d’expérimentation, alors que le flux migratoire vers Johannesburg et Durban exposait ces musiciens à de nouvelles idées et formes. La guitare et le concertina ont été repensés, réaccordés, ce qui a mené à la création de nouveaux genres. En tant que jeune garçon, j’étais émerveillé par la manière innovante dont les instruments occidentaux étaient profondément africanisés. La guitare est passée d’un style de grattage appelé Uguvamba à un style sophistiqué de pincement des cordes avec les doigts, appelé Uwupiga. Si la guitare pouvait être facilement réaccordée ou ses cordes changées, le concertina devait être démonté, et tous ses boutons réarrangés pour jouer de la musique zouloue. Les foyers de travailleurs migrants étaient les lieux où travaillaient les professionnels du changement de boutons de concertina.
Ce monde caché s’est ouvert à moi alors que j’apprenais de plus en plus de chansons. Souvent, je ne savais même pas ce que je chantais, mais j’avais l’oreille musicale et je pouvais prononcer parfaitement le zoulou en chantant. Cela a conduit à des moments cocasses où je chantais, en toute innocence d’adolescent de 15 ans, des chansons très explicites et osées, ce qui faisait rire les spectateurs des foyers aux larmes, qui me criaient : Hepinde Futty ("rejoue-la, rejoue-la !"). Et je la rejouais, heureux qu’ils trouvent ma performance aussi émouvante.
Un an plus tard, j’ai rencontré Sipho Mvuseni Mchunu, originaire de Makabeleni Transkoop Natal. Il avait mon âge et composait des musiques originales incroyables. Nous avons formé un duo, Johnny et Sipho. Nous jouions dans les foyers, sur les toits d’immeubles, puis dans divers petits clubs de musique folk qui acceptaient de prendre le risque de programmer un duo mixte racialement.
Sipho m’a présenté à son groupe de danse zouloue, et je les ai rejoints au foyer Weema, au bas de Rissik Street, Johannesburg. Ils dansaient un style parfois appelé Umkhokho, parfois Isshameni. C’est là que j’ai eu ma première confrontation avec les autorités de l’apartheid. J’ai été surpris à l’intérieur du foyer et arrêté en vertu de la Group Areas Act et de la Separate Amenities Act. Emmené au poste de John Forster Square, j’ai ensuite été ramené chez ma mère, car j’étais mineur. La police a expliqué que je violais la loi et, pire encore, que je me trouvais dans une zone dangereuse en tant que blanc.
Ma mère, inquiète, a demandé à parler au chef du groupe de danse, M. Richard Zwanèh, qui est venu chez nous, s’est assis et l’a assurée que je serais toujours bien encadré. Lorsqu’il est retourné au foyer, il a dit à l’équipe de danse : “umfanou mouloungouh se Johnny lengue phpeehlah” : ce garçon blanc a vraiment rejoint l’équipe, et on m’a donné le nom de danseur Sikè Djikilé Shobeneh. Je dansais chaque samedi et dimanche au Weema, évitant la police et la sécurité municipale aux portes du foyer. Les arrestations et intimidations se sont intensifiées en vieillissant — mais c’est une autre histoire.
De 1970 à 1977, pendant ces sept années, Sipho et moi avons joué de la musique traditionnelle Maskanda. J’ai appris les règles de composition et de présentation. Cependant, de temps en temps, j’entendais des résonances celtiques dans certaines chansons de guerre zouloues — écossaises et irlandaises. Quelque chose me disait qu’un dialogue entre ces traditions était possible.
Une chanson en particulier, un chant de guerre traditionnel Iwubula mah buhtòh, connu sous le nom de U Sab’Inganono ("Tu as peur des canons"), m’a permis d’entrevoir la possibilité de construire une conversation musicale entre ces deux mondes. Je vais maintenant en parler rapidement car elle est très intéressante.
Dans la vie de tout compositeur, il y a des épiphanies — des moments de révélation. Cette chanson en fut une. Elle utilise un rythme en 6/8, comme dans une reel écossaise : 1-2-3, 1-2-3, 4-5-6, 1-2-3, 4-5-6…
Et la chanson faisait ainsi : [Musique] [Applaudissements] [Musique] [Applaudissements].
Dans cette mélodie, j’entendais une reel écossaise jouée à la cornemuse. [Musique] [Applaudissements].
J’ai donc commencé à introduire dans notre musique Maskanda des éléments de musique folk irlandaise et écossaise, créant un mélange étrange.
Nous avons entamé une expérience qui a donné naissance à Juluka et au concept de musique crossover — une musique qui mélangeait langue, mélodie, rythme et règles de composition dans une même chanson. Bien que Juluka ait été la première expérience musicale de ce genre dans ce pays, il est important de reconnaître que l’idée de mélanger les musiques et les cultures existait déjà dans la sous-culture des travailleurs migrants zoulous.
Dans son œuvre pionnière Zulu Transformations: A Study of the Dynamics of Social Change, publiée par l’Université du Natal en 1962, Dr Absalom Vilagazi identifie un sous-groupe culturel dans le Midlands du Natal, des agents importants de transformation culturelle. Ils étaient appelés les Amatahtah — un terme péjoratif désignant quelqu’un sans racines culturelles fixes, un « bois flottant culturel ». Ce sont des travailleurs agricoles et migrants en ville qui devaient constamment adapter leur vision du monde. C’étaient des gens pris entre tradition tribale et modernité chrétienne urbaine, sans allégeance fixe. Ils cherchaient une troisième voie — un mélange des deux.
Les orthodoxes les appelaient Amaloulouanéh, car on ne savait jamais s’ils étaient des oiseaux ou des souris : ils étaient entre les deux, culturellement. L’exemple typique du Tahtah est un homme en costume trois pièces portant des sandales usées. Il dit : « Je suis dans les deux mondes, je ne donne ma loyauté à aucun, et je me fiche de ce que vous en pensez. »
Le Tahtah rejoint l’église parce qu’il aime la musique des chorales — qu’il reprend pour danser les danses de guerre, au grand dam des chrétiens. Il peut aller à l’église, mais pratique aussi les rituels ancestraux, au cas où. Il invente de nouvelles façons de courtiser, Ugushela, modernisant l’habillement et la présentation des jeunes hommes.
Ce sont ces Amatahtah qui ont transformé une grande partie de la musique, de la danse et de la mode traditionnelles dans les années 1940 et 1950, utilisant des instruments et des valeurs occidentales pour adapter la vision tribale aux forces du changement social.
S’il y a une continuité dans mon travail, c’est cette idée sous-jacente de franchir les frontières, de mélanger les approches opposées. Cela forme l’arrière-plan de ma musique. C’est une attitude envers la culture, qui rejoint le concept de bricolage du grand anthropologue français Claude Lévi-Strauss — l’idée d’être un bricoleur culturel, qui transforme et adapte le monde avec ce qu’il a sous la main, et qui donne vie et sens à ce que je fais.
Enfin, je le dis sans honte : Guyhili Ntahtah menah — je suis un Tahtah.
Merci pour cet immense honneur et cette reconnaissance.
Reprise par Sipho Mchunu
modifierUne version de Sipho Mchunu de la chanson est mentionnée, contrastant avec les interprétations de Clegg et Jenkins, qui sont plus accessibles via des albums et internet[2].
Vidéo-clip
modifierLe Kearsney College Choir reprend cette chanson[5].
Références
modifier- (en) Barbara Titus, « Hearing Maskanda, Musical Epistemologies in South Africa », sur api.pageplace.de, (consulté le ).
- [vidéo] « Johhny Clegg Address », University of KwaZulu-Natal South Africa, , 12:48 min (consulté le )
- ↑ [vidéo] « Qadasi & Maqhinga - "Sab' Inganono" Live », David “Qadasi” Jenkins, , 3:38 min (consulté le )
- ↑ « Sab' Inganono, by Qadasi », sur Qadasi (consulté le )
- ↑ « Kearsney College Choir - SCL », sur www.sclfestival.org (consulté le )
Voir aussi
modifierArticles liés
modifierBibliographie
modifier- (en) Barbara Titus, Hearing Maskanda, Musical Epistemologies in South Africa, (lire en ligne).